Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

RESPONSABILITE PENALE

Crim., 22 septembre 2021, n° 20-80.489(B)

Rejet

Causes d'irresponsabilité ou d'atténuation – Etat de nécessité – Conditions – Danger actuel et imminent – Exclusion – Cas

Doit être rejeté le pourvoi reprochant à une cour d'appel d'avoir écarté le moyen tiré de l'état de nécessité invoqué par les prévenus ayant dérobé le portrait du Président de la République pour protester contre la politique du chef de l'Etat en matière de changement climatique.

La cour d'appel, qui a souverainement estimé, par des motifs exempts de contradiction et d'insuffisance, répondant à l'ensemble des chefs péremptoires des conclusions des prévenus, qu'il n'était pas démontré que la commission d'une infraction était le seul moyen d'éviter un péril actuel ou imminent, a justifié sa décision.

Le procureur général près la cour d'appel de Lyon et M. [Y] [Q], Mme [U] [W], M. [K] [M], M. [O] [V], Mme [S] [I] et M. [R] [G] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 14 janvier 2020, qui, après relaxe des cinq premiers prévenus précités du chef de refus de se soumettre à un prélèvement biologique, a déclaré tous les prévenus coupables de vol aggravé, et les a condamnés, chacun, à 500 euros d'amende avec sursis, et a ordonné une mesure de confiscation.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 2 mars 2019, plusieurs personnes, agissant dans le cadre d'une « action non violente COP21 », ont dérobé le portrait officiel du Président de la République qui se trouvait dans la salle du conseil et des mariages de la mairie de [Localité 1]. Une banderole a été déployée sur laquelle était inscrit : « climat justice sociale sortons Macron ».

3. M. [Y] [Q], Mme [U] [W], M. [K] [M], M. [O] [V], Mme [S] [I] et M. [R] [G] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse du chef de vol avec ruse et en réunion, les cinq premiers étant, de surcroît, poursuivis pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement biologique en vue de déterminer leur empreinte génétique.

4. Les juges du premier degré ont relaxé les prévenus de ce dernier chef. Ils ont condamné pour vol les six personnes poursuivies et ont prononcé à leur encontre la peine de 500 euros d'amende avec sursis, M. [Q] étant quant à lui condamné à 250 euros d'amende.

5. Les prévenus et le ministère public ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé pour M. [Y] [Q], Mme [U] [W], M. [K] [M], M. [O] [V], Mme [S] [I] et M. [R] [G]

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné les prévenus du chef de vol aggravé, alors :

« 1°/ que le caractère nécessaire, pour la sauvegarde des personnes et des biens, d'un acte consistant à soustraire publiquement un portrait du Président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, ne peut s'apprécier sans tenir compte du caractère strictement proportionné des moyens mis en oeuvre et de leurs effets ; qu'en exigeant que cet acte soit le dernier recours et la seule chose à entreprendre pour éviter la réalisation du péril que constitue l'effet du dérèglement climatique pour l'environnement et en refusant ainsi de tenir compte de ce que les moyens employés, exempts de toute violence, ainsi que leurs effets, demeuraient proportionnés et adaptés au regard de la nécessité précitée, la cour d'appel a violé l'article 122-7 du code pénal ;

2°/ qu'en écartant le caractère nécessaire de l'action consistant à soustraire, sans violence, un portrait du Président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, par la constatation que les prévenus disposaient de moyens, politiques ou juridictionnels, pour dénoncer la carence des autorités publiques de sorte que leur action n'était pas réalisée en dernier recours, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si le retard précité accumulé en dépit d'actions politiques et de recours juridictionnels déjà engagés ne traduisait pas l'insuffisance de ces derniers et leur incapacité à répondre à la situation d'urgence climatique, et par là-même la nécessité de les compléter par des actions symboliques telles que celle ayant donné lieu à l'infraction poursuivie, la cour d'appel a violé l'article 122-7 du code pénal ;

