Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 14 juin 2022, n° 22-81.942, (B), FRH

Rejet

Débat contradictoire – Prolongation de la détention – Convocation du détenu sans avocat – Délai pour préparer sa défense – Détermination – Portée

Lorsque la personne détenue qui, n'ayant pas fait choix d'un avocat et n'ayant pas été avisée de la date du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention sur l'éventuelle prolongation de sa détention provisoire, sollicite le report dudit débat contradictoire pour préparer sa défense, le juge saisi doit accorder un délai suffisant.

Un délai de cinq jours ouvrables, semblable à celui prévu par l'article 114 du code de procédure pénale pour la convocation des avocats, est suffisant.

Si le délai accordé par le juge, ou celui écoulé entre l'avis adressé à la personne détenue et la date du débat contradictoire, est inférieur à cinq jours ouvrables, cette personne est recevable à soutenir que le délai dont elle a effectivement bénéficié pour préparer sa défense était insuffisant.

Dans ce cas, le juge est tenu de vérifier la réalité du grief ainsi allégué.

N'encourt pas la censure l'arrêt qui, pour rejeter le demande de nullité du débat contradictoire, statue par des motifs dont il se déduit que la durée du délai de quatre jours, dont deux jours ouvrables, accordé à l'intéressé, dont la détention avait déjà été prolongée à trois reprises, était suffisant compte tenu des conditions et motifs de sa demande de renvoi et n'a ainsi pas fait grief aux droits de la défense.

M. [G] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 10 mars 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [G] [V] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire le 23 octobre 2020.

3. Comparaissant devant le juge des libertés et de la détention le vendredi 11 février 2022 dans le cadre d'un débat contradictoire sur l'éventuelle prolongation de sa détention provisoire, l'intéressé, qui a fait valoir qu'il se défendait seul et qu'il n'avait pas été avisé de l'audience avant d'être extrait le jour même, a sollicité le report du débat pour produire divers documents.

4. Le juge saisi a fait droit à cette demande et a informé M. [V] que le débat se tiendrait le mercredi 16 février suivant à 15 heures.

5. À cette date, l'intéressé, qui a comparu, a affirmé qu'il n'avait pas eu le temps nécessaire pour rassembler lesdits documents et préparer ainsi sa défense, mais n'a pas présenté de nouvelle demande de renvoi.

6. Par une ordonnance en date du même jour, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], qui a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a écarté la nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, alors « que la personne mise en examen qui assure seule sa défense lors du débat contradictoire sur la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention doit disposer du temps et des facilités nécessaires pour sa préparation ; qu'en se retranchant, pour écarter le moyen de nullité tiré de l'insuffisance du temps accordé à M. [V] pour préparer sa défense, sur les circonstances que le délai de convocation de cinq jours ouvrables n'était pas applicable et que le mis en examen n'était pas en possession des éléments qu'il entendait produire, ce qui ne permettait pas d'exclure que le délai de deux jours ouvrables qui lui avait été laissé pour préparer sa défense, qu'il assurait seul, dans les conditions contraintes d'une détention, était insuffisant, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 6, § 3, b, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

8. Le code de procédure pénale ne prévoit pas l'envoi d'un avis d'audience devant le juge des libertés et de la détention à la personne mise en examen détenue qui se défend seule.

9. Il se déduit des articles 6, § 3, b, de la Convention européenne des droits de l'homme et 145 du code de procédure pénale que, lorsque la personne détenue, qui, n'ayant pas fait choix d'un avocat et n'ayant pas été avisée de la date du débat contradictoire sur l'éventuelle prolongation de sa détention provisoire, en sollicite le report pour préparer sa défense, le juge saisi doit veiller à ce que le délai qu'il accorde soit suffisant.

10. Un délai de cinq jours ouvrables, semblable à celui prévu par l'article 114 du code de procédure pénale pour la convocation des avocats, doit être considéré comme suffisant.

11. Lorsqu'en revanche, la personne a été avisée de l'audience devant ce magistrat moins de cinq jours ouvrables avant la date de celle-ci ou, à défaut d'un tel avis, a bénéficié d'un délai de report d'une durée inférieure à cinq jours ouvrables, elle est recevable à soutenir que le délai dont elle a effectivement bénéficié pour préparer sa défense était insuffisant, le juge étant tenu de vérifier la réalité du grief ainsi allégué.

12. Pour rejeter la demande de nullité du débat contradictoire, l'arrêt attaqué reprend, notamment, le contenu du procès-verbal du 11 février 2022, qui mentionne que l'intéressé a demandé le report en faisant valoir que, avisé, le jour même, de sa comparution, il n'a pas été autorisé à prendre les documents qu'il détenait à la maison d'arrêt et qu'il souhaitait produire pour sa défense.

13. Les juges relèvent que le débat contradictoire à fin de prolongation éventuelle de la détention provisoire s'inscrit nécessairement dans un délai contraint et que le délai de cinq jours ouvrables n'est pas applicable en l'espèce.

14. Ils ajoutent que l'élaboration d'un projet de sortie, non abouti, a déjà été évoquée lors de la précédente prolongation de détention et que les déclarations de l'intéressé, lors du débat du 11 février 2022, accréditaient la réalité d'un projet élaboré, soutenu par des documents en sa possession que, pour des raisons contingentes, il n'avait pu produire lors de son extraction pour cette date.

15. La chambre de l'instruction en déduit que c'est sans aucune violation des droits de M. [V] que le débat a pu se tenir le 16 février 2022, date à laquelle l'intéressé a révélé qu'il n'avait pas, en réalité, les pièces qu'il entendait produire, dont il attendait encore la réception.

16. En l'état de ces seuls motifs, dont il se déduit que la durée du délai de quatre jours, dont deux jours ouvrables, accordé à l'intéressé, dont la détention avait déjà été prolongée à trois reprises, était suffisant compte tenu des conditions et motifs de sa demande de renvoi et n'a ainsi pas fait grief aux droits de la défense, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes et principes visés au moyen.

17. Celui-ci doit, dès lors, être rejeté.

16. L'arrêt est par ailleurs régulier, tant en la forme qu'en application des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : Me Laurent Goldman -

Textes visés :

Article 6, § 3, b, de la Convention européenne des droits de l'homme ; article 114 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la convocation du mis en examen devant le juge des libertés et de la détention, à rapprocher : Crim., 23 novembre 2021, pourvoi n° 21-85.211, Bull. crim. (rejet).

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