Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 9 - Septembre 2020

PRESSE

Crim., 1 septembre 2020, n° 20-80.281, (P)

Rejet

Diffamation publique – Distribution d'un bulletin diffamatoire – Responsabilité du distributeur – Inapplicabilité de l'article 43 de la loi du 29 juillet 1881 – Cas – Complicité de droit commun – Intention coupable du complice – Nécessité

La personne qui a distribué, dans des boites aux lettres, un bulletin publié par une association ne peut être poursuivie du chef d'une infraction de presse prévue par la loi du 29 juillet 1881 qu'en qualité de complice de droit commun, dès lors qu'est poursuivi, en qualité d'auteur, le président de l'association directeur de la publication en vertu de l'article 42 de ladite loi et que, dans cette hypothèse, ne peut être poursuivi en qualité de complice présumé responsable que l'auteur du propos en cause conformément à l'article 43 alinéa 1 du même texte. Il en résulte la nécessité d'établir, à la charge de ce distributeur, la preuve de l'élément intentionnel de l'infraction de diffamation.

REJET du pourvoi formé par M. V... Q... contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 22 novembre 2019, qui, sur renvoi après cassation (Crim.,18 juin 2019, pourvoi n°18-86.593), dans la procédure suivie contre M. N... C... des chefs de diffamation publique envers un particulier et diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire personnel a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. Q..., agriculteur et maire de la commune de Monts (Oise) a porté plainte et s'est constitué partie civile, du chef de diffamation publique envers un particulier et de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, en raison de plusieurs passages d'un article le mettant en cause, rédigé notamment par M. M... I..., contenu dans le « Bulletin de liaison 2015 » de l'association Maisons paysannes de l'Oise, présidée par M. F... R..., laquelle l'a fait figurer sur le site internet de l'association et l'a fait distribuer dans les boites aux lettres des habitants de la commune de Maisoncelle Saint-Pierre par M. N... C....

3. MM. R... et I... ont fait l'objet d'une ordonnance de renvoi du juge d'instruction devant le tribunal correctionnel de Beauvais des chefs susvisés.

4. Parallèlement, M. C... a été cité par M. Q... devant cette juridiction, des mêmes chefs.

5. Par jugement du 19 décembre 2017, les deux procédures ont été jointes, MM. R... et I... ont été déclaré coupables des délits de diffamation, tandis que M. C... a été relaxé, au motif que celui-ci a été cité en qualité d'auteur des délits de diffamation alors qu'il ne pouvait l'être qu'en qualité de complice.

6. Par arrêt du 22 octobre 2018, la cour d'appel d'Amiens a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.

7. Le 18 juin 2019, la chambre criminelle a cassé cette décision en ses seules dispositions ayant débouté M. Q... de ses demandes dirigées contre M. C... et a renvoyé l'affaire devant la même cour autrement composée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 2, 459, 485, 496 et suivants, 509, 515 et 593 du code procédure pénale, 23, 42, 43 4°, 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 121-6 et 121-7 du code pénal, ensemble l'article 1240 (1382 ancien) du code civil.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a débouté de sa demande vis à vis de M. C..., alors :

- « que la cour d'appel de renvoi n'a pas apprécié, le mode de participation de M. C... en qualité d'auteur ou de complice et a relaxé M. C... en considérant qu'il avait agi dans le seul but de faire bénéficier les lecteurs d'un autre article figurant dans la publication incriminée, alors que le mobile est indifférent à la constitution de l'infraction ;

- que il importe peu que M. C... ait eu, ou non, conscience, du caractère diffamatoire du support distribué. »

Réponse de la Cour

10. Pour écarter la responsabilité de M. C... des chefs de diffamation publique envers un particulier et de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci a indiqué avoir diffusé le bulletin litigieux dans le seul but de faire bénéficier chaque habitant de la commune de Maisoncelle Saint-Pierre du compte-rendu d'une sortie qui avait eu lieu en octobre 2015 et n'avoir pas été parfaitement conscient des propos visant M. Q... du fait que ceux-ci concernaient le village de Monts et non le sien.

11. Les juges en déduisent qu'il ne ressort pas du dossier que M. C... ait eu une connaissance entière et certaine des propos litigieux, de sorte qu'il ne peut être regardé comme ayant commis une faute au sens de l'article 1240 du code civil.

