Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

PEINES

Crim., 9 mars 2022, n° 21-80.600, (B), FRH

Cassation

Libération conditionnelle – Condamnation pour des infractions visées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l'exclusion de celles visées aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 – Bénéfice – Condition – Avis de la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté – Faculté du président de la commission – Saisine du Centre national d'évaluation – Obligation – Exclusion

Il résulte des articles 730-2-1, D. 527-3 et D. 527-4 du code de procédure pénale que, lorsque la personne a été condamnée à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l'exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du même code, la libération conditionnelle ne peut être accordée par le tribunal de l'application des peines qu'après avis de la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté compétente dans le ressort de la cour d'appel de Paris spécialement complétée, chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée. La saisine du Centre national d'évaluation n'est qu'une simple faculté pour le président de la Commission.

Méconnaît ces textes et ce principe la chambre de l'application des peines qui, pour rejeter la demande de libération conditionnelle du condamné, considère qu'il résulte des dispositions combinées des articles 730-2 et 730-2-1 du code de procédure pénale qu'il doit à la fois faire l'objet d'une évaluation par le Centre national d'évaluation et d'un avis de la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

M. [J] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, en date du 24 septembre 2020, qui a prononcé sur sa demande de libération conditionnelle.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [J] [M] a été condamné par :

 - la cour d'appel de Paris, le 27 janvier 1994, à la peine de dix ans d'emprisonnement et à une interdiction de séjour pendant dix ans pour des faits d'infractions à la législation sur les armes, usage de fausse plaque, recels, association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, l'ensemble des faits ayant été commis en relation avec une entreprise individuelle ou collective troublant gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur,

 - la cour d'assises de Paris, le 19 juin 1997, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de dix-huit ans pour des faits d'assassinats, de tentatives d'assassinats, de destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, l'ensemble des faits ayant été commis en relation avec une entreprise individuelle ou collective troublant gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

3. Il a déposé, le 25 octobre 2017, une demande de libération conditionnelle.

4. Saisie par ordonnance du juge de l'application des peines de Paris du 9 novembre 2017, la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS) de Paris a rendu, le 24 avril 2018, une ordonnance relevant que M. [M] avait refusé son transfert vers le Centre national d'évaluation (CNE), a retenu que sa saisine était devenue sans objet et a constaté le désistement de M. [M] de sa demande de libération conditionnelle.

5. Par jugement du 20 novembre 2018, le tribunal de l'application des peines de Paris a rappelé qu'il lui appartenait le cas échéant et à lui seul de constater un éventuel désistement de demande d'aménagement de peine, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, que l'ordonnance rendue ne constituait pas l'avis requis par l'article 730-2-1 du code de procédure pénale relatif à la dangerosité du condamné et a en conséquence à nouveau saisi la CPMS, en rappelant que les articles 730-2-1 et D. 527-4 du code de procédure pénale n'imposent pas nécessairement de saisir le CNE avant d'émettre un avis sur la dangerosité de la personne concernée.

6. Le vice-président de la CPMS de Paris a ordonné le placement de M. [M] au CNE, aux fins d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et, le 14 février 2019, l'intéressé a de nouveau expressément fait connaître sa volonté de ne pas être transféré dans cet établissement, ce qui a conduit la CPMS à émettre, le 5 juillet 2019, un avis constatant le désistement de M. [M] de sa demande de placement au CNE et déduisant que sa saisine était devenue sans objet.

7. A la suite de l'intervention du procureur de la République antiterroriste auprès de la chambre de l'application des peines de Paris, celle-ci a fait savoir, le 27 novembre 2019, que nonobstant l'ordonnance précitée, la CPMS se réunirait finalement pour élaborer son avis sur la demande d'aménagement de peine de M. [M], avis rendu le 17 janvier 2020. C'est dans ces circonstances que l'affaire a été renvoyée au 13 mars 2020.

