Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 16 juin 2020, n° 20-81.911, (P)

Cassation

Chambre de l'instruction – Ordonnance de placement – Appel – Délai – Etat d'urgence – Etat d'urgence sanitaire – Prolongation du délai – Cas

Dès lors qu'il résulte de la combinaison des articles 15 et 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 que le délai imparti à la chambre de l'instruction par l'article 194 du code de procédure pénale pour statuer sur l'appel d'une ordonnance en matière de détention provisoire est prolongé d'un mois pour toutes les détentions provisoires en cours ou débutant à compter du 26 mars 2020, date de publication de l'ordonnance susvisée, la chambre de l'instruction, saisie de l'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire du 15 mars 2020 disposait, pour statuer, d'un délai d'un mois et 10 jours à compter de l'appel du 17 mars 2020 et se trouvait encore dans les délais lors de l'examen et du prononcé de l'arrêt le 07 avril 2020, peu important que le délai d'appel du détenu ait expiré antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance.

CASSATION sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Paris contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour, 8e section, en date du 7 avril 2020, qui, dans l'information suivie contre M. W... S... des chefs de vols en bande organisée et violences volontaires aggravées, a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 15 mars 2020, M. S..., mis en examen des chefs de vols et tentatives de vols en bande organisée pour sept faits distincts, ainsi que pour violences volontaires sur une personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, a été placé en détention provisoire pour une durée d'un an.

3. Appel a été relevé de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles 15 et 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.

5. Il critique l'arrêt en ce qu'il a estimé non applicable à l'espèce l'ordonnance entrée en vigueur le 26 mars 2020 prévoyant la prolongation d'un mois du délai imparti à la chambre de l'instruction pour statuer, en raison de l'expiration antérieurement intervenue du délai d'appel de l'intéressé, alors que cette ordonnance était, en vertu de son article 15, applicable à toutes les détentions provisoires en cours ou débutant à sa date de publication.

Réponse de la Cour

Vu les articles 15 et 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 :

6. Il résulte de la combinaison des articles susvisés que les délais impartis à la chambre de l'instruction, par l'article 194 du code de procédure pénale, pour statuer sur l'appel d'une ordonnance en matière de détention provisoire, ont été prolongés d'un mois pour toutes les détentions provisoires en cours ou débutant à compter du 26 mars 2020, date de publication de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.

7. Pour dire que le délai imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel formé par M. S... le 17 mars 2020 contre l'ordonnance le plaçant en détention provisoire, était expiré lors de l'examen de l'affaire le 7 avril 2020, l'arrêt attaqué énonce que la chambre de l'instruction aurait dû statuer au plus tard le 2 avril 2020 et que la prolongation d'un mois prévue par l'article 18 de l'ordonnance du 25 mars 2020 était inapplicable dès lors que le délai d'appel dont disposait M. S... expirait le 25 mars 2020, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de ladite ordonnance.

8. En se déterminant ainsi, alors que la prolongation d'un mois prévue par l'article 18 de l'ordonnance sus-visée, entrée en vigueur le 26 mars 2020, s'appliquait à toutes les détentions en cours à cette date et donc à celle de M. S... ordonnée le 15 mars 2020, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

9. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 avril 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Ménotti - Avocat général : Mme Philippe - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Articles 15 et 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ; article 194 du code de procédure pénale.

Crim., 4 juin 2020, n° 20-81.736, (P)

Cassation sans renvoi

Demande de mise en liberté – Article 148 du code de procédure pénale – Délai imparti pour statuer – Mentions incomplètes – Effet

Le délai prévu par l'article 148 dernier alinéa du code de procédure pénale ne peut être considéré comme dépassé lorsque cest en raison de mentions incomplètes quant à la juridiction destinataire que la demande de mise en liberté formée et signée par la personne mise en examen a été adressée au greffe du juge d'instruction saisi du dossier.

Méconnaît, en conséquence, les dispositions des articles 148, 148-4 et 148-7 du code de procédure pénale la chambre de l'instruction qui, saisie de l'appel formé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, ordonne la mise en liberté de la personne détenue en raison du dépassement du délai de 20 jours prévu par les articles 148 et 148-4 dudit code, faute pour elle d'avoir été saisie, dans les formes exigées par l'article 148-7 du code de procédure pénale, de la demande directe de mise en liberté.

CASSATION sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Paris contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour, en date du 26 février 2020, qui, dans l'information suivie contre M. Y... C... et autres, des chefs d'infraction à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a ordonné sa mise en liberté et l'a placé sous contrôle judiciaire.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. C... a été mis en examen le 18 septembre 2019, notamment des chefs de transport, détention, offre ou cession, acquisition sans autorisation administrative d'une substance ou plante classée comme stupéfiant, participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement, puis placé en détention provisoire.

