Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CUMUL IDEAL D'INFRACTIONS

Crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, (B), FRH

Rejet

Exclusion – Faits nécessairement distincts – Cas – Fraude fiscale et omission d'écriture en comptabilité

En cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem n'interdit le cumul de qualifications lors de la déclaration de culpabilité que lorsque les infractions retenues répriment des faits identiques.

Ne méconnait pas ce principe, la cour d'appel qui déclare le prévenu concomitamment coupable des délits de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l'impôt et d'omission d'écritures en comptabilité, qui répriment des faits nécessairement distincts, dès lors que l'article 1741 du code général des impôts sanctionne la souscription d'une déclaration fiscale minorée, tandis que l'article 1743 du même code sanctionne l'omission, pour tout contribuable soumis à l'obligation de tenir une comptabilité, de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires.

M. [H] [B] et M. [P] [I] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 29 avril 2021, qui, pour fraude fiscale et omission d'écritures en comptabilité, a condamné le premier à huit mois d'emprisonnement avec sursis et 7 500 euros d'amende, le second à six mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 27 mai 2015, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, la direction départementale des finances publiques a adressé au procureur de la République une plainte visant les cogérants de la SELARL [N]-[I] et [D] (la SELARL) du chef de fraude fiscale et omission d'écritures en comptabilité.

3. Cette société, qui exploitait un centre de diagnostic et d'imagerie médicale, avait pour cogérants plusieurs médecins radiologues, dont MM. [B] et [I] [U]. Elle exploitait un scanner propriété de la clinique [1].

4. L'administration fiscale a exposé qu'à l'occasion d'opérations de vérification de comptabilité, avait été relevée l'existence de recettes non comptabilisées correspondant à plusieurs milliers de prestations au titre des exercices comptables 2010, 2011 et 2012. Ces sommes correspondaient à la rétrocession par la clinique [1] d'une partie du forfait technique que celle-ci touchait de la Caisse primaire d'assurance maladie, en qualité de propriétaire du scanner, à titre d'indemnisation des frais de fonctionnement. Ces sommes étaient versées sur deux comptes, l'un ouvert au nom des associés de la société, l'autre au nom de celle-ci, qui n'apparaissaient pas en comptabilité.

5. A l'issue d'une enquête préliminaire, MM. [B] et [I] [U], ainsi que les autres cogérants, ont été convoqués devant le tribunal correctionnel pour s'être, en leur qualité de gérant de droit de la SELARL frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des années fiscales 2010, 2011, 2012 en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, en l'espèce en ayant souscrit des déclarations de résultat minorées, avec les circonstances que les dissimulations opérées excèdent le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.

6. Ils l'ont été également pour avoir, en leur qualité de cogérant de droit, sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires au titre de l'exercice clos au 31 mars 2010, 2011 et 2012.

7. Par un jugement du 25 septembre 2018, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus.

8. Le procureur de la République et la direction départementale des finances publiques ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième, cinquième, sixième et septième moyens

9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré MM. [B] et [I] [U] coupables de fraude fiscale par soustraction à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur les sociétés et par omission de passer ou faire passer les écritures comptables, alors « que les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu'en se prononçant, pour déclarer les prévenus coupables de soustraction à l'établissement ou au paiement de l'impôt par dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt et d'omission de passer des écritures comptables, par des motifs communs à ces deux infractions constatant l'existence d'un encaissement hors comptabilité de recettes sociales d'environ 29 % des bénéfices, la cour d'appel, qui a prononcé une double déclaration de culpabilité pour des faits procédant de manière indissociable d'une action unique consistant à ne pas avoir enregistré en comptabilité les recettes provenant des forfaits techniques scanner caractérisée par une seule intention coupable, a méconnu le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

11. Pour écarter le moyen pris de la méconnaissance du principe ne bis in idem, l'arrêt attaqué énonce que la minoration déclarative des résultats imposables constitue un fait distinct de l'omission en comptabilité des recettes constituées par les rétrocessions trimestrielles puis mensuelles sur les forfaits techniques scanners de la clinique à la SELARL et que les omissions comptables n'étaient pas nécessaires à la réalisation de la fraude fiscale mais permettaient à la SELARL, si elle était contrôlée, de restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas méconnu le principe visé au moyen.

