Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 9 juin 2022, n° 21-82.780, (B), FS

Cassation

Saisies spéciales – Saisie immobilière – Demande d'entraide internationale – Recours – Qualité pour agir – Personne à l'encontre de laquelle la demande a été émise

Lorsque l'exécution d'une demande d'entraide aux fins de saisie des produits d'une infraction en vue de leur confiscation ultérieure est ordonnée par le juge d'instruction selon les modalités des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, la personne à l'encontre de laquelle la demande a été émise est recevable à interjeter appel de l'ordonnance de saisie spéciale et par voie de conséquence contester la régularité de l'exécution de la demande d'entraide au regard des formes prévues par la loi nationale.

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, alors qu'elle avait relevé que la demande d'entraide avait été émise à l'encontre de l'appelant, déclare irrecevable son appel de l'ordonnance de saisie immobilière rendue par le juge d'instruction.

M. [X] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 13 avril 2021, qui a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge d'instruction ayant ordonné une saisie pénale en exécution d'une demande d'entraide émanant des autorités de la Fédération de Russie.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une procédure pénale diligentée à l'encontre de M. [X] [Z] et Mme [M] [E] [O] des chefs d'abus de confiance, escroquerie et blanchiment, les autorités de la Fédération de Russie ont adressé à l'autorité judiciaire française une demande d'entraide judiciaire internationale en date du 7 décembre 2017, suivie d'une demande complémentaire du 16 janvier 2018, aux fins de saisie des biens des personnes mises en cause situés sur le territoire français.

3. Par ordonnance du 20 décembre 2018, le juge d'instruction a ordonné, sur le fondement notamment des articles 706-141-1 et 706-150 du code de procédure pénale, la saisie en valeur d'un immeuble appartenant à la société civile immobilière (SCI) [1] deux, dont les titulaires de parts sont M. [N] [F] et la société de droit luxembourgeois Mandrinvest Finance, ayant M. [Z] pour bénéficiaire économique.

4. M. [Z], notamment, a interjeté appel de la décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté par M. [Z] à l'encontre de l'ordonnance du juge d'instruction prescrivant la saisie d'un bien immobilier appartenant à la SCI [1] deux en exécution de deux demandes d'entraide pénale internationale émises par les autorités judiciaires russes, alors :

« 1°/ que l'ordonnance de saisie immobilière est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision ; qu'en déclarant irrecevable pour défaut de qualité à agir l'appel formé par M. [Z] à l'encontre de la décision du juge d'instruction ayant ordonné, en exécution de deux demandes d'entraide pénale internationale, la saisie en valeur d'une villa appartenant à la SCI [1] deux, lorsque M. [Z] avait reçu notification de cette décision qui retenait qu'il avait la libre disposition du bien saisi, la chambre de l'instruction a violé l'article 706-150 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause, le droit au recours effectif implique que la personne mise en examen dans le cadre de la procédure pénale étrangère à l'occasion de laquelle une demande d'entraide pénale internationale a été délivrée aux autorités judiciaires françaises en vue de la saisie de biens qui paraissent être le produit de l'infraction reprochée ou qui en représentent la valeur puisse exercer un recours à l'encontre de l'ordonnance de saisie immobilière prise en exécution de cette demande d'entraide, quand bien même elle ne disposerait d'aucun droit sur le bien saisi, afin de faire contrôler, par la chambre de l'instruction, la régularité de la mise à exécution de cette demande d'entraide au regard des règles conventionnelles applicables et des dispositions des articles 694-10 à 694-13, 713-37 et 706-150 du code de procédure pénale, et de faire ainsi vérifier que la demande d'entraide ne se heurte à aucun motif de refus d'exécution destinés à protéger ses droits et libertés ; que, dès lors, en déclarant irrecevable l'appel de M. [Z] pour défaut de qualité à agir, lorsque celui-ci faisait valoir que les demandes d'entraide pénale émises par les autorités russes devait être rejetées en application des articles 694-11 et 713-37 du code de procédure pénale en ce que la décision étrangère de saisie fondant ces demandes avait été prononcée dans des conditions n'offrant pas de garanties suffisantes au regard de la protection des libertés individuelles et des droits de la défense et que les poursuites pénales exercées à son encontre revêtaient un caractère politique, la chambre de l'instruction a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 694-3, 694-4, 694-10 à 694-13, 706-150, 713-37 du code de procédure pénale, 2, 3 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, 5, 12, 18 et 22 de la Convention européenne relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 694-10, 694-11, 694-12 et 706-150 du code de procédure pénale :

