Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 10 mai 2023, n° 23-80.876, (B), FRH

Rejet

Contrôle judiciaire – Interdiction – Interdiction de recevoir, de rencontrer ou d'entrer en relation avec certaines personnes – Cas – Avocat – Interdiction de recevoir, de rencontrer ou d'entrer en relation avec son associé unique – Assimilation à une interdiction de se livrer à une activités professionnelle (non)

Lorsqu'un avocat et son unique associé sont mis en examen dans la même procédure, l'obligation faite à chacun, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, de s'abstenir de rencontrer ou recevoir son associé, ou d'entrer en relation avec lui, ne fait pas obstacle à l'exercice de la profession d'avocat, quand bien même cet exercice devrait être aménagé de façon compatible avec cette obligation. Une telle mesure n'est donc pas de celles que seul le conseil de l'ordre des avocats peut ordonner en application de l'article 138, 12°, du code de procédure pénale.

M. [F] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 17 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de faux, usage de faux et escroquerie, a infirmé partiellement l'ordonnance du juge d'instruction le plaçant sous contrôle judiciaire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Suite à plusieurs signalements par l'officier du ministère public près le centre national de traitement de [Localité 2] de faux documents joints à des requêtes en incident contentieux introduites par le cabinet d'avocats [G]-[U] à [Localité 1], une information judiciaire a été ouverte.

3. Le 7 décembre 2022, M. [F] [U], associé du cabinet, a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction avec pour obligations de ne pas exercer la profession d'avocat, de ne pas sortir, sans autorisation préalable, de France métropolitaine, de ne pas fréquenter son associé M. [I] [G], également mis en examen, et de s'abstenir d'entrer en relation avec tous membres du cabinet [G]-[U], ainsi qu'avec Mme [W] [G], épouse du précité.

4. M. [U] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance du juge d'instruction, alors « qu'un avocat ne peut faire l'objet, au titre d'un contrôle judiciaire, d'une mesure d'interdiction d'exercice, de sorte qu'excède ses pouvoirs le juge d'instruction qui prononce une telle mesure dans le cadre d'un contrôle judiciaire ; qu'au cas d'espèce, le juge d'instruction a, par ordonnance du 7 décembre 2022, placé Maître [U], avocat au barreau de [Localité 1], sous contrôle judiciaire, et a soumis celui-ci à l'obligation de « ne pas se livrer à l'activité professionnelle ou sociale suivante : avocat » ; qu'en retenant, pour écarter l'exception de nullité soulevée par la défense, qu' « il est de principe qu'à l'occasion d'un appel visant à réformer une mesure déférée, la nullité ne peut être invoquée qu'à raison d'un vice affectant l'existence de l'acte ou la compétence du magistrat l'ayant rendue », qu'« ainsi, l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire ne saurait, en tant que tel, constituer un abus de pouvoir » et que « la critique relative au bien fondé ou à la régularité des obligations prévues par l'article 138 ne saurait être sanctionnée de la nullité de l'ordonnance » quand il lui incombait de constater que le juge d'instruction avait excédé ses pouvoirs, de sorte que son ordonnance devait être annulée, la chambre de l'instruction a violé les articles 24 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 138, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel l'ordonnance du juge d'instruction était entachée d'excès de pouvoir, l'arrêt attaqué énonce notamment que la nullité d'un acte ne peut être invoquée qu'à raison d'un vice affectant son existence ou la compétence de son auteur.

7. Les juges ajoutent que la critique du bien-fondé ou de la régularité des obligations prévues par l'article 138 du code de procédure pénale ne saurait être sanctionnée par la nullité de l'ordonnance.

8. En statuant ainsi, et dès lors que le juge d'instruction était compétent pour placer la personne mise en examen sous contrôle judiciaire, seule la mesure d'interdiction d'exercer la profession d'avocat étant illégale, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

9. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction en ce qu'elle a soumis Maître [U] à l'interdiction de fréquenter Maître [G], alors « que le juge d'instruction ne peut, dans le cadre du contrôle judiciaire, prononcer une mesure assimilable à l'interdiction d'exercer l'activité d'avocat prévue à l'article 138, 12°, du code de procédure pénale et relevant exclusivement de la compétence d'attribution du Conseil de l'Ordre ; qu'est assimilable à l'interdiction d'exercer l'activité d'avocat toute mesure qui a pour objet ou pour effet d'entraver l'exercice normal de cette activité ; qu'au cas d'espèce, le juge d'instruction a, dans le cadre du contrôle judiciaire imposé à Maître [U], interdit à ce dernier d'entrer en contact avec Maître [G], seul autre avocat et coassocié du cabinet de Maître [U] qu'en application de cette mesure, Maître [U] ne peut ni organiser la vie de son cabinet, faute de pouvoir communiquer avec le seul autre avocat et associé de la structure, ni même s'y rendre physiquement, sans prendre le risque de méconnaître les termes de son contrôle judiciaire qu'il s'ensuit que le juge d'instruction a bien, ce faisant, ordonné une mesure assimilable à l'interdiction d'exercer l'activité d'avocat prévue à l'article 138, 12°, du code de procédure pénale et relevant exclusivement de la compétence d'attribution du Conseil de l'Ordre ; qu'en retenant toutefois, pour confirmer cette mesure, que « la prohibition d'entrer en contact avec [I] [G] avec lequel il partage le fait d'être personnellement et directement impliqué dans la commission des infractions répond donc aux nécessités de l'instruction à ce stade de la procédure » et qu' « elle ne peut, en tant que tel, s'assimiler à une interdiction d'exercer la profession d'avocat, cette interdiction étant limitée et proportionnée aux finalités de l'article 144 du code de procédure pénale », quand ces motifs ne sont pas de nature à justifier que le juge d'instruction ait rendu impossible l'exercice de la profession d'avocat de Maître [U], ce que seul le Conseil de l'Ordre aurait pu faire, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 24 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 138, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Pour confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a interdit à M. [U] d'entrer en relation avec M. [G], également mis en examen, l'arrêt attaqué, après avoir infirmé cette décision en ce qu'elle interdisait à l'intéressé d'exercer la profession d'avocat et d'entrer en relation avec tous membres de son cabinet, énonce que la personne mise en examen doit être entendue, voire confrontée avec les autres personnes impliquées, dont son associé, et qu'il convient d'éviter toute concertation frauduleuse entre eux.

12. Les juges ajoutent que cette interdiction d'entrer en contact avec une personne qui est, comme lui, personnellement et directement impliquée dans l'infraction, répond aux nécessités de l'instruction et ne peut être assimilée à une interdiction d'exercer la profession d'avocat.

13. Ils relèvent qu'il convient également de prévenir le risque de renouvellement de l'infraction qui engendre un préjudice non seulement financier en soustrayant les auteurs d'infractions routières au paiement d'amendes mais crée, en outre, un risque d'accident accru, en entravant la répression des infractions routières.

14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

15. En effet, lorsqu'un avocat et son unique associé sont mis en examen dans la même procédure, l'obligation faite à chacun, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, de s'abstenir de rencontrer ou recevoir son associé, ou d'entrer en relation avec lui, ne fait pas obstacle à l'exercice de la profession d'avocat, quand bien même cet exercice devrait être aménagé de façon compatible avec cette obligation.

16. Le moyen doit donc être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction en ce qu'elle a soumis Maître [U] à l'interdiction de sortir, sans autorisation préalable, du territoire métropolitain, alors « que le juge d'instruction et, en appel, la chambre de l'instruction, doivent motiver le placement sous contrôle judiciaire au regard des « circonstances qui, à raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, le justifient » qu'il résulte de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire de Maître [U] que le juge d'instruction n'a jamais justifié l'interdiction qui lui a été imposée de sortir, sans autorisation préalable, du territoire métropolitain ; qu'en se bornant, pour confirmer cette mesure, à énoncer que « l'interdiction de sortir du territoire métropolitain sans autorisation répond à une mesure de sûreté destinée à s'assurer de sa représentation aux actes futurs de la procédure, et ce, alors que l'information judiciaire débute, que la mise en examen est récente et que la personne mise en examen doit être interrogée au fond » et qu' « au cours de son audition en garde à vue, il a évoqué le projet d'acquérir un bien immobilier à l'étranger et avoir transféré à cette fin la somme de 285 000 euros », quand ces motifs sont inopérants à établir l'existence d'un quelconque risque de non représentation en justice, s'agissant a fortiori d'un auxiliaire de justice installé près le tribunal judiciaire au sein duquel l'information judiciaire est ouverte, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 137, 138, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. Pour confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a interdit à M. [U] de sortir de France métropolitaine sans autorisation préalable, l'arrêt attaqué énonce que cette mesure est nécessaire afin de garantir sa représentation aux actes de la procédure, l'intéressé devant être interrogé au fond.

19. Les juges ajoutent que la personne mise en examen a indiqué avoir le projet d'acquérir un bien immobilier à l'étranger et avoir transféré à cette fin la somme de 285 000 euros.

20. En statuant ainsi, par des motifs dénués d'insuffisance comme de contradiction, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

21. Dès lors, le moyen ne peut être accueilli.

22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Michon - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 138 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le fait que l'interdiction faite à un avocat, dans le cadre d'une mesure de contrôle judiciaire, de rencontrer ou recevoir son client, ou d'entrer en relation avec lui ne peut être assimilé à interdiction, même partielle, de l'exercice de sa profession : Crim., 12 octobre 2011, pourvoi n° 11-85.885, Bull. crim. 2011, n° 205 ; Sur le fait qu'une interdiction de se rendre dans des lieux situés hors du ressort du barreau où il est inscrit ne peut être assimilé à interdiction de l'exercice de sa profession : Crim., 9 mars 2011, pourvoi n° 10-88.756, Bull. crim. 2011, n° 51.

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