Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 13 septembre 2022, n° 22-83.885, (B), FRH

Cassation

Atteinte à la dignité – Recours préventif – Ordonnance du président de la chambre de l'instruction – Comparution de la personne détenue – Irrecevabilité

N'encourt pas la censure l'ordonnance par laquelle le président de la chambre de l'instruction, saisi sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, déclare irrecevable la demande de comparution présentée par la personne détenue, dès lors que l'objet de ce texte n'étant pas l'examen du bien-fondé de cette détention, mais celui des conditions dans lesquelles celle-ci se déroule, cette comparution n'est pas de droit.

M. [I] [T] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête sur ses conditions de détention.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [I] [T] a été placé sous mandat de dépôt correctionnel par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 12 octobre 2021.

3. Le 16 mai 2022, M. [T] a saisi le juge des libertés et de la détention d'une requête dénonçant les conditions de sa détention, au visa de l'article 803-8 du code de procédure pénale.

4. Le magistrat saisi, après avoir sollicité, et obtenu le 24 mai 2022, les avis de l'administration pénitentiaire et du ministère public, a ordonné, d'office, l'audition de l'intéressé, qui a été entendu le 25 mai 2022, en présence de son avocat, du procureur de la République et de représentants de la maison d'arrêt.

5. Par ordonnance du 26 mai suivant, la requête a été rejetée.

6. M. [T] a relevé appel de cette décision et a demandé à comparaître devant le président de la chambre de l'instruction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de comparution personnelle présentée par M. [T], alors :

« 1°/ qu'en matière de détention provisoire, la comparution personnelle, si elle est demandée, est de droit ; que ce principe vaut en particulier lorsqu'une personne détenue sollicite, sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, son transfèrement ou sa remise en liberté à raison des conditions indignes de sa détention ; qu'au cas d'espèce, M. [T], appelant de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant rejeté la demande de transfèrement ou de remise en liberté qu'il avait formée sur le fondement de ce texte en arguant de l'indignité de ses conditions de détention, avait sollicité expressément, dans sa déclaration d'appel, sa comparution personnelle devant le président de la chambre de l'instruction ; qu'en affirmant, pour rejeter cette requête, que les articles 803-8 et R. 249-36 à R. 249-39 du code de procédure pénale ne prévoyaient pas une possibilité de comparution personnelle du requérant, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation de ces textes, ensemble des article 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que si l'article 803-8 du code de procédure pénale devait être lu comme excluant la comparution personnelle de la personne détenue devant le président de la chambre de l'instruction appelé à statuer sur l'appel interjeté contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant la demande de transfèrement ou de remise en liberté fondée sur l'indignité des conditions de détention, ce texte devrait, sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct, être abrogé en ce qu'il serait contraire au principe constitutionnel d'accès au juge garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

8. Pour dire irrecevable la demande de comparution de M. [T], l'ordonnance attaquée énonce qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit la possibilité d'une comparution personnelle du détenu devant le président de la chambre de l'instruction statuant comme juridiction d'appel.

9. En prononçant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

10. En premier lieu, la personne détenue qui saisit le juge sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale ne peut se prévaloir des règles applicables en matière de contentieux de la détention provisoire, l'objet de ce texte n'étant pas l'examen du bien-fondé de cette détention, mais celui des conditions dans lesquelles celle-ci se déroule.

11. En second lieu, la procédure applicable aux requêtes en conditions indignes de détention garantit suffisamment le droit d'accès au juge.

12. En effet, il se déduit de la lecture combinée des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 de ce même code, d'une part, que la personne détenue peut, au moment du dépôt de sa requête, demander à comparaître devant le juge des libertés et de la détention, d'autre part, que, saisi d'une telle demande, ce magistrat doit procéder à cette audition s'il entend rendre une décision d'irrecevabilité, et, enfin, que si la requête est déclarée recevable, l'audition doit être réalisée avant la décision sur le bien-fondé de celle-ci.

13. Enfin, devant le président de la chambre de l'instruction, la personne détenue peut présenter toutes observations utiles, personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat, auxquelles ce magistrat est tenu de répondre.

14. Ainsi, le grief, inopérant en ce qu'il vise l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que l'examen des requêtes en conditions indignes de détention relève des articles 3 et 13 de cette Convention, doit être écarté.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

15. Par arrêt distinct de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; le grief est ainsi devenu sans objet.

Mais sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat

Vu l'article 803-8, I, alinéas 2 et 4, du code de procédure pénale :

16. Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention déclare recevable la requête portant sur l'examen des conditions de détention si les allégations de conditions contraires à la dignité de la personne humaine y figurant sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve de ce que ces conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne. Cette disposition vise à permettre le recours effectif et préventif exigé par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales tout en le réservant aux situations dont la description par le requérant convainc le juge de faire usage de ses pouvoirs de vérification.

17. Il en résulte que le juge des libertés et de la détention ne peut statuer sur le bien-fondé de la requête sans avoir au préalable statué sur sa recevabilité.

18. En l'espèce, en prononçant sur le bien-fondé de la requête, alors que le premier juge n'avait pas au préalable statué sur la recevabilité de celle-ci par une ordonnance rendue conformément à l'article R. 249-21 du code de procédure pénale, mais s'était, au contraire, prononcé notamment en considération d'informations transmises par l'administration pénitentiaire, qu'il n'avait pas à prendre en compte à ce stade, le président de la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

19. La cassation est dès lors encourue.

Portée et conséquences de la cassation

19. Il appartient au président de la chambre de l'instruction de statuer sur la recevabilité de la requête.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 803-8 du code de procédure pénale.

