Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

Crim., 18 mai 2021, n° 20-86.266, (P)

Rejet

Nullités de l'instruction – Examen de la régularité de la procédure – Annulation d'actes – Demande de la personne mise en examen – Acte concernant un tiers – Captation d'images dans un lieu privé – Atteinte à un droit propre de l'intéressé – Nécessité

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, saisie d'une requête en annulation d'ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant la captation d'images dans des halls d'immeubles et dans l'entrée d'une cave, retient, après avoir souverainement constaté que la personne mise en examen n'y réside pas, même occasionnellement, et que son image n'a pas été captée dans le cadre de ces dispositifs, que celle-ci n'a pas qualité pour en invoquer la nullité.

[Y] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 23 octobre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs notamment d'infractions à la législation sur les stupéfiants et destruction du bien d'autrui par moyen dangereux, a prononcé sur sa requête en annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 17 décembre 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 17 mars 2020, à la suite de plusieurs interventions de police relatives à des plaintes de riverains ou à des demandes émanant du bailleur social SILENE et des services municipaux, une enquête préliminaire a été ouverte pour des faits de trafic de stupéfiants, dans le [Adresse 1], et plus précisément [Adresse 2].

3. Dans le cadre de cette enquête, les policiers ont, d'une part, sur autorisation renouvelée à deux reprises du procureur de la République, procédé à la pose de systèmes de captation d'images visant des lieux publics et permettant d'observer dans leur ensemble les immeubles situés au [Adresse 3], ces systèmes ayant été installés à l'intérieur de deux appartements situés aux [Adresse 4].

4. Ils ont d'autre part, sollicité et obtenu du juge des libertés et de la détention, deux autorisations aux fins de mettre en oeuvre un système de captation d'images dans des lieux privés, au niveau du hall des immeubles situés au [Adresse 3], ainsi que pour observer les entrées et couloirs d'accès aux caves de l'immeuble du [Adresse 5].

5. A la suite de son interpellation et de la perquisition de son domicile dans lequel ont notamment été retrouvés des produits stupéfiants, [Y] [B], mineur âgé de plus de 16 ans, a été mis en examen par le juge des enfants des chefs susvisés et placé en détention provisoire.

6. Par requête déposée le 11 août 2020 devant la chambre de l'instruction, l'intéressé a demandé la nullité des autorisations de captations d'images dans les lieux publics délivrés par le procureur de la République les 8 juin, 24 juin et 8 juillet 2020 et par le juge des libertés et de la détention les 5 juin et 22 juin 2020 ainsi que la nullité de l'ensemble des actes reposant sur les vidéos issues de ces autorisations illégales et notamment sa mise en examen, tout en sollicitant d'être placé sous le statut de témoin assisté.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité des autorisations délivrées en enquête préliminaire par le procureur de la République les 8 juin, 24 juin et 8 juillet 2020, aux fins de captation d'images dans les lieux publics, ainsi que tous les actes d'exécution de cette vidéosurveillance, alors :

« 1°/ que si le procureur de la République tient des articles 39-3 et 41 du code de procédure pénale le pouvoir de faire procéder à une vidéosurveillance sur la voie publique, aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale (cf. Crim. 8 décembre 2020, n° T 20-83.885), c'est à la condition que cette mesure soit placée sous son contrôle effectif et selon les modalités qu'il autorise, s'agissant de sa durée et de son périmètre ; à la condition d'autre part que le procédé de vidéosurveillance soit lui-même placé sur la voie publique, à l'exclusion de toute intervention dans un lieu privé, laquelle nécessite alors l'intervention du juge des libertés et de la détention et l'accord du propriétaire ;

en l'espèce, l'autorisation du procureur de la République ne précisait pas les modalités de la surveillance et ne prévoyait pas d'installation dans un lieu privé ;

le juge des libertés et de la détention n'a donné aucune autorisation pour une quelconque installation d'un procédé de surveillance dans les appartements en cause, fût-ce pour surveiller la voie publique ;

aucune autorisation émanant du représentant de la personne morale, propriétaire des lieux privés investis par les enquêteurs, n'a été donnée ;

ont ainsi été violés les articles 39-3 et 41 du code de procédure pénale, 706-96 et 706-96-1 du même code, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que les mesures d'exécution effectuées au vu d'autorisations du parquet ne prévoyant pas l'entrée dans des lieux privés ont été effectuées en violation des textes précités, et devaient être annulées. »

Réponse de la Cour

8. Pour rejeter la requête en annulation des autorisations délivrées par le procureur de la République aux fins de captation d'images sur la voie publique et des actes d'exécution de cette mesure de vidéosurveillance, la chambre de l'instruction rappelle qu'en application de l'autorisation délivrée, un des deux dispositifs de captation d'images a été installé dans un appartement situé au [Adresse 2], le second l'ayant été au [Adresse 2] et que le matériel de surveillance, placé dans le second appartement, a été dérobé le 21 juillet 2020 sans aucune trace d'effraction, les policiers en ayant retrouvé les débris calcinés dans la rampe d'accès à la cave du [Adresse 5], lieu du trafic observé.

9. Elle retient, après avoir relevé que la caméra de surveillance installée [Adresse 6] démontrait que [Y] [B] pouvait être impliqué dans la destruction du matériel dérobé, que la vidéosurveillance de la voie publique constitue, par sa nature même, une ingérence dans la vie privée, et que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme précise qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique ou encore à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales. Elle ajoute que le procureur de la République qui constitue une autorité publique, au sens de l'article 8 de la Convention, tire de la loi et plus particulièrement de l'article 41 du code de procédure pénale un pouvoir d'ingérence dans la vie privée à la condition, toutefois, que cette ingérence s'opère dans un espace public, qu'elle présente un caractère limité dans le temps, qu'elle soit proportionnée à l'objectif poursuivi et que cette mesure se déroule sous son contrôle selon les modalités autorisées.

