Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 9 - Septembre 2020

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

Crim., 29 septembre 2020, n° 20-83.539, (P)

Rejet

Article 5 – Droit à la liberté et à la sûreté – Privation – Cas – Détention provisoire – Délai supplémentaire pour statuer sur la prolongation de la détention – Lois ou règlements – Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 – Article 16-1 – Compatibilité

Lorsque la loi accorde, au-delà de la durée initiale qu'elle détermine pour le titre de détention concerné, un délai supplémentaire pour qu'il soit statué sur la prolongation de la mesure de détention provisoire, un tel délai doit être regardé comme compatible avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'intervention du juge judiciaire étant nécessaire comme garantie contre l'arbitraire, s'il reste suffisamment bref.

Tel est le cas du délai d'un mois alloué par l'article 16-1, alinéa 2, de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, à la juridiction compétente pour se prononcer, en application du code de procédure pénale, sur la prolongation des seuls titres de détention expirant entre la date où les prolongations de plein droit autorisées, prévues par l'article 16 de cette ordonnance, n'ont plus été applicables et le 11 juin 2020, dans le seul but d'assurer, pendant cette période de transition, un retour au fonctionnement normal des juridictions.

REJET sur le pourvoi formé par M. W... M... l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1ère section, en date du 19 juin 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation de crimes et financement d'une entreprise terroriste, a notamment dit qu'il était régulièrement détenu et confirmé la prolongation de sa détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. À l'issue d'un interrogatoire de première comparution le 23 novembre 2018, M. M... a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel.

3. Cette mesure a fait l'objet d'une première prolongation pour une durée de six mois par décision en date du 14 novembre 2019.

4. Par ordonnance en date du 17 avril 2020, le juge des libertés et de la détention a de nouveau prolongé, pour une durée de six mois, cette détention provisoire au visa de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, soit sans examen du bien-fondé de la mesure.

5. Par une nouvelle ordonnance, en date du 28 mai 2020, ce même juge, après débat contradictoire, a décidé d'une nouvelle prolongation, pour une durée de six mois à compter du 22 mai 2020, sur le fondement d'une motivation en droit et en fait, au visa des articles 16-1 de l'ordonnance précitée, 137-1, 137-3, 143-1, 144, 144-1, 145 et suivants du code de procédure pénale.

6. M. M... a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen est pris de la violation des articles 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 66 de la Constitution, 2, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 137-3, 143-1, 591 et 593 du code de procédure pénale.

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. M... était régulièrement détenu, dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris en date du 28 mai 2020, alors :

« 1°/ que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 16-1 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'article 1er, III, 2°, de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à l'article 66 de la Constitution et aux articles 2, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui sera prononcée après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité posée par écrit distinct et motivé au Conseil constitutionnel, privera de toute base légale l'arrêt attaqué, qui a confirmé une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris prise sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 16-1 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

2°/ qu'en vertu de l'article 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté ; que nul ne peut être privé de sa liberté, sauf s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, selon les voies légales, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ; que le maintien en détention provisoire d'une personne en l'absence de titre légal de détention constitue une détention arbitraire contraire aux exigences de l'article 5 précité ; que M. M... a été maintenu en détention postérieurement à l'expiration de son titre de détention, entre le 23 mai 2020 et le 28 mai 2020 ; que, dans les conclusions déposées pour le mis en examen, il était soutenu que, pour cette raison, la détention durant la période susmentionnée avait été irrégulière ; que la chambre de l'instruction, pour dire que M. M... aurait été régulièrement détenu, a retenu à tort que « l'absence d'intervention a priori du juge pour prolonger une détention provisoire en raison des circonstances exceptionnelles résultant de l'état d'urgence sanitaire ne portait atteinte à aucune liberté fondamentale dans la mesure où un contrôle a posteriori est opéré par le juge à bref délai » ; que la chambre de l'instruction a violé les articles 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à un ou plusieurs objectifs définis par la loi et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; que pour confirmer la prolongation de la détention provisoire de M. M..., la chambre de l'instruction s'est bornée à retenir que la détention provisoire de celui-ci serait justifiée, « au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, comme étant l'unique moyen de parvenir aux objectifs qui viennent d'être énoncés et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, de telles mesures ne comportant pas de contrainte suffisante pour prévenir efficacement les risques précités », sans s'expliquer, par des considérations de fait et de droit, sur le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen pris en sa première branche

9. Le grief est devenu sans objet dès lors que, par décision de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Sur le moyen pris en sa deuxième branche

10. Pour écarter le moyen pris notamment de la violation de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt mentionne que la Cour de cassation a jugé qu'il résulte de ce texte que lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu'elle détermine pour chaque titre concerné, la prolongation d'une mesure de détention provisoire, l'intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l'arbitraire.