3. Le 28 janvier 2020, une demande de mise en liberté de M. C... a été formalisée par le greffe de l'établissement pénitentiaire qui y a joint le courrier manuscrit de la personne mise en examen dans lequel celle-ci a visé l'article 148-4 du code de procédure pénale en précisant qu'elle n'avait toujours pas été entendue par le juge.

4. La demande de mise en liberté a été transmise le jour même au greffe du juge d'instruction désigné dans la déclaration signée par M.C... comme destinataire de la demande, cette déclaration mentionnant également que l'intéressé sollicitait sa comparution devant la chambre de l'instruction.

5. A réception de cette demande, le juge d'instruction a ensuite saisi le juge des libertés et de la détention, qui, par ordonnance du 3 février 2020, a rejeté la demande de mise en liberté.

6. Le 12 février 2020, M. C... a formé appel de cette ordonnance.

7. Son avocat a soutenu dans un mémoire déposé devant la chambre de l'instruction que la demande de mise en liberté, transmise par erreur au juge d'instruction qui n'était pas compétent pour la traiter, avait été réceptionnée tardivement au greffe de la chambre, au delà du délai de vingt jours dont le point de départ devait être fixé au « 31 janvier 2020 ».

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen, pris de la violation ou fausse application des articles 148-7, 186 et 194 du code de procédure pénale, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir remis en liberté M. C... et de l'avoir placé sous contrôle judiciaire alors « que le requérant a signé une déclaration de demande de mise en liberté qui a été transmise sans délai au greffier de la juridiction saisie du dossier, conformément à l'article 148-7 du code de procédure pénale, que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel de l'ordonnance rejetant cette demande, devait statuer sur la recevabilité et le fondement de ce recours, conformément aux articles 186 et 194 du code de procédure pénale, et que la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses constatations selon lesquelles les actes émanant du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention étaient sans existence juridique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 148, 148-4 et 148-7 du code de procédure pénale :

9. Il se déduit de ces textes que le délai prévu par l'article 148, dernier alinéa, du code de procédure pénale ne peut être considéré comme ayant été dépassé lorsque c'est en raison de mentions incomplètes quant à la juridiction destinataire que la demande de mise en liberté formée et signée par la personne mise en examen a été adressée au greffier de la juridiction saisie du dossier.

10. Pour décider la mise en liberté de M. C... et son placement sous contrôle judiciaire, l'arrêt attaqué énonce que la demande de mise en liberté de la personne mise en examen, enregistrée au greffe de l'établissement pénitentiaire, pourtant univoque, a été transmise par erreur au juge d'instruction, en lieu et place de la chambre de l'instruction.

11. Les juges relèvent que les actes du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention, non régulièrement saisis, doivent être considérés comme étant sans existence légale.

12. Les juges ajoutent qu'il résulte des dispositions combinées des articles 148 et 148-4 du code de procédure pénale que, en cas de saisine directe sur le fondement de ce dernier texte, la chambre de l'instruction se prononce dans les vingt jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d'office en liberté.

13. Ils en concluent que, la saisine étant du 28 janvier 2020, la cour n'a pu se prononcer dans les vingt jours de la saisine directe et que M. C... devait, en conséquence, être remis en liberté.

14. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et principes susvisés.

15. En effet, selon la déclaration formalisée le 28 janvier 2020 et dûment signée par M. C... qui en a validé le contenu, la demande de mise en liberté a été faite au juge d'instruction saisi du dossier et transmise aussitôt au greffe de ce dernier, ainsi régulièrement saisi.

16. En raison de l'effet dévolutif de l'appel formé contre l'ordonnance de rejet de demande de mise en liberté rendue par le juge des libertés et de la détention, régulièrement saisi par le juge d'instruction, il revenait à la chambre de l'instruction d'examiner le bien fondé de la détention provisoire de la personne mise en examen et de statuer sur la nécessité ou non du maintien de cette mesure au regard des énonciations de l'article 144 du code de procédure pénale.

17. La chambre de l'instruction ne pouvait ainsi fonder sa décision de mise en liberté sur le constat du dépassement du délai de vingt jours imparti par application de l'article 148-4 du code de procédure pénale, faute pour elle d'avoir été saisie, dans les formes exigées par l'article 148-7 du code de procédure pénale, d'une demande directe de mise en liberté.

18.La cassation est en conséquence encourue de ce chef.

19. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 26 février 2020.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Issenjou - Avocat général : Mme Zientara-Logeay -

Textes visés :

Articles 148, 148-4 et 148-7 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant d'une demande de mise en liberté présentée par un détenu et portant l'indication de deux juridictions ainsi que des mentions ambigues et incomplètes, à rapprocher : Crim., 8 aout 2018, pourvoi n° 18-83.518, Bull. crim. 2018, n° 136 (rejet).

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