8. Par jugement en date du 12 mai 2020, le tribunal de l'application des peines compétent en matière de terrorisme a admis M. [M] au placement sous surveillance électronique probatoire à la libération conditionnelle pendant une durée de deux ans à compter du 28 mai 2020 et, sous réserve du bon déroulement de cette période probatoire, à la libération conditionnelle du 28 mai 2022 au 28 mai 2032.

9. Le ministère public a relevé appel de cette décision, avec effet suspensif.

Examen des moyens

Sur le second moyen

10. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de libération conditionnelle de M. [M], alors « que les dispositions de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale conditionnent toute mesure de libération conditionnelle, au bénéfice d'un individu condamné pour des faits de terrorisme, d'une part, au prononcé d'une décision du tribunal de l'application des peines en ce sens, d'autre part, à la délivrance d'un avis par une commission chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de l'individu ; que ces dispositions, qui s'inscrivent dans un mouvement de spécialisation de l'aménagement de peine en matière terroriste et n'ont aucunement pour effet de placer l'individu auquel elles s'imposent dans une situation plus favorable que le condamné de droit commun, s'analysent comme des dispositions spéciales, ayant vocation à se substituer au régime général prévu à l'article 730-2 du code de procédure pénale et non à s'y cumuler, dès lors que la demande de libération conditionnelle émane d'un individu condamné pour des faits de terrorisme ; qu'en refusant à M. [M] le bénéfice d'une mesure de libération conditionnelle au seul motif qu' « il n'a pas fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé [...] et qu'il ne remplit donc pas l'ensemble des conditions légales pour pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle », lorsque l'article 730-2-1 du code de procédure pénale n'impose pas la réalisation d'une telle évaluation, la chambre de l'application des peines a ajouté une condition non prévue par la loi. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 730-2-1, D. 527-3 et D. 527-4 du code de procédure pénale :

12. Il résulte de ces textes que, lorsque la personne a été condamnée à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l'exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du même code, la libération conditionnelle ne peut être accordée par le tribunal d'application des peines qu'après avis de la CPMS compétente dans le ressort de la cour d'appel de Paris spécialement complétée, chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée.

La saisine du CNE n'est qu'une simple faculté pour le président de la commission.

13. Pour rejeter la demande de libération conditionnelle de M. [M], la chambre de l'application des peines considère qu'il résulte des dispositions combinées des articles 730-2 et 730-2-1 du code de procédure pénale précités, que M. [M] doit à la fois faire l'objet d'une évaluation par le CNE et d'un avis de la CPMS afin que sa demande de libération conditionnelle soit valablement examinée.

14. Les juges constatent que, si la CPMS a bien rendu un avis conformément à l'article 730-2-1 susvisé, M. [M], condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits de terrorisme, n'a pas fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé du fait de son refus réitéré de se soumettre à cette évaluation et ne remplit donc pas l'ensemble des conditions légales pour pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle.

15. Les juges ajoutent que les dispositions de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale, instaurées par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, ne peuvent en aucun cas se substituer à l'article 730-2 du même code, une telle substitution étant de nature à aboutir, au regard des conditions d'octroi d'une libération conditionnelle, à une situation plus favorable pour le condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour des infractions à caractère terroriste que pour le condamné à la même peine pour une infraction de droit commun.

16. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

17. En effet, le régime de la libération conditionnelle instauré par ces dispositions, applicable aux condamnés pour certaines infractions de terrorisme, dérogatoire au droit commun et exclusif de celui-ci, ne conditionne pas l'octroi de la libération conditionnelle à l'évaluation de la personne détenue par le CNE.

18. Au demeurant, ces dispositions, en ce qu'elles permettent également au tribunal de l'application des peines de s'opposer à la libération conditionnelle si elle est susceptible de causer un trouble grave à l'ordre public, ne sont pas plus favorables que celles applicables au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour une infraction de droit commun.