12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

13. En premier lieu et dès lors que la responsabilité de M. R..., président de l'association éditrice du bulletin litigieux, était engagée en qualité d'auteur, M. C... ne pouvait voir sa propre responsabilité engagée en cette même qualité d'auteur sur le fondement de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881.

14. En second lieu, la présomption de responsabilité en qualité de complice étant réservée à l'auteur des propos en application de l'article 43 alinéa 1 de ladite loi, la responsabilité de M. C... ne pouvait être retenue qu'au titre d'une complicité de droit commun, ce qui supposait la preuve de l'élément intentionnel que la cour d'appel a pu estimer non rapportée du fait des circonstances particulières ayant motivé la distribution, par M. C..., du bulletin litigieux.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Ménotti - Avocat général : Mme Caby -

Textes visés :

Articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881.

Crim., 1 septembre 2020, n° 19-84.600, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Droit de réponse – Demande d'insertion – Refus d'insertion – Délit de refus d'insertion d'une réponse – Exercice de l'action publique – Qualité à agir – Cas

Seule est recevable à mettre en mouvement l'action publique du chef du délit de refus d'insertion d'une réponse, prévu par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la personne, nommée ou désignée dans un journal ou écrit périodique, qui a demandé en vain au directeur de la publication l'insertion forcée de ladite réponse. Encourt en conséquence la censure l'arrêt qui, sur citation directe d'une personne, entre en voie de condamnation du chef de refus d'insertion d'une réponse contre un directeur de la publication, pour n'avoir pas donné suite à la demande en insertion forcée qui lui avait été adressée par une autre.

CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI sur les pourvois formés par M. O... H... et l'association Union nationale de l'apiculture française contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 23 mai 2019, qui, pour refus d'insertion d'une réponse, a condamné le premier à 500 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par lettre recommandée adressée au directeur de la publication de la revue Abeilles et fleurs, organe de l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), M. K... C... a sollicité l'insertion d'une réponse à un éditorial publié dans la revue sous le titre « M. C... et le marché du miel ».

3. Cette réponse n'ayant pas été publiée dans le numéro suivant le surlendemain de sa réception, la société Famille C... Apiculteurs a fait citer M. H..., directeur de la publication de la revue, et l'UNAF du chef précité devant le tribunal correctionnel.

4. Les juges du premier degré ont constaté l'irrecevabilité de la citation directe, sans ordonner le versement d'une consignation, faute de production par la partie civile de son bilan et de son compte de résultat.

5. La société Famille C... Apiculteurs a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

Enoncé des moyens

6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la citation directe de la société Famille C... Apiculteurs en admettant la production pour la première fois devant la cour d'appel de ses bilan et compte de résultat, suivie d'une consignation dont le montant a été fixé par la cour d'appel, alors « que la personne morale à but lucratif dont la citation directe a été déclarée par le jugement frappé d'appel, non recevable faute de production de son bilan et de son compte de résultat ayant mis obstacle à la fixation de la consignation, ne peut pour la première fois devant la cour d'appel, produire ces justifications et obtenir la fixation d'une consignation permettant aux juges du second degré, après son versement, d'infirmer le jugement, de déclarer la citation directe recevable et de statuer sur l'action publique et sur l'action civile ; que la cour d'appel a décidé que le jugement prononçant l'irrecevabilité de la citation directe de la SA Famille C... Apiculteurs faute par celle-ci d'avoir produit son bilan et son compte de résultat dans le délais imparti, devait être infirmé sur appel de cette société, en raison de la production des justificatifs pour la première fois devant la cour d'appel après la déclaration d'appel et en raison de la fixation d'une consignation et de son versement, permettant ainsi aux juges du second degré d'évoquer l'affaire au fond sur la culpabilité des prévenus et sur les intérêts civils ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe constitutionnel d'égalité devant la justice, les articles 392-1 du code de procédure pénale, 13 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble le principe du double degré de juridiction garanti par le protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

7. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a évoqué et statué au fond sur la citation directe qui n'avait pas régulièrement saisi les premiers juges, alors « que la cour d'appel qui, statuant sur l'appel de la personne morale à but lucratif auteur d'une citation directe déclarée irrecevable par le jugement du fait de son abstention délibérée de produire devant le tribunal son bilan et son compte de résultat, et qui infirme ce jugement en admettant la production de ces justificatifs pour la première fois en appel, en fixant et en admettant le versement de la consignation, ne peut procéder par voie d'évocation dès lors que les premiers juges n'avaient pas été régulièrement saisis de la prévention ; qu'en effet, ayant pour objet de permettre à la cour d'appel de remplir directement la mission des premiers juges, l'évocation ne peut intervenir que lorsque la cour d'appel est en mesure de constater que ceux-ci avaient été régulièrement saisis, ce qui n'est pas le cas ; qu'ayant constaté l'absence de production devant le tribunal par la SA Famille C... Apiculteurs du bilan et du compte de résultat, qui a entraîné l'irrecevabilité de la citation directe devant les premiers juges, la cour d'appel faute de pouvoir constater que ceux-ci avaient été régulièrement saisis et à supposer qu'elle ait pu admettre la régularisation de la citation directe par production des justificatifs pour la première fois à hauteur d'appel, ne pouvait procéder par voie d'évocation et remplir directement la mission du tribunal, celui-ci n'ayant jamais été régulièrement saisi ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel d'égalité devant la justice, les articles 392-1 et 520 du code de procédure pénale, 13 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble le principe du double degré de juridiction garanti par le protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

9. Pour infirmer le jugement et évoquer, l'arrêt attaqué énonce que l'obligation faite à la partie civile, personne morale à but lucratif, par l'article 392-1 du code de procédure pénale de produire son bilan et son compte de résultat a pour objet de permettre la détermination du montant de la consignation, de sorte que son non-respect devant les premiers juges peut être régularisé en cause d'appel.

10. Les juges ajoutent notamment que la société Famille C... Apiculteurs a communiqué les documents exigés par ce texte à la cour d'appel, qui a pu ainsi fixer une consignation, versée dans les délais, et que la partie civile est donc recevable.

11. Ils en concluent que la cour d'appel doit évoquer l'affaire au fond en application de l'article 520 du code de procédure pénale.

12. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

13. La Cour de cassation juge que la personne morale à but lucratif qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier de ses ressources en joignant son bilan et son compte de résultat, ainsi que l'exige l'article 85, alinéa 4, du code de procédure pénale, demeure recevable à apporter ces justifications devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du magistrat instructeur ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable (Crim., 13 novembre 2018, pourvoi n° 18-81.194, Bull. crim. 2018, n° 189, cassation).

14. Il n'existe aucune raison de ne pas juger de même s'agissant de la délivrance d'une citation directe par la partie civile.

15. En effet, de première part, l'objet de l'article 392-1, alinéa 2, du code de procédure pénale comme de l'article 85, alinéa 4, précité, ces deux textes étant issus de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, est de permettre au juge d'instruction ou au tribunal correctionnel de fixer une consignation en adéquation avec les capacités financières d'une personne morale à but lucratif.

16. De deuxième part, interdire à une telle personne, qui a vu sa citation déclarée irrecevable en première instance, faute par elle d'avoir produit les documents comptables exigés, en vue de la fixation de la consignation, par l'article 392-1, alinéa 2, précité et qui fait appel de ce jugement, la possibilité de produire lesdits documents en appel, porterait atteinte, par un formalisme excessif, au droit de la partie civile d'accéder à une juridiction.

17. Enfin, lorsque la cour d'appel, infirmant sur la recevabilité, évoque et statue au fond, il n'est pas porté atteinte au principe d'égalité, la partie civile et le prévenu ayant tous les deux eu la possibilité de comparaître devant les juges du premier degré puis d'appel.

18. Il en résulte que la personne morale à but lucratif qui, ayant fait délivrer une citation directe devant le tribunal correctionnel, a omis de justifier de ses ressources en joignant son bilan et son compte de résultat demeure recevable à apporter ces justifications devant la cour d'appel au soutien de son appel du jugement ayant sanctionné sa carence en déclarant sa citation irrecevable.

19. Ainsi, les moyens ne sont pas fondés.

Mais sur le moyen relevé d'office dont il a été fait mention au rapport

Vu les articles 1er, 2 et 3 du code de procédure pénale et 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

20. Il résulte de ces textes que seule est recevable à mettre en mouvement l'action publique du chef du délit de refus d'insertion d'une réponse, prévu par le dernier d'entre eux, la personne, nommée ou désignée dans un journal ou écrit périodique, qui a demandé en vain au directeur de la publication l'insertion forcée de ladite réponse.