3°/ qu'ayant constaté que l'action avait consisté à soustraire publiquement un portrait du Président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, qu'elle s'inscrivait dans un mouvement politique et militant ayant pour objet de contester la politique du chef de l'Etat, d'informer et de sensibiliser le public et le gouvernement sur l'urgence à agir en matière de changement climatique et de dénoncer ce que les prévenus qualifiaient d'inaction et en soulignant que les éléments avancés par les prévenus au titre de l'état de nécessité ne constituaient en réalité qu'un mobile, sans tirer d'elle-même les conséquences de ces constatations, à savoir que les comportements reprochés s'inscrivaient dans une démarche de protestation politique portant sur une question d'intérêt général et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte des comportements en cause, constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

- Sur le moyen, pris en ses deux premières branches :

7. Pour rejeter le fait justificatif invoqué par les prévenus, tiré de l'état de nécessité, l'arrêt attaqué relève que, si l'impact négatif sur l'environnement mondial du réchauffement climatique planétaire, dont la communauté scientifique s'accorde à reconnaître l'origine anthropique, peut être considéré comme un danger actuel ou en tout cas un péril imminent pour la communauté humaine et pour les biens de cette dernière, au sens de l'article 122-7 du code pénal, il n'est pas démontré en quoi le vol du portrait du Président de la République commis par eux le 2 mars 2019 au préjudice de la commune de Jassans-Riottier, constituerait un acte nécessaire à la sauvegarde des personnes et des biens au sens de ce même article.

8. Les juges ajoutent que les prévenus ne démontrent pas que ce vol constituerait un moyen, non seulement adéquat, mais encore indispensable, ou le seul à mettre en oeuvre pour éviter la réalisation du péril invoqué et se bornent à alléguer qu'ils n'avaient pas eu d'autre choix.

9. Ils concluent que rien ne contraignait les prévenus, dont l'action s'inscrivait en réalité dans un mouvement politique et militant ayant pour objet de contester la politique du chef de l'Etat, d'informer et de sensibiliser le public et le gouvernement sur l'urgence à agir en matière de changement climatique, et de dénoncer ce qu'ils qualifiaient d'inaction, à commettre cette voie de fait, constitutive du délit litigieux, pour parvenir au but affiché.

10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement estimé, par des motifs exempts de contradiction et d'insuffisance, répondant à l'ensemble des chefs péremptoires des conclusions des prévenus, qu'il n'était pas démontré que la commission d'une infraction était le seul moyen d'éviter un péril actuel ou imminent, a justifié sa décision.

11. Ainsi, les griefs doivent être écartés.

- Sur le moyen, pris en sa troisième branche :

12. Le grief, nouveau et mélangé de fait est, comme tel, irrecevable, en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de cassation le caractère disproportionné de l'atteinte spécifique portée au droit des intéressés à leur liberté d'expression par les poursuites engagées pour vol aggravé, en violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

13. En conséquence, le moyen doit être écarté.

Sur le moyen proposé par le procureur général

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus du chef de refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l'identification de son empreinte génétique par une personne soupçonnée d'infraction entraînant l'inscription au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), en retenant la disproportion entre les faits commis et l'atteinte au respect de la vie privée consécutive à l'enregistrement dans ce fichier, alors « que la cour d'appel ne pouvait pas, sans se contredire, juger par ailleurs à titre principal que «(...) le grief invoqué par les prévenus d'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la CESDH n'apparaît pas encouru (...) », par la mise en oeuvre des dispositions des articles 706-54 à 706-56, R. 53-9 et suivants du code de procédure pénale, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits, en raison de leur conformité aux normes conventionnelles invoquées. »

Réponse de la Cour

15. Pour relaxer les prévenus du chef de refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l'identification de son empreinte génétique par une personne soupçonnée d'infraction entraînant l'inscription au FNAEG, l'arrêt attaqué relève tout d'abord que les dispositions des articles 706-54 à 706-56, R. 53-9 et suivants du code de procédure pénale, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits, leur réservaient, y compris pendant les poursuites concernant l'infraction dont ils étaient soupçonnés, la possibilité concrète, effective et certaine de solliciter, y compris devant un juge judiciaire, l'effacement des données enregistrées, dont, par ailleurs, la durée de conservation n'était ni infinie ni excessive au regard des infractions considérées et de l'objectif poursuivi par l'autorité publique de prévenir les infractions les plus graves.

