Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 24 juin 2020, n° 19-85.874, (P)

Rejet

Saisies spéciales – Procédure de sauvegarde – Portée

Le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde n'interdit pas que soit ordonnée la saisie pénale spéciale des biens appartenant au bénéficiaire de cette mesure.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour confirmer l'ordonnance de saisie d'un immeuble appartenant à une société commerciale placée sous sauvegarde, relève que le prononcé de cette mesure n'interdit pas que soit ordonnée une telle saisie.

REJET sur le pourvoi formé par la société S... et Cie contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 1er juillet 2019, qui, dans l'information suivie contre MM. F... M..., X... K..., T... S..., H... S..., I... V..., et Mme D... M..., des chefs d'escroquerie en bande organisée, tentative et complicité, blanchiment en bande organisée, et tromperie sur les qualités substantielles en bande organisée, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale du juge d'instruction.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre de l'information judiciaire susvisée, la société S... et Cie, exploitant dans un hôtel particulier situé [...], à Paris (75), la galerie d'art éponyme, spécialisée depuis 1875 dans le mobilier et les objets d'art du XVIIIe siècle, a été mise en cause pour avoir vendu à des collectionneurs plusieurs pièces qui n'étaient pas authentiques comme ayant été fabriquées au cours du dernier quart du XXe siècle.

3. M. T... S..., directeur général de la société, et M. H... S..., administrateur, notamment, ont été mis en examen.

4. Par ordonnance en date du 6 juillet 2017, le juge d'instruction a ordonné la saisie de l'hôtel particulier et de ses annexes, appartenant à la société S..., à titre d'instrument du délit de tromperie sur les qualités substantielles.

5. Le conseil de la société S... a interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale de l'hôtel particulier et de ses annexes sis [...] à Paris, alors :

« 1°/ que d'une part, l'article L. 622-21 du code de commerce, qui pose le principe d'interdiction des voies d'exécution et des saisies conservatoires en procédure de sauvegarde, fait obstacle à ce qu'une saisie pénale spéciale portant sur un bien appartenant à une entreprise en difficulté soit ordonnée après le jugement d'ouverture de la procédure collective ; qu'en l'espèce, une procédure de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de la société S... et Cie par un jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 22 juillet 2016 ; que, par une ordonnance du 6 juillet 2017, un juge d'instruction a ordonné la saisie pénale de l'hôtel particulier qui lui appartenait ; qu'en confirmant cette mesure de saisie ordonnée postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé ;

2°/ que d'autre part, l'article 706-147 du code de procédure pénale, en vertu duquel les saisies spéciales sont applicables y compris lorsqu'elles sont ordonnées après la date de cessation des paiements, déroge uniquement aux dispositions de l'article L. 632-1 du code de commerce relatif à la procédure de redressement judiciaire et non aux règles applicables à la procédure de sauvegarde, laquelle n'implique pas un état de cessation des paiements ; que, dès lors, en se fondant sur les dispositions de ce texte pour écarter l'application de l'article L. 622-21 du code de commerce, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée de l'article 706-147 du code de procédure pénale et violé l'article L. 622-21 du code de commerce ;

3°/ qu'en tout état de cause, l'article 706-147 du code de procédure pénale, dont il résulte qu'une saisie pénale spéciale peut être ordonnée après la date de cessation des paiements, a seulement pour objet de préserver la validité des saisies spéciales ordonnées au cours de la période suspecte, qui est définie rétroactivement par le jugement d'ouverture de la procédure collective ; qu'en revanche, et faute de le prévoir expressément, ce texte n'autorise pas la saisie pénale d'un bien appartenant à l'entreprise en difficulté postérieurement audit jugement, ce bien étant alors régi par les règles prévues par le code de commerce en matière de procédures collectives ; qu'en retenant, pour confirmer la saisie critiquée ordonnée après l'ouverture de la procédure de sauvegarde au bénéfice de la société exposante, que l'article 706-147 du code de procédure pénale « écarte expressément le jeu des nullités liées à la procédure de la faillite », la chambre de l'instruction a donc méconnu le sens et la portée de ce texte et violé les règles applicables à la procédure de sauvegarde, en particulier les dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce.»