Crim., 13 septembre 2022, n° 22-84.037, (B), FS

Cassation sans renvoi

Ordonnances – Ordonnance du juge des libertés et de la détention – Ordonnance de prolongation de la détention provisoire – Durée de la détention – Crime commis en bande organisée – Définition – Faits recevant une qualification criminelle indépendamment de la circonstance de bande organisée

L'article 145-2 n'est applicable qu'en matière criminelle. Ainsi, d'une part, les catégories d'infractions de trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme et extorsion de fonds, énumérées par ce texte, ne concernent que celles d'entre elles qui constituent des crimes, les délits relevant de l'article 145-1 du même code, d'autre part, alors que ledit article, applicable en matière correctionnelle, fait mention d'une « infraction » commise en bande organisée, l'article 145-2, alinéa 2, précité, vise précisément un « crime » commis en bande organisée, qu'il distingue de « l'infraction » criminelle comportant un élément d'extranéité. Il s'en déduit que l'expression « crime commis en bande organisée », dont l'interprétation doit être littérale s'agissant d'une disposition allongeant la durée de la détention provisoire, suppose que les faits poursuivis puissent recevoir une qualification criminelle, indépendamment de la circonstance de bande organisée.

M. [C] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 17 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de recel et vol aggravés, en récidive, tentative de vol, escroquerie et blanchiment, aggravés, blanchiment, associations de malfaiteurs, dégradation, destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, a prolongé sa détention provisoire après infirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 3 juillet 2020, M. [C] [T] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.

3. Par ordonnance du 31 mai 2022, le juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article 145-2 du code de procédure pénale, dit n'y avoir lieu à prolonger la détention provisoire de l'intéressé au-delà des deux ans prévus par ce texte.

4. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé une ordonnance du juge des libertés et de la détention disant n'y avoir lieu à prolongation de la détention provisoire de M. [T] détenu depuis le 3 juillet 2020, et a ordonné la prolongation de sa détention pour une durée de six mois à compter de 2 juillet 2022 à 24 heures, alors « que le vol est un délit qui peut être aggravé par la circonstance de bande organisée ; le texte de l'article 145-2 du code de procédure pénale, s'il autorise que la durée de la détention provisoire puisse être allongée à quatre ans soit pour certains délits limitativement énumérés dont le vol ne fait pas partie, soit pour les crimes aggravés par la circonstance de bande organisée, au regard de ce texte le vol reste un délit qui peut être aggravé par la circonstance de bande organisée mais qui ne devient pas pour autant un crime ; M. [T] n'encourant qu'une peine maximale de 15 ans de réclusion criminelle et non de 20 ans comme l'exige l'article 145-2, § 2, du code de procédure pénale pour l'allongement des délais de détention qu'il édicte, la chambre de l'instruction ne pouvait considérer que M. [T] rentrait dans l'hypothèse d'un possible allongement de la détention à quatre ans au motif erroné que le vol en bande organisée serait constitutif d'un « crime en bande organisée » au sens de ce texte.

La chambre de l'instruction a ainsi violé l'article 145-2, § 2, du code de procédure pénale. M. [T] détenu depuis plus de 2 ans doit être mis en liberté et la cassation interviendra sans renvoi. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145-2, alinéa 2, du code de procédure pénale :

6. Aux termes de ce texte, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas.

Les délais sont portés respectivement à trois et quatre ans lorsque l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national.

Le délai est également de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, ou trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.

7. Cet article n'est applicable qu'en matière criminelle.

8. Ainsi, d'une part, les catégories d'infractions de trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme et extorsion de fonds, énumérées par ce texte, ne concernent que celles d'entre elles qui constituent des crimes, les délits relevant de l'article 145-1 du même code.

9. D'autre part, alors que ledit article, applicable en matière correctionnelle, fait mention d'une « infraction » commise en bande organisée, l'article 145-2, alinéa 2, précité, vise précisément un « crime » commis en bande organisée, qu'il distingue de « l'infraction » criminelle comportant un élément d'extranéité.

10. Il s'en déduit que l'expression « crime commis en bande organisée », dont l'interprétation doit être littérale, s'agissant d'une disposition allongeant la durée de la détention provisoire, suppose que les faits poursuivis puissent recevoir une qualification criminelle, indépendamment de la circonstance de bande organisée.

11. En l'espèce, pour infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [T], l'arrêt attaqué énonce qu'au-delà de la matière criminelle visée à son premier alinéa, l'article 145-2 du code de procédure pénale prévoit pour certains délits un délai de détention maximal allongé à quatre années ainsi que pour les crimes commis en bande organisée.

12. Les juges en déduisent que, pour un crime commis en bande organisée, ce texte ne distingue pas entre la nature, délictuelle ou criminelle, de l'infraction initiale, aggravée par la circonstance de bande organisée, de sorte que le délai maximal de la détention provisoire de quatre ans trouve bien à s'appliquer pour le crime de vol en bande organisée.

13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

16. M. [T] étant détenu sans titre depuis le 3 juillet 2022 dans la présente procédure, il doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 17 juin 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que M. [T] est détenu sans titre depuis le 3 juillet 2022 dans la présente procédure ;

ORDONNE la mise en liberté de M. [T] s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Dary - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.