10. Les juges constatent ensuite que les autorisations délivrées par le procureur de la République ont été limitées dans le temps, que les pièces de procédure établissent que ce magistrat a été tenu informé du déroulement des mesures et que ces autorisations ont été justifiées par la nécessité d'identifier les auteurs d'un trafic de stupéfiants dans une cité et de déterminer l'ampleur du trafic alors qu'une enquête préliminaire avait été ouverte en raison des plaintes des résidents et du bailleur social, de telle sorte qu'elles apparaissent proportionnées à l'objectif poursuivi, compte tenu du contexte de trafic de cité rendant difficile le travail d'investigation, comme l'illustrent le vol et la destruction du matériel de surveillance installé par les services de police.

11. Enfin, la chambre de l'instruction relève que les dispositifs de captation d'images de la voie publique ont été installés dans deux appartements du bailleur social SILENE dont le responsable du pôle incluant notamment le [Adresse 1], a sélectionné l'un des appartements qu'il a proposé à sa directrice, après en avoir fait changer la porte d'entrée par des portes spéciales, dont le nombre de clés était limité à deux et dont l'une d'elles a été remise aux services de police, tirant de ces déclarations et constatations le fait que le bailleur social a nécessairement donné son autorisation aux services de police pour accéder à ces lieux.

12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

13. D'une part, le procureur de la République tient des articles 39-3 et 41 du code de procédure pénale le pouvoir de faire procéder, sous son contrôle effectif et selon les modalités qu'il autorise s'agissant de sa durée et de son périmètre, à une vidéosurveillance sur la voie publique, aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale, ce que la chambre de l'instruction a, par les motifs susvisés, vérifié.

14. D'autre part, la mise en oeuvre d'un dispositif de captation d'images ne nécessite pas l'autorisation du juge des libertés et de la détention lorsque, placé dans un lieu privé, il ne vise qu'à capter, fixer, transmettre ou enregistrer l'image d'une ou de plusieurs personnes se situant sur la voie publique.

15. Enfin, cette mise en oeuvre nécessite l'accord du propriétaire du lieu dans lequel se trouve le dispositif, accord dont l'existence a été également constatée par la chambre de l'instruction.

16. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 5 juin 2020 relative à la surveillance des halls des immeubles situés [Adresse 7], et de l'ordonnance du même juge des libertés et de la détention du 22 juin 2020 autorisant la captation d'images dans l'entrée de la cave et les couloirs de la cave de l'immeuble situé [Adresse 8], ainsi que de l'ensemble des actes d'exécution de ces ordonnances, alors :

« 1°/ qu'en ne soumettant pas ce problème de recevabilité qu'elle a soulevé d'office, à la discussion contradictoire des parties, la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense et l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

2°/ qu'il résulte de l'arrêt attaqué lui-même « que le dispositif de surveillance placé [Adresse 9] sur autorisation du procureur de la République a été « volé sans aucune trace d'effraction » le 21 juillet 2020 ; l'exploitation « de l'autre système » permettait d'établir que « plusieurs individus l'avaient détruit avant d'y mettre le feu » ; les policiers retrouvaient « les débris calcinés » du dispositif volé « dans la rampe d'accès à la cave du [Adresse 10] » ; et la perquisition du domicile de [Y] [B] « amenait la découverte ?. (des vêtements portés ?) durant la destruction du matériel de vidéosurveillance (?) [Y] [B] (?) reconnaissait être le propriétaire des vêtements appréhendés » ; l'ensemble de ces constatations ne permet pas d'exclure la captation d'images de [Y] [B] dans la cave du [Adresse 10], endroit où le dispositif de surveillance a manifestement été détruit par le feu ; l'irrecevabilité opposée à [Y] [B] repose donc sur une contradiction et une insuffisance de motif, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. Pour rejeter la requête en annulation des ordonnances délivrées, les 5 et 22 juin 2020, par le juge des libertés et de la détention, autorisant la captation d'images dans les halls des immeubles situés au [Adresse 11] et dans l'entrée de la cave et les couloirs de la cave de l'immeuble situés au [Adresse 12], constituant des lieux privés, la chambre de l'instruction retient que [Y] [B], qui ne demeure pas au [Adresse 12], ou n'y réside pas, même occasionnellement, et dont l'image n'a pas été captée dans le cadre de ces dispositifs, n'a pas qualité pour invoquer la nullité des captations réalisées en exécution desdites ordonnances.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a fait que répondre au moyen sur lequel s'appuyait le requérant pour démontrer la recevabilité de son action, a, par des motifs dénués de contradiction ou d'insuffisance, justifié sa décision.

20. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Leblanc - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; articles 39-3, 41, 706-96 et 706-96-1 du code de procédure pénale ; article 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la mise en oeuvre d'une vidéosurveillance, sur la voie publique, au cours d'une enquête préliminaire, à rapprocher : Crim., 8 décembre 2020, pourvoi n° 20-83.885, Bull. crim. 2020 (rejet). Crim., 15 avril 2015, pourvoi n° 14-87.616, Bull. crim. 2015, n° 90 (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 11 mai 2021, n° 20-82.415, n° 20-86.182, (P)

Cassation partielle

Pouvoirs – Invitation faite au juge d'instruction de verser des pièces en procédure – Acte d'information complémentaire (non)

Ne constitue pas un acte d'information complémentaire, au sens de l'article 201 du code de procédure pénale, l'invitation de la chambre de l'instruction au juge d'instruction de verser en procédure les pièces qui seraient en sa possession.

REJET du pourvoi formé par M. [J] [C] contre l'arrêt n° 178/2020 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 2 mars 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs notamment de recel en bande organisée en récidive, infractions à la législation sur les armes en récidive, association de malfaiteurs en récidive, a prononcé avant dire droit sur la nullité d'actes de la procédure.

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. [J] [C] et rejet du pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence contre l'arrêt n° 826/2020 de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 19 octobre 2020, qui, dans l'information suivie contre le premier des chefs précités, a prononcé sur sa demande d'annulation d'actes de la procédure.

Par ordonnance en date du 18 décembre 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat des pourvois formés contre l'arrêt du 19 octobre 2020 et a joint les pourvois formés contre cet arrêt.