Réponse de la Cour

7. Pour confirmer la saisie, l'arrêt relève notamment qu'au regard de l'article 706-147 du code de procédure pénale qui écarte expressément le jeu des nullités liées à la procédure de faillite, il y a lieu de constater que l'ordonnance de saisie prise par le juge d'instruction postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, ne saurait être annulée pour violation de l'ordre public de la faillite.

8. Si c'est à tort que la chambre de l'instruction s'est fondée sur les dispositions de l'article 706-147 du code de procédure pénale qui ne sont pas applicables en l'espèce, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors que le prononcé d'une mesure de sauvegarde au bénéfice du propriétaire d'un immeuble n'interdit pas que soit ordonnée la saisie pénale de celui-ci.

9. En effet, aucune disposition légale non plus que réglementaire n'interdit au juge des libertés et de la détention, ni au juge d'instruction d'ordonner la saisie pénale d'un immeuble en application de l'article 706-150 du code de procédure pénale, dont le propriétaire bénéficie d'une procédure de sauvegarde, dès lors que cette mesure, que ces magistrats ont le pouvoir d'ordonner dans le cadre des procédures pénales afin de garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l'article 131-21 du code pénal, est d'une nature propre et ne s'analyse pas en une procédure d'exécution au sens de l'article L. 622-21, II, du code de commerce (2e Civ., 5 décembre 2019, pourvoi n° 17-23.576 ; Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-85.820).

10. Le moyen doit ainsi être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale de l'hôtel particulier sis [...] à Paris et de ses annexes, alors :

« 1°/ que d'une part, en retenant, pour confirmer l'ordonnance déférée, que le bien immobilier saisi constituait l'instrument de la tromperie, sans expliquer en quoi l'exposition des objets d'art litigieux en ce lieu avait permis de tromper les acheteurs sur leur nature, leur espèce, leur origine, leurs qualités substantielles, leur composition ou leur teneur, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 706-150 du code de procédure pénale et 131-21, alinéa 2, du code pénal ;

2°/ que d'autre part, l'exposante soutenait dans son mémoire régulièrement déposé qu'à tout le moins, l'appartement situé sur la parcelle cadastrée [...], qui servait de simple lieu de stockage pour les meubles et objets, ne pouvait être considéré comme l'instrument ayant permis la commission du délit de tromperie ; qu'en affirmant, pour retenir que l'immeuble saisi constituait l‘instrument de la tromperie et confirmer l'ordonnance entreprise, que l'hôtel particulier servait de mise en scène à la vente du mobilier et des objets d'art, sans répondre à ce chef péremptoire du mémoire qui excluait l'existence d'un lien causal entre ledit appartement et l'infraction, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 706-150 du code de procédure pénale et 131-21, alinéa 2, du code pénal.

3°/ qu'en outre, il résulte des dispositions de l'article 706-150 du code de procédure pénale que seuls sont susceptibles de faire l'objet d'une saisie pénale les immeubles dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal ; qu'il ressort du deuxième alinéa de ce texte qu'un bien ayant servi à la commission de l'infraction n'est susceptible d'être confisqué qu'autant qu'il appartient au condamné ou que celui-ci en a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi ; que, dès lors, en s'abstenant de répondre à l'articulation essentielle du mémoire qui soutenait que les personnes mises en examen n'avaient pas la libre disposition de l'immeuble saisi sur ce fondement, qui appartient à la société exposante, tiers à la procédure, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 706-150 du code de procédure pénale et 131-21, alinéa 2, du code pénal.

4°/ qu'enfin, la proportionnalité de l'atteinte portée par une saisie pénale au droit de propriété doit être appréciée au regard de la gravité des faits et de la situation personnelle de l'intéressé ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter le moyen tiré du caractère disproportionné de la saisie critiquée, que la valeur du bien immobilier saisi était inférieure au montant provisoire évalué du préjudice, sans s'expliquer sur la gravité concrète des faits ni sur la situation personnelle de l'exposante, tiers saisi qui bénéficie actuellement d'une procédure de sauvegarde ouverte antérieurement à la décision de saisie pénale, et au cours de laquelle l'inaliénabilité dudit bien, qui constitue son entier patrimoine immobilier, a été prononcée le 5 octobre 2017 par le tribunal ce commerce de Paris, ce qui témoigne de son caractère indispensable à la continuation de l'entreprise, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 706-150 du Code de procédure pénale et 131-21 du Code pénal. »

Réponse de la Cour

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branche

12. Pour confirmer la saisie, l'arrêt relève, par motifs propres, que c'est par des motifs pertinents que le juge d'instruction a démontré que l'hôtel particulier servait de mise en scène à la vente du mobilier et des objets d'art, déterminant les clients à acheter des articles de grande valeur, et constituait dès lors l'instrument de la tromperie.

