Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2021

DOUANES

Crim., 16 juin 2021, n° 21-80.614(B)

Cassation

Agent des douanes – Pouvoirs – Droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes – Article 60 du code des douanes – Mesures autorisées – Rétention des personnes – Limites – Effet

Le maintien d'une personne à la disposition des agents des douanes dans le cadre de l'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes prévu à l'article 60 du code des douanes au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de cette mesure et à l'établissement du procès-verbal qui la constate n'entraîne l'annulation de la procédure de contrôle douanier qu'à compter du moment où la mesure de contrainte cesse d'être justifiée.

Ne doivent être annulés ou cancellés que les procès-verbaux ou les mentions de procès-verbaux dressés par l'administration des douanes postérieurement à ce moment, ainsi que ceux dont ils sont le support nécessaire.

Le maintien irrégulier sous contrainte dans le cadre des opérations de contrôle effectuées sur le fondement de l'article 60 du code des douanes ne suffit pas à lui seul à entraîner la nullité de la procédure judiciaire qui lui fait suite.

Encourt la cassation, l'arrêt qui, pour annuler l'ensemble des procès-verbaux de la procédure douanière, ainsi que toute la procédure judiciaire subséquente, après avoir constaté que le contrôle s'est déroulé régulièrement entre 1 heure 50 et 4 heure 10, énonce qu'à compter de 4 heures 10, les agents des douanes ont procédé à des opérations ne relevant pas des pouvoirs qu'ils détiennent dans le cadre de l'exercice du droit de visite, qui ont été à l'origine d'un maintien de la personne contrôlée à leur disposition au-delà de ce qui était strictement nécessaire à l'accomplissement de la mesure et ont constitué un détournement de procédure.

CASSATION sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Douai contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel en date du 13 janvier 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 18 mars 2020, n° 19-84.372), dans l'information suivie contre M. [V] [D] des chefs de blanchiment aggravé, transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment douanier et association de malfaiteurs a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces et d'actes de la procédure.

Par ordonnance en date du 18 février 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 9 février 2018, à 1 heure 35, les agents des douanes ont procédé au contrôle d'un véhicule.

La fouille du bagage d'un passager, M. [D], qui avait déclaré ne pas transporter des sommes égales ou supérieures à 10 000 euros, a permis la découverte de liasses de billets de 500 euros pour un montant global de 215 080 euros. Des opérations complémentaires de fouille, de décompte, dépistage et consignation des fonds, et d'audition de l'intéressé ont été effectuées au siège de l'unité douanière de 1 heure 50 à 10 heures 45, heure à laquelle M. [D] a été placé en garde à vue. Ce dernier a été mis en examen des chefs précités et placé sous contrôle judiciaire.

3. Le 26 avril 2019, saisie par la personne mise en examen, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai a dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure douanière et des actes de procédure subséquents.

4. Par arrêt du 18 mars 2020, la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l'affaire devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai autrement composée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 591, 593, 174, alinéas 2 et 3, et 206 alinéa 2 du code de procédure pénale.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la nullité de l'intégralité des pièces du dossier d'instruction diligentée à l'encontre de M. [D], alors :

1°/ que la chambre de l'instruction, qui a constaté que les actes réalisés par les agents des douanes entre 1 heure 35 et 4 heures 10 étaient réguliers, s'est contredite en prononçant l'annulation de l'intégralité du procès-verbal des douanes qui recense de manière détaillée non seulement les actes viciés, effectués postérieurement à 4 heures 10, mais également les actes réalisés antérieurement ;

2°/ que la procédure diligentée par les services de police, ainsi que l'ouverture de l'information judiciaire et la mise en examen, qui trouvent leur support dans les actes accomplis par l'administration des douanes antérieurement à 4 heures 30 et non dans les actes viciés, ne peuvent être annulés ;

3°/ que la chambre de l'instruction a procédé par affirmation sans préciser le lien de causalité entre l'acte initial annulé et ceux qui le sont par voie de conséquence.