Par ordonnance en date du 18 février 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi formé contre l'arrêt du 2 mars 2020 et a joint celui-ci aux pourvois formés contre l'arrêt du 19 octobre 2020.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 8 février 2018, le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire sur des faits d'association de malfaiteurs en vue de commettre une tentative d'extorsion à l'encontre d'un entrepreneur.

3. A l'issue de cette enquête préliminaire, par réquisitoire en date du 4 mai 2018, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire contre personne non dénommée des chefs de tentatives d'extorsion en bande organisée, non-justification de ressources, association de malfaiteurs en vue de commettre notamment les crimes de tentatives d'extorsion de fonds en bande organisée.

4. Le 13 septembre 2018, M. [C], susceptible d'être mis en cause dans le cadre de cette information judiciaire, a été l'objet d'une tentative d'assassinat.

5. Par réquisitoire supplétif en date du 25 octobre 2018, la saisine du juge d'instruction a été étendue à des faits commis courant 2018 et jusqu'au 19 octobre 2018 de non-justification de ressources aggravée, recel en bande organisée, infractions à la législation sur les armes, association de malfaiteurs en vue de la préparation et la commission de crimes et de délits, en particulier d'homicide volontaire avec préméditation en bande organisée, en récidive.

6. Le 25 octobre 2018, M. [C] a été mis en examen des chefs précités.

7. Le 19 avril 2019, il a déposé une requête en nullité d'actes de la procédure en exposant notamment que depuis sa tentative d'assassinat, les enquêteurs avaient effectué, hors saisine, des investigations sur la préparation d'une action criminelle en représailles de celle-ci, faits sans lien avec les extorsions de fonds et trafic de stupéfiants visés au réquisitoire introductif.

8. A l'issue de l'audience devant la chambre de l'instruction qui s'est tenue le 6 janvier 2020, l'affaire a été mise en délibéré.

9. Durant le délibéré, la chambre de l'instruction a constaté qu'avaient été versés en procédure un réquisitoire supplétif en date du 17 octobre 2018 faisant mention de faits nouveaux, à savoir une « enquête préliminaire diligentée par la DRPJ Ajaccio - Antenne Bastia, sous le n° de PV 2018/236 » ainsi que les procès-verbaux de cette enquête, datés du 10 octobre 2018 au 16 octobre 2018.

10. Après une deuxième audience au cours de laquelle ont été recueillies les observations des parties, le 3 février 2020, l'affaire a été mise à nouveau en délibéré.

11. Par arrêt en date du 2 mars 2020, la chambre de l'instruction, avant dire droit, a invité le juge d'instruction à verser en procédure toutes les pièces qui seraient de nature à confirmer ou à infirmer la date d'établissement du réquisitoire supplétif et de l'enquête préliminaire précités et à exposer par une note versée au dossier les circonstances et les motifs de leur versement et de leur cotation tardifs.

12. Le 3 avril 2020, le juge d'instruction a versé en procédure une telle note.

Sur le premier moyen du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposé pour M. [C]

13. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen unique du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 2 mars 2020

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué du 2 mars 2020 en ce qu'il a invité le magistrat instructeur à veiller à ce que soient versées au dossier de la procédure dans les meilleurs délais toutes les pièces, notamment établies par le ou les services en charge de l'exécution des commissions rogatoires qu'il a décernées, qui seraient de nature à confirmer ou à infirmer la date d'établissement des pièces cotées D4366 à D4547 et a indiqué que ce magistrat pourrait exposer par une note versée au dossier tous éléments de nature à éclairer les circonstances et les motifs de leur versement et de leur cotation tardifs sans se prononcer sur les nullités dont la chambre de l'instruction était saisie, alors :

« 1°/ que lorsque la chambre de l'instruction est avisée que des pièces sont manquantes, elle doit renvoyer l'affaire à une date ultérieure ; que lorsque des pièces sont disparues ou égarées, il convient de procéder conformément aux articles 648 et suivants du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce l'ajout au dossier, en cours de délibéré dans des conditions non révélées par l'arrêt attaqué, de pièces nouvelles, dont le ministère public ni quiconque d'autre n'avait signalé à la chambre de l'instruction qu'elles étaient manquantes ou égarées, est irrégulier et porte directement atteinte aux droits de la défense en raison du caractère occulte de la procédure suivie pour faire arriver ces pièces ; que l'arrêt attaqué ne pouvait en conséquence se fonder sur les pièces irrégulièrement parvenues au dossier ; qu'il a ainsi violé les articles préliminaire et 197, dernier alinéa, 648 et suivants du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'il appartient à la chambre de l'instruction de se prononcer en l'état du dossier tel qu'il lui est soumis et si elle découvre une cause de nullité, de prononcer la nullité de l'acte qui en est entaché ; qu'en l'espèce la chambre de l'instruction, dans son arrêt du 2 mars 2020, constate, après avoir ajouté ou fait ajouter de nouvelles pièces qui ne figuraient pas au dossier de l'information, qu'elle ne peut s'assurer de la date d'établissement de ces pièces et notamment du réquisitoire supplétif justifiant de l'élargissement de la saisine du juge d'instruction ; qu'elle ne pouvait dès lors que prononcer la nullité du réquisitoire supplétif, et des actes de procédure effectués hors saisine faute de date certaine sur la transmission au juge d'instruction du réquisitoire supplétif ; qu'en refusant d'annuler la procédure la chambre de l'instruction a violé les articles 80, 170, 197, 206, 592 et 593 du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que la chambre de l'instruction est seule compétente durant l'instruction préparatoire pour apprécier la régularité des actes de l'information ; que le juge d'instruction ne peut se faire juge de la régularité des actes qu'il accomplit ; qu'en demandant au juge d'instruction une note « d'explication » sur les actes cotés à son dossier, la chambre de l'instruction a méconnu ses propres pouvoirs, les principes d'équité et d'impartialité et ainsi violé les articles préliminaire, 170 et suivants, 206 du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ qu'en donnant injonction au juge d'instruction de compléter le dossier de l'information judiciaire, c'est-à-dire de réaliser des actes d'information supplémentaires au sens de l'article 201 du code de procédure pénale, sans avoir au préalable évoqué la procédure, la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs et violé l'article 206 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

15. Pour ne pas prononcer sur la nullité, en l'état du dossier mis à disposition des parties en vue de l'audience du 6 janvier 2020, et inviter le juge d'instruction à compléter la procédure des pièces dont il serait en possession ainsi qu'à exposer dans une note versée au dossier les raisons du versement durant le délibéré du réquisitoire supplétif et des pièces de l'enquête préliminaire précités, l'arrêt énonce qu'en raison des contestations soulevées sur la date réelle d'établissement de ces pièces et des moyens qui en sont tirés, il convient de recueillir tous éléments de nature à confirmer ou à infirmer leur date d'établissement et à éclairer les circonstances et les motifs de leur versement au dossier en janvier 2020.

16. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a fait l'exacte application de l'article 197, alinéa 4, du code de procédure pénale, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

17. En effet, en premier lieu, aucune disposition légale ou conventionnelle n'interdit à la chambre de l'instruction, lors de l'examen d'une requête en nullité, de prononcer au vu de pièces versées au dossier en cours de délibéré, à la condition de rouvrir les débats afin de soumettre celles-ci au débat contradictoire.

18. Par voie de conséquence, dès lors que la chambre de l'instruction constatait que les pièces cotées D4386 à D4547 avaient été versées en procédure durant le délibéré, de sorte que le dossier mis à la disposition des parties lors de l'audience du 6 janvier 2020 était incomplet, c'est à bon droit qu'elle a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure, sans statuer sur la requête, après avoir estimé que la connaissance de ces pièces était indispensable à son examen.

19. En deuxième lieu, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu ses pouvoirs en invitant le juge d'instruction à préciser dans une note versée au dossier les circonstances du versement en cours de délibéré du réquisitoire supplétif et des pièces de l'enquête préliminaire sur lequel il repose.

20. Une telle note ne constitue pas en effet un acte juridictionnel du juge d'instruction par lequel il statuerait lui-même sur la régularité de la procédure.

21. Enfin, ne constitue pas un acte d'information complémentaire, au sens de l'article 201 du code de procédure pénale, l'invitation faite au juge d'instruction de verser en procédure les pièces qui seraient en sa possession.

22. Dès lors, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposé pour M. [C]

Enoncé du moyen

23. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a annulé que partiellement les actes de la procédure et a rejeté les demandes présentées dans l'intérêt de M. [C], alors « que la procédure doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties et celui d'être entendu par une juridiction indépendante et impartiale et de bénéficier d'un recours juridictionnel effectif ; que le juge d'instruction ne peut, sous quelque forme que ce soit, intervenir dans les débats devant la chambre de l'instruction pour défendre la régularité des actes qu'il a accomplis ; qu'en l'espèce le juge d'instruction a établi une « note », par laquelle il répond et argumente sur les moyens soulevés par la défense dans la requête en nullité et les mémoires complémentaires ; qu'en se prononçant au vu de cette note établie à sa demande, versée au dossier, la chambre de l'instruction a méconnu les règles fondamentales d'équité du procès, d'impartialité et d'indépendance des juridictions, d'effectivité du droit au recours et violé les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

24. Le moyen, en ce qu'il reproche à la chambre de l'instruction de s'être prononcée au vu de la note établie par le juge d'instruction, manque en fait, les juges n'ayant pas motivé leur décision en se référant à ce document.

Sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposés pour M. [C]

Énoncé des moyens

25. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé de constater la nullité des pièces rajoutées au dossier, soit le réquisitoire supplétif daté du 17 octobre 2018 et les pièces qui y auraient été annexées, et de prononcer la nullité des actes d'enquête effectués sur commission rogatoire à partir du 11 octobre 2018, hors saisine, en l'absence de réquisitoire supplétif communiqué au juge d'instruction et élargissant sa compétence, alors :

« 1°/ que lorsque la chambre de l'instruction est avisée que des pièces sont manquantes, elle doit renvoyer l'affaire à une date ultérieure ; que lorsque des pièces sont disparues ou égarées, il convient de procéder conformément aux articles 648 et suivants du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce l'ajout au dossier, en cours de délibéré dans des conditions non révélées par l'arrêt attaqué, de pièces nouvelles, dont le ministère public ni quiconque d'autre n'avait signalé à la chambre de l'instruction qu'elles étaient manquantes ou égarées, est irrégulier et porte directement atteinte aux droits de la défense en raison du caractère occulte de la procédure suivie pour faire arriver ces pièces ; que l'arrêt attaqué ne pouvait en conséquence se fonder sur les pièces irrégulièrement parvenues au dossier ; qu'il a ainsi violé les articles préliminaire et 197, dernier alinéa, du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en toute hypothèse l'existence d'une pièce absente du dossier ne peut être établie que si d'autres pièces mentionnent son existence et en reproduisent la teneur ; qu'en l'espèce l'arrêt constate que le réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018 et les pièces sur lesquelles il se fonde ne sont apparus au dossier que quinze mois après la date qu'ils portent ; que l'arrêt attaqué considère cependant que l'existence de ces pièces à la date qu'elles portent et leur communication au juge d'instruction et aux enquêteurs résultent du visa, dans la commission rogatoire du 18 octobre 2018 et dans le procès-verbal « prenant acte de l'élargissement de la saisine » du réquisitoire du 17 octobre 2018 ; que toutefois ces simples visas, qui ne reproduisent pas la teneur des actes manquants, notamment des pièces jointes au réquisitoire qui selon l'arrêt lui-même déterminent l'objet et l'étendue de la saisine, ne suffisent pas à établir que le juge d'instruction ait été dès le 18 octobre 2018 en possession desdites pièces ; qu'en décidant le contraire l'arrêt attaqué s'est mis en contradiction avec les pièces du dossier et a violé les articles 592 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'au surplus un procès-verbal fait foi de ce qu'il constate et non de ce qu'il ne constate pas ; qu'en l'espèce le procès-verbal visé par l'arrêt mentionne pour objet : « Réception d'une nouvelle pièce » et constate la réception de la seule commission rogatoire visant le réquisitoire supplétif, mais non la réception du réquisitoire supplétif ni des pièces qui y sont jointes ; qu'en déduisant de ce que le procès-verbal ne mentionnait pas ne pas avoir reçu le réquisitoire supplétif et les pièces jointes que les enquêteurs en avaient bien été destinataires, pour en conclure que le juge d'instruction leur envoyant ces éléments en disposait nécessairement, l'arrêt attaqué a violé l'article 429 du code de procédure pénale et s'est mis en contradiction avec les pièces du dossier en violation des articles 592 et 593 du même code ;