6. Il résulte des deuxième et quatrième de ces textes que l'exécution sur le territoire français des demandes d'entraide émanant des autorités étrangères, tendant à la saisie, en vue de leur confiscation ultérieure, des biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, ayant servi ou qui étaient destinés à commettre l'infraction ou qui paraissent être le produit direct ou indirect de l'infraction ainsi que de tout bien dont la valeur correspond au produit de cette infraction, est ordonnée selon les modalités du code de procédure pénale par le juge d'instruction sur requête ou après avis du procureur de la République.

7. Selon le troisième, la demande d'entraide présentée par les autorités étrangères est rejetée si l'un des motifs de refus mentionnés à l'article 713-37 du code de procédure pénale apparaît d'ores et déjà constitué.

8. Certains des motifs précités concernent la personne visée par la demande d'entraide judiciaire internationale.

9. Il s'en déduit que, lorsque l'exécution de la demande d'entraide est ordonnée par le juge d'instruction selon les modalités des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, la personne à l'encontre de laquelle la demande a été émise est recevable à interjeter appel de l'ordonnance de saisie spéciale et par voie de conséquence contester la régularité de l'exécution de la demande d'entraide au regard des formes prévues par la loi nationale.

10. Pour déclarer irrecevable l'appel de M. [Z], l'arrêt retient que les associés et titulaires de parts d'une société civile immobilière, seule propriétaire du bien saisi, ne sont pas des tiers ayant des droits sur ce bien au sens de l'article 706-150 du code de procédure pénale et n'ont pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie immobilière.

11. Les juges en déduisent que, dans ces conditions, M. [Z], qui au demeurant n'apparaît pas comme associé de la SCI [1] deux et ne dispose que de la jouissance du bien, ne justifie pas à la date de l'appel d'un droit quelconque, au sens de l'article 706-150 du code de procédure pénale, sur le bien objet de la saisie immobilière précitée, en sorte que, faute de qualité pour agir, son appel est irrecevable.

12. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la demande d'entraide judiciaire avait été émise par les autorités de la Fédération de Russie notamment à l'encontre de M. [Z], la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 avril 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 694-10, 694-11, 694-12 et 706-150 du code de procédure pénale.

Crim., 9 juin 2022, n° 21-86.360, (B), FS

Cassation

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Bien dont le mis en examen a la libre disposition – Recours – Titulaire – Personne ayant libre disposition du bien – Assimilation au propriétaire

Lorsque l'ordonnance de saisie est fondée sur la circonstance que le bien concerné est à la libre disposition de la personne mise en cause ou mise en examen, cette dernière, qui peut être assimilée au propriétaire du bien saisi ou à un tiers ayant des droits sur ce bien, est recevable à interjeter appel de l'ordonnance de saisie.

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare irrecevable l'appel formé contre une ordonnance de saisie par une personne mise en cause dont il est établi par les motifs de l'ordonnance attaquée qu'elle a la libre disposition du bien saisi.

M. [B] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 6 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 21 octobre 2021, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre lui du chef de blanchiment, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné une saisie pénale.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une enquête a été diligentée en France du chef de blanchiment de fonds issus de la corruption et de détournement de fonds public commis au Yémen, à l'encontre, notamment, du fils de l'ancien président de ce pays, M. [B] [S] [H] [V], dit [B] [V], et les investigations ont révélé qu'il était titulaire d'un compte bancaire français ouvert sous ce nom auprès de l'établissement [2] alimenté par un compte yéménite, grâce auquel il a acquis plusieurs biens immobiliers, notamment en France, via des sociétés titulaires de comptes bancaires dans le même établissement alimentés par des transferts de fonds en provenance du compte français du demandeur.

3. Parmi ces biens figurent deux appartements et leurs dépendances situés [Adresse 1], acquis les 30 juin 1982, 3 février 1984 et 29 juillet 2010 pour une somme de 6 500 000 euros et dont est propriétaire la société [3], dont M. [V] est gérant et associé unique.