21. Pour déclarer le directeur de la publication du périodique Abeilles et fleurs coupable du délit de refus d'insertion, l'arrêt attaqué énonce notamment que la société Famille C... Apiculteurs est expressément visée et citée dans le texte auquel il est répondu, de sorte que, quand bien même M. C... en personne serait également nommément cité dans le même éditorial, cette société a bien qualité à agir sur le fondement de l'article 13 précité.

22. En prononçant ainsi, alors que la demande en insertion forcée d'une réponse avait été adressée au directeur de la publication par M. C... en son nom propre, et non par la société Famille C... Apiculteurs, qui, seule, a fait délivrer une citation directe du chef de refus d'insertion de ladite réponse, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.

23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

24 N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

25. La société Famille C... Apiculteurs sera dite irrecevable en sa constitution de partie civile.

26. Il n'y a en conséquence pas lieu d'examiner les autres moyens de cassation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 23 mai 2019, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a constaté que la partie civile avait régulièrement versé la consignation fixée et constaté l'irrecevabilité des exceptions de nullité ;

DIT la partie civile irrecevable en sa constitution ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Bonnal - Avocat général : Mme Caby - Avocat(s) : Me Brouchot ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 392-1 du code de procédure pénale ; articles 1er, 2 et 3 du code de procédure pénale ; article 13 de la loi du 29 juillet 1881.

Rapprochement(s) :

S'agissant de la possibilité pour une personne morale à but lucratif de régulariser en appel sa non-justification de ressources en joignant son bilan et compte de résultat ainsi exigé par l'article 85, alinéa 4 du code de procédure pénale en matière de plainte avec consittution de partie civile, à rapprocher : Crim., 13 novembre 2018, pourvoi n° 18-81.194, Bull. crim. 2018, n° 189 (cassation).

Crim., 1 septembre 2020, n° 19-81.448, (P)

Cassation partielle

Droit de réponse – Exercice – Limite – Atteinte à l'honneur d'un journaliste – Appréciation

La réponse dont l'insertion est demandée en application de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l'honneur du journaliste, auteur de l'article auquel il est répondu, lorsqu'elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l'enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l'expression ou son absence d'animosité personnelle.

Encourt en conséquence la censure l'arrêt qui approuve le refus d'insertion d'une réponse au motif que celle-ci porterait atteinte à l'honneur du journaliste, alors que la critique des méthodes ce dernier, exprimée en termes sévères mais mesurés, est restée proportionnée à la teneur de l'article initial, dont les juges ont exactement retenu le ton ironique.

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. N... V..., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2019, qui, dans la procédure suivie contre M. C... D... du chef de refus d'insertion d'une réponse, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. À la suite de la publication, dans le quotidien Sud Ouest, d'un article intitulé « Sanction béton pour le promoteur » et sous titré « Le Haillan - Le promoteur N... V... a été lourdement condamné financièrement pour ne pas avoir vérifié si son sous-traitant bulgare n'était pas un adepte du travail dissimulé », M. V... a demandé l'insertion d'une réponse au directeur de la publication du quotidien.

3. Cette réponse n'ayant pas été publiée, M. V... a fait citer M. D..., en sa qualité de directeur de la publication, devant le tribunal correctionnel, du chef précité.

4. Les juges du premier degré ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile, renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et condamné la partie civile à lui payer une somme sur le fondement des dispositions de l'article 472 du code de procédure pénale.

5. M. V... a seul relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 2, 3, 427, 285, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. V... de sa demande d'insertion en exécution de son droit de réponse, de sa demande en dommages et intérêts et de sa demande d'application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors :

« 1°/ que le droit de réponse est général et absolu ; que celui qui en use est seul juge de la teneur, de l'étendue, de l'utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l'insertion ; que le refus d'insérer ne se justifie que si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes moeurs, à l'intérêt légitime des tiers ou à l'honneur du journaliste ; que pour rejeter la demande de M. V... tendant à l'insertion de sa réponse à l'article le mettant nommément en cause et à l'obtention de dommages et intérêts du fait du refus implicite qui lui a été opposé par le directeur de la publication du journal Sud-Ouest, la cour d'appel retient que cette réponse ne serait pas en corrélation, ni proportionnée avec l'article publié le 22 décembre 2018 et qu'elle est contraire à l'honneur du journaliste, auteur dudit article ; que cependant il résulte des propres constatations et énonciations de l'arrêt relatives à la teneur de la réponse et à celle de l'article litigieux que la vivacité de la réponse ne dépassait pas celle exprimée dans l'article auquel il était demandé de répondre, lequel comportait des erreurs factuelles, approximations et mises en cause personnelle sur un ton sarcastique et virulent de M. V..., présumé innocent, sans la moindre enquête contradictoire ni vérification des sources ; que la réponse apportée, liée aux propos proférés et en corrélation avec ceux-ci, se rattachait aux propos et était justifiée par le ton adopté par le journaliste et proportionnée aux attaques dont M. V... avait fait l'objet dans l'article en question ; que l'honneur du journaliste n'était, de surcroît, pas mis en jeu par des termes injurieux ou des allégations excessives ou diffamatoires et les critiques s'appuyant sur les propos contenus dans l'article dont le caractère non contradictoire, incorrect, caricatural était mis en exergue, peu important que la réponse mette en cause le non-respect par le journaliste des obligations qui sont siennes en sa qualité de professionnel tenu à un devoir particulier de prudence et de mesure dans l'expression, de vérifier ses sources, de procéder à une enquête sérieuse et de disposer d'une base factuelle suffisante ; qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas caractérisé un abus du droit de réponse et a violé les textes susvisés ;

2°/ que l'arrêt qui relève que la réponse dont M. V... a demandé la publication se place sur le même terrain que l'article litigieux ne pouvait considérer ensuite, sans se contredire, qu'elle n'est pas en corrélation ni proportionnée avec l'article dont s'agit, privant ainsi sa décision de motifs ;

3°/ que la mise en cause du non-respect des obligations fondamentales auxquelles tout journaliste est tenu, autrement dit du respect de sérieux de l'enquête, de la prudence dans l'expression et de l'existence d'une base factuelle suffisante, ne saurait dégénérer en abus ni constituer une atteinte à l'honneur privant la personne visée nommément par l'article litigieux de son droit de réponse, sauf à méconnaître les textes et principes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

8. Il se déduit de ce texte que la réponse dont l'insertion est demandée ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l'honneur du journaliste, auteur de l'article auquel il est répondu, lorsqu'elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l'enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l'expression ou son absence d'animosité personnelle.

9. Pour débouter la partie civile de sa demande d'insertion d'une réponse, l'arrêt attaqué, qui a reproduit le texte de l'article initial comme celui de la réponse, énonce que l'article auquel il est répondu rend compte de la condamnation de M. V... du chef de travail dissimulé et commente, non sans ironie, le jugement récemment rendu contre lui.

10. Les juges ajoutent que l'auteur de la réponse détaille les circonstances des faits qui lui ont été reprochés, mais met également en cause les qualités et l'honnêteté intellectuelles du journaliste, lui reprochant de n'avoir pas vérifié les informations publiées, de cacher la vérité ou de travestir la réalité, y compris de façon déplaisante ou ridicule, ce qu'implique le recours au qualificatif « caricatural », et d'avoir manqué d'objectivité.

11. Ils concluent que la réponse n'est pas en corrélation avec l'article ni proportionnée à lui et est contraire à l'honneur du journaliste, de sorte que le directeur de la publication était fondé à en refuser l'insertion.

12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

13. La Cour de cassation est, en effet, en mesure de constater que, dans sa réponse, qui restait intégralement en corrélation avec l'article initial, M. V... se contente de contredire plusieurs des affirmations de celui-ci, en regrettant à trois reprises que son auteur n'ait pas pris contact avec lui ou avec son avocat, ce qui aurait, selon lui, évité la publication de ce qu'il qualifie d'approximations ou d'informations inexactes, et aurait permis d'informer les lecteurs sur le fait que le jugement dont il était rendu compte était frappé d'appel.

14. Cette critique des méthodes du journaliste, exprimée en termes sévères mais mesurés, est restée proportionnée à la teneur de l'article initial, dont l'arrêt a exactement retenu le ton ironique.

15. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation intervenue sur le premier moyen s'étend à l'ensemble du dispositif de l'arrêt, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. V....

17. Il n'y a pas lieu, en conséquence, d'examiner le second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 11 janvier 2019, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. V...

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Bonnal - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 13 de la loi du 29 juillet 1881.

Rapprochement(s) :

S'agissant du refus justifié d'un journaliste d'insérer dans les colonnes de son son journal des propos de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération, en sens contraire : Crim., 15 avril 1982, pourvoi n° 80-93.757, Bull. crim. 1982, n° 89 (rejet et action publique éteinte).

Crim., 1 septembre 2020, n° 19-84.505, (P)

Cassation

Procédure – Action publique – Extinction – Prescription – Délai – Point de départ – Diffusion sur le réseau internet – Mise en ligne d'un lien hypertexte renvoyant à un texte déjà publié – Nouvelle publication – Conditions – Détermination

L'insertion d'un lien hypertexte qui renvoie directement à un écrit qui a été précédemment mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue une reproduction de ce texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription.

CASSATION sur le pourvoi formé par Mme V... K... épouse I... contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 13 juin 2019, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le groupe Alternative libertaire a mis en ligne, le 20 février 2017, sur son site internet, un communiqué contenant les propos suivants : « La coordination fédérale d'Alternative libertaire a voté le 28 janvier 2017 l'exclusion de J..., membre du groupe local de Moselle, à la suite d'une accusation de viol. Cette décision résulte d'une procédure fédérale déclenchée au sein de l'organisation au mois de novembre 2016, suspendant provisoirement le militant concerné. À l'issue de cette procédure, l'organisation a estimé que les faits recueillis étaient extrêmement graves et que la présence de ce militant à nos côtés était devenue impossible. Nous souhaitons informer largement le milieu militant de notre décision afin de s'assurer que de tels agissements de sa part ne trouvent plus leur place nulle part, et nous invitons les autres cadres dans lesquels il peut agir à prendre leurs dispositions pour assurer la sécurité de leurs militant.es et sympathisant.es. Il nous semble primordial de briser le silence qui permet à de tels actes de continuer à exister ».

3. Le syndicat CNT Santé, social, collectivités territoriales (SSCL) de Lorraine, dont le prénommé J... était adhérent, a ultérieurement, le 5 mars 2017, publié un texte se référant à ce communiqué, critiquant les procédures internes au groupe Alternative libertaire, faisant savoir que les éléments en sa possession ne le conduisaient pas à la même conclusion, s'agissant des faits de viol reprochés à l'intéressé, et rappelant que le groupe Alternative libertaire avait précédemment agi différemment avec deux autres de ses membres, également accusés de viol, mais qu'il n'avait pas exclus.

4. Le 9 mars suivant, ces deux textes ont été reproduits intégralement sur un site internet tiers, accessible à l'adresse fdesouche.com, introduits par le titre « Accusé de viol, J... P... provoque une crise chez les antifas (MàJ) ».

5. Le même jour, Mme I..., élue locale, a mis en ligne, sur son compte au sein du réseau Facebook, un lien hypertexte renvoyant à ladite publication, précédé notamment des mots « Où un groupuscule **antifa** qui fait régner sa loi à Metz se justifie de couvrir son chef accusé de viol... en accusant le groupuscule antifa qui le dénonce de couvrir... deux violeurs dans leurs rangs. On en rirait, si le fond n'était pas aussi grave ».

6. Le 27 mai 2017, M. J... P... a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique à raison du seul texte émanant du groupe Alternative libertaire, mais en ce qu'il avait été reproduit ultérieurement sur divers sites, dont celui de Mme I....

7. Celle-ci a été renvoyée devant le tribunal correctionnel qui l'a déclarée coupable.

8. Elle a relevé appel de ce jugement.

L'éventuelle prescription de l'action publique évoquée dans le rapport

9. Les poursuites ayant été engagées le 27 mai 2017, soit plus de trois mois après la première mise en ligne de l'écrit litigieux, le 20 février 2017, il convient d'abord de s'interroger sur le point de savoir si le lien hypertexte incriminé, qui y renvoie, inséré le 9 mars 2017, a pu faire courir un nouveau délai de prescription.