4°/ que M. [C] faisait valoir dans des mémoires régulièrement déposés que les procès-verbaux des enquêteurs ne visaient que la commission rogatoire et non le réquisitoire du 17 octobre 2018 dont ils ne reproduisaient pas la teneur ; que ce réquisitoire, absent du dossier jusqu'à son apparition en cours de délibéré devant la chambre de l'instruction, n'était mentionné ni dans le réquisitoire supplétif du 25 octobre 2018 ni dans l'ordonnance de soit-communiqué le précédant, ni dans l'interrogatoire de première comparution de M. [C], ni dans l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention consécutive, ni dans le procès-verbal de débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, ni dans le premier réquisitoire du parquet général du 30 décembre 2019 devant la chambre de l'instruction devant laquelle était invoqué le défaut de saisine du juge d'instruction ; que ce réquisitoire n'était coté au dossier ainsi que ses pièces jointes qu'après les actes d'exécution de la commission rogatoire, après l'interrogatoire de première comparution et après les actes susmentionnés ; qu'il n'avait été coté au dossier qu'après l'audience du 6 janvier 2020 ; qu'en déduisant l'existence du réquisitoire du 17 octobre 2018 et sa communication au juge d'instruction dès cette date des visas figurant sur deux pièces au dossier sans s'expliquer sur le silence de toutes les autres pièces de la procédure et notamment celles invoquées par la défense, ni sur la cotation tardive dudit réquisitoire et de ses annexes au dossier, la chambre de l'instruction n'a pas suffisamment motivé sa décision et l'a privée de base légale au regard de l'article 80 du code de procédure pénale. »

26. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'annuler le réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018 et toute la procédure subséquente, alors :

« 1°/ qu'est nul le réquisitoire dont le contenu est équivoque et qui ne permet pas de déterminer l'objet exact et l'étendue de la saisine du juge d'instruction ; qu'en l'absence d'énoncé par le réquisitoire lui-même des faits, seul le visa précis des pièces qui y sont annexées et leur transmission au juge d'instruction avec ledit réquisitoire permet de déterminer l'objet exact et l'étendue de la saisine ; qu'en l'espèce il résulte des propres mentions de l'arrêt attaqué que le réquisitoire du 17 octobre 2018 ne vise que « la procédure en cours » et se réfère à une « enquête préliminaire diligentée par la DRPJ AJACCIO - Antenne BASTIA sous le n° de PV 2018/236 », sans viser les pièces de cette enquête préliminaire ni mentionner qu'elles sont jointes ; que la commission rogatoire du 18 octobre 2018 ne vise que le réquisitoire supplétif sans viser aucune pièce jointe ; que de même le procès-verbal du 18 octobre 2018 coté D2780 accusant réception de la seule commission rogatoire ne mentionne ni ne vise aucune pièce jointe au réquisitoire supplétif ; que les pièces prétendument jointes au réquisitoire supplétif ne sont apparues au dossier avec le réquisitoire qu'après le retour de la commission rogatoire du 18 octobre 2018 ; que ces pièces sont cotées après les actes d'exécution de ladite commission rogatoire et ne sont visées par aucun autre acte antérieur à leur apparition au dossier suite à l'audience du 6 janvier 2020 devant la chambre de l'instruction ; qu'en affirmant néanmoins que ce réquisitoire supplétif visait des pièces qui y étaient jointes, qu'il n'existait aucun doute sur la réalité de la transmission de ces pièces au magistrat instructeur avec le réquisitoire supplétif et que l'étendue de la saisine du juge d'instruction avait ainsi été déterminée sans ambiguïté, l'arrêt attaqué s'est mis en contradiction avec les pièces du dossier en violation de l'article 593 du code de procédure pénale et a violé l'article 80 du code de procédure pénale ;

2°/ que M. [C] faisait valoir dans des mémoires régulièrement déposés que les prétendues pièces jointes au réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018, absentes du dossier jusqu'à leur apparition en cours de délibéré devant la chambre de l'instruction, n'étaient visées ou mentionnées ni dans l'ordonnance de soit-communiqué précédant le réquisitoire supplétif du 25 octobre 2018, ni dans les réquisitions aux fins de placement en détention provisoire du 25 octobre 2018, ni dans l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention du 25 octobre 2018, ni dans les réquisitions aux fins de prolongation de la détention provisoire du 16 septembre 2019, ni dans l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention du 17 septembre 2019, ni dans le premier réquisitoire du parquet général du 30 décembre 2019 devant la chambre de l'instruction devant laquelle était invoqué le défaut de saisine du juge d'instruction ; que les pièces jointes au réquisitoire supplétif n'avaient été cotées au dossier qu'en même temps que ce réquisitoire, soit après les actes d'exécution de la commission rogatoire, après l'interrogatoire de première comparution et après les actes susmentionnés ; qu'elles n'avait été coté au dossier qu'après l'audience du 6 janvier 2020 ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'existait aucun doute sur la réalité de la transmission des pièces jointes au magistrat instructeur avec le réquisitoire supplétif et que l'étendue de la saisine du juge d'instruction avait ainsi été déterminée sans ambiguïté, sans s'expliquer sur le silence de toutes les autres pièces de la procédure et notamment celles invoquées par la défense, ni sur la cotation tardive des prétendues pièces jointes, la chambre de l'instruction n'a pas suffisamment motivé sa décision et l'a privée de base légale au regard de l'article 80 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

27. Les moyens sont réunis

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

28. Le moyen se borne à reprendre l'argumentation du moyen unique du pourvoi formé contre l'arrêt du 2 mars 2020.

29. Il ne peut dès lors être accueilli, pour les raisons mentionnées aux paragraphes 17 à 21.

Sur le troisième moyen, pris en ses autres branches, et sur le quatrième moyen

30. Pour écarter la nullité du réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018 et des pièces de la procédure annexées, prise du caractère incertain de sa date, l'arrêt énonce que le visa et la teneur de ce réquisitoire établissent suffisamment que le procureur de la République avait reçu, lu et analysé les pièces sur lesquelles il s'est fondé pour délivrer celui-ci, à savoir la procédure n° 2018/236 établie par l'antenne de [Localité 1] de la direction régionale de la police judiciaire d'[Localité 2].

