Numéro 7 - Juillet 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie III - Décisions des commissions et juridictions instituées auprès de la Cour de cassation

REEXAMEN

Cour rév., 1 juillet 2021, n° 21REV027

Annulation

Conditions – Violation constatée entraînant des conséquences dommageables par sa nature et sa gravité – Applications diverses

Entre dans les prévisions de l'article 622-1 du code de procédure pénale, la demande de réexamen d'un arrêt de cour d'appel et d'un pourvoi en cassation, formée par une personne condamnée pour dénonciation calomnieuse, fondée sur une décision de la Cour européenne des droits de l'homme ayant constaté une violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme faute pour la cour d'appel d'avoir procédé au contrôle de proportionnalité qu'appelle cet article et pour la Cour de cassation d'avoir dispensé la cour d'appel de répondre au moyen tiré de la violation de l'article 10, alors que dénoncer un comportement prétendument illicite devant une autorité est susceptible de relever de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Dès lors que par leur nature et leur gravité, les violations constatées entraînent pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas mis un terme, et, en application des dispositions de l'article 624-7 alinéa 1 du code de procédure pénale, il y a lieu d'annuler l'arrêt de la cour d'appel de Paris prononçant la condamnation et d'ordonner le renvoi de l'affaire devant la même cour d'appel, autrement composée.

M. [B] [O] a présenté une requête tendant à titre principal, au réexamen de son pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, chambre 2-7, le 15 octobre 2014 l’ayant déclaré coupable de dénonciation calomnieuse et condamné à 3 000 euros d’amende ainsi qu’au renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation, et à titre subsidiaire au réexamen du dit arrêt de la cour d’appel de Paris.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le contexte de la construction d’un nouveau stade de football dans la banlieue de Lyon, la société Olympique Lyonnais Groupe, dirigée par M. [K], a été introduite en bourse après enregistrement le 9 janvier 2007 d’un document de base par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

3. Le 24 janvier 2010, M. [O], conseiller régional et municipal, a adressé au président de l’AMF, un courrier reprochant à cette société et à son dirigeant d’avoir, dans le document de base transmis, en communiquant des informations fausses ou trompeuses, sciemment sous-estimé les difficultés de réalisation du projet de construction pour favoriser l'entrée en bourse.

4. Le 13 avril 2010, la société Olympique Lyonnais Groupe et M. [K] ont déposé plainte auprès du procureur de la République à l’encontre de M. [O] estimant que la lette du 24 janvier 2010 était constitutive du délit de dénonciation calomnieuse.

5. M. [O], qui a reconnu être l’auteur de l’écrit litigieux, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de ce délit, prévu et puni par l’article 226-10 du code pénal.

6. Par un jugement du 16 mars 2012, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré M. [O] coupable de cette infraction, l’a condamné à payer une amende de 3 000 euros outre un euro symbolique à la société Olympique Lyonnais Groupe et à M. [K] ainsi qu’une somme de 5 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Il a rejeté la demande de publication d’un communiqué dans plusieurs journaux.

7. A la suite des appels interjetés par M. [O], le procureur de la République et les parties civiles, la cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 15 octobre 2014, confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions pénales et civiles et a en outre condamné M. [O] à payer aux parties civiles une somme de 5 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

8. Le pourvoi formé le 16 octobre 2014 par M. [O] à l’encontre de cette décision a été rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 avril 2016 (pourvoi n°14-87.124).

9. Par une requête du 10 octobre 2016, M. [O] a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (la CEDH) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme) en invoquant essentiellement une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté d’expression constitutive d’une violation de l’article 10 de cette Convention.

10. Dans un arrêt de chambre n°59636/16 du 26 mars 2020, la CEDH a constaté, à l’unanimité, une violation de l’article 10 de ladite Convention et condamné la France à verser à M. [O] la somme de 10 000 euros au titre de la satisfaction équitable outre une somme de 10 000 euros pour les frais et dépens.

