Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2021

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

Crim., 22 juin 2021, n° 21-80.407(B)

Annulation

Appel des ordonnances du juge d'instruction – Ordonnance de mise en accusation – Délai – Majeur protégé – Assistance du tuteur ou curateur – Défaut – Effet

Dès lors que la personne mise en examen dont la qualité de majeur protégé apparaît en procédure ne bénéficie pas de l'assistance de son tuteur ou curateur, elle ne peut être regardée comme étant en mesure de connaître les éventuelles nullités affectant la procédure, de sorte que le délai de forclusion de l'article 173-1 du code de procédure pénale ne court pas.

Excède en conséquence ses pouvoirs le président de la chambre de l'instruction qui déclare irrecevable la requête en nullité d'un majeur protégé formée plus de six mois après sa mise en examen, alors qu'au moment de celle-ci, l'intéressé, qui avait déclaré lors de sa garde à vue qu'il était sous curatelle sans être en mesure de communiquer les coordonnées de son curateur, n'était pas assisté de ce dernier ou d'un conseil désigné par lui.

M. [R] [W] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom, en date du 15 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui, des chefs d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, viol et violences aggravés, a déclaré irrecevable sa requête en nullité de la procédure.

Par ordonnance en date du 1er mars 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 28 décembre 2019, à la suite d'un signalement, les gendarmes sont intervenus dans un appartement pour secourir une femme et ont procédé à l'interpellation de M. [W].

3. Le 30 décembre 2019, à l'issue de sa garde à vue, l'intéressé a été mis en examen des chefs d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, viol et violences aggravés. Il a été placé en détention provisoire.

4. Par courrier daté du 28 juillet 2020, un avocat a informé le juge d'instruction qu'il était saisi par le curateur de M. [W],

La croix marine Auvergne-Rhône-Alpes, et qu'il assistait l'intéressé dans le cadre de l'information judiciaire.

5. Ledit avocat a saisi, le 14 décembre 2020, la chambre de l'instruction d'une requête tendant à l'annulation, notamment, de la garde à vue et de l'interrogatoire de première comparution de M. [W].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré irrecevable la requête en nullité formée par Me Ribes, conseil de M. [W], le 14 décembre 2020, alors « que le délai de six mois prévu par l'article 173-1 précité du code de procédure pénale ne saurait courir à l'encontre d'un majeur protégé, mis en examen, tant que son curateur n'a pas été avisé des actes en cause, conformément aux dispositions précitées des articles 706-112-1 et 706-113 du code de procédure pénale ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la requête en nullité formée par le conseil de M. [W] le 14 décembre 2020, que le délai de six mois prévu par l'article 173-1 du code de procédure pénale avait couru à l'encontre de celui-ci et avait ainsi expiré le 30 juin 2020, malgré l'absence de notification des actes argués de nullité au curateur de M. [W], quand un tel délai ne pouvait être opposé au majeur protégé tant que son curateur n'avait pas été informé desdits actes, le président de la chambre de l'instruction a commis un excès de pouvoir, en violation des articles préliminaire, 173, 173-1, 706-112-1, 706-113 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 173 et 173-1 du code de procédure pénale :

7. Il résulte du premier de ces textes, en son dernier alinéa, que le président de la chambre de l'instruction, lorsque celle-ci est saisie par une partie d'une requête en annulation d'actes ou de pièces de la procédure, ne peut constater son irrecevabilité que dans l'un des cas limitativement énumérés audit article.

8. S'il résulte du second de ces textes, que sous peine d'irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, une telle irrecevabilité ne peut lui être opposée dans le cas où elle n'aurait pu en connaître.

9. Pour déclarer irrecevable la requête en nullité déposée dans l'intérêt de M. [W], l'ordonnance retient notamment que lors de son audition en garde à vue du 28 décembre 2019 à 18 heures 55, le mis en examen a déclaré qu'il était sous curatelle et qu'il n'était pas en mesure de communiquer les coordonnées de son curateur.

10. Le juge ajoute que M. [W] était assisté d'un avocat lors de sa mise en examen et qu'à l'issue de l'interrogatoire de première comparution, au cours duquel il a décidé d'user de son droit au silence, il a déclaré qu'il renonçait à l'assistance d'un avocat pour la suite de la procédure.

11. Le président de la chambre de l'instruction conclut que dès lors que les moyens de nullité tirés de ce que le mis en examen était placé sous un régime de protection étaient connus lors de son interrogatoire de première comparution et pouvaient être soulevés dès cet acte de procédure par le mis en examen ou son conseil, le délai de forclusion prévu par l'article 173-1 du code de procédure pénale a commencé à courir le 30 décembre 2019 pour se terminer le 30 juin 2020.

12. Il précise encore que la désignation d'un autre conseil postérieurement à cette date ne constitue pas une hypothèse permettant de proroger le délai de forclusion.

13. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.

14. En effet, en premier lieu, lorsqu'il apparaît en procédure, comme au cas présent, que la personne concernée est un majeur protégé, selon l'article 706-113 du code de procédure pénale, son curateur ou son tuteur doit être avisé, d'une part, des poursuites et des décisions de condamnation dont cette personne fait l'objet, d'autre part, de la date de toute audience concernant la personne protégée.

15. En second lieu, dès lors que le majeur protégé mis en examen ne bénéficie pas de l'assistance de son tuteur ou curateur, l'intéressé ne peut être regardé comme étant en mesure de connaître les éventuelles nullités affectant la procédure, de sorte que le délai ne court pas.

16. D'où il suit que l'annulation est encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom, en date du 15 décembre 2020 ;

CONSTATE que, du fait de l'annulation prononcée, la chambre de l'instruction se trouve saisie de la requête déposée par le demandeur ;

ORDONNE le retour de la procédure à cette juridiction autrement présidée.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Barbier - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 173-1 du code de procédure pénale.

Crim., 1 juin 2021, n° 21-81.847(P)

Cassation

Détention provisoire – Décision de prolongation – Motifs – Indications particulières – Circonstances justifiant la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure – Nécessité – Cas

Méconnaît les dispositions de l'article 145-3 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui pour prolonger la détention provisoire de la personne mise en examen, retient que l'information est en voie d'achèvement, sans préciser de délai.

CASSATION ET IRRECEVABILITE sur les pourvois formés par M. [Q] [S] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8ème section, en date du 12 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'enlèvement, vol en bande organisée, tentative d'assassinat, et association de malfaiteur en récidive, a prolongé sa détention provisoire.

Joignant les pourvois en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte notamment des chefs de d'enlèvement, vol en bande organisée et tentative d'assassinat, M. [S] a été mis en examen de ces chefs et placé sous mandat de dépôt criminel par ordonnance du juge des libertés et de la détention du 4 septembre 2017.

3. Ce mandat a été régulièrement renouvelé, jusqu'à l'ordonnance du juge d'instruction du 8 mars 2021, disant n'y avoir lieu à saisine du juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la détention.

4. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.

Sur la recevabilité du pourvoi formé le 18 mars 2021

5. Le demandeur ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait le 17 mars 2021, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision.

6. Seul est recevable le pourvoi formé le 17 mars 2021.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une durée de six mois, alors :

« 2°/ que lorsque la détention provisoire excède un an en matière criminelle, les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent comporter les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure ; que, pour prolonger la détention pour une durée de six mois, après avoir exposé les indices graves ou concordant pesant sur le mis en examen, l'arrêt retient que la détention est le seul moyen de parvenir à l'objectif visé notamment par 2° de l'article 144 du code de procédure pénale et constate, pour justifier la nécessité d'éviter une concertation entre les mis en examen et des pressions sur les victimes et les témoins, que l'information judiciaire, qui est en voie d'achèvement, se poursuit par de dernières vérifications sur commissions rogatoires notamment à l'étranger (Pays-Bas, Belgique, Russie) ; qu'en statuant ainsi, sans préciser le délai d'achèvement de la procédure, la chambre de l'instruction a violé l'article 145-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145-3 du code de procédure pénale :

9. Aux termes de ce texte, lorsque la durée de la détention excède un an en matière criminelle, les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent comporter les indications particulières qui justifient, en l'espèce, la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure.

10. Pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction et prolonger la détention de M. [S], l'arrêt attaqué énonce notamment que la détention provisoire est l'unique moyen d'empêcher une concertation frauduleuse entre l'intéressé et ses complices ainsi qu'une pression sur les victimes et les témoins eu égard au contexte très violent de cette affaire, en ce que l'instruction judiciaire, qui, est en voie d'achèvement, se poursuit par de dernières vérifications à l'étranger, outre que les résultats d'une enquête réalisée en Belgique viennent de parvenir au juge d'instruction, lesquels pourraient donner lieu à d'autres investigations qu'il s'agit de préserver.

11. En prononçant ainsi, sans préciser le délai prévisible d'achèvement de la procédure, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé le 18 mars 2021 :

Le déclare irrecevable ;

Sur le pourvoi formé le 17 mars 2021 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 12 mars 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 145-3 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant de l'obligation, au regard des dispositions de l'article 145-3 du code de procédure pénale, de préciser les circonstances particulières justifiant la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure, à l'occasion de l'appel contre une ordonnance ayant pour objet de prolonger la détention provisoire d'un mis en examen au-delà d'un an, à rapprocher : Crim., 24 novembre 2010, pourvoi n° 10-86.347, Bull. crim. 2010, n° 187 (cassation).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.