13. Les juges ajoutent, par motifs expressément adoptés, que l'hôtel particulier objet de la saisie se voulait un écrin qui compte autant que le bijou, un article du magasine Forbes, intitulé Billionaires'Ikea, en date du 10 août 2007, mentionnant que l'effet des dizaines de pièces parfaites disposées sur les cinq étages de la maison S... est à « tomber par terre », car la galerie n'occupe pas un nombre limité de pièces ou d'étages de l'hôtel particulier, mais s'étend sur tous les étages, jusqu'à l'intérieur des appartements des membres de la famille S..., cette singularité étant revendiquée comme correspondant à « l'esprit S... ».

14. Ils en concluent que l'hôtel particulier servait de mise en scène à la vente du mobilier et des objets d'art, déterminant les clients à acheter des articles de grande valeur, et constituait dès lors l'instrument de la tromperie.

15. En se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte que l'immeuble saisi, dont les différentes composantes forment un tout indivisible, a permis la commission de l'infraction, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

16. Ainsi les griefs ne sauraient être accueillis.

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche

17. Le grief est inopérant, dès lors que, d'une part, pour confirmer la saisie, la chambre de l'instruction a relevé, après avoir énoncé les indices justifiant cette appréciation, que la société S... et Cie, à qui appartient l'immeuble saisi, est susceptible d'être mise en examen pour tromperie sur la nature, l'origine, les qualités substantielles de meubles faussement présentés comme étant d'époque Louis XIV ou ayant été réalisés au 18e siècle, au préjudice des acquéreurs, d'autre part, que, lorsque la saisie est ordonnée au cours de l'information judiciaire, la mise en examen de la personne mise en cause ne constitue pas un préalable nécessaire à la saisie des biens lui appartenant (Crim., 7 décembre 2016, pourvoi n° 16-81.280 ; Crim., 4 mars 2020, pourvoi n° 19-81.371, P+B).

18. Le grief doit ainsi être rejeté.

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

19. Pour écarter le moyen pris du caractère disproportionné de la saisie, l'arrêt, après avoir décrit l'activité de la société S... et Cie, relève l'importance de cette société sur le marché du mobilier et des objets d'art, qu'elle fait l'objet d'une procédure de sauvegarde et que le préjudice dénoncé en l'état du dossier s'élève à la somme totale de 27 030 971 euros alors que l'immeuble saisi a été évalué par France Domaine à 23 500 000 euros, de sorte que l'atteinte au droit de propriété portée par la saisie ne présente pas un caractère disproportionné au regard des circonstances de l'infraction et du montant provisoire évalué du préjudice et du caractère conservatoire de la saisie.

20. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a apprécié le caractère proportionné de l'atteinte portée par la saisie au droit au respect des biens de la société S... et Cie, au regard de sa situation personnelle et de la gravité concrète des faits, a justifié sa décision.

21. Ainsi le moyen ne saurait être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 706-147 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la portée d'une procédure de sauvegarde sur la saisie des biens du bénéficiaire de cette mesure, à rapprocher : 2e Civ., 5 décembre 2019, pourvoi n° 17-23.576, Bull. 2019 (cassation) ; Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-85.820, Bull. crim. 2019 (rejet).

Crim., 24 juin 2020, n° 19-84.631, (P)

Cassation

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Saisie d'une somme d'argent versée sur un compte bancaire – Procédure – Communication des pièces du dossier motivant la saisie – Défaut – Portée

Constituent des pièces de la procédure se rapportant à la saisie, au sens du second alinéa des articles 706-153 et 706-154 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, le procès-verbal constatant les opérations de saisie initiale, la requête du ministère public sollicitant le maintien de celle-ci, l'ordonnance attaquée et la décision de saisie précisant les éléments sur lesquels se fonde cette mesure.

