Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MANDAT D'ARRET EUROPEEN

Crim., 10 mai 2022, n° 22-82.379, (B), FRH

Rejet

Exécution – Conditions d'exécution – Respect des droits fondamentaux dans l'Etat d'émission – Contrôle (non)

Le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d'arrêt européen repose lui-même sur la confiance réciproque entre les Etats membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l'Union européenne, et il n'appartient par conséquent pas à l'Etat d'exécution, hors du cas d'une défaillance systémique ou généralisée dans l'Etat d'émission, d'assurer un contrôle du respect des droits fondamentaux par ce dernier.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un double degré de juridiction par la condamnation dont l'exécution est poursuivie par le mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires belges, énonce que la procédure en cause a été validée par la jurisprudence interne de l'Etat d'émission.

Exécution – Remise – Refus – Cas – Défaut de comparution personnelle lors du procès – Opportunité – Appréciation souveraine des juges du fond

L'opportunité du refus de remise de la personne qui n'a pas comparu personnellement lors du procès à l'issu duquel a été prononcée la peine dont l'exécution est poursuivie par le mandat d'arrêt européen, rendu facultatif par l'article 695-22-1 du code de procédure pénale issu de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

M. [D] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 30 mars 2022, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires belges, en exécution de deux mandats d'arrêt européens.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Deux mandats d'arrêt européens ont été émis par les autorités judiciaires belges contre M. [D] [W] en exécution, respectivement, d'une peine de cinq ans d'emprisonnement prononcée par arrêt du 4 décembre 2020 de la cour d'appel de Liège pour des faits, notamment, d'extorsion et blanchiment, et d'une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violation du secret professionnel, dénonciation calomnieuse et outrage à magistrat, prononcée par arrêt du 10 octobre 2006 de la même cour, sursis révoqué à la suite de la première décision citée.

3. M. [W] a été interpellé sur le territoire français et les deux mandats d'arrêt européens lui ont été notifiés.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la remise de M. [W] à l'autorité judiciaire du royaume de Belgique en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis à son encontre le 3 février 2022 pour l'exécution d'une peine privative de liberté de cinq ans d'emprisonnement, fondée sur un arrêt de la cour d'appel de Liège du 20 avril 2021 déclarant non avenue une opposition contre un arrêt du 4 décembre 2020 des chefs d'extorsion, faux et usage de faux, blanchiment recel, blanchiment conversion, la peine restant à exécuter étant de mille huit cent vingt-cinq jours d'emprisonnement, alors :

« 1°/ qu'il est constant que la condamnation prononcée le 4 décembre 2020 l'a été hors la présence de M. [W], et sans appel possible par l'effet de la loi belge ; que l'article 14-5° du Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques édicte le droit a un double degré de juridiction en matière pénale ; M. [W] faisait valoir que la référence de la décision cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d'arrêt européen au respect des droits fondamentaux (paragraphe 10 du préambule à cette décision), impliquait le respect du pacte et de son article 14 ; qu'en se bornant à renvoyer au traité sur l'Union européenne, à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 14-5° du Pacte précité, la décision-cadre du 13 juin 2002 et les droits de la défense ;

2°/ qu'il est constant que M. [W] n'a pas comparu en personne lors des débats ayant abouti à la condamnation prononcée à son encontre le 4 décembre 2020 ; que si le juge français d'exécution dispose désormais de la possibilité d'accorder la remise dès lors que l'intéressé a été informé « dans les formes légales et effectivement de manière non équivoque de la date et du lieu fixés pour le procès de la possibilité qu'une décision puisse être rendue à son encontre en cas de non-comparution » (article 695-22-1, 1°, du code de procédure pénale), cette possibilité ne peut être utilisée que si le défaut n'a pas placé l'intéressé de façon manifeste dans une situation disproportionnée face aux droits de la défense ; que faute d'avoir opéré cette recherche indispensable, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale ;