11. Le 4 mars 2021, M. [O] a déposé une requête en réexamen d’une décision pénale définitive visant l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 avril 2016 qui a rejeté le pourvoi formé par celui-ci à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 octobre 2014.

12. Par une ordonnance du 10 mars 2021, le président de la commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen a saisi la formation de jugement.

Examen de la demande

Exposé de la demande

13. Le requérant sollicite, en application des articles 622-1 et suivants du code de procédure pénale, à titre principal, le réexamen de son pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, le 15 octobre 2014, l’ayant, déclaré coupable de dénonciation calomnieuse et, condamné à 3 000 euros d’amende et le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation, et, à titre subsidiaire, le réexamen de l’arrêt de la cour d’appel de Paris.

14. Il expose qu’il résulte de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 mars 2020 que l’arrêt de rejet de son pourvoi en cassation et la condamnation définitive à laquelle il a abouti ont été prononcés en violation de l’article 10 de la Convention. Il indique que cette violation de son droit à la liberté d’expression, par sa nature et sa gravité, a entraîné des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable prononcée n’a pu mettre un terme. Il soutient, qu’ancien élu local de la région lyonnaise, il exerce la profession d’avocat dans le cadre de laquelle il poursuit des activités militantes en matière environnementale et anti-corruption, de sorte que la condamnation pour dénonciation calomnieuse à l’encontre du club de football de [Localité 1] et de son dirigeant, figure lyonnaise de premier plan, entraîne un préjudice permanent, notamment pour sa réputation, que seul un réexamen de son pourvoi et l’annulation subséquente de la condamnation pourraient réparer.

Réponse de la Cour

Vu les articles 622-1 et 624-7 du code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi n°2014-640 du 20 juin 2014 :

15. Selon le premier de ces textes, le réexamen d'une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d'une infraction lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la condamnation a été prononcée en violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne, pour le condamné, des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée en application de l'article 41 de la convention précitée ne pourrait mettre un terme. Ce texte ajoute que le réexamen peut être demandé dans un délai d'un an à compter de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Enfin, il précise que le réexamen d'un pourvoi en cassation peut être demandé dans les mêmes conditions.

16. Selon le second de ces textes, la formation de jugement de la Cour de révision et de réexamen rejette la demande si elle l’estime mal fondée. Si elle estime la demande fondée, elle annule la condamnation prononcée, sauf lorsqu’il est fait droit à une demande de réexamen du pourvoi du condamné. Il ajoute que s’il est possible de procéder à de nouveaux débats contradictoires, la formation de jugement de la Cour de révision et de réexamen renvoie le requérant devant une juridiction de même ordre et de même degré, mais autre que celle dont émane la décision annulée. Toutefois, en cas de demande en réexamen et si le réexamen du pourvoi du condamné, dans des conditions conformes à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est de nature à remédier à la violation constatée par la Cour européenne des droits de l'homme, elle renvoie le requérant devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

Sur la recevabilité de la demande

17. Par un arrêt du 15 octobre 2014, la cour d’appel de Paris a déclaré M. [O] coupable du délit de dénonciation calomnieuse commis au préjudice de la société Olympique Lyonnais Groupe et de son dirigeant M. [K] et l’a condamné en répression à une amende de 3 000 euros.

Le pourvoi formé contre cette décision ayant été rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 avril 2016, la condamnation pénale dont il s’agit est définitive.

18. La requête en réexamen est intervenue dans le délai d’un an à compter de la décision de la CEDH qui a constaté que l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 octobre 2014 et celui de la chambre criminelle rejetant le pourvoi avaient été prononcés en violation de la Convention européenne des droits de l’homme.