16. Les juges concluent sur ce point que le grief de l'inconventionnalité des textes susvisés n'est pas encouru.

17. La cour relève ensuite qu'il lui appartient d'exercer également un contrôle de proportionnalité, sollicité par les prévenus à titre subsidiaire.

18. Les juges énoncent que l'infraction a été commise dans un contexte non crapuleux mais dans celui d'une action politique et militante, entreprise dans un but d'intérêt général.

19. Ils retiennent une disproportion entre, d'une part, la faible gravité objective et relative du délit dont les intéressés étaient soupçonnés au moment de leur refus de se soumettre au prélèvement litigieux et, d'autre part, l'atteinte au respect de la vie privée consécutive à l'enregistrement au FNAEG, même sous les garanties relevées plus haut, des résultats des analyses des échantillons biologiques prélevés.

20. En prononçant ainsi, la cour d'appel a pu, sans se contredire, énoncer, d'une part, que les articles 706-54 à 706-56, R.53-9 et suivants du code de procédure pénale, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits, n'étaient pas contraires en eux-mêmes à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et retenir, d'autre part, dans le cadre de l'exercice de son contrôle de proportionnalité, une disproportion entre les faits reprochés aux prévenus et l'atteinte au respect de leur vie privée résultant de l'enregistrement de leur empreinte génétique au FNAEG.

21. Dès lors, le moyen doit être écarté.

22. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Guéry - Avocat général : Mme Philippe - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 122-7 du code pénal ; article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 706-54 à 706-56, R.53-9 et suivants du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 15 juin 2021, pourvoi n° 20-83.749, Bull. crim. 2021, (rejet), et l'arrêt cité. Crim., 16 février 2016, pourvoi n° 15-82.732, Bull. crim. 2016, n° 48 (rejet), et les arrêts cités ; Crim., 13 juin 2017, pourvoi n° 16-83.201, Bull. crim. 2017, n° 164 (rejet), et l'arrêt cité ; Crim., 20 juin 2017, pourvoi n° 16-80.982, Bull. crim. 2017, n° 169 (rejet). Crim., 15 janvier 2019, pourvoi n° 17-87.185, Bull. crim. 2019, n° 11 (déchéance et cassation partielle), et l'arrêt cité.

Crim., 22 septembre 2021, n° 20-85.434(B)

Cassation

Causes d'irresponsabilité ou d'atténuation – Exercice de la liberté d'expression – Conditions – Proportionnalité – Recherche nécessaire

Dès lors qu'un moyen tiré de la liberté d'expression est invoqué devant les juges du fond, il appartient à ces derniers de rechercher si l'incrimination pénale des comportements poursuivis ne constitue pas, au cas particulier qui leur est soumis, une atteinte disproportionnée à cette liberté.

Encourt ainsi la cassation l'arrêt qui, sans procéder à cette recherche, énonce que la liberté d'expression ne peut être invoquée en l'espèce, car elle ne peut jamais justifier la commission d'un délit pénal.

M. [J] [O], Mme [S] [T], Mme [Z] [N], M. [A] [H], Mme [F] [I], M. [U] [B], M. [X] [M] et Mme [Y] [G] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 16 septembre 2020, qui, pour vols aggravés s'agissant des six premiers, complicité de ces vols s'agissant des deux derniers, refus de se soumettre à un prélèvement biologique s'agissant de MM. [O], [H], [B] et Mme [N], et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques s'agissant de M. [O], a condamné Mme [N] et M. [B] à 600 euros d'amende, MM. [O] et [M] à 500 euros d'amende, Mmes [T], [I] et [G] à 300 euros d'amende avec sursis, et M. [H] à 250 euros d'amende.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 28 mai 2019, les portraits officiels du Président de la République accrochés dans les mairies de [Localité 2], [Localité 1], [Localité 4] et [Localité 3] (Gironde) ont été dérobés par plusieurs individus agissant en réunion, à visage découvert, qui ont ensuite accroché, à la place du cadre, une affiche figurant la silhouette du chef de l'Etat avec la formule « Urgence sociale et climatique – où est [K] ? ».

