Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

FICHIERS ET LIBERTES PUBLIQUES

Crim., 23 mai 2023, n° 22-83.462, (B), FRH

Rejet

Fichiers de police judiciaire – Plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) – Consultation – Agents habilités – Domaine d'application – Détermination

Les modalités d'accès à la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) sont spécifiques à celle-ci.

L'article R. 40-47 du code de procédure pénale n'exige d'habilitation spéciale et de désignation individuelle par le supérieur hiérarchique que pour les agents des douanes et agents des services fiscaux, les officiers et agents de police judiciaire disposant, conformément à l'article 14 du même code, d'une compétence générale les habilitant à accéder, aux fins de rechercher les preuves d'une infraction à la loi pénale, à la PNIJ.

Cependant, la consultation de la PNIJ aux fins d'accéder à l'ensemble des données, informations et contenus de communications enregistrés dans le traitement, qui implique l'authentification de l'enquêteur habilité, n'est régulière que si elle est préalablement autorisée, pour les besoins de la procédure, par le magistrat en charge de l'enquête ou de l'information.

Fichiers de police judiciaire – Plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) – Consultation – Accès à l'ensemble des données, informations et contenus de communications enregistrés – Autorisation par le magistrat – Nécessité

MM. [M] [U] et [T] [B] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 mai 2022, qui, dans l'information suivie contre le premier des chefs de trafic d'influence passif et recel de violation de secret professionnel, contre le second du chef de trafic d'influence actif, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 15 septembre 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Courant janvier et février 2019, deux plaintes ont été déposées par des commerçants de [Localité 2] (92), mettant en cause la probité de M. [M] [U], maire adjoint de la commune.

3. L'interception de la ligne téléphonique de ce dernier a mis en évidence de possibles trafics d'influence, concernant notamment un projet de marina pour lequel il était en contact régulier avec M. [T] [B], directeur général délégué de la société [1].

4. Le 5 juin 2019, une information a été ouverte contre personne non dénommée.

5. MM. [U] et [B] ont été mis en examen des chefs précités.

6. M. [U] a déposé une requête en nullité, à laquelle s'est associé M. [B].

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. [U]

7. La déclaration de pourvoi a été faite au nom de M. [U] par un avocat au barreau de Paris, n'exerçant pas près la juridiction qui a statué et n'ayant pas justifié du pouvoir spécial exigé par l'article 576 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.

8. Dès lors, le pourvoi n'est pas recevable.

Examen des moyens

Sur le second moyen

9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen proposé pour M. [B] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité formée par M. [U], à laquelle M. [B] s'est associé, a dit n'y avoir lieu à annulation et a constaté la régularité de la procédure jusqu'à la cote D. 5242, alors « qu'il résulte de l'article R. 40-47 du code de procédure pénale que seuls les officiers et agents de police judiciaire spécialement habilités et individuellement désignés par leur supérieur hiérarchique peuvent accéder aux données de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires ; qu'en retenant, pour écarter le moyen de nullité soulevé par M. [B], tiré du défaut d'habilitation des enquêteurs pour recourir à la PNIJ, que « seuls les statuts d'agents des douanes et agents des services fiscaux nécessitent d'être spécialement habilités et individuellement désignés par leurs supérieurs hiérarchiques à la différence des OPJ et APJ de la gendarmerie nationale et de la police judiciaire, qui ne nécessitent ni habilitation spéciale ni désignation de la part de leur supérieur hiérarchique pour accéder aux données et informations enregistrées dans le traitement » (arrêt attaqué, p. 10, al. 2), quand les officiers et agents de police judiciaires accédant à la PNIJ doivent au contraire être spécialement habilités et individuellement désignés, de sorte que le défaut de désignation et d'habilitation de l'enquêteur ayant accédé à la PNIJ dans la procédure en cause entachait d'irrégularité les procès-verbaux d'interceptions téléphoniques litigieux, la chambre de l'instruction a violé les articles R. 40-47 du code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article 230-45 du code de procédure pénale que, sauf impossibilité technique, les réquisitions et demandes adressées en application des articles 60-2, 74-2, 77-1-2, 80-4, 99-4,100 à 100-7, 230-32 à 230-44, 706-95 et 709-1-3 dudit code ou de l'article 67 bis-2 du code des douanes sont transmises par l'intermédiaire de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) qui organise la centralisation de leur exécution.

