Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

JURIDICTIONS DE L'APPLICATION DES PEINES

Crim., 17 juin 2020, n° 19-84.791, (P)

Cassation

Cour d'appel – Chambre de l'application des peines – Compétence – Mandat d'arrêt européen – Principe de spécialité – Exception

Doit être cassé l'arrêt d'une chambre de l'application des peines qui juge qu'elle n'est pas compétente pour apprécier le contentieux des mandats d'arrêt européen et renvoie au ministère public le soin de mettre ou non à exécution la décision qu'elle prononce, alors que l'exception prise de la violation du principe de spécialité de l'article 695-18 du code de procédure pénale avait été soulevé devant elle et qu'il lui appartenait d'en apprécier le bien fondé.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. V... X... contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2019, qui a prononcé la révocation totale d'un sursis avec mise à l'épreuve.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Un mandat d'arrêt a été décerné à l'encontre de M. V... X... par un juge d'instruction de Nanterre.

Le procureur de la République près cette juridiction a émis par la suite un mandat d'arrêt européen.

3. Le 26 novembre 2018, M. X... a été remis à la France par les autorités judiciaires britanniques. Il a été placé sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention.

4. Le 5 décembre 2018, a été notifié à M. X... un jugement du juge de l'application des peines de Créteil du 17 septembre 2015, ordonnant la révocation totale d'un sursis avec mise à l'épreuve prononcé par jugement du 21 juin 2012 du tribunal correctionnel de Bobigny pour des faits commis du 6 au 21 juin 2010.

5. M. X... a interjeté appel de ce jugement.

6. Le 30 janvier 2019, M. X... a comparu devant un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre qui lui a demandé s'il renonçait à la règle de spécialité concernant, notamment, le jugement du juge de l'application des peines de Créteil du 17 septembre 2015.

7. M. X... n'a pas renoncé au principe de spécialité.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à statuer sur l'exécution du mandat d'arrêt européen et d'avoir, en confirmation du jugement du juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Créteil en date du 17 septembre 2015, ordonné la révocation en totalité du sursis avec mise à l'épreuve de vingt-quatre mois prononcé par le tribunal correctionnel de Bobigny le 21 juin 2012 à l'encontre de M. V... X..., alors « que lorsque le ministère public qui a émis un mandat d'arrêt européen a obtenu la remise de la personne recherchée, celle-ci ne peut être poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l'exécution d'une peine privative de liberté pour un fait quelconque antérieur à la remise et autre que celui qui a motivé cette mesure, sauf dans l'un des cas prévus à l'article 695-18 du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, M. X... a été remis aux autorités françaises le 26 novembre 2018 en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis à la suite d'un mandat d'arrêt décerné le 3 octobre 2018 ; que la cour d'appel a, en confirmation du jugement du 17 septembre 2015, révoqué en totalité le sursis avec mise l'épreuve de deux ans prononcé par un jugement définitif du tribunal correctionnel de Bobigny le 21 juin 2012 portant sur des faits datant de 2010 qui n'avaient pas été envisagés lors de la remise de M. X... aux autorités françaises, aux termes de laquelle celui-ci a été détenu, entre le 5 décembre 2018 et le 15 mai 2019, en vue de l'exécution d'une peine prononcée pour des faits antérieurs à la remise et qui n'avaient pas motivé cette mesure ; qu'en se bornant à se déclarer incompétente sur le contentieux relatif à l'exécution des mandats d'arrêt européens et à laisser au ministère public le soin de satisfaire aux dispositions relatives à la règle de la spécialité du mandat d'arrêt européen, cependant qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de l'irrégularité de la détention de M. X..., qui a entraîné celle de la procédure aux termes de laquelle elle a statué, la cour d'appel a violé les articles 695-18, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 27, § 2, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 695-18 du code de procédure pénale :

10. Selon ce texte, et sauf dans les cas qu'il prévoit, lorsque le ministère public qui a émis le mandat d'arrêt européen a obtenu la remise de la personne recherchée, celle-ci ne peut être poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l'exécution d'une peine privative de liberté pour un fait quelconque antérieur à la remise et autre que celui qui a motivé cette mesure.