31. Les juges ajoutent qu'il résulte des pièces de la procédure que dès le lendemain de ce réquisitoire, soit le 18 octobre 2018, le juge d'instruction a adressé aux enquêteurs une commission rogatoire complémentaire qui portait mention de la jonction à cet acte du réquisitoire supplétif et qu'en outre plusieurs pièces établies par ces enquêteurs, pour l'exécution de ce mandat judiciaire, font expressément référence à ce réquisitoire supplétif.

32. Ils en déduisent que, s'il peut être regretté que ce réquisitoire et les pièces sur lesquelles il est fondé aient été versés en procédure quinze mois plus tard, les éléments du dossier permettent de tenir pour établi, de façon certaine, que cet acte et ces pièces existaient à la date qu'ils portent.

33. Examinant ensuite la régularité dudit réquisitoire, ils relèvent que celui-ci vise explicitement les pièces de l'enquête préliminaire diligentée par la direction régionale de la police judiciaire d'[Localité 2] (antenne de [Localité 1]) sous le numéro de PV 2018/236 et que ces pièces sont cotées à sa suite (D4366 pour le réquisitoire et D4367 à D4547 pour les pièces).

34. Ils en concluent que le ministère public a bien saisi le juge d'instruction des faits visés par ce réquisitoire supplétif avec ses pièces jointes, lesquelles permettent de déterminer sans ambiguïté l'objet exact et l'étendue de la saisine du juge d'instruction.

35. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a, sans insuffisance, justifié sa décision.

36. En effet, d'une part, la date apposée par un magistrat sur un acte de procédure et authentifiée par sa signature fait foi jusqu'à inscription de faux.

37. Dès lors, en l'absence d'une telle procédure, il ne peut être contesté que le procureur de la République a bien établi le réquisitoire supplétif daté du 17 octobre 2018 ce jour-là et, le juge d'instruction, la commission rogatoire datée du lendemain, à cette date-là.

38. D'autre part, la circonstance que, contrairement aux prescriptions du deuxième alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale, les pièces du dossier n'aient pas été cotées au fur et à mesure de leur rédaction ou de leur réception par le juge d'instruction n'est pas, en soi, une cause de nullité de la procédure.

39. Enfin, un réquisitoire introductif ne peut être annulé que s'il ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale.

40. Dès lors, les moyens peuvent être écartés.

Sur le cinquième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposé pour M. [C]

Énoncé du moyen

41. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'irrégularité de la géolocalisation du véhicule Mercedes utilisé par M. [C], et a refusé de prononcer la nullité des actes relatifs à cette géolocalisation et des actes qui leur sont subséquents, alors :

« 1°/ que les opérations de géolocalisation doivent être conduites sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées ; qu'un procès-verbal doit être dressé par l'officier de police judiciaire pour chaque opération de mise en place du dispositif de géolocalisation, mentionnant la date et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée ; qu'il en est de même pour les opérations d'enregistrement ; que ces dispositions touchent directement à la compétence du magistrat qui a autorisé la mesure puisqu'elles sont destinées à lui permettre d'exercer son contrôle ; que l'inobservation de ces formalités doit dès lors être sanctionnée par la nullité ; qu'en l'espèce il résulte des pièces du dossier comme des mentions de l'arrêt attaqué que la date et l'heure de la pose du dispositif sur le véhicule utilisé par M. [C] comme la date et l'heure du début de l'enregistrement ne sont pas précisées ; qu'en déclarant néanmoins qu'il a été satisfait aux exigences légales et jurisprudentielles et qu'aucune irrégularité ne justifie l'annulation de la procédure, l'arrêt attaqué a violé les articles 230-32, 230-37, 230-38, 170 et 173 du code de procédure pénale, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que l'arrêt attaqué qui ne comporte aucune explication sur l'absence de la date et de l'heure de la pose du dispositif et l'absence de la date et de l'heure du début d'enregistrement, dénoncée dans la requête en nullité, est privé de motif en violation des articles 592 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que les opérations de géolocalisation doivent être conduites sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées ; que la géolocalisation est mise en place par l'officier de police judiciaire ou sous sa responsabilité par un agent de police judiciaire, l'officier de police judiciaire commis par le juge d'instruction pouvant requérir tout agent qualifié d'un service, d'une unité ou d'un organisme placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur et dont la liste est fixée par décret, en vue de procéder à l'installation du matériel de géolocalisation sur le véhicule à surveiller ; que, pour permettre le contrôle du magistrat, le procès-verbal dressé par l'officier de police relatant les opérations de géolocalisation doit mentionner l'identité de celui ou ceux qui procèdent à la mise en place du dispositif de géolocalisation ; que ces dispositions touchent directement à la compétence du magistrat qui a autorisé la mesure puisqu'elles sont destinées à lui permettre d'exercer son contrôle ; que l'inobservation de ces formalités doit dès lors être sanctionnée par la nullité ; qu'en l'espèce il résulte des pièces du dossier comme des mentions de l'arrêt attaqué que l'identité de celui ou ceux qui ont procédé à la mise en place du dispositif de géolocalisation sur le véhicule utilisé par M. [C] n'est pas précisée ; que ces irrégularités portent nécessairement atteinte au droit au respect de la vie privée de l'exposant ; qu'en déclarant néanmoins qu'il a été satisfait aux exigences légales et jurisprudentielles et qu'aucune irrégularité ne justifie l'annulation de la procédure, l'arrêt attaqué a violé les articles 230-32, 230-36, 230-37, 230-38, 170 et 173 du code de procédure pénale, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que l'arrêt attaqué qui ne comporte pas la moindre explication sur l'absence de mention de l'identité de celui ou ceux qui ont procédé à la mise en place du dispositif de géolocalisation sur le véhicule utilisé par M. [C], dénoncée dans la requête en nullité, est privé de motif en violation des articles 592 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

