Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2021

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 8 juin 2021, n° 21-81.515(P)

Cassation

Appel de la personne mise en examen – Question étrangère à l'objet unique de l'appel – Cas – Régularité de la rétention judiciaire

Méconnaît la règle de l'unique objet la chambre de l'instruction qui, saisie d'un appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, se prononce sur la régularité de la rétention judiciaire subie, sur le fondement de l'article 803-3 du code de procédure pénale, par la personne concernée avant sa comparution devant le magistrat mandant.

Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 2e section, en date du 2 février 2021, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [K] des chefs d'escroqueries en bande organisée en récidive, association de malfaiteurs en récidive et blanchiment en bande organisée en récidive, a ordonné la mise en liberté de ce dernier après infirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant révoqué son contrôle judiciaire et placé en détention provisoire.

Des mémoires en demande, en défense et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [K], mis en examen des chefs reprochés et placé sous contrôle judiciaire avec obligation de ne pas se rendre en Ile-de-France, a fait l'objet, le 12 janvier 2021 à 19 heures 20, d'un contrôle routier dans le 18e arrondissement de Paris.

L'intéressé a été placé en rétention judiciaire le même jour à 19 heures 30.

3. Le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris, informé le 13 janvier à 14 heures 02 de la rétention de M. [K], a ordonné sa comparution devant lui à 19 heures 30.

4. M. [K], dont la retenue effectuée en application de l'article 141-4 du code de procédure pénale a été levée le 13 janvier à 19 heures 20, a été présenté au juge d'instruction le 14 janvier à 11 heures 40.

5. Par ordonnance en date du 14 janvier 2021, le juge des libertés et de la détention a ordonné la révocation du contrôle judiciaire de M. [K] et son placement en détention provisoire.

6. M. [K] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen relevé d'office

9. Ce moyen, qui a été soumis à la discussion des parties, est pris de la violation de l'article 186 du code de procédure pénale.

Vu ledit article :

10. En permettant aux personnes mises en examen de relever appel des ordonnances qu'il prévoit, le texte susvisé leur a attribué un droit exceptionnel dont elles ne sauraient s'autoriser pour faire juger, à l'occasion d'une de ces procédures spéciales, des questions étrangères à son unique objet.

11. Pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction et ordonner la remise en liberté de M. [K] après l'avoir placé sous contrôle judiciaire, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que le principe de l'unique objet de l'appel ne fait pas obstacle à ce que soit invoquée devant la chambre de l'instruction saisie d'un appel à l'encontre d'une décision de placement en détention provisoire une irrégularité de la procédure relative à un acte étant le support nécessaire de cette décision.

12. Les juges ajoutent, en se référant aux articles 803-2 et 803-3 du code de procédure pénale ainsi qu'à la réserve formulée par le Conseil constitutionnel sur ce dernier texte dans sa décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010, que le magistrat instructeur, informé du placement en rétention de M. [K], a ordonné sa présentation devant lui sans préciser au fonctionnaire de police que la comparution effective de l'intéressé serait différée au lendemain.

13. Ils retiennent qu'il se déduit de la procédure que M. [K] conduit devant le magistrat instructeur à l'issue du délai de vingt-quatre heures de sa rétention judiciaire n'a pas été informé du report de sa comparution ni du motif de ce report de sorte qu'il en résulte nécessairement une atteinte à son droit à comparaître devant un juge le jour même de sa présentation au tribunal judiciaire.

14. Ils concluent qu'il ne résulte pas de la procédure d'élément permettant à la chambre de l'instruction d'apprécier les circonstances ayant pu justifier que l'intéressé ne comparaisse que le 14 janvier 2021 devant le magistrat instructeur de sorte que la comparution de M. [K] devant ce magistrat à compter de 11 heures 40 est tardive et que par conséquent la saisine du juge des libertés et de la détention découlant de cette comparution, support nécessaire au débat contradictoire et à l'ordonnance de révocation du contrôle judiciaire de l'intéressé est irrégulière.

15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction, alors que, saisie de l'unique objet de l'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire elle ne pouvait prononcer sur l'irrégularité des conditions de mise en oeuvre de la rétention judiciaire prévue par l'article 803-3 du code de procédure pénale, qui n'est pas un titre de détention, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

16. La cassation est par conséquent encourue sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen présenté en demande.

Portée et conséquence de la cassation

17. La cassation de l'arrêt de la chambre de l'instruction a pour conséquence que le mandat de dépôt délivré le 14 janvier 2021 par le juge des libertés et de la détention reprend ses pleins et entiers effets.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 2 février 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

DIT que le mandat de dépôt décerné le 14 janvier 2021 reprend ses effets ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Maziau - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 186 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 23 février 2011, pourvoi n° 10-88.184, Bull. crim. 2011, n° 36 (rejet) ; Cons. const., 17 décembre 2010, décision n° 2010-80 QPC, M. Michel F. [Mise à la disposition de la justice].

Crim., 2 juin 2021, n° 21-81.581(P)

Rejet

Décision de prolongation – Personne poursuivie pour extorsion – Effet – Détention provisoire possible jusqu'à quatre ans

REJET du pourvoi formé par M. [I] [N] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de mineur de 15 ans, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes, viol aggravé, agression sexuelle, extorsion avec arme, extorsion aggravée et vols aggravés, a prolongé sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les époux [O], ainsi que leur fils de treize ans, ont déclaré avoir été agressés à leur domicile pendant leur sommeil par quatre hommes cagoulés et gantés, qui ont frappé M. [O], avant de le ligoter ainsi que son épouse.