11. Pour révoquer le sursis avec mise à l'épreuve relatif à une peine prononcée pour des faits antérieurs à la remise de M. X..., la cour énonce qu'en application des dispositions de l'article 695-18 du code de procédure pénale, elle n'est pas compétente pour statuer sur le contentieux relatif à l'exécution des mandats d'arrêts européens et qu'il appartiendra au ministère public de décider de mettre ou de ne pas mettre à exécution la peine d'emprisonnement résultant de la révocation du sursis, assortie de l'exécution provisoire, au regard des dispositions applicables au mandat d'arrêt européen.

12. En se déterminant ainsi, alors que l'exception prise de la violation du principe de spécialité avait été soulevée devant elle et qu'il lui appartenait donc d'en apprécier le bien-fondé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Moreau (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Guéry - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article 695-18 du code de procédure pénale.

Crim., 17 juin 2020, n° 20-80.240, (P)

Cassation

Peines – Exécution – Peine privative de liberté – Libération conditionnelle – Débat contradictoire – Défaut – Portée

Méconnaît les articles préliminaire et 712-3 du code de procédure pénale, la chambre de l'application des peines qui fonde sa décision sur des éléments de fait et des pièces qui n'ont pas été contradictoirement débattus devant le premier juge, en l'absence de l'avocat du condamné, sans recueillir les observations de ce dernier, au besoin après réouverture des débats.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. F... I... S... contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Lyon, en date du 25 novembre 2019, qui a prononcé sur sa libération conditionnelle.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement en date du 5 septembre 2019, le juge d'application des peines, saisi par M. I... S..., l'a admis au bénéfice de la libération conditionnelle à compter du 17 septembre 2019, sous diverses conditions.

3. Le procureur de la République a formé un recours suspensif contre cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement rendu en première instance par le juge de l'application des peines de Villefranche- sur-Saône sans entendre ni faire comparaître M. I... S... à l'audience d'appel, alors que son avocat n'était pas présent et soutient que la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité suite à sa transmission, conditionne le sort du présent moyen de cassation et qu'en cas de déclaration d'inconstitutionnalité, et en fonction de la date d'abrogation de la disposition attaquée, la décision attaquée sera cassée pour violation de la loi et défaut de base légale, en application des articles 591 et 593 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

6. Le moyen est devenu sans objet dès lors que la Cour de cassation a dit, par arrêt du 25 mars 2020, n'y avoir lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Mais sur le moyen relevé d'office

Vu les articles préliminaire et 712-3 du code de procédure pénale :

7. Selon le premier de ces textes, la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

8. Il résulte du second que lors de l'examen en appel des jugements mentionnés aux articles 712-6 et 712-7 du code de procédure pénale, la chambre de l'application des peines statue après débat contradictoire, le condamné, représenté par son avocat, n'étant pas entendu sauf si celle-ci en décide autrement.

9. Pour infirmer, sur les réquisitions orales du ministère public, le jugement ayant accordé à M. I... S... le bénéfice d'une libération conditionnelle, la chambre de l'application des peines, qui a constaté l'absence de son avocat et le dépôt d'un mémoire demandant la confirmation de la mesure de libération conditionnelle, retient, outre ses antécédents judiciaires, le fait qu'il possède un patrimoine important à Barcelone, la moitié de la propriété de sa mère après son décès survenu en 2015, d'autres biens indivis avec son frère en Andorre, et qu'il n'a mis en place aucun échéancier avec l'administration des douanes pour s'acquitter de l'amende douanière de 37 000 euros prononcée par le tribunal correctionnel de Digne-les-Bains le 11 juillet 2018.