10. La Cour de cassation juge que, lorsque des poursuites pour diffamation et injures publiques sont engagées à raison de la diffusion d'un message sur le réseau internet, le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être fixé à la date du premier acte de publication, et que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau (Crim., 16 octobre 2001, pourvoi n° 00-85.728, Bull. crim. 2001, n° 210, rejet).

11. À l'égard de publications réalisées sur papier, elle juge que le fait de publication étant l'élément par lequel les infractions sont consommées, toute reproduction dans un écrit rendu public d'un texte déjà publié est elle-même constitutive d'infraction, et que le point de départ de la prescription, lorsqu'il s'agit d'une publication nouvelle, est fixé au jour de cette publication (Crim., 8 janvier 1991, pourvoi n° 90-80.593, Bull. crim. 1991, n° 13, cassation ; Crim., 2 octobre 2012, pourvoi n° 12-80.419, Bull. crim. 2012, n° 204, rejet). Elle juge de même pour les rediffusions à la radio ou à la télévision (Crim., 8 juin 1999, pourvoi n° 98-84.175, Bull. crim. 1999, n° 128, rejet).

12. Sur le réseau internet, elle rappelle ce même principe et, l'appliquant au cas d'une nouvelle mise à disposition du public d'un contenu litigieux précédemment mis en ligne sur un site internet dont le titulaire a volontairement réactivé ledit site sur le réseau internet, après l'avoir désactivé, juge qu'il s'agit d'une reproduction faisant courir un nouveau délai de prescription (Crim., 7 février 2017, pourvoi n° 15-83.439, Bull. crim. 2017, n° 38, cassation).

13. Elle a, en revanche, précisé que la simple adjonction d'une seconde adresse pour accéder à un site existant ne saurait caractériser un nouvel acte de publication de textes figurant déjà à l'identique sur ce site (Crim., 6 janvier 2009, pourvoi n° 05-83.491, Bull. crim. 2009, n° 4, rejet), étant observé qu'une telle adjonction avait été le fait de l'éditeur du site.

14. S'agissant enfin spécifiquement du recours à un lien hypertexte, elle juge que l'insertion, sur internet, par l'auteur d'un écrit, d'un tel lien renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction (Crim., 2 novembre 2016, pourvoi n° 15-87.163, Bull. crim. 2016, n° 283, cassation).

15. Il en résulte qu'un lien hypertexte qui, comme au cas présent, renvoie directement à un écrit qui a été mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue une reproduction de ce texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription, de sorte que l'action publique n'était pas prescrite.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant déclaré Mme I... coupable de diffamation publique envers M. P..., alors :

« 1°/ que les propos publiés par Mme I... sur son compte facebook fustigent un groupuscule « antifa » qui se justifie de couvrir son chef accusé de viol en accusant un autre groupuscule « antifa », qui dénonce ce dernier, de couvrir lui-même deux de ses membres également accusés de viol ; qu'ils sont assortis d'un lien hypertexte qui renvoie sur un site internet reproduisant, sous le titre « Accusé de viol, J... P... provoque une crise chez les antifas », d'une part, le communiqué publié par Alternative Libertaire sur son propre site et relatif à l'exclusion de ce mouvement de J... à la suite d'une accusation de viol et, d'autre part, le communiqué publié ensuite par le syndicat SSCT de Lorraine CNT sur son propre site critiquant la manière dont Alternative Libertaire avait traité cette affaire, contestant la crédibilité de l'accusation de viol portée contre J... P... et reprochant à Alternative Libertaire d'avoir, peu de temps auparavant, blanchi deux autres adhérents également accusés de viol ; qu'en redirigeant les utilisateurs de facebook vers ces informations, déjà mises à la disposition du public sur des sites internet, relatives à l'exclusion d'un groupement de la mouvance « antifa » d'un militant accusé de viol et aux remous que cette exclusion ont provoqué dans cette mouvance, Mme I... n'a imputé à M. P... aucun fait précis de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération ; qu'en retenant néanmoins la qualification de diffamation publique envers un particulier, la cour d'appel a violé les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'insertion d'un lien hypertexte n'engage la responsabilité pénale de son auteur à raison du contenu vers lequel renvoie ce lien que si celui-ci a approuvé ce contenu ou l'a repris à son compte et savait qu'il était diffamatoire ; qu'en l'espèce, Mme I... s'est contentée de créer un lien hypertexte vers le contenu du site Fdesouche, sans l'avoir ni repris ni approuvé ; que, quant à lui, ce site reproduisait, sans les approuver non plus, les communiqués respectivement publiés par le mouvement Alternative Libertaire et le syndicat SSCT de Lorraine CNT sur leurs propres sites ; que Mme I..., qui n'est pas une professionnelle de l'information, ne pouvait raisonnablement supposer que le fait d'insérer sur son compte facebook un lien qui renvoyait vers le site Fdesouche, lequel se limitait à reproduire le communiqué d'Alternative Libertaire et l'assortissait au surplus du communiqué du syndicat SSCT de Lorraine CNT, pouvait être considéré comme constituant le délit de diffamation publique à l'égard de M. P..., au motif qu'il s'analyserait comme un nouvel acte de publication de l'accusation de viol révélée dans le premier communiqué qui serait lui-même diffamatoire ; qu'en énonçant que le texte publié par Alternative Libertaire et « rediffusé » par la prévenue renfermait à l'encontre de J... P... une accusation pure et simple d'avoir commis un viol et que le fait que la diffamation ait eu pour support un lien hypertexte était « sans emport », l'insertion d'un tel lien « valant reproduction » et « publication », sans procéder à un examen concret des circonstances de l'espèce et à une mise en balance des intérêts en présence, la cour d'appel a méconnu les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