19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, en date du 24 septembre 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Laurent - Avocat général : M. Chauvelot - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Crim., 23 mars 2022, n° 21-80.885, (B), FRH

Rejet

Peine correctionnelle – Peine d'emprisonnement prononcée pour un délit – Peine d'emprisonnement avec sursis probatoire – Obligations et sanctions du condamné – Cas – Obligation de remettre l'enfant au parent qui en a la garde – Illustration

Les décisions statuant sur le droit de visite et d'hébergement de l'un des parents entrent dans les prévisions de l'article 132-45, 17°, du code pénal.

Justifie sa décision la cour d'appel qui condamne une prévenue pour non-représentation d'enfant en lui imposant, sur le fondement de l'article 132-45, 17°, du code pénal, l'obligation particulière de remettre l'enfant entre les mains de son père, auquel la garde a été confiée par décision de justice.

Mme [X] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 7 janvier 2021, qui, pour non-représentation d'enfant, l'a condamnée à quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [X] [C] et son époux, M. [P] [T], ont eu un enfant né en 2012. Ils ont engagé une procédure de divorce.

L'ordonnance de non-conciliation a accordé au père un droit de visite en lieu neutre.

3. Mme [C] a été poursuivie pour non-représentation d'enfant, pour ne pas avoir été respecté le droit de visite du père.

Par jugement du 22 juin 2020, prononcé par le tribunal correctionnel de Reims, elle a été reconnue coupable et condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis probatoire.

Le tribunal a prononcé sur les intérêts civils.

4. La prévenue et le ministère public ont relevé appel du jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [C] à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pendant deux ans, avec obligation de remettre son enfant entre les mains de celui auquel la garde a été confiée par décision de justice M. [T], son père, alors :

« 1°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu'en prononçant ainsi à l'encontre de Mme [C] une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, sans s'expliquer sur la personnalité de Mme [C] qui n'a aucun antécédent judiciaire, ni sur sa situation personnelle, alors même qu'elle invoquait une précarisation de sa situation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 du code pénal, 132-40 et suivants du même code, 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'aucune décision de justice n'a accordé la garde de l'enfant à son père, qui ne dispose que d'un simple droit de visite ; en confirmant la condamnation de Mme [C] avec l'obligation de remettre l'enfant à M. [T], son père, qui en aurait la garde, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, aucune décision n'ayant accordé un tel droit au père de l'enfant et les décisions servant de fondement aux poursuites, en l'occurrence l'ordonnance de non conciliation du tribunal de grande instance de Reims du 15 juin 2017 confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 2 mars 2018 ayant accordé un simple droit de visite au père, étant devenues caduques en raison du prononcé ultérieur du divorce entre les époux, le 4 juin 2019 ; aucune obligation ne pouvait plus en découler ; qu'en statuant donc ainsi, la cour d'appel a violé l'article 132-45, 17°, du code pénal par fausse application ainsi que le principe relatif à l'autorité de chose jugée et excédé ses pouvoirs ;

3°/ que si l'article 132-45, 17°, du code pénal prévoit à titre d'obligation dans le cadre du sursis probatoire, l'obligation de remettre l'enfant au parent qui en a la garde, il ne prévoit aucune obligation en ce qui concerne l'exercice d'un simple droit de visite ; la peine ainsi prononcée n'a aucun fondement légal et la cour d'appel a derechef excédé ses pouvoirs, violé le texte précité ainsi que l'article112-1 du code pénal ; la cassation pourra intervenir sans renvoi. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir reconnu la prévenue coupable de non-représentation d'enfant, l'arrêt attaqué l'a condamnée à quatre mois d'emprisonnement, peine assortie d'un sursis probatoire pendant deux ans, en lui imposant, sur le fondement de l'article 132-45,17°, du code pénal, l'obligation particulière de remettre l'enfant entre les mains de son père, auquel la garde a été confiée par décision de justice.

8. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte précité.

9. En effet, les décisions statuant sur le droit de visite et d'hébergement de l'un des parents entrent dans les prévisions de l'article 132-45, 17°, précité.

10. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. de Larosière de Champfeu (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Slove - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Foussard et Froger -

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