42. Pour écarter la nullité des opérations de géolocalisation du véhicule de M. [C], l'arrêt énonce qu'il résulte des éléments de la procédure que la pose du dispositif a été réalisée le 6 août 2018, alors que le véhicule était stationné [Adresse 1], l'officier de police judiciaire en étant informé à 12 heures par le technicien dûment habilité de la direction centrale de la police judiciaire.

43. Les juges ajoutent que l'enregistrement des données de géolocalisation a porté sur la période du 6 août 2018 au 13 septembre 2018, le matériel ayant été retiré le 14 septembre 2018.

44. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

45. En effet, le demandeur ne saurait se faire un grief que ne figure en procédure ni l'heure de l'installation effective du dispositif mais seule celle à laquelle l'officier de police judiciaire en a été informé, ni celle de début d'enregistrement, pour les raisons suivantes.

46. D'une part, il résulte des mentions des procès-verbaux que les opérations de mise en place du dispositif de géolocalisation n'ont eu lieu ni en urgence, en application de l'article 230-35 du code de procédure pénale et ne nécessitaient dès lors pas une décision écrite du magistrat dans un délai de vingt-quatre heures pour la poursuite des opérations, ni dans un lieu privé, au sens de l'article 230-34 dudit code, imposant une autorisation écrite du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, selon l'heure de pose.

47. D'autre part, les données de géolocalisation exploitées en procédure ont été enregistrées le 7 août 2018 et le 4 septembre 2018, soit durant la période d'enregistrement mentionnée au procès-verbal.

48. Enfin, il résulte de l'article 230-36 du code de procédure pénale que seule doit figurer en procédure la mention du service auquel appartient l'agent ayant procédé à l'opération, qui doit être un de ceux énumérés à l'article D 15-1-7 du code précité.

49. Tel est le cas en l'espèce.

50. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

Sur le septième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposé pour M. [C]

Enoncé du moyen

51. Le septième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'annuler le versement au dossier de la procédure de l'intégralité des enregistrements réalisés dans le cadre d'une autre procédure lors de la sonorisation d'une cellule à la prison des Baumettes ainsi que les actes d'exploitation de cet enregistrement et tous les actes subséquents, alors « que selon l'article 706-96 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi 2015-993 du 17 août 2015, applicable en l'espèce, la mise en place des dispositifs techniques autorisant l'enregistrement sans leur consentement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé est autorisée dans le cadre d'une information ouverte concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-73-1 lorsque les nécessités de cette information l'exigent ; que selon l'article 706-101 dans sa version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, applicable en l'espèce seules sont transcrites dans un procès-verbal versé au dossier les conversations enregistrées, utiles à la manifestation de la vérité, l'article 706-100, dans sa rédaction issue de la même loi prévoyant pour sa part que les enregistrements sont placés sous scellés fermés ; qu'aucun texte ne prévoit que les enregistrements ainsi autorisés dans le cadre d'une procédure et au regard des nécessités de cette procédure puissent, malgré leur mise sous scellés fermés, être copiés, puis versés au dossier d'une autre procédure et exploités directement pour les besoins de cette procédure ouverte contre une personne dont les propos ont été à cette occasion enregistrés ; qu'en décidant le contraire l'arrêt attaqué a violé les articles 81, alinéa 1er, et 151, 706-96 susvisé, 706-100 et 706-101 susvisés du code de procédure pénale, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

52. Pour écarter la nullité de l'exploitation par les enquêteurs d'une copie réalisée par un expert du scellé de la sonorisation de la cellule d'un détenu à la prison des Baumettes ordonnée dans une procédure distincte, l'arrêt énonce que cette exploitation a été effectuée dans le cadre d'une commission rogatoire du juge d'instruction, sous l'autorité et le contrôle effectif de ce magistrat et que seules les conversations utiles à la manifestation de la vérité sur les faits, objet du présent dossier ont été retranscrites.

53. Les juges ajoutent que cette exploitation a été réalisée conformément aux dispositions des articles 81, alinéa 1er, et 151 et suivants du code de procédure pénale.

54. Ils soulignent encore que ces investigations, diligentées dans le cadre d'une instruction portant sur des faits de tentative d'extorsion en bande organisée, d'association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes en bande organisée et des délits punis de dix ans d'emprisonnement et de non- justification de ressources, infractions d'une particulière gravité relevant de la criminalité organisée, n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des personnes concernées.

55. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

56. En effet, aucune disposition conventionnelle ou légale n'interdit au juge d'instruction, agissant en application de l'article 81 du code de procédure pénale, d'exploiter dans le cadre d'une procédure pénale une mesure de sonorisation ordonnée dans le cadre d'une autre procédure.

57. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.

Sur les premier et second moyens de cassation du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposés par le procureur général

Enoncé des moyens

58. Le premier moyen est pris de la violation des articles préliminaire, 171, 173, 591, 802 du code de procédure pénale.

59. Il fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné l'annulation de l'interrogatoire de première comparution de M. [C] et de sa mise en examen alors qu'en application des dispositions susvisées, il appartenait à la chambre de l'instruction de vérifier si l'absence en procédure du réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018 et des pièces annexées, au moment de la première comparution de l'intéressé, était de nature à lui porter grief.