Réponse de la Cour

Vu les articles 174 et 802 du code de procédure pénale :

7. Il résulte de ces textes que, lorsqu'une irrégularité constitue une cause de nullité de la procédure, seuls doivent être annulés les actes affectés par cette irrégularité et ceux dont ils sont le support nécessaire.

8. En l'espèce, pour annuler l'ensemble des procès-verbaux de la procédure douanière, ainsi que toute la procédure subséquente, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les conditions d'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes prévues par l'article 60 du code des douanes, relève qu'entre 1 heure 30 et 4 heures 10, les agents des douanes ont procédé régulièrement à la vérification du véhicule, des bagages et au contrôle de M. [D], précisant que ce contrôle s'est poursuivi à partir de 1 heure 50 dans les locaux des douanes.

9. Il retient également qu'en revanche, à compter de 4 heures 10, les agents des douanes ont procédé à des opérations qui ne relèvent pas des pouvoirs qu'ils détiennent dans le cadre de l'exercice du droit de visite (dépistage de l'imprégnation en stupéfiants des billets de 4 heures 10 à 4 heures 30, audition de M. [D] de 6 heures 25 à 8 heures 30) et constate l'absence de tout acte entre 4 heures 30 et 6 heures 25. Il précise qu'il a été ensuite procédé de 9 heures 20 à 9 heures 45 au placement sous scellés douaniers des billets de banque puis à l'établissement du procès-verbal constatant l'accomplissement de l'ensemble de ces opérations qui a été clôturé à 10 heures 45.

10. Les juges énoncent que la nature des opérations réalisées par les agents des douanes, leur chronologie et leur étalement dans le temps ont été à l'origine d'un maintien de M. [D] à leur disposition au-delà de ce qui était strictement nécessaire à l'accomplissement de la mesure du droit de visite.

11. Ils ajoutent que, compte tenu de la nature de l'infraction notifiée à M. [D], il ne pouvait faire l'objet d'une retenue douanière.

12. La cour d'appel en conclut qu'en faisant une application extensive et erronée des prérogatives inhérentes à l'exercice du droit de visite de l'article 60 du code des douanes, les agents de l'administration des douanes ont effectué un détournement de cette procédure leur permettant ainsi de pallier l'impossibilité de procéder à une retenue douanière, et ce au mépris des droits de la défense et de l'exercice d'un contrôle de l'autorité judiciaire et que les opérations effectuées dans le cadre de l'exercice du droit de visite dont a fait l'objet M. [D] ne se sont pas succédé sans délai et sans discontinuité et ne pouvaient donner lieu au maintien de la personne concernée à la disposition des agents des douanes de 1 heure 35 à 10 heures 40.

13. Elle en déduit que la procédure douanière est entachée de nullité, de même que la procédure ouverte en flagrant délit à la suite de la remise de M. [D] par les agents des douanes aux enquêteurs de la police judiciaire, qui trouve son support nécessaire dans la procédure douanière dont la nullité vicie l'ensemble de l'enquête de flagrance et l'information ouverte postérieurement.

14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

15. En effet, d'une part, le maintien d'une personne à la disposition des agents des douanes dans le cadre de l'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes prévu à l'article 60 du code des douanes au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de cette mesure et à l'établissement du procès-verbal qui la constate n'entraîne l'annulation de la procédure de contrôle douanier qu'à compter du moment où la mesure de contrainte cesse d'être justifiée.

16. En conséquence, ne doivent être annulés ou cancellés que les procès-verbaux ou les mentions de procès-verbaux dressés par l'administration des douanes postérieurement à ce moment.

17. D'autre part, le maintien irrégulier sous contrainte dans le cadre des opérations de contrôle effectuées sur le fondement de l'article 60 du code des douanes ne suffit pas à lui seul à entraîner la nullité de la procédure judiciaire qui lui fait suite.

18. En conséquence il appartenait à la chambre de l'instruction de rechercher s'il subsistait dans la procédure douanière des éléments suffisants pour justifier l'enquête de flagrance et l'information judiciaire subséquentes.

19. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 13 janvier 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Article 60 du code des douanes.

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