3. L'enquête a permis d'identifier M. [J] [O], Mmes [S] [T], [Z] [N], M. [A] [H], Mme [F] [I], MM. [U] [B], [X] [M], et Mme [Y] [G] comme ayant pris part à ces faits.

4. Au cours de leur garde à vue, MM. [O], [H], [B] et Mme [N] ont refusé de se soumettre à un prélèvement biologique, et M. [O] de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques.

5. Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel de Bordeaux a notamment déclaré les huit prévenus coupables de vol en réunion, a déclaré MM. [O], [H], [B] et Mme [N] coupables de refus de se soumettre à un prélèvement biologique, a déclaré M. [O] coupable de refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, a ajourné le prononcé des peines, et a prononcé une mesure de confiscation.

6. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables du chef de vol aggravé ou de complicité de vol aggravé, alors :

« 1°/ que l'état de nécessité suppose que l'acte accompli face au danger soit être nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien ; qu'en retenant que l'état de nécessité ne pouvait être invoqué « car, à supposer qu'il existe un « danger actuel ou imminent » menaçant les prévenus, résultant de « l'urgence climatique », dont il n'appartient pas toutefois à la justice de dire s'il est réel ou supposé, comme s'est aventuré à le dire le tribunal correctionnel, il n'existe aucun élément qui permette de considérer que le vol des portraits du Président de la République dans des mairies permette de sauvegarder les prévenus du danger qu'ils dénoncent » cependant qu'elle ne pouvait statuer sur le caractère nécessaire de l'acte accompli face au danger sans se prononcer sur l'existence et les caractéristiques de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 122-7 du code pénal ;

2°/ que le caractère nécessaire, pour la sauvegarde des personnes et des biens, d'un acte consistant à soustraire publiquement un portrait du Président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, ne peut s'apprécier sans tenir compte du caractère strictement proportionné des moyens mis en oeuvre et de leurs effets ; qu'en se bornant à constater qu'il n'existe aucun élément qui permette de considérer que le vol des portraits du Président de la République dans des mairies permette de sauvegarder les prévenus du danger qu'ils dénoncent et en refusant ainsi de tenir compte de ce que les moyens employés, exempts de toute violence, ainsi que leurs effets, demeuraient proportionnés et adaptés au regard de la nécessité précitée, la cour d'appel a violé l'article 122-7 du code pénal. »

Réponse de la Cour

8. Pour rejeter le fait justificatif tiré de l'état de nécessité invoqué par les prévenus, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'existe aucun élément qui permette de considérer que le vol des portraits du Président de la République dans des mairies soit de nature à prévenir, au sens de l'article 122-7 du code pénal, le danger climatique qu'ils dénoncent.

9. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement estimé, par des motifs exempts de contradiction et d'insuffisance, répondant à l'ensemble des chefs péremptoires des conclusions des prévenus, qu'il n'était pas démontré que la commission d'une infraction était le seul moyen d'éviter un péril actuel ou imminent, a justifié sa décision.

10. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables du chef de vol aggravé ou de complicité de vol aggravé, alors « que nul ne peut être condamné pénalement pour un comportement qui s'inscrit dans l'exercice de la liberté d'expression à l'égard d'un sujet d'intérêt général et pour l'expression d'un propos qui n'est pas dépourvu d'une base factuelle suffisante, dès lors que, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause et du caractère limité de ses incidences sur l'intérêt protégé au titre de l'infraction poursuivie, que cette dernière relève ou non de la législation propre à l'exercice de la liberté de la presse, l'incrimination de l'agissement en cause constituerait une ingérence disproportionnée dans la liberté d'expression ; qu'en retenant que la liberté de la presse ne peut jamais justifier la commission d'un délit pénal, et en refusant ainsi de rechercher, comme elle y était invitée, si l'action ayant consisté à soustraire publiquement des portraits du Président de la République accrochés dans les salles de mariages de différentes mairies et à les remplacer par des affiches sur lesquelles figuraient l'ombre du Président de la République et l'inscription « Urgence sociale et climatique : où est [K] ?», dans une démarche de protestation politique ayant pour objet de contester la politique du chef de l'État, d'informer et de sensibiliser le public et le gouvernement sur l'urgence à agir en matière de changement climatique et de dénoncer l'inaction des pouvoirs publics, ceci dans des conditions ayant eu pour objet et pour effet de ne causer aucune atteinte aux personnes et de n'entraîner au droit de propriété des collectivités publiques concernées qu'une atteinte négligeable, ne s'inscrivait pas dans l'exercice de la liberté d'expression à l'égard d'un sujet d'intérêt général et pour l'expression d'un propos qui n'était pas dépourvu d'une base factuelle suffisante et si son incrimination n'entraînait pas, compte tenu de la nature et du contexte des comportements en cause et du caractère limité de ses incidences sur l'intérêt protégé au titre de l'infraction de vol poursuivie, une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 593 du code de procédure pénale :