13. En effet, en premier lieu, en cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem n'interdit le cumul de qualifications lors de la déclaration de culpabilité que lorsque les infractions retenues répriment des faits identiques (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).

14. En second lieu, les faits réprimés par le délit de fraude fiscale par dissimulation, d'une part, et le délit d'omission d'écritures en comptabilité, d'autre part, sont nécessairement distincts dès lors que l'article 1741 du code général des impôts sanctionne la souscription d'une déclaration fiscale minorée, tandis que l'article 1743 du même code sanctionne l'omission, pour tout contribuable soumis à l'obligation de tenir une comptabilité, de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires.

15. Ainsi le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : Mme Mathieu - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Principe ne bis in idem.

Rapprochement(s) :

Sur l'application du principe ne bis in idem, à rapprocher : Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, Bull. crim. (rejet).

Crim., 9 juin 2022, n° 21-80.237, (B), FS

Rejet

Fait unique – Pluralité de qualifications – Double déclaration de culpabilité – Association de malfaiteurs – Circonstance aggravante de bande organisée

Au regard des textes d'incriminations, le délit d'association de malfaiteurs, qui implique un acte de participation à un groupement établi en vue de la commission d'infractions, ne correspond pas à la circonstance de bande organisée, qui aggrave l'infraction dès lors qu'elle a été commise ou préparée par un groupement structuré, sans exiger que son auteur y ait participé.

Par ailleurs, les éléments constitutifs du délit d'association de malfaiteurs, et de l'infraction consommée poursuivie en bande organisée ne sont pas susceptibles d'être incompatibles et aucune de ces qualifications n'incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction.

Ne méconnaît pas le principe ne bis in idem la cour d'appel qui déclare le prévenu coupable des délits de participation à une association de malfaiteurs et de blanchiment en bande organisée, y compris lorsque les faits retenus pour établir l'association de malfaiteurs sont identiques à ceux caractérisant la bande organisée.

Mme [C] [U] [R] et MM. [Y] [L] [I] et [D] [S] [I] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 15 décembre 2020, qui, a condamné la première, pour tentative de transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, le deuxième et le troisième, pour transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, à quatre ans d'emprisonnement, une amende douanière et a ordonné une mesure de confiscation.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les liens identifiés entre différentes procédures diligentées à la suite de contrôles douaniers ayant permis la découverte d'importantes sommes transportées en espèces dans des caches aménagées à l'intérieur de véhicules automobiles, ont conduit à l'ouverture d'une information judiciaire portant notamment sur les activités de MM. [Y] [L] [I] et [D] [S] [I] et de Mme [C] [U] [R], soupçonnés d'appartenir à un réseau organisé de transports illicites de fonds.

3. A l'issue, ils ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir notamment participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de blanchiment aggravé et à des opérations de blanchiment en bande organisée.

4. Par un jugement rendu le 24 octobre 2019, le tribunal, après avoir requalifié les faits de blanchiment aggravé en blanchiment présumé en bande organisée, a condamné les trois prévenus pour les faits qui leur étaient reprochés.

5. Les trois prévenus et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la déclaration de culpabilité de Mme [R], de MM. [D] [S] [I] et [Y] [L] [I] des chefs d'association de malfaiteurs et de blanchiment présumé commis en bande organisée, alors « que l'action unique reprochée à un prévenu ne peut donner lieu à une double déclaration de culpabilité ; qu'en effet, les règles relatives au concours idéal impose l'unicité de qualification ; qu'en confirmant la déclaration de culpabilité de Mme [R], de MM. [D] [S] [I] et de M. [Y] [L] [I] des chefs d'association de malfaiteurs et de blanchiment présumé commis en bande organisée tandis que ces deux infractions procédaient d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable et que la première avait pour unique objet de préparer la seconde, la cour d'appel a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du Protocole n° 7 annexé à cette Convention,132-71, 450-1, 324-1, 324-2 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe ne bis idem. »

Réponse de la Cour

8. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le principe ne bis in idem interdit le cumul du délit d'association de malfaiteurs et d'une infraction aggravée par la circonstance qu'elle a été commise en bande organisée lorsque les mêmes faits ou des faits indissociables ont été retenus pour caractériser l'association de malfaiteurs et la bande organisée (Crim., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-82.800, Bull. crim. 2019, n° 89 ; Crim., 16 mai 2018, pourvoi n° 17-81.151, Bull. crim. 2018, n° 94).