60. Le second moyen est pris de la violation des articles préliminaire, 171,173, 591,802 du code de procédure pénale.

61. Il reproche à l'arrêt d'avoir également annulé les interrogatoires de première comparution de M. [R] [X] et de M. [F] [B] et les pièces dont ils sont le support nécessaire alors qu'en application des dispositions susvisées, il appartenait à la chambre de l'instruction de vérifier si l'absence en procédure du réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018 et des pièces annexées, au moment de la première comparution des intéressés, était de nature à leur porter grief.

Réponse de la Cour

62. Les moyens sont réunis.

63. Pour prononcer l'annulation de l'interrogatoire de première comparution de M. [C] et de sa mise en examen, l'arrêt énonce que la teneur des pièces sur la base desquelles le réquisitoire du 17 octobre 2018 a été pris n'était aucunement accessible à l'intéressé et à sa défense lors de ces actes.

64. Les juges en déduisent qu'au regard du principe du contradictoire, il y a lieu de constater que l'absence de mise à disposition d'une partie de la procédure avant l'interrogatoire de première comparution porte nécessairement atteinte aux droits de l'intéressé, peu important qu'il ait exercé son droit de garder le silence, fait des déclarations ou accepté de répondre à des questions.

65. Ils ajoutent que cette cause d'irrégularité de la procédure n'étant pas propre au seul requérant, les conséquences en seront tirées à l'égard de M. [X] et de M. [B].

66. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés aux moyens.

67. En effet, l'absence de mise à la disposition des parties et de leurs conseils des pièces de l'enquête sur la base desquelles le réquisitoire supplétif du 17 octobre 2018 a été délivré, déterminantes de l'étendue de la saisine du juge d'instruction et de leur mise en examen, ainsi que le défaut de mention de ce réquisitoire dans les procès-verbaux des interrogatoires de première comparution des personnes mises en examen précitées, ont nécessairement porté atteinte aux droits de la défense.

68. Il s'ensuit que les moyens ne peuvent être accueillis.

Mais sur le sixième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt en date du 19 octobre 2020, proposé pour M. [C]

Enoncé du moyen

69. Le sixième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'annuler l'exploitation par un officier de police judiciaire, le 25 septembre 2018, d'une copie de travail des enregistrements provenant de la sonorisation d'une cellule à la prison des Baumettes postérieurement au placement sous scellés de ces enregistrements le 19 avril 2016, et tous les actes subséquents, alors « que les enregistrements issus de la sonorisation de lieux privés constituent des atteintes à la vie privée et familiale ; que les conditions de leur mise en place et de leur conservation doivent à ce titre, en vertu de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, être prévues par la loi ; que selon l'article 706-100 du code de procédure pénale dans sa version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, applicable en l'espèce, ces enregistrements doivent être placés sous scellés fermés ; que les officiers de police judiciaire ne peuvent détenir une copie de ces enregistrements que pour les besoins et dans le temps de l'exécution de la mission confiée par le juge d'instruction en application de l'article 706-96 du code de procédure pénale et qu'ils ne peuvent, une fois placés sous scellés fermés les enregistrements, en conserver une copie de travail pour en faire une exploitation ultérieure ; qu'en l'espèce l'arrêt constate que dans le cadre de la procédure diligentée par le juge [Q] l'officier de police judiciaire a conservé une copie de travail des enregistrements de la sonorisation de la cellule de M. [W] à la prison des Baumettes effectuée du 2 septembre 2015 au 2 mars 2016 et placés sous scellés le 19 avril 2016 ; que dans un rapport du 25 septembre 2018 le même service de police a informé le juge [Q] de la teneur d'échanges captés dans ces enregistrements, sans lien avec les faits dont le magistrat était saisi, mais révélateurs d'autres infractions ; qu'en refusant d'annuler ce rapport établi par le service de police qui avait conservé une copie de travail des enregistrements après leur mise sous scellés et après l'achèvement de la mission de sonorisation confiée par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué a violé les articles 151, 706-96 susvisé et 706-100 susvisé du code de procédure pénale, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 706-100 du code de procédure pénale :

70. Aux termes de ce texte, les enregistrements sonores ou audiovisuels résultant de l'exploitation d'un dispositif de sonorisation ou de fixation d'images doivent être placés sous scellés.

71. Il s'ensuit que les officiers de police judiciaire ne peuvent détenir une copie de ces enregistrements que pour les besoins et dans le temps de l'exécution de la mission confiée par le juge d'instruction en application de l'article 706-96 du même code.

72. Pour ne pas faire droit à l'annulation de l'exploitation de la copie de travail des enregistrements effectués dans le cadre d'une procédure distincte, l'arrêt énonce que la conservation d'une telle copie, après la retranscription des seules conversations estimées utiles pour l'exécution du mandat judiciaire, n'affecte la régularité ni des opérations de sonorisation légalement ordonnées et réalisées ni du placement des enregistrements sous scellés fermés.

73. Les juges ajoutent que dans le procès-verbal critiqué les enquêteurs ont relaté à l'attention du juge d'instruction la teneur d'échanges captés dans le cadre de la sonorisation mise en place sur ses instructions du 2 septembre 2015 au 2 mars 2016 qui, pour être sans lien avec les faits dont ce magistrat était saisi, apparaissaient révélateurs d'autres infractions pénales d'une toute particulière gravité, notamment des homicides.

74. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que les enquêteurs ont procédé à la rédaction de ce procès-verbal sur la base d'une copie de travail qu'ils avaient conservée alors qu'ils avaient achevé la mission que leur avait confiée le juge d'instruction, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

75. La cassation est dès lors encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [C] contre l'arrêt du 2 mars 2020

Le REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par le procureur général contre l'arrêt du 19 octobre 2020

Le REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par M.[C] contre l'arrêt du 19 octobre 2020

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 octobre 2020, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur la nullité de la pièce cotée D4169 à D4195, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 201 du code de procédure pénale ; article 81 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant de l'exploitation par le juge d'instruction d'écoutes téléphoniques tirées d'une autre procédure, à rapprocher : Crim., 16 mai 2000, pourvoi n° 00-80.905, Bull. crim. 2000, n° 190 (rejet).

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