17. Il résulte du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 4 décembre 2018, X... S... Zrt c. Hongrie, n° 11257/16), que les liens hypertextes contribuent au bon fonctionnement du réseau internet, en rendant les très nombreuses informations qu'il contient aisément accessibles, de sorte que, pour apprécier si l'auteur d'un tel lien, qui renvoie à un contenu susceptible d'être diffamatoire, peut voir sa responsabilité pénale engagée en raison de la nouvelle publication de ce contenu à laquelle il procède, les juges doivent examiner en particulier si l'auteur du lien a approuvé le contenu litigieux, l'a seulement repris ou s'est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s'il savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s'il a agi de bonne foi.

18. Un tel examen concerne des éléments extrinsèques au contenu incriminé, de la nature de ceux dont la Cour de cassation juge qu'il appartient aux juges de les prendre en compte pour apprécier le sens et la portée des propos poursuivis comme diffamatoires, au sens du deuxième de ces textes (Crim., 27 juillet 1982, pourvoi n° 81-90.901, Bull. crim. 1982, n° 199, rejet ; Crim., 11 décembre 2018, pourvoi n° 17-84.899, Bull. crim. 2018, n° 214, cassation).

19. Si la Cour de cassation juge également que l'appréciation des juges sur ces éléments extrinsèques est souveraine (Crim., 8 octobre 1991, pourvoi n° 90-83.336, Bull. crim. 1991, n° 334, rejet), il lui incombe cependant de s'assurer qu'un tel examen a été effectué dans le respect des exigences résultant de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme telles qu'interprétées par la Cour européenne des droits de l'homme.

20. Enfin, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

21. Pour déclarer la prévenue coupable, l'arrêt attaqué, après avoir exactement relevé qu'en lui-même, le propos incriminé renferme l'insinuation que la partie civile s'est rendue coupable du crime de viol, énonce que la circonstance que cette diffamation ait eu pour support un lien hypertexte est indifférente, dès lors que, la réactivation d'un contenu sur le réseau internet valant reproduction, l'insertion d'un tel lien constitue un nouvel acte de publication.

22. Les juges constatent que le lecteur, en activant le lien hypertexte, prend ainsi connaissance de cette accusation de viol dirigée contre M. P....

23. En se déterminant ainsi, sans examiner les éléments extrinsèques au contenu incriminé que constituaient les modalités et le contexte dans lesquels avait été inséré le lien hypertexte y renvoyant, et spécialement le sens de l'autre texte auquel renvoyait le lien, qui contredisait le propos poursuivi, et les conclusions que tirait la prévenue de l'ensemble formé par ces deux textes, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

24. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 13 juin 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Bonnal - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Le Griel -

Textes visés :

Article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Rapprochement(s) :

Crim., 2 novembre 2016, pourvoi n° 15-87.163, Bull. crim. 2016, n° 283, cassation.

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