4. Le 9 juillet 2020, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie de cet ensemble de biens par une ordonnance à l'encontre de laquelle le demandeur a interjeté appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel de M. [V] irrecevable pour défaut de qualité à agir, alors :

« 1°/ que l'ordonnance de saisie immobilière est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision ; qu'en déclarant irrecevable pour défaut de qualité à agir l'appel formé par M. [V] à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention ayant ordonné la saisie de biens immobiliers appartenant à la société [3], lorsque M. [V] avait reçu notification de cette décision qui retenait qu'il avait la libre disposition des biens saisis, la chambre de l'instruction a violé l'article 706-150 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'ordonnance de saisie avait elle-même retenu que M. [V], gérant et associé de la société [3], avait la libre disposition des biens immobiliers saisis et avait (prétendument) utilisé la personnalité morale de cette société comme un écran afin d'acquérir en réalité lui-même ces biens au moyen de fonds provenant intégralement de ses comptes bancaires personnels ; qu'il s'en déduisait que M. [V] était un tiers ayant des droits sur les biens saisis et, partant, avait qualité à faire appel contre l'ordonnance de saisie devant la chambre de l'instruction ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 706-150 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

6. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par le demandeur à l'encontre de l'ordonnance de saisie, l'arrêt attaqué relève, notamment, que si la notification d'une décision de saisie pénale immobilière à une personne fait courir les délais d'appel à son encontre, elle n'a pas, à elle seule, pour effet de lui conférer qualité pour agir en appel.

7. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

8. Le grief ne peut donc qu'être écarté.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Vu les articles 131-21 du code pénal et 706-150 du code de procédure pénale :

9. Selon le second de ces textes, la décision de saisie immobilière rendue par le juge d'instruction est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision.

10. La Cour de cassation juge que les associés et titulaires de parts d'une société civile immobilière, seule propriétaire de l'immeuble saisi, ne sont pas des tiers ayant des droits sur ce bien au sens de l'article 706-150 du code de procédure pénale et n'ont donc pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie ni pour se pourvoir en cassation (Crim., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-87.534, Bull. crim. 2018, n° 82).

11. Cette jurisprudence s'étend a fortiori au bénéficiaire économique de la société porteuse de parts d'une telle société civile immobilière.

12. La question se pose cependant de savoir si l'appel est irrecevable, y compris lorsque la saisie est fondée sur la circonstance que le bien est à la libre disposition de l'appelant.

13. En matière de confiscation, la Cour de cassation a retenu que le propriétaire économique réel de l'immeuble confisqué sous la fausse apparence de la propriété d'un tiers en a la libre disposition (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979).

14. Il s'en déduit que lorsque l'ordonnance de saisie est fondée sur la circonstance que le bien concerné est à la libre disposition de la personne mise en cause ou mise en examen, cette dernière, qui peut être assimilée au propriétaire du bien saisi ou à un tiers ayant des droits sur ce bien, est recevable à interjeter appel de l'ordonnance de saisie.

15. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [V] à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant la saisie pénale de biens immobiliers, l'arrêt attaqué relève qu'il découle des dispositions du deuxième alinéa de l'article 706-150 du code de procédure pénale que seuls le titulaire du bien saisi et les tiers ayant des droits sur ce bien ont la faculté d'interjeter appel contre une ordonnance de saisie pénale immobilière et qu'il est constant qu'en l'espèce M. [V] n'est pas propriétaire des biens objet de la saisie qui appartiennent à la société [3]

16. Les juges ajoutent qu'il ressort de la déclaration d'appel que M. [V] a interjeté appel en son nom personnel et non en qualité de représentant légal de la société propriétaire des biens qui font l'objet de la saisie, que ni le gérant de la société agissant en son nom personnel, ni un associé de la personne morale agissant en son nom personnel n'a qualité pour agir au sens des dispositions susvisées, sauf à justifier par ailleurs être « tiers ayant des droits sur ce bien » au sens de ce texte, et que si les indivisaires, les titulaires de démembrements du droit de propriété ou encore les créanciers titulaires de sûretés réelles ayant le bien saisi pour assiette, sont des tiers ayant des droits sur le bien au sens des dispositions de l'article 706-150, alinéa 2, du code de procédure pénale, il n'est ni justifié ni même prétendu que M. [V] peut se prévaloir de l'une au moins de ces qualités.