9. Elle considère cependant que le principe ne bis in idem n'est pas méconnu lorsqu'est retenue au titre de l'association de malfaiteurs la préparation d'infractions distinctes de celles poursuivies en bande organisée (Crim., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-82.885, Bull. crim. 2019, n° 90), y compris lorsque les faits retenus pour caractériser l'association de malfaiteurs et la bande organisée sont identiques (Crim., 22 avril 2020, pourvoi n° 19-84.464, publié au Bulletin).

10. La Cour de cassation, infléchissant son interprétation antérieure, a jugé qu'un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne, outre le cas où la caractérisation des éléments constitutifs d'une infraction exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs d'une autre, lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes : dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ; dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).

11. L'interdiction du cumul de qualifications implique ainsi désormais que soient remplies deux conditions cumulatives, l'une tenant à l'identité des faits matériels caractérisant les infractions en concours, l'autre à leur définition légale.

Le cumul est autorisé lorsqu'une seule de ces conditions n'est pas remplie.

12. Dès lors, se pose la question de savoir si ledit infléchissement de jurisprudence est de nature à modifier les solutions décrites aux paragraphes 8 et 9.

13. Aux termes de l'article 450-1 du code pénal, le délit d'association de malfaiteurs réprime la participation à un groupement ou à une entente établie en vue de la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

14. Il résulte de l'article 132-71 du code pénal, tel qu'interprété par la jurisprudence, que la bande organisée, caractérisée par l'existence d'un groupement ou d'une entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels d'une ou plusieurs infractions, suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l'association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-88.329, Bull. crim. 2015, n° 172).

15. La Cour de cassation juge que la bande organisée est une circonstance aggravante réelle, qui a trait aux conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou préparée et n'implique pas que l'auteur de l'infraction aggravée y ait lui-même participé (Crim., 15 septembre 2004, pourvoi n° 04-84.143, Bull. crim. 2004, n° 213).

16. Il s'en déduit qu'au regard des textes d'incriminations le délit d'association de malfaiteurs, qui implique un acte de participation à un groupement établi en vue de la commission d'infractions, ne correspond pas à la circonstance de bande organisée, qui aggrave l'infraction dès lors qu'elle a été commise ou préparée par un groupement structuré, sans exiger que son auteur y ait participé.

17. Par ailleurs, les éléments constitutifs du délit d'association de malfaiteurs et de l'infraction consommée poursuivie en bande organisée ne sont pas susceptibles d'être incompatibles et aucune de ces qualifications n'incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction.

18. En conséquence, l'infléchissement de la jurisprudence relative à l'interprétation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes doit conduire à considérer que ce principe ne s'oppose pas à ce qu'une même personne soit déclarée concomitamment coupable des chefs d'association de malfaiteurs et d'une infraction commise en bande organisée, y compris lorsque des faits identiques sont retenus pour caractériser l'association de malfaiteurs et la bande organisée et peu important que l'association de malfaiteurs ait visé la préparation de la seule infraction poursuivie en bande organisée.

19. En l'espèce, les demandeurs ne sauraient donc se faire un grief de ce que les juges les ont déclarés coupables concomitamment des chefs d'association de malfaiteurs et de blanchiment aggravé par la circonstance de bande organisée.

20. Ainsi, le moyen doit être écarté.

21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Rapprochement(s) :

Concernant l'application du principe ne bis in idem : Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, Bull. (rejet) ; En sens contraire : Crim., 16 mai 2018, pourvoi n° 17-81.151, Bull. crim. 2018, n° 94 (cassation partielle) ; Crim., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-82.885, Bull. crim. 2019, n° 90 (irrecevabilité et rejet).

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