10. Les juges concluent que, dans ces conditions, et même si M. I... S... justifie des efforts effectués depuis son incarcération, d'une possibilité d'emploi en Espagne, d'un logement et d'un entourage familial disposé à l'accueillir, la mesure de libération conditionnelle-expulsion n'apparaît pas opportune, étant relevé au surplus que rien n'établit que son état de santé ne serait pas compatible avec la détention.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés.

12. En effet, il lui appartenait, pour fonder sa décision sur des éléments de fait et des pièces qui n'avaient pas été contradictoirement discutés devant le premier juge, de recueillir les observations du condamné non représenté, en procédant à son audition, au besoin après réouverture des débats.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Lyon susvisé, en date du 25 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Turbeaux - Avocat général : Mme Zientara-Logeay -

Textes visés :

Article préliminaire et 712-3 du code de procédure pénale.

Crim., 24 juin 2020, n° 20-90.009, (P)

QPC - Irrecevabilité

Peines – Exécution – Suspension – Suspension pour raison médicale – Conditions – Évaluation de dangerosité (non)

Les personnes condamnées qui bénéficient de la suspension de peine pour raisons de santé prévue par l'article 720-1-1 du code de procédure pénale peuvent être placées en libération conditionnelle dans les conditions prévues par l'article 729, dernier alinéa, du même code, sans que les dispositions de l'article 730-2 de ce code, prévoyant une évaluation de leur dangerosité sous le régime de l'incarcération, reçoivent application.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-7, par arrêt en date du 5 mai 2020, reçu le 6 mai 2020 à la Cour de cassation, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité dans la procédure suivie sur la demande de libération conditionnelle présentée par Mme T... O....

LA COUR,

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« L'article 730-2 du code de procédure pénale porte-t-il une atteinte excessive au principe d'égalité devant la loi et la justice tel qu'il résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen visée par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 en tant qu'il soumet l'octroi de la libération conditionnelle à une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé chargé de l'observation de personnes détenues ? »

2. Selon les articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être renvoyée au Conseil constitutionnel que lorsque la disposition contestée est applicable au litige ou constitue le fondement des poursuites.

3. Or, l'article 730-2 du code de procédure pénale, en tant qu'il subordonne l'octroi de la libération conditionnelle à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité du condamné dans un service spécialisé, sous le régime de la détention, n'est pas applicable à la présente procédure.

En effet :

4. Mme O... a été condamnée, par arrêt de la cour d'assises du Var, du 29 janvier 2010, à dix-huit ans de réclusion criminelle pour meurtre et vol.

5. Alors qu'elle exécutait cette peine, elle a été placée sous le régime de la suspension de peine pour motif médical grave, sur le fondement de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale.

6. Pour maintenir cette suspension de peine et rejeter la requête en libération conditionnelle présentée par Mme O..., le tribunal de l'application des peines de Draguignan énonce, par jugement du 19 septembre 2019, que cette dernière mesure ne peut être prononcée, selon l'article 730-2 du code de procédure pénale, compte tenu de la peine prononcée, qu'après une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée, devant être conduite sous le régime de l'incarcération, impossible à réaliser compte tenu de l'état de santé de l'intéressée, lequel est incompatible avec la détention.

7. Mme O... a relevé appel de ce jugement, et le ministère public a formé appel incident.

8. Devant la juridiction du second degré, Mme O... a déposé, par mémoire spécial, la question prioritaire de constitutionnalité précitée, transmise à la Cour de cassation par arrêt prononcé, le 5 mai 2020, par la chambre de l'application des peines.

9. Cependant, les personnes condamnées qui bénéficient de la suspension de peine prévue par l'article 720-1-1 du code de procédure pénale peuvent être placées en libération conditionnelle dans les conditions fixées par l'article 729, dernier alinéa, du même code, sans que les dispositions de l'article 730-2 reçoivent application.

11. En conséquence, la question est irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLE la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu - Avocat général : M. Petitprez -

Textes visés :

Articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; article 730-2 du code de procédure pénale.

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