3°/ que le texte précité prévoit que l'intéressé doit avoir été informé « dans les formes légales et effectivement de manière non équivoque » de la date et du lieu fixés pour son procès ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué lui-même que M. [W], qui n'a pas comparu en personne, n'a pas été cité à personne mais aurait été informé « officiellement et par d'autres moyens » de la date et du lieu du procès qui a mené à la décision ; que ces motifs imprécis ne permettent absolument pas de savoir si la double condition cumulative de l'article 695-22-1 d'une convocation dans les formes légales et effectives était remplie, et ne permet pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle ; qu'en usant d'une possibilité de remise dont il n'est pas acquis qu'elle était légalement acquise, la chambre de l'instruction a violé l'article 695-22-1, 1°, du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en toute hypothèse, le juge français d'exécution ne saurait user de la faculté que lui ouvre ce texte lorsque le défaut (quelles qu'en soient les raisons) est combiné, par l'effet de la loi de l'Etat d'émission, à une absence d'appel, et en l'espèce un refus d'examiner à nouveau la décision sur opposition qui a été déclarée non avenue ; que cette double circonstance place nécessairement l'intéressé dans une situation disproportionnée au regard des droits de la défense, et interdisait la remise ; que la chambre de l'instruction a ainsi violé le texte précité outre les droits de la défense et l'article 695-11 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour ordonner la remise de M. [W] aux autorités judiciaires belges, l'arrêt attaqué énonce qu'en application de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 applicable à l'espèce, l'absence de comparution de la personne à l'audience ayant donné lieu à sa condamnation est un motif facultatif de refus de remise en exécution d'un mandat d'arrêt européen.

7. Les juges relèvent qu'il ressort de l'arrêt du 4 décembre 2020 de la cour d'appel de Liège que M. [W] a été informé de l'audiencement de l'affaire et a participé aux audiences du 13 novembre 2019, du 15 janvier 2020, du 17 février 2020 et du 26 mai 2020, formant notamment trente-et-une requêtes aux fins de faire obstacle au jugement, donnant lieu à cinq arrêts de rejet de la Cour de cassation de Belgique.

8. Ils soulignent qu'à l'audience du 4 septembre 2020, après le rejet d'une dernière demande de renvoi fondée à la fois sur des motifs médicaux, sur une requête en dessaisissement et sur une plainte déposée contre un greffier de la juridiction et un avocat des parties civiles, l'avocat de M. [W] s'est retiré, se déclarant sans mandat pour représenter ce dernier en son absence.

9. Les juges ajoutent que l'opposition formée contre l'arrêt de condamnation rendu le 4 décembre 2020 à la suite de cette audience a été déclarée irrecevable, la cour d'appel relevant que la demande de renvoi présentée par M. [W] était fondée sur un certificat médical de complaisance, que sa non-comparution n'était pas justifiée par un motif légitime et que l'intéressé s'était lui-même privé du droit à une procédure contradictoire qu'il possédait alors et pouvait aisément exercer.

10. Ils en déduisent que M. [W] a été tenu au courant de la procédure, a été mis en mesure d'y participer, y a comparu pour solliciter des renvois, et a eu connaissance de la décision de condamnation, dont il a relevé opposition, l'arrêt du 20 avril 2021 déclarant celle-ci irrecevable ayant fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation de Belgique.

11. Les juges ajoutent que l'impossibilité de relever appel de la décision de condamnation en application de l'article 479 du code d'instruction criminelle belge a été validée par la jurisprudence interne belge.

12. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

13. En effet, en premier lieu, l'opportunité d'un refus de remise rendu facultatif par l'article 695-22-1 du code de procédure pénale relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

14. En second lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d'arrêt européen repose lui-même sur la confiance réciproque entre les Etats membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l'Union, et qu'il n'appartient par conséquent pas à l'Etat d'exécution, hors du cas d'une défaillance systémique ou généralisée dans l'Etat d'émission, d'assurer un contrôle du respect des droits fondamentaux par ce dernier.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Charmoillaux - Avocat général : M. Lesclous - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 14, 5°, du Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques ; articles 695-11 et 695-22-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le contrôle du respect des droits fondamentaux dans l'Etat d'émission, à rapprocher : Crim., 20 mai 2014, pourvoi n° 14-83.138, Bull. crim. 2014, n° 135 (rejet), et l'arrêt cité.

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