Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 31 mai 2022, n° 22-81.459, (B), FRH

Rejet

Détention provisoire – Décision de prolongation – Débat contradictoire – Demande de renvoi – Réquisitions du ministère public – Droits de la défense – Parole en dernier du mis en examen ou de son conseil – Défaut – Effets

Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que la personne qui comparaît devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un débat contradictoire en matière de détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers. Lorsque le ministère public est entendu, au cours du débat contradictoire, sur une demande de renvoi présentée par la personne mise en examen ou son avocat, ceux-ci doivent pouvoir prendre à nouveau la parole après les réquisitions sur cette demande. Lorsque tel n'est pas le cas, la nullité du débat contradictoire qui en résulte relève de l'article 802 du code de procédure pénale.

L'existence d'un grief n'est établie que si la personne mise en examen, qui n'a pas eu la parole en dernier sur sa demande de renvoi, après les réquisitions du ministère public, a subi un préjudice, lequel doit résulter de l'irrégularité elle-même. Hormis le cas où, aucun renvoi n'étant possible en raison de la date d'expiration du mandat de dépôt, un tel préjudice est exclu, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher, en premier lieu, si, dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, la personne détenue a allégué qu'elle aurait été en mesure d'opposer au ministère public une argumentation opérante puis, en second lieu, si l'ordonnance du juge des libertés et de la détention répond à cette argumentation.

Doit être approuvé l'arrêt qui, pour écarter l'exception de nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prise de ce qu'en ne donnant pas la parole en dernier à la personne mise en examen après les réquisitions du ministère public sur sa demande de renvoi, la décision du juge lui a causé un grief, énonce que l'irrégularité constatée n'a pas porté atteinte aux droits de l'intéressé auquel il a été dit qu'il pouvait produire la pièce qu'il souhaitait remettre pendant le temps du délibéré. N'est en effet pas opérante l'argumentation selon laquelle la personne mise en examen aurait pu soutenir que l'administration pénitentiaire refuserait de transmettre ce document, dès lors que l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que ne peuvent être ni contrôlées ni retenues les correspondances échangées entre les personnes détenues et les autorités judiciaires.

M. [Y] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 27 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et sur les armes, association de malfaiteurs et blanchiment, en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [Y] [Z] a été mis en examen, le 30 avril 2021, des chefs susvisés.

3. Le débat contradictoire en vue du renouvellement de sa détention provisoire, fixé initialement au 14 décembre 2021, s'est tenu le 27 décembre suivant, en visioconférence.

4. Lors de la tenue dudit débat, l'avocat du demandeur a formulé une demande de renvoi en indiquant que M. [Z] souhaitait comparaître et remettre au juge une promesse d'embauche.

5. Après avoir entendu le ministère public et sans rendre la parole à la défense, le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande de renvoi, indiquant que l'intéressé pourrait adresser la promesse d'embauche au greffe avant le 28 décembre 2021 à 12 heures.

6. Par ordonnance du 28 décembre 2021, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [Z].

7. M. [Z] a interjeté appel de cette décision.

Le ministère public a interjeté appel incident.

Examen des moyens

Sur le second moyen

8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité soulevés par M. [Z] et confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire, alors :