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de s¿assurer que ces pièces ont été mises à la disposition de l'appelant auquel elles doivent être nécessairement communiquées en application des dispositions susvisées.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. H... S... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 28 mai 2019, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de travail dissimulé, fraude fiscale et blanchiment, a confirmé une ordonnance de saisie rendue par le juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La situation de H... S..., postier à Saint-Laurent du Maroni et qui exerce également la profession de garagiste, a été signalée au procureur de la République de Cayenne qui a diligenté une enquête préliminaire au regard du train de vie de l'intéressé, propriétaire de plusieurs véhicules.

3. L'enquête patrimoniale a permis d'établir que le mis en cause, qui dirige également la société MJ World Service spécialisée dans le nettoyage, vit en concubinage avec Mme B... W..., avec laquelle il a eu quatre enfants, celle-ci déclarant vivre seule aux services fiscaux et sociaux.

4. M. S... n‘a déclaré, entre 2015 et 2017, que les revenus perçus de sa profession de facteur, soit environ 22 000 euros par an. Cependant, l'enquête a révélé que la société MJ World Service avait conclu des contrats avec plusieurs municipalités générant des revenus à hauteur de 243 000 euros sur les quatre dernières années que le mis en cause n'a jamais déclarés.

5. D'autres virements bancaires pouvant correspondre à des ventes ou réparations de véhicules figuraient également à l'actif du compte de cette société.

6. M. S... possède plusieurs véhicules légers, poids lourds ou motos, tandis que sa concubine, salariée d'une société moyennant une rémunération mensuelle de 1 200 euros, allocataire de la CAF à hauteur de 700 euros par mois, est propriétaire de deux véhicules, dont une Audi A 6.

7. Plusieurs véhicules ont fait l'objet d'une saisie dans le cadre de l'enquête, de même que, le 12 février 2019, le solde créditeur d'un compte bancaire dont est titulaire M. S... auprès de la Banque postale d'un montant de

8 050 euros.

8. Le juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la république, a autorisé le maintien de cette saisie en valeur du produit de l'infraction par une ordonnance du 18 février 2019 dont le mis en cause a interjeté appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en sa seconde branche

9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles 1er et 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, des 10ème et 11ème alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, des articles 34 de la Constitution, 3 et 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 706-154, 591 et 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a autorisé le maintien de la saisie de la somme de 8 050 euros, réalisée par procès-verbal en date du 12 février 2019, inscrite au crédit du compte bancaire ouvert au nom de M. S... dans les livres de la Banque postale de Cayenne, alors :

« 1°/ que les dispositions de l'article 706-154 du code de procédure pénale sont contraires aux articles 1er et 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ou à tout le moins entachées d'incompétence négative au regard de l'article 34 de la Constitution, en ce qu'elles prévoient que la saisie pénale « s'applique indifféremment à l'ensemble des sommes » inscrites au crédit du compte bancaire d'une personne physique, sans que soit laissée à sa disposition, dans la limite du solde créditeur du ou des comptes au jour de la saisie, une somme à caractère alimentaire d'un montant égal au montant forfaitaire, pour un allocataire seul, du revenu de solidarité active ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et de constater, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale. »

Réponse de la Cour

12. Par arrêt distinct du 29 janvier 2020, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre cette question au Conseil constitutionnel. Il en résulte que le grief est sans objet.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1er, de la Convention des droits de l'homme, préliminaire, 706-154 et 591 du code de procédure pénale.

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a autorisé le maintien de la saisie de la somme de 8 050 euros, réalisée par procès-verbal en date du 12 février 2019, inscrite au crédit du compte bancaire ouvert au nom de M. S... dans les livres de la Banque postale de Cayenne, alors :

