Numéro 4 - Avril 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie III - Décisions des commissions et juridictions instituées auprès de la Cour de cassation

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION

Com. nat. de réparation des détentions, 6 avril 2021, n° 20CRD011, (P)

Accueil partiel du recours

Bénéfice – Détenu bénéficiant d'une libération conditionnelle

Selon l'article 149 du code de procédure pénale, aucune réparation n'est due lorsque la personne était dans le même temps détenue pour autre cause.

Le temps passé en liberté au titre de la libération conditionnelle ne constituant pas un temps d'exécution de la peine privative de liberté, n'est pas détenue pour autre cause, au sens du texte précité, la personne qui a été placée en détention provisoire alors qu'elle se trouvait en liberté au bénéfice d'une mesure de libération conditionnelle.

M. P... R... a formé un recours contre la décision de la première présidente de la cour d'appel de Metz en date du 26 juin 2020 statuant sur sa requête en indemnisation formée sur le fondement de l’article 149 du code de procédure pénale, qui a déclaré celle-ci irrecevable.

LA COUR,

LA COMMISSION NATIONALE,

Par jugement du 4 décembre 2018, le tribunal correctionnel de Metz, saisi selon la procédure de comparution immédiate, a condamné M. P... R..., qui avait été incarcéré le 3 décembre 2018, à dix-huit mois d’emprisonnement pour infractions à la législation sur les stupéfiants, en récidive.

Le tribunal a ordonné son maintien en détention.

Par arrêt du 6 février 2019, devenu définitif, la cour d’appel de Metz a annulé le procès-verbal d’interpellation et les actes subséquents, et a relaxé M. R....

Le 9 juillet 2019, celui-ci a saisi la première présidente de la cour d’appel de Metz d’une requête en réparation de ses préjudices causés par la détention, et demandé une indemnité :

- de 6 400 euros au titre de son préjudice moral,

- de 7 876,54 euros au titre de sa perte de revenus,

- de 3 000 euros au titre de sa perte de chance de poursuivre son activité professionnelle,

- et de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par décision du 26 juin 2020, la première présidente de la cour d’appel de Metz a déclaré la requête de M. R... irrecevable, au motif que, se trouvant sous le régime de la libération conditionnelle au moment de son placement sous mandat de dépôt et pendant sa détention, il était détenu pour autre cause concomitamment à celle-ci.

Par déclaration du 10 juillet 2020, M. R... a formé un recours contre cette décision.

Prétentions et argumentations des parties

Conclusions du demandeur

Au terme de ses conclusions reçues le du 21 août 2020, M. R... reprend ses demandes initiales.

S’agissant de la recevabilité de sa demande, il soutient qu’une personne ne peut être à la fois en liberté et détenue, et qu’à la différence du placement sous surveillance électronique, la libération conditionnelle ne constitue pas une mesure d’exécution de la peine privative de liberté.

S’agissant de son préjudice moral, il fait valoir qu’il a été éloigné pendant soixante-quatre jours de son environnement familial et que, s’il avait déjà été détenu, il était en l’occurrence en libération conditionnelle, en train de construire une nouvelle activité professionnelle, et dans la crainte d’une révocation de cette mesure.

S’agissant de son préjudice matériel, il explique qu’il avait créé en juin 2017 une société On Drive dont le chiffre d’affaire s’était élevé à 14 300 euros cette année là, et il soutient que, du fait de son incarcération, il n’a pu payer les primes de son contrat d’assurance, qui a été résilié, ses cotisations URSSAF, ainsi qu’une contravention dressée contre un client utilisateur d’un véhicule de la société.

Il ajoute que le chiffre d’affaire de sa société, qui était en augmentation, a connu un arrêt net pendant sa détention, que les dettes se sont alors accumulées, la société étant sans gérant pendant plus de deux mois, de sorte qu’un dépôt de bilan apparaît inéluctable.

Conclusions en défense de l’agent judiciaire de l’Etat

Au terme de ses écritures déposées le 14 octobre 2020, Mme l’agent judiciaire de l’Etat conclut au rejet du recours et demande, subsidiairement, le rejet de l’indemnisation sollicitée au titre du préjudice matériel et la limitation à 2 880 euros de la somme allouée au titre du préjudice moral.

Elle fait valoir principalement qu’il résulte de la jurisprudence de la commission nationale que la détention pour autre cause, au sens de l’article 149 du code de procédure pénale, ne se limite pas à la détention stricto sensu, mais inclut le placement sous surveillance électronique et la semi-liberté, et soutient que la libération conditionnelle constitue, au même titre que ces mesures, un mode d’exécution de la peine privative de liberté.