12. Aux termes de l'article R. 40-47 du code de procédure pénale, dans sa version issue du décret n° 2014-1162 du 9 octobre 2014, applicable au moment des faits, « pour les besoins des procédures dont ils sont saisis, les officiers et agents de police judiciaire de la gendarmerie et la police nationales, respectivement visés aux 2° à 4° de l'article 16 et à l'article 20 dudit code ainsi que les agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires, respectivement visés par les articles 28-1 et 28-2 du code précité, spécialement habilités et individuellement désignés par leur supérieur hiérarchique, accèdent aux données et informations enregistrées dans le traitement » automatisé de données à caractère personnel dénommé PNIJ, « à l'exception de celles qui sont placées sous scellés ».

13. Le moyen pose la question de savoir si les termes de cet article « spécialement habilités et individuellement désignés par leur supérieur hiérarchique » doivent se lire comme se rapportant aux seuls agents des douanes et des services fiscaux, dans la mesure où l'énumération de ces personnes précède immédiatement l'exigence précitée ou si ces termes posent une exigence commune applicable également aux officiers et agents de police judiciaire de la gendarmerie et de la police nationales.

14. L'article R. 40-47 précité est inséré dans le chapitre III bis intitulé « De la plate-forme nationale des interceptions judiciaires » du titre IV du livre premier du code de procédure pénale, partie réglementaire, alors que les dispositions relatives à la consultation des fichiers de police judiciaire, objet des articles R. 40-23 à R. 40-38-1 dudit code, sont insérées dans un chapitre II.

15. Il s'en déduit que les modalités d'accès à la PNIJ sont spécifiques à celle-ci.

16. La consultation de la PNIJ aux fins d'accéder à l'ensemble des données, informations et contenus de communications enregistrés dans le traitement, qui implique l'authentification de l'enquêteur habilité, n'est régulière que si elle est préalablement autorisée, pour les besoins d'une procédure déterminée, par le magistrat en charge de l'enquête ou de l'information.

17. Il s'ensuit que l'article R. 40-47 du code de procédure pénale doit être interprété comme n'exigeant d'habilitation spéciale et de désignation individuelle par le supérieur hiérarchique que pour les agents des douanes et agents des services fiscaux, les officiers et agents de police judiciaire disposant, conformément à l'article 14 du même code, d'une compétence générale les habilitant à accéder, aux fins de rechercher les preuves d'une infraction déterminée à la loi pénale, à la PNIJ.

18. En l'espèce, pour déclarer régulier le procès-verbal d'interceptions téléphoniques de la ligne attribuée à M. [B], l'arrêt attaqué énonce, notamment, que les termes « spécialement habilités » et « individuellement désignés » figurant dans l'article R. 40-47 du code de procédure pénale se rapportent aux agents des douanes et des services fiscaux visés par les articles 28-1 et 28-2 dudit code, et non aux officiers et agents de police judiciaire de la gendarmerie et de la police nationales, lesquels ont une compétence générale et peuvent accéder à la PNIJ sans habilitation spéciale ni désignation individuelle, mais par une authentification forte depuis leur poste de travail grâce à leur carte d'agent de réquisition professionnelle.

19. Les juges concluent qu'aucune habilitation spécifique n'était dès lors nécessaire à M. [C] [O], brigadier de police, pour effectuer les réquisitions auprès de la PNIJ, de sorte que le procès-verbal d'interceptions téléphoniques du 18 novembre 2019 est parfaitement régulier.

20. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

21. En effet, il résulte des pièces de la procédure que, d'une part, le juge d'instruction en charge de l'information ouverte le 5 juin 2019 a donné commission rogatoire aux enquêteurs aux fins de procéder à l'interception de la ligne téléphonique de M. [B] à compter du 18 novembre 2019 (D 5234-D 5235), d'autre part, le procès-verbal aux fins d'interception de ladite ligne téléphonique a été établi, le même jour, par un enquêteur agissant sur autorisation d'un magistrat (D 2528).

22. Le moyen ne peut dès lors qu'être écarté.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [U] :

LE DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé par M. [B] :

LE REJETTE.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Maziau - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Spinosi ; SCP Nicolaý, de Lanouvelle -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 14 et R. 40-47 du code de procédure pénale.

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