12. Il résulte du premier de ces textes que toute personne a droit à la liberté d'expression, et que l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale.

13. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

14. Ainsi que l'a déjà jugé la Cour de cassation, l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n°15-83.774, Bull. n°278 ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n°19-81.827).

15. Pour déclarer les prévenus coupables de vols aggravés ou complicité de ces vols, l'arrêt attaqué énonce que tous les prévenus ont eu l'intention d'appréhender ou d'aider à appréhender les portraits du Président de la République, se comportant à leur égard, durant le temps de cette appropriation, comme leur véritable propriétaire.

16. Les juges ajoutent que la liberté d'expression, garantie par notre droit positif, ne peut être invoquée en l'espèce, car elle ne peut jamais justifier la commission d'un délit pénal. Ils précisent que si la notion juridique de lanceur d'alerte existe effectivement, elle ne peut trouver ici aucune application.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si l'incrimination pénale des comportements poursuivis ne constituait pas, en l'espèce, une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression des prévenus, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

18. La cassation est donc encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré MM. [O], [H], [B] et Mme [N] coupables du chef de refus de se soumettre à un prélèvement biologique et M. [O] du chef de refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, alors « que nul ne peut être condamné pénalement pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement d'empreinte génétique ou à des opérations de relevé signalétique dès lors que ces mesures constituaient, compte tenu du contexte, de la nature des faits reprochés et de la personnalité de la personne concernée, des mesures qui n'étaient pas nécessaires et proportionnées au regard de la finalité assignée aux fichiers de police concernés ; qu'en retenant, par des motifs adoptés, que le contrôle de proportionnalité qu'elle devait effectuer entre l'atteinte au droit au respect de la vie privée des prévenus et les éléments concrets de l'espèce n'aurait lieu qu'au stade du prononcé de la sanction pénale, et en refusant ainsi de rechercher, comme elle y était invitée, si l'incrimination en elle-même du refus de se soumettre au prélèvement d'empreinte génétique ou aux opérations de relevé signalétique n'entraînait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de chacun des prévenus compte tenu de ce que les faits de vol qui leur étaient alors reprochés s'inscrivaient dans l'exercice de la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général et pour émettre une dénonciation non dépourvue d'une base factuelle suffisante, en l'occurrence l'inaction des pouvoirs publics en matière de lutte contre le dérèglement climatique, et avaient été réalisés dans des conditions ayant pour objet et pour effet d'éviter toute atteinte aux personnes, par des personnes agissant publiquement de manière désintéressée et à visage découvert, la cour d'appel a méconnu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 55-1, 706-54, 706-55, 706-56 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

20. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

21. Pour déclarer les prévenus coupables de refus de se soumettre à un prélèvement biologique, et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, l'arrêt attaqué énonce que le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité des prévenus.

22. En se déterminant ainsi, sans caractériser aucun des éléments constitutifs de ces infractions, et alors que le jugement de première instance ne contenait aucun motif sur cette condamnation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

23. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 16 septembre 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : Mme Philippe - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-83.774, Bull. crim. 2016, n° 278 (rejet), et l'arrêt cité ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-81.827, Bull. crim. 2020 (rejet).

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