« 1°/ que pour déterminer si la circonstance que, devant le juge des libertés et de la détention, le mis en examen n'ait pas eu la parole en dernier après les réquisitions du ministère public sur sa demande de renvoi lui a causé un grief, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher, en premier lieu, si dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, la personne détenue a allégué qu'elle aurait été en mesure d'opposer au ministère public une argumentation opérante puis, en second lieu, si l'ordonnance du juge des libertés et de la détention répond à cette argumentation ; qu'au cas d'espèce, dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, M. [Z] faisait valoir que s'il avait pu répliquer au ministère public qui avait requis le rejet de sa demande de renvoi sous la réserve qu'il puisse produire sa promesse d'embauche en délibéré, il aurait pu démontrer que cette solution n'était pas satisfaisante en ce qu'elle le mettait dans la dépendance de l'administration pénitentiaire pour l'envoi de cette pièce, ce qui n'était pas le cas dans le cas d'un renvoi ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation du débat contradictoire résultant de ce que M. [Z] n'a pas eu la parole après le ministère public, qu' « il n'est pas justifié d'un grief qui aurait porté atteinte aux droits de Monsieur [Z] auquel il a été dit qu'il pouvait produire la pièce qu'il souhaitait remettre pendant le temps du délibéré », quand le grief, dûment formulé dans le mémoire devant la chambre de l'instruction et auquel le juge des libertés et de la détention n'a pas répondu, résultait du fait que M. [Z] n'avait pas été en mesure de démontrer que la solution proposée par le ministère public (le refus de renvoi avec autorisation de produire la promesse d'embauche en délibéré) l'exposait, à la différence d'un renvoi, au risque que cette promesse ne soit pas adressée à temps par l'administration pénitentiaire au juge des libertés et de la détention, risque qui devait se réaliser et conduire à la prolongation de sa détention provisoire, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en affirmant, pour dénier tout grief subi par M. [Z] du fait de l'impossibilité de prendre la parole pour répliquer aux réquisitions du ministère public, que « le simple argument selon lequel le conseil de l'intéressé n'a pas été mis en mesure de convaincre le juge alors qu'il s'était déjà largement expliqué sur sa demande de renvoi en la présentant éta[it] insuffisant à caractériser le grief qu'il invoque », quand le grief invoqué par M. [Z] ne tenait pas dans l'impossibilité de réitérer sa demande de renvoi, mais de répliquer aux réquisitions du ministère public tendant au rejet de la demande de renvoi avec possibilité de production de la promesse d'embauche en délibéré, pour montrer les inconvénients d'une telle solution au regard de la transmission effective de la promesse d'embauche, la chambre de l'instruction a violé les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que la personne qui comparait devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un débat contradictoire en matière de détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers.

11. Il en résulte que lorsque le ministère public est entendu, au cours du débat contradictoire, sur une demande de renvoi présentée par la personne mise en examen ou son avocat, ceux-ci doivent pouvoir prendre à nouveau la parole après les réquisitions sur cette demande. Lorsque tel n'est pas le cas, la nullité du débat contradictoire qui en résulte relève de l'article 802 du code de procédure pénale.

12. L'existence d'un grief est établie lorsque le fait que la personne mise en examen n'ait pas eu la parole en dernier sur sa demande de renvoi, après les réquisitions du ministère public, lui a occasionné un préjudice. Ce préjudice doit résulter de cette irrégularité elle-même. Il ne peut dès lors être caractérisé par le seul refus du juge des libertés et de la détention de faire droit à la demande de renvoi.

13. La Cour de cassation juge que l'existence d'un préjudice doit être exclue s'il résulte des pièces de la procédure qu'aucun renvoi n'était possible en raison de la date d'expiration du mandat de dépôt. Dans les autres hypothèses, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher, en premier lieu, si dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, la personne détenue a allégué qu'elle aurait été en mesure d'opposer au ministère public une argumentation opérante puis, en second lieu, si l'ordonnance du juge des libertés et de la détention répond à cette argumentation (Crim., 8 mars 2022, pourvoi n° 21-87.213, publié au Bulletin).

14. Pour écarter l'exception de nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prise de ce qu'en ne donnant pas la parole en dernier à la personne mise en examen après la prise de parole du ministère public sur sa demande de renvoi, la décision du juge a causé un grief à M. [Z], l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte du procès-verbal de débat contradictoire qu'en violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 145 du code de procédure pénale, la parole n'a pas été donnée en dernier à la personne mise en examen.

15. Les juges ajoutent que, pour autant, il n'est pas justifié que cette irrégularité aurait porté atteinte aux droits de l'intéressé auquel il a été dit qu'il pouvait produire la pièce qu'il souhaitait remettre pendant le temps du délibéré, le simple argument selon lequel le conseil de M. [Z] n'a pas été mis en mesure de convaincre le juge alors qu'il s'était déjà largement expliqué sur sa demande de renvoi en la présentant, étant insuffisant à caractériser le grief qu'il invoque.

16. En prononçant ainsi, par des motifs dont il résulte qu'elle a retenu que l'argumentation que l'intéressé alléguait n'avoir pas pu développer n'était pas opérante, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

17. En effet, pour s'opposer au rejet de sa demande de renvoi, rejet requis par le ministère public au motif que la personne mise en examen pourrait faire parvenir au juge des libertés et de la détention, dans le temps du délibéré, la promesse d'embauche dont elle se prévalait, modalité que le juge a admise avant de procéder immédiatement au débat contradictoire, l'intéressé n'aurait pu utilement soutenir que l'administration pénitentiaire refuserait de transmettre ce document, alors qu'il résulte de l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 que ne peuvent être ni contrôlées ni retenues les correspondances échangées entre les personnes détenues et les autorités judiciaires.

