Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 31 mai 2022, n° 22-81.770, FRH

Cassation

Atteinte à la dignité – Recours préventif – Ordonnance du président de la chambre de l'instruction – Pourvoi en cassation – Possibilité

Le pourvoi formé contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction statuant sur une requête portant sur les conditions de détention d'une personne placée en détention provisoire est recevable.

Atteinte à la dignité – Recours préventif – Office du juge – Observations de l'administration pénitentiaire – Examen préalable de la recevabilité de requête – Conditions – Allégations circonstanciées, personnelles et actuelles

Selon l'article 803-8, I, alinéas 2 et 4, du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention déclare recevable la requête portant sur l'examen des conditions de détention si les allégations de conditions contraires à la dignité de la personne humaine y figurant sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve de ce qu'elles ne respectent pas la dignité de la personne. Ce n'est que si le juge estime la requête recevable qu'il fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l'administration pénitentiaire. Encourt dès lors la cassation l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction qui, pour confirmer la décision du juge des libertés et de la détention ayant déclaré irrecevable la requête de la personne détenue, énonce que les allégations figurant dans celle-ci sont contredites par les éléments d'un rapport du chef de l'établissement pénitentiaire, transmis avec elle, éléments étayés par les pièces qui y sont jointes.

M. [F] [I] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 3 mars 2022, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention déclarant irrecevable sa requête portant sur les conditions de détention.

Par ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la chambre criminelle a déclaré sans objet la requête sollicitant l'examen immédiat du pourvoi et ordonné la transmission des pièces de la procédure à la chambre criminelle, compétente pour statuer.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 2 avril 2020, M. [F] [I] a été mis en examen du chef de viol incestueux sur mineur de quinze ans et placé en détention provisoire, laquelle a fait l'objet d'une prolongation.

3. Par ordonnance du 1er octobre 2021, le juge d'instruction a ordonné le renvoi de l'intéressé devant le tribunal correctionnel du chef d'agression sexuelle incestueuse sur mineur de quinze ans et a, par ordonnance distincte, ordonné son maintien en détention.

4. Par arrêt du 3 décembre 2021, la chambre de l'instruction a déclaré irrecevables les appels relevés par l'intéressé de l'ordonnance en cause.

5. Sur pourvoi de celui-ci, la Cour de cassation a, par arrêt du 9 mars 2022, cassé et annulé cet arrêt et renvoyé la cause et les parties devant la chambre de l'instruction.

6. Entre-temps, par requête du 3 février 2022, M. [I], se disant victime de conditions de détention inhumaines et dégradantes à la maison d'arrêt d'[Localité 1], a, sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de voir ordonner une vérification de ses conditions de détention.

7. Par ordonnance du 11 février 2022, le juge des libertés et de la détention a déclaré sa requête irrecevable.

8. M. [I] a relevé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi

9. Il y a lieu de considérer, qu'à défaut de texte législatif contraire, l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction statuant sur une requête portant sur les conditions de détention d'une personne placée en détention provisoire entre dans les prévisions de l'article 567 du code de procédure pénale.

10. Dès lors, le pourvoi formé contre une telle décision est recevable.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen reproche à l'ordonnance attaquée de mentionner que les réquisitions du procureur général ont été notifiées au requérant et à son avocat par télécopie du 24 février 2022, alors que M. [I] n'a jamais reçu notification de ces réquisitions et que son avocat, M. [L] [N], par télécopie du 18 janvier 2022, a fait connaître au procureur de la République qu'il n'assurait plus sa défense ; la présidente de la chambre de l'instruction, qui n'a pas mis le requérant en mesure d'apporter ses éléments de preuve, tout en constatant par les éléments de la procédure qu'il ne pouvait bénéficier en détention des soins dentaires appropriés à son état, ce qui était de nature à faire conclure à une détention contraire à la dignité de la personne, a méconnu les articles préliminaire et 593 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

12. Il résulte de l'examen des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que, dans le cadre de l'examen de l'appel du requérant devant la présidente de la chambre de l'instruction, les réquisitions du procureur général ont été adressées pour notification le 24 février 2022 à l'avocat de M. [I], désigné par déclaration au greffe de l'établissement pénitentiaire depuis le 25 novembre 2021.

13. En cet état, les réquisitions du procureur général n'avaient pas à être adressées à M. [I], dès lors qu'il était assisté par un avocat.

14. En conséquence, le moyen doit être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen reproche à l'ordonnance attaquée d'avoir dit mal fondé l'appel de l'ordonnance ayant déclaré la requête tendant à l'examen des conditions de détention irrecevable, alors que la présidente de la chambre de l'instruction, qui a motivé sa décision notamment sur les éléments du rapport du chef d'établissement en date du 7 février 2022, devait constater que la requête avait été déclarée implicitement recevable par le juge des libertés et de la détention qui avait fait procéder à des investigations par le directeur de la maison d'arrêt, conformément aux dispositions de l'article 803-8, I, alinéa 4, du code de procédure pénale ; la présidente de la chambre de l'instruction, qui a en conséquence entaché sa décision d'une contradiction de motifs, a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

Vu l'article 803-8, I, alinéas 2 et 4, du code de procédure pénale :

16. Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention déclare recevable la requête portant sur l'examen des conditions de détention si les allégations de conditions contraires à la dignité de la personne humaine y figurant sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve de ce que ces conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne. Cette disposition vise à permettre le recours effectif et préventif exigé par la Convention européenne des droits de l'homme tout en le réservant aux situations dont la description par le requérant convainc le juge de faire usage de ses pouvoirs de vérification.