Les agresseurs ont dérobé du numéraire, des téléphones portables et des cartes bancaires, dont ils ont extorqué les codes secrets à M. [O] en le menaçant de tuer son fils avec un fusil.

Les bijoux de Mme [O] ont également été volés, ainsi que sa carte bancaire, dont le code secret lui a aussi été extorqué. Mme [O] a été victime d'une agression sexuelle, puis d'un viol, avant que les agresseurs ne quittent les lieux.

3. Dans le cadre de l'information judiciaire ouverte à la suite de ces faits, M. [N] a été mis en examen des chefs précités, et placé en détention provisoire le 24 novembre 2016, sous mandat de dépôt criminel.

4. Sa détention provisoire a été prolongée à plusieurs reprises par le juge des libertés et de la détention, puis au delà du délai de quatre ans par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 13 novembre 2020, pour une durée de quatre mois, en application des dispositions de l'article 145-2, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale.

5. Par ordonnance du 19 février 2021, le juge des libertés et de la détention a de nouveau saisi la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles sur le fondement des dispositions du même texte, afin de prolonger la détention provisoire de M. [N] pour une seconde et ultime durée de quatre mois.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [N] pour une durée de quatre mois à compter du 24 mars 2021, portant ainsi la durée de sa détention provisoire à quatre années et huit mois, alors :

« 1°/ que l'article 145-2, alinéa 2, du code de procédure pénale ne permet de porter à quatre années la durée de la détention provisoire au cours de l'information que lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnées aux livres II et IV du code pénal, ou pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée ; que la séquestration, infraction prévue par le livre II du code pénal, n'est pas criminelle lorsque les personnes séquestrées ont été libérées avant le septième jour accompli ; que la circonstance de minorité de la personne détenue n'aggrave que le crime et non pas le délit ; qu'en l'espèce, M. [N] a été mis en examen pour des séquestrations avec libération avant le septième jour accompli, lesquelles ne sont donc pas des crimes mentionnés au livre II du code pénal ; que dès lors, il n'était pas poursuivi pour plusieurs crimes mentionnés au livre II du code pénal ; qu'il est également mis en examen pour extorsion d'un secret et non pas pour extorsion de fonds ; que dès lors, sa détention provisoire ne pouvait être portée à quatre ans ; qu'en prolongeant néanmoins à nouveau la détention provisoire qui avait déjà excédé quatre années, la chambre de l'instruction a violé l'article 145-2 du code de procédure pénale ; que la cassation à intervenir sera prononcée sans renvoi et avec mise en liberté immédiate de M. [N] désormais détenu sans titre. »

Réponse de la Cour

8. Pour faire application des dispositions de l'article 145-2 du code de procédure pénale, et prolonger la détention provisoire de M. [N] pour une ultime période de quatre mois, la chambre de l'instruction énonce que ce dernier est poursuivi pour deux crimes mentionnés au livre II du code pénal, et pour extorsions avec arme, qualifications permettant de prolonger la détention provisoire jusqu'à quatre ans en application des dispositions précitées.

9. C'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que M. [N] est poursuivi pour deux crimes mentionnés au livre II du code pénal.

10. En effet, l'article 224-5 du code pénal prévoit, lorsque la victime des faits d'arrestation, enlèvement, détention ou séquestration est un mineur de quinze ans, l'aggravation des peines de réclusion criminelle qui seraient encourues. Il s'en déduit que ce texte n'est pas applicable lorsque, comme en l'espèce, la victime ayant été volontairement libérée avant le septième jour accompli, la peine encourue est de nature délictuelle.

11. Cette interprétation est conforme à l'intention du législateur, qui, ainsi que cela ressort des débats parlementaires de la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992, a entendu inciter à la libération de la victime mineure dans un bref délai.

12. Dès lors, parmi les infractions pour lesquelles M. [N] a été mis en examen ne figure qu'un seul crime prévu au livre II du code pénal, en l'espèce le viol aggravé.

13. Toutefois, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure.

14. En effet, la prolongation de la détention provisoire prévue par l'article 145-2 du code de procédure pénale s'applique également lorsque la personne est poursuivie pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.

15. Selon les termes de sa mise en examen, M. [N] est poursuivi pour avoir obtenu par violences, menaces de violences ou contrainte la révélation de secrets, en l'espèce le code des cartes bancaires des époux [O], cette extorsion étant aggravée par la circonstance d'usage ou menace d'une arme s'agissant de M. [O].

16. Bien que M. [N] soit poursuivi pour extorsion de secrets, l'article 145-2 du code de procédure pénale, qui vise l'extorsion de fonds, est applicable en l'espèce.

17. En effet, il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 qu'en visant le trafic de stupéfiants, le terrorisme, le proxénétisme, ou l'extorsion de fonds à l'article 145-2, alinéa 2, du code de procédure pénale, le législateur a entendu énumérer des catégories ou des ensembles d'infractions, en usant de termes génériques.

18. Il s'en déduit que l'article 145-2, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale s'applique lorsque la personne est poursuivie pour le délit d'extorsion ou extorsion aggravée, quel que soit l'objet de celle-ci.

19. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Wyon - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 145-2 du code de procédure pénale ; article 224-5 du code pénal.

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