19. Il s’en suit que la demande est recevable.

Sur le bien-fondé de la demande

20. La CEDH saisie par M. [O] indique, dans son arrêt du 26 mars 2020, que dénoncer un comportement prétendument illicite devant une autorité est susceptible de relever de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et que la condamnation du requérant pour dénonciation calomnieuse à raison de la lettre ouverte qu’il a adressée au président de l’AMF constitue une ingérence dans l’exercice de cette liberté dès lors que cette condamnation repose sur la substance des propos contenus dans cette lettre. Elle ajoute que pareille ingérence enfreint l’article 10 si elle n’est pas « prévue par la loi », dirigée vers un but légitime au regard du paragraphe 2 de cette disposition et « nécessaire dans une société démocratique ».

21. Elle relève que l’ingérence était prévue par la loi, au sens de l’article 10 précité ; qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui laquelle relève du respect de la vie privée et que les juridictions nationales devaient dès lors procéder à un contrôle de proportionnalité.

22. La CEDH constate que les juridictions internes n’ont pas procédé à la mise en balance du droit à la liberté d’expression du requérant et du droit au respect de la vie privée du dirigeant du club de football, lequel était en jeu dès lors que sa réputation était en cause, et qu’elles n’ont donc pas dûment examiné la nécessité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant.

23. Elle précise que la cour d’appel de Paris s’est limitée à rechercher si les éléments constitutifs du délit de dénonciation calomnieuse étaient réunis, sans prendre en compte dans son raisonnement le droit à la liberté d’expression du requérant, dont ce dernier avait pourtant expressément fait un moyen, et n’a donc pas procédé au contrôle de proportionnalité qu’appelle l’article 10 de la Convention.

24. Elle fait grief à la Cour de cassation d’avoir retenu que les juges du fond n’avaient pas à répondre à ce moyen, au motif que des faits de dénonciation calomnieuse ne sauraient être justifiés par le droit d’informer le public défini à l’article 10 § 1 de la Convention alors que selon elle, la question d’un tel manquement doit en principe être appréciée au regard des circonstances de chaque cause, dans le cadre du contrôle de proportionnalité.

25. Elle ajoute que les juridictions saisies d’un moyen tiré d’une violation de l’article 10 de la Convention à l’occasion de poursuites pour dénonciation calomnieuse ne peuvent donc se trouver dispensées d’y répondre.

26. Enfin, après avoir observé qu’aucune suite n’avait été donnée à la lettre du 24 janvier 2010, rédigée en la forme interrogative plutôt qu’affirmative, par l’AMF et qu’aucun élément n’avait été versé au dossier donnant à penser que la réputation du président du club avait été durablement affectée, prenant en compte l’existence d’un sujet d’intérêt général dans le cadre d’une démarche politique et militante mais aussi la nature et la lourdeur des sanctions infligées, la CEDH se dit non convaincue que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la liberté d’expression du requérant était proportionnée au but légitime poursuivi et que la motivation des décisions des juridictions internes suffisait pour la justifier.

27. Elle en conclut qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et alloue à M. [O] une satisfaction équitable qu’elle a fixée à 10 000 euros.

28. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que par leur nature et leur gravité, les violations constatées de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, entraînent pour M. [O], ancien élu local et avocat, qui poursuit une action militante dans la région lyonnaise marquée par la présence de son club de football et de son dirigeant toujours en place, des conséquences dommageables, auxquelles la satisfaction équitable accordée par la CEDH n’a pas mis un terme.

29. Il y a donc lieu d’annuler l’arrêt du 15 octobre 2014 de la cour d’appel de Paris et d’ordonner le renvoi de l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement composée, aux fins qu’il soit procédé à son réexamen.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

FAIT DROIT à la demande de réexamen formée par M. [O],

ANNULE l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 octobre 2014,

RENVOIE l’affaire devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pers - Rapporteur : Mme Kerner-Menay - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : Me de la Burgade ; Me Labarde substituant Me Marembert -

Textes visés :

Article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; article 622-1 et 624-7, alinéa 1, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Cour rév., 14 avril 2016, n° 15REV135, Bull. crim. 2016, n° 1 (renvoi) ; Com. réex., 24 janvier 2002, n° 01-99.006, Bull. crim. 2002, Com. réex., n° 1.

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