17. Ce n'est que si le juge estime la requête recevable qu'il fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l'administration pénitentiaire.

18. Il en résulte que, pour apprécier la recevabilité de la requête, le juge ne peut se fonder sur des observations de l'administration pénitentiaire qui lui ont été transmises avec celle-ci et qui répondent aux allégations qu'elle contient.

19. Selon les éléments du dossier, la requête et les pièces de M. [I] ont été transmises au juge des libertés et de la détention avec un rapport du chef de l'établissement pénitentiaire répondant aux allégations de conditions indignes de détention de l'intéressé et joignant à l'appui documents et photographies.

20. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant déclaré irrecevable la requête de M. [I], l'ordonnance attaquée énonce que les allégations figurant dans cette requête sont contredites par les éléments de ce rapport, parfaitement étayés par les pièces qui y sont jointes.

21. En statuant ainsi, la présidente de la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

22. La cassation est dès lors encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 3 mars 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : M. Quintard -

Textes visés :

Article 567 du code de procédure pénale ; article 803-8, I, alinéas 2 et 4, du code de procédure pénale.

Crim., 11 mai 2022, n° 22-81.213, (B), FRH

Rejet

Ordonnance de mise en accusation – Effets – Ordonnance de refus de prolongation de la détention provisoire – Appel du ministère public – Appel devenu sans objet

Est devenu sans objet l'appel interjeté, par le procureur de la République, contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé de prolonger la détention provisoire du mis en examen et l'ayant placé sous contrôle judiciaire, dès lors que sa mise en accusation ultérieure a nécessairement entrainé la caducité de ladite ordonnance.

Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 3e section, en date du 25 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [L] des chefs de vol avec arme, arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires, en récidive, a dit sans objet l'appel du ministère public de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé de prolonger la détention provisoire de M. [L] et l'ayant placé sous contrôle judiciaire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [J] [L] a été placé en détention provisoire le 17 janvier 2021.

3. Par une ordonnance du 10 janvier 2022, le juge des libertés et de la détention a refusé de prolonger sa détention provisoire et l'a placé sous contrôle judiciaire.

4. M. [L] a été mis en accusation et renvoyé devant une cour d'assises par une ordonnance du juge d'instruction du 12 janvier 2022.

5. Dans cette ordonnance, le magistrat instructeur a dit qu'aux termes de l'article 181, alinéa 5, du code de procédure pénale, le contrôle judiciaire de M. [L] continuera à produire ses effets jusqu'à son jugement par la cour d'assises.

6. Le 10 janvier 2022, le procureur de la République a interjeté appel de l'ordonnance rendue le même jour.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il méconnaît les articles 181, 185, 591 et 593 du code de procédure pénale, en ayant déclaré sans objet l'appel du ministère public interjeté contre l'ordonnance de refus de prolongation de la détention provisoire et de placement sous contrôle judiciaire de M. [L], alors :

1°/ qu'en interjetant appel de cette ordonnance, le procureur de la République, qui peut former appel contre toute ordonnance du juge des libertés et de la détention, a porté le contentieux de la prolongation de la détention provisoire de M. [L] devant la chambre de l'instruction à laquelle il appartenait de statuer sur toutes les questions qui lui étaient ainsi dévolues ;

2°/ que le contrôle judiciaire, ordonné par la décision déférée, a continué à produire ses effets lorsque l'ordonnance de mise en accusation a été rendue le 12 janvier 2022 et ne résulte ainsi d'aucune autre décision que celle déférée à la chambre de l'instruction cette juridiction ne pouvait ainsi être empêchée de statuer sur le refus de prolongation de la détention provisoire résultant de la même ordonnance déférée.

Réponse de la Cour

8. Pour dire qu'est devenu sans objet l'appel interjeté par le procureur de la République contre l'ordonnance du 10 janvier 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a refusé de prolonger la détention provisoire de M. [L] et l'a placé sous contrôle judiciaire, l'arrêt attaqué énonce que par ordonnance du 12 janvier 2022, le juge d'instruction a décidé la mise en accusation de M. [L].

9. Les juges ajoutent qu'il résulte de cette mise en accusation que la mesure de sûreté en cours, lors de cette décision, continue à recevoir application par le seul effet de la loi, sans que l'appel du procureur de la République permette à la cour, par infirmation de l'ordonnance refusant de prolonger la détention provisoire de M. [L] et le plaçant sous contrôle judiciaire, de substituer à cette dernière mesure la détention provisoire prolongée, avec le retour aux effets du mandat de dépôt.

10. En se déterminant ainsi, et dès lors que la mise en accusation de M. [L] a nécessairement entraîné la caducité de l'ordonnance dont le procureur de la République a fait appel, la cour d'appel a fait une exacte application des textes visés au moyen.

11. Ainsi, le moyen doit être écarté.

12. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Lamy - Avocat général : M. Chauvelot -

Textes visés :

Articles 181, 185, 591 et 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de l'ordonnance de mise en accusation sur la détention provisoire, à rapprocher : Crim., 18 juin 2019, pourvoi n° 19-82.358, Bull. crim 2019, n° 120 (non-lieu à statuer).

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