Subsidiairement, s’agissant du préjudice moral, elle souligne les antécédents carcéraux de M. R..., et il soutient que son âge au moment de son incarcération, la durée de sa détention, sa situation personnelle et professionnelle, ainsi que le choc carcéral qu’il a ressenti, ne sauraient justifier une indemnisation à hauteur de la somme sollicitée.

S’agissant du préjudice matériel, elle fait valoir que les dettes de la société On Drive ne constituent pas un préjudice personnel de M. R..., lequel percevait le revenu de solidarité active et ne justifie pas du préjudice qu’il invoque, en l’absence d’éléments officiels permettant de connaître les bénéfices ou pertes de son entreprise, antérieurement et postérieurement à la détention, ainsi que l’existence d’un dépôt de bilan.

Conclusions de l’avocat général

Au terme de son avis communiqué le 23 octobre 2020, l’avocat général conclut au rejet du recours.

Il fait valoir notamment que l’article 707 du code de procédure pénale compte la libération conditionnelle parmi les mesures d’aménagement de la peine privative de liberté, et qu’elle est une mesure d’exécution de cette peine, comme la semi-liberté et le placement sous surveillance électronique, qui constituent, selon la jurisprudence de la commission nationale, des détentions pour autre cause.

SUR CE,

Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;

Il résulte de ces textes qu’une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire, au cours d’une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d’acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté.

Sur la recevabilité de la demande d’indemnisation

S’il résulte de l’article 707 du code de procédure pénale que la libération conditionnelle constitue une mesure d’aménagement d’une peine d’emprisonnement ferme, cette mesure, qui fait l’objet de dispositions spécifiques du même code, distinctes de celles relatives à l’exécution des peines privatives de liberté, n’est pas exécutée sous écrou, à la différence des mesures de semi-liberté et de placement sous surveillance électronique.

En outre, en vertu de l’article 733, alinéa 4, de ce code, en l’absence de révocation, la peine est réputée terminée depuis le jour de la libération conditionnelle, tandis qu’il résulte de l’alinéa 3 de cet article qu’en cas de révocation, le condamné doit subir tout ou partie de la durée de la peine qu’il lui restait à subir au moment de sa mise en liberté conditionnelle, sans autre déduction que celle, le cas échéant, du temps passé en arrestation provisoire, de sorte que le temps passé en liberté au titre de la libération conditionnelle ne constitue pas un temps d’exécution de la peine privative de liberté.

Il s’ensuit qu’après la remise en liberté du condamné bénéficiant d’une mesure de libération conditionnelle, seule la mise à exécution du reliquat de la peine d’emprisonnement, par l’effet de la révocation de cette mesure, peut constituer, le cas échéant une détention pour autre cause, au sens de l’article 149 du code de procédure pénale.

En conséquence, dès lors qu’il résulte du casier judiciaire et de la fiche pénale de M. R... que sa libération conditionnelle, intervenue antérieurement à son placement en détention, le 3 décembre 2018, n’a pas été révoquée avant sa remise en liberté suite à la décision de relaxe du 6 février 2019, sa requête en indemnisation de cette détention est recevable.

Sur la liquidation des préjudices

Sur l’indemnisation du préjudice moral

M. R..., célibataire, demeurant chez sa mère, était âgé de 31 ans lors de son placement en détention. Compte tenu de sa situation et du fait qu’il avait auparavant déjà exécuté des peines d’emprisonnement ferme, la somme de 6 400 euros sollicitée est de nature à réparer de façon adéquate le préjudice moral subi par M. R....

Sur l’indemnisation du préjudice matériel

Les dettes invoquées par M. R... pour chiffrer son préjudice ne lui sont pas personnelles mais sont celles de sa société, et en l’absence de pièces comptables sur la situation de celle-ci en 2018 et postérieurement, qui seraient de nature à démontrer l’existence d’un préjudice personnellement subi, la demande de M. R... de ce chef doit être rejetée.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Il apparaît conforme à l’équité d’allouer à M. R... la somme de 2 000 euros qu’il demande en remboursement des sommes qu’il a dû débourser pour présenter son recours devant la commission nationale.

PAR CES MOTIFS :

ACCUEILLE pour partie le recours de M. P... R... ;

DÉCLARE recevable sa requête devant la première présidente de la cour d’appel de Metz ;

ALLOUE à M. P... R... les sommes de :

- 6 400 (six mille quatre cent) euros au titre du préjudice moral ;

- 2 000 (deux mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE le recours pour le surplus.

- Président : M. Besson - Rapporteur : M. Béghin - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : Me Blanc ; Sarl Meier-Bourdeau, Lécuyer Et Associés -

Textes visés :

Articles 149 et 150 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant de l'exclusion de la réparation pour un individu qui, dans le même temps que la détention provisoire, exécutait une peine d'emprisonnement sous le régime du placement sous surveillance électronique, à rapprocher : Crim., 20 septembre 2010, pourvoi n° 09CRD070 (infirmation).

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