17. Ils énoncent que la circonstance que la motivation du juge des libertés et de la détention, suivant en cela le raisonnement du procureur de la République financier, aurait retenu que M. [V] a la libre disposition des biens considérés au sens des dispositions de l'article 131-21 du code pénal, et de manière plus générale semblerait considérer que la personne morale propriétaire des biens objet de la saisie pénale n'est qu'un écran, ne saurait conduire à conférer au demandeur la qualité de « tiers ayant des droits sur le bien » au sens des dispositions de l'article 706-150, alinéa 2, susvisé.

18. En prononçant ainsi alors qu'il résulte des motifs de l'ordonnance de saisie attaquée qu'elle est fondée sur la circonstance que le demandeur a la libre disposition des biens saisis, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

19. La cassation est encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 21 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 131-21 du code pénal ; article 706-150 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-87.534, Bull. crim. 2018, n° 82 (Irrecevabilité) ; Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979, Bull. crim. (Irrecevabilité).

Crim., 22 juin 2022, n° 21-85.671, (B), FS

Rejet

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Saisie en valeur d'une créance – Cas – Recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics – Limite – Caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété

Le procureur général près la cour d'appel d'Orléans a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 364 de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 16 septembre 2021, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre M. [J] [B] et la société [1], du chef de recel aggravé, a infirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le procureur de la République a diligenté une enquête préliminaire concernant des faits d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics dans le cadre de l'attribution de plusieurs marchés publics de démolition par la [5] ([5]), dont M. [M] [F] est le directeur général, et par [4] à la société [1], dirigée par M. [J] [B], avant d'ouvrir une information judiciaire, le 26 janvier 2021, des chefs, notamment, d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et recel aggravé de ce délit.

3. Auparavant, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie pénale, d'une part, de deux biens immobiliers dont M. [F] est propriétaire indivis, d'une valeur totale de 652 000 euros et le maintien des saisies des sommes d'un montant total de 35 458 euros figurant au crédit de deux comptes bancaires dont ce dernier est titulaire, d'autre part, la saisie pénale d'un bien immobilier, propriété de M. [B], d'une valeur de 1 400 000 euros, et le maintien de la saisie pénale de la somme de 30 000 euros figurant au crédit d'un compte bancaire dont est titulaire la société [1], par décisions du 26 janvier 2021. M. [B] a interjeté appel de celle qui le concerne.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles 131-21 du code pénal et 591 du code de procédure pénale.

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance de saisie d'un bien immobilier appartenant à M. [B], en limitant le produit de l'infraction à la marge réalisée par la société de celui-ci, et en estimant que l'objet de l'infraction, non dissociable du produit, consistait dans l'obtention d'un marché public afin de générer des gains pour la société obtenant ce marché, alors que les notions d'objet et de produit de l'infraction sont distinctes.

Réponse de la Cour

6. Pour infirmer les ordonnances du juge des libertés et de la détention et limiter les saisies au montant de 66 724 euros représentant la valeur du produit de l'infraction d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, l'arrêt attaqué énonce que les saisies ordonnées dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et de recel aggravé s'élèvent pour M. [F] à un montant total de 687 458 euros, pour la société [1] à 30 000 euros et pour M. [B] à 1 400 000 euros, soit un total de 2 117 458 euros.

7. Les juges ajoutent qu'il résulte du dossier des indices rendant vraisemblable la participation aux infractions de M. [B] et de la société [1] qui ont été mis en examen du chef de recel aggravé pour avoir à [Localité 3] du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, sciemment recelé le bénéfice de l'attribution d'un marché public passé par la [5] relatif au chantier de démolition de l'hôpital [2], qu'il savait provenir d'un crime ou d'un délit, en l'espèce le délit d'atteinte à la liberté et à l'égalité d'accès au marché public, en se rendant au siège de la [5] à plusieurs reprises pour rencontrer M. [F] et échanger sur le contenu des enveloppes comportant les offres techniques et financières des sociétés soumissionnaires avant et après négociation, puis en déposant une nouvelle offre adaptée en dehors des règles procédurales du marché public, permettant ainsi de se faire attribuer ledit marché public au préjudice des autres soumissionnaires, avec cette circonstance que les faits de recel ont été facilités par l'exercice d'une activité professionnelle, en l'espèce en étant le gérant de la société [1].