18. Le moyen ne peut qu'être écarté.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des

articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Maziau - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; articles 145, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale ; article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.

Rapprochement(s) :

Crim., 8 mars 2022, pourvoi n° 21-87.213, Bull. crim. 2022 (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 11 mai 2022, n° 21-85.420, (B), FRH

Cassation par voie de retranchement sans renvoi

Saisie – Pouvoirs des juridictions d'instruction – Ordonnance de destruction ou de remise à l'AGRASC – Appel – Chambre de l'instruction – Pouvoirs – Exclusion – Restitution

En cas d'appel de l'ordonnance de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendue par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir de statuer sur la restitution des biens objet de ces décisions.

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, après avoir infirmé l'ordonnance rendue par le juge d'instruction de remise d'un véhicule automobile à l'AGRASC aux fins d'affectation à un service de police judiciaire, en ordonne la restitution à l'appelant.

Le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 9 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre M. [S] [V] des chefs d'escroquerie en bande organisée, transport, détention et mise en circulation de monnaie ayant cours légal contrefaisante ou falsifiée et association de malfaiteurs, a infirmé l'ordonnance de remise à l'AGRASC rendue par le juge d'instruction et ordonné la restitution.

Par ordonnance en date du 30 novembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt et des pièce de la procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 3 mai 2021, le juge d'instruction a ordonné la remise à l'AGRASC aux fins d'affectation à la direction territoriale de la police judiciaire de [Localité 1] d'un véhicule automobile Volvo V40 et de ses accessoires appartenant à M. [S] [V].

3. L'avocat de ce dernier a interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le moyen soulevé d'office et mis dans le débat

Vu les articles 99 et 99-2 du code de procédure pénale :

4. Il résulte du second de ces textes que les décisions de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendues par le juge d'instruction, sont notifiées au ministère public, aux parties intéressées et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant des droits sur le bien, qui peuvent les déférer à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99.

5. Ce texte ne prévoit pas, contrairement à l'article 41-5 du code de procédure pénale applicable pendant l'enquête ou lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou que la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur le sort des scellés, qu'à l'occasion de leur recours ces personnes peuvent demander la restitution des biens saisis ni que la chambre de l'instruction peut en ordonner d'office la restitution.

6. Par ailleurs, le deuxième alinéa du premier de ces textes donne compétence à la chambre de l'instruction pour directement statuer sur les requêtes en restitution seulement lorsque la requête a été formée conformément à l'avant-dernier alinéa de l'article 81 du même code et que le juge d'instruction s'est abstenu de statuer dans le délai d'un mois, le requérant pouvant alors saisir directement le président de la chambre de l'instruction qui statue conformément aux trois derniers alinéas de l'article 186-1 de ce code.

7. Enfin, interpréter l'article 99-2 du code de procédure pénale comme permettant à l'appelant des décisions de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendues par le juge d'instruction, de saisir la chambre de l'instruction d'une demande de restitution des biens objet de ces décisions, porterait atteinte aux droits des parties intéressées, lesquelles s'entendent des personnes à qui la restitution est susceptible de faire grief (Crim., 8 juillet 1997, pourvoi n° 96-84.306, Bull. crim. 1997, n° 268), à qui les décisions de restitution rendues par le juge d'instruction doivent être notifiées et qu'elles peuvent déférer à la chambre de l'instruction en application de l'article 99 du code de procédure pénale.

8. Il s'en déduit qu'en cas d'appel de l'ordonnance de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendue par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir de statuer sur la restitution des biens objet de ces décisions.

9. En l'espèce, après avoir infirmé l'ordonnance de remise à l'AGRASC rendue par le juge d'instruction en raison de l'atteinte disproportionnée portée au droit de propriété de M. [V], l'arrêt retient qu'il convient d'en ordonner la restitution à l'intéressé.

10. En se déterminant ainsi, alors que, saisie de l'unique objet du recours formé contre une ordonnance de remise à l'AGRASC aux fins d'affectation, elle ne pouvait pas prononcer sur la demande de restitution dont l'avait saisie le demandeur, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 9 septembre 2021, en ses seules dispositions ayant ordonné la restitution du véhicule Volvo V40 et de ses accessoires, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : Mme Bellone -

Textes visés :

Articles 99 et 99-2 du code de procédure pénale.

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