11. Les juges ajoutent que la Cour de cassation a précisé qu'une telle prolongation n'est régulière que si la juridiction qui aurait été compétente pour l'ordonner rend dans un délai rapproché (qui ne peut être supérieur à un mois en matière délictuelle et à trois mois en matière criminelle), courant à compter de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé de la mesure.

12. Ils en déduisent que, dès lors, l'absence d'intervention a priori du juge pour prolonger une détention provisoire, en raison des circonstances exceptionnelles résultant de l'état d'urgence sanitaire, ne porte atteinte à aucune liberté fondamentale dans la mesure où un contrôle a posteriori est opéré par celui-ci à bref délai.

13. La chambre de l'instruction observe par ailleurs que tel est le cas, s'agissant de l'article 16-1, alinéa 2, de l'ordonnance précitée, lequel prévoit que le juge doit se prononcer sur la prolongation de la détention, après débat contradictoire, dans le mois suivant l'échéance de son terme, avec imputation de la durée de prorogation du titre de détention sur celle de la prolongation éventuellement ordonnée.

14. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les raisons qui suivent.

15. Lorsque la loi accorde, au-delà de la durée initiale qu'elle détermine pour le titre concerné, un délai supplémentaire pour qu'il soit statué sur la prolongation de la mesure de détention provisoire, un tel délai doit être regardé comme compatible avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'intervention du juge judiciaire étant nécessaire comme garantie contre l'arbitraire, s'il reste suffisamment bref.

16. Tel est le cas du délai d'un mois alloué par l'article 16-1, alinéa 2, susvisé, à la juridiction compétente pour se prononcer, en application du code de procédure pénale, sur la prolongation des seuls titres de détention expirant entre la date où les prolongations de plein droit autorisées n'ont plus été applicables et le 11 juin 2020, dans le seul but d'assurer, pendant cette période de transition, un retour au fonctionnement normal des juridictions.

Sur le moyen pris en sa troisième branche

17. Pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. M..., l'arrêt attaqué énumère en détail les divers faits mis à jour, tant au cours de l'enquête initiale qu'à la faveur des investigations du magistrat instructeur, et mentionne qu'il résulte des éléments précis et circonstanciés ci-dessus rappelés des indices qui rendent plausible l'implication de M. M... dans les infractions pour lesquelles il est actuellement mis en examen.

18. Les juges déclinent par ailleurs précisément les divers éléments de personnalité, intégrant à cet exposé les avis des experts psychologue et psychiatre et les renseignements recueillis au moyen de l'enquête de personnalité.

19. La chambre de l'instruction en déduit que le maintien en détention de M. M... est indispensable, en l'état, aux fins de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement et pour mettre un terme au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission, ou l'importance du préjudice qu'elle a causé et poursuit en décrivant en quoi ces risques sont caractérisés.

20. La chambre de l'instruction, relevant que le délai prévisible d'achèvement de l'information est de trois mois, en conclut que nonobstant les observations développées au mémoire et les garanties invoquées à leur soutien, la détention provisoire de M. M... est justifiée, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, comme étant l'unique moyen de parvenir aux objectifs qui viennent d'être énoncés et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, de telles mesures ne comportant pas de contrainte suffisante pour prévenir efficacement les risques précités.

21. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction s'est déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale, y compris au regard de l'insuffisance des obligations du contrôle judiciaire et de l'assignation à résidence sous surveillance électronique, sur laquelle elle n'avait pas à se prononcer par des motifs distincts.

22. Dès lors, le moyen doit être écarté.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme ; article 16-1 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.

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