8. Ils relèvent que l'auteur du délit de recel aggravé encourt, aux termes de l'article 321-2 du code pénal une peine de dix ans d'emprisonnement, et aux termes de l'article 321-9 du code pénal, la confiscation à titre de peine complémentaire de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction et du produit de l'infraction, que la confiscation des biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction est possible en application de l'article 131-21 du code pénal, la peine encourue pour le délit de recel aggravé étant supérieure à un an d'emprisonnement et qu'en application des articles 131-21, alinéa 9, du code pénal et 706-141-1 du code de procédure pénale, la saisie peut être ordonnée en valeur.

9. Les juges précisent qu'il convient de s'assurer que la valeur du bien confisqué n'excède pas le montant du produit de l'infraction, qui correspond à l'avantage économique tiré de celle-ci et qui constitue la conséquence patrimoniale de sa commission, qu'il a été retenu dans l'ordonnance de saisie que le produit présumé de l'infraction était chiffré à la somme de 981 770 euros qui correspond au montant du marché public obtenu par la société [1] grâce au délit de favoritisme présumé.

10. La chambre de l'instruction énonce que l'avantage économique tiré des infractions de favoritisme et de recel de ce délit ne saurait consister dans le montant du marché obtenu mais correspond au gain financier réalisé par la société et son gérant et résultant de l'attribution du marché public et qu'en l'état actuel de la procédure et eu égard aux éléments apportés par la défense, l'avantage économique tiré de l'obtention du marché doit être évalué à 7 % du montant de celui-ci, soit à la somme de 66 724 euros.

11. Elle ajoute que si le ministère public fait état dans ses réquisitions de l'objet de l'infraction de favoritisme dont il indique qu'il est le marché public et par extension, les fonds débloqués, l'objet du délit de recel consiste dans l'obtention d'un marché public pour générer des gains pour la société en étant attributaire, qu'en cas de pluralité d'auteurs d'un ensemble de faits délictueux, la saisie totale ne saurait excéder le produit total de ces infractions, que la somme de 30 000 euros a d'ores et déjà été saisie sur le compte de la société [1], laquelle s'est désistée de son appel à l'encontre de l'ordonnance de maintien de la saisie de cette somme sur son compte bancaire, que par un arrêt distinct du 16 septembre 2021, a été ordonné le maintien des saisies opérées sur les comptes bancaires de M. [F] à hauteur de 35 458 euros.

12. Elle conclut que, dans ces conditions, eu égard au produit de l'infraction, tel qu'évalué précédemment et alors que le montant de la saisie en valeur ne saurait excéder cette somme de 66 724 euros, il convient d'infirmer l'ordonnance de saisie du bien immobilier de M. [B] et de dire n'y avoir lieu à saisie de ce bien immobilier.

13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

14. En effet, l'attribution du marché public ne constituant pas un élément constitutif du délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics qui est établi par la seule violation de la norme légale ou réglementaire gouvernant la commande publique, le marché proprement dit ne peut être considéré comme l'objet de cette infraction.

15. L'avantage économique qui constitue le produit de l'infraction d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics est équivalent au prix total du marché en cause duquel doivent être impérativement déduites les charges et dépenses directement imputables à l'exécution de ce marché comme, par exemple, le coût des salaires et des fournitures.

16. Les juges peuvent, par des motifs relevant de leur appréciation souveraine, ajouter à ce chiffrage, en fonction des éléments figurant au dossier ou qui leur sont fournis par les parties et le ministère public, l'ensemble des gains, directs ou indirects, attendus et découlant du marché comme, notamment, les éventuelles économies d'impôts, la valorisation de la trésorerie, de la continuation de l'entreprise, du maintien des emplois en lien avec l'attribution du marché ou de la possibilité de se porter candidat à d'autres marchés.

17. Le produit de l'infraction d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics constitue l'objet du délit de recel aggravé.

18. Toutefois, le juge qui ordonne la saisie en valeur d'un bien appartenant à l'auteur de l'infraction de recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics ou étant à sa libre disposition, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure des présomptions qu'il a bénéficié en totalité ou en partie du produit de cette infraction, doit apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé pour la partie du produit dont il n'aura pas tiré profit.

19. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

20. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : Mme Bellone -

Textes visés :

Article 321-1 du code pénal.

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