« 1°/ que constituent des pièces de la procédure se rapportant à la saisie, au sens du second alinéa de l'article 706-154 du code de procédure pénale, l'autorisation donnée par le procureur de la République à l'officier de police judiciaire de procéder à la saisie pénale de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire, le procès-verbal de saisie et la requête du ministère public tendant à ce qu'elle soit maintenue ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que les seules pièces de la procédure mises à disposition de l'appelant ont été le réquisitoire du procureur général et la copie de l'avis d'audience (arrêt, p. 2, § 5 et 6), outre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui lui a été notifiée ; qu'en confirmant cette ordonnance, sans que ni l'autorisation initiale du ministère public, ni le procès-verbal de saisie établi par l'officier de police judiciaire, ni la requête par laquelle le procureur de la République avait saisi le juge des libertés et de la détention n'aient été mis à la disposition de l'appelant, quand ces pièces de la procédure devaient nécessairement l'être, la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 1er, de la Convention des droits de l'homme, préliminaire, 706-154 et 591 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en se bornant, pour établir le caractère confiscable des sommes saisies, à énoncer qu'« au soutien de ce maintien de la saisie, le juge a[vait] estimé que les éléments de la procédure laissaient penser que H... S... pourrait avoir dissimulé entièrement son activité économique et le produit de celle-ci, caractérisant ainsi les délits de travail dissimulé par dissimulation d'activité et blanchiment de fraude fiscale » (arrêt, p. 5, § 2), sans apprécier par elle-même l'existence de raisons plausibles de soupçonner la commission de ces infractions, la chambre de l'instruction, qui a méconnu l'étendue de ses propres pouvoirs, a violé les articles 6, § 1er, de la Convention des droits de l'homme, préliminaire, 706-154, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen pris en sa première branche

Vu les articles 706-153 et 706-154 du code de procédure pénale :

15. Il résulte de ces textes que l'appelant d'une ordonnance de saisie spéciale du solde créditeur d'un compte bancaire peut prétendre, dans le cadre de son recours, à la mise à disposition des pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste.

16. Selon les mentions de l'arrêt attaqué, le Procureur général a déposé au greffe le dossier de la procédure contenant son réquisitoire signé et la copie de l'avis d'audience envoyé au demandeur le 4 avril 2019 et adressé, par fax avec accusé de réception, à son avocat le même jour.

17. En l'état de ces énonciations qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer qu'ont été mis à la disposition du demandeur et de son conseil, d'une part, le procès-verbal constatant les opérations de saisie initiale, d'autre part la requête du ministère public sollicitant le maintien de celle-ci, lesquels devaient nécessairement lui être communiqués, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

18. La cassation est encourue de ce chef.

Et sur le moyen pris en sa seconde branche

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

19. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

20. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention maintenant la saisie du solde créditeur du compte bancaire dont le demandeur est titulaire, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que tant l'article 324-7 du code pénal concernant le blanchiment que l'article L. 8224-5 du code du travail relatif au délit de travail dissimulé prévoient la peine de confiscation, énonce que la saisie du produit direct ou indirect de l'infraction en nature comme en valeur, est possible dans ces cas.

21. Les juges ajoutent que, conformément à l'article 706-154 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, s'est prononcé par ordonnance motivée sur le maintien de la saisie dans le délai de 10 jours à compter de la saisie, de la somme de 8 050 euros, opérée par les officiers de police judiciaire le 12 février 2019.

22. Ils relèvent ensuite qu'au soutien du maintien de la saisie, le juge a estimé que les éléments de la procédure laissaient penser que M. S... pourrait avoir dissimulé entièrement son activité économique et le produit de celle-ci, caractérisant ainsi les délits de travail dissimulé par dissimulation d'activité et blanchiment de fraude fiscale.

23. Ils concluent que cette saisie n'apparaît nullement disproportionnée au regard du montant du produit des infractions et que c'est à bon droit que le juge des libertés et de la détention a maintenu la saisie.

24. En l'état de ces énonciations, alors qu'elle était tenue de s'assurer, par des motifs propres, de l'existence d'indices laissant présumer la commission des infractions sur la base desquelles la saisie du solde créditeur d'un compte bancaire a été ordonnée, à la date où elle se prononce sur le maintien de celle-ci, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

25. La cassation est à nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 28 mai 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de Fort de France, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité, pour la chambre de l'instruction qui confirme une ordonnance de saisie, de s'assurer que la pièce sur laquelle se fonde cette décision a bien été communiquée au propriétaire des fonds saisis, lorsque ce dernier est demeuré tiers à la procédure, à rapprocher : Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-87.097, Bull. crim. 2019 (cassation), et l'arrêt cité.

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