Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DROITS DE LA DEFENSE

Crim., 23 mars 2022, n° 21-83.064, (B), FRH

Cassation

Droits de la personne condamnée – Traduction des pièces essentielles – Cas – Jugement de révocation d'un sursis probatoire et notification – Omission – Effets – Absence de départ du délai légal d'appel – Portée – Recevabilité de l'appel formé au delà du délai légal

Le jugement par lequel le juge de l'application des peines révoque un sursis probatoire, ainsi que sa notification, qui informe des modalités d'exercice d'une voie de recours, constituent des pièces essentielles à l'exercice de la défense et à la garantie d'un procès équitable au sens de l'article préliminaire du code pénal, et doivent à ce titre être traduites lorsque l'intéressé ne comprend pas la langue française.

Est ainsi recevable un appel formé au-delà du délai légal, dès lors que l'appelant ne comprend pas la langue française, et que le défaut de traduction du jugement révoquant le sursis probatoire dont il avait fait l'objet, et de sa notification, n'avait pas fait courir ce délai.

M. [C] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 avril 2021, qui a déclaré irrecevable son appel contre le jugement du juge de l'application des peines ayant ordonné la révocation d'un sursis probatoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [C] [S] a été condamné, par jugement du 7 juin 2019, à la peine de huit mois d'emprisonnement assorti d'un sursis probatoire pendant deux ans.

3. Par jugement du 30 octobre 2020, le juge de l'application des peines a ordonné la révocation totale du sursis probatoire.

4. Ce jugement a été notifié à M. [S] par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 octobre 2020, signé le 31 octobre 2020.

5. Le 18 novembre 2020, M. [S] a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable comme tardif l'appel du jugement de révocation totale d'une mesure de sursis avec mise à l'épreuve en date du 30 octobre 2020, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception le même jour, interjetée par M. [S] le 18 novembre 2020, alors :

« 1°/ que le délai d'appel d'une décision qui est de dix jours en la matière est prorogé, dès lors qu'il est établi que la personne concernée a été empêchée d'exercer ce droit par une circonstance indépendante de sa volonté, un cas de force majeure ou un obstacle invincible ; qu'en considérant que tel n'était pas le cas en l'espèce sans rechercher si M. [S], qui ne comprend pas le français, a pu avoir connaissance du contenu de la notification qui lui a été faite et si cette notification comportait en chiffres et en lettres l'indication du délai d'appel, afin d'attirer son attention sur ce point, ce qui était de nature à constituer pour lui un obstacle invincible, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions des articles 712-1, 712-6, 712-8, 712-11 et suivants du code de procédure pénale ;

2°/ que le droit à un interprète au sens des articles 6, § 3, e, de la Convention européenne des droits de l'homme, 803-5 du code de procédure pénale et préliminaire audit code doit s'étendre à la traduction de tous les actes de la procédure et à toutes les démarches nécessaires à la défense d'un prévenu ou d'un accusé pour assurer le respect des droits de tout justiciable ne comprenant pas le français ; qu'ainsi, l'article 803-5 du code de procédure pénale susvisé prévoit-il que lorsque la personne intéressée ne comprend pas le français, il peut être effectué une traduction orale des pièces essentielles qui doivent lui être remises ou notifiées ; que cette formalité est en effet essentielle pour assurer la garantie effective des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, le respect des droits de la défense, de l'égalité de tous devant la loi et l'accès concret au juge ; qu'à défaut d'accomplir les diligences nécessaires dans la langue comprise par M. [S] qui avait toujours été assisté d'un interprète auparavant, et qui l'était devant la cour d'appel, pour lui notifier la décision rendue à son encontre et lui signifier le délai de recours contre cette décision, l'intéressé s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle absolue de comprendre le sens de la notification qui lui a été faite et d'interjeter appel dans le délai de dix jours de cette notification, ce qui constitue pour lui un obstacle invincible et indépendant de sa volonté ; qu'en considérant que M. [S] n'a justifié d'aucun obstacle et ne démontre pas que son défaut de lecture de la langue française ne lui a pas permis de se conformer au délai légal d'appel, sans rechercher si cet étranger a été informé dans une langue qu'il comprend du délai d'appel, circonstance qui est en elle-même de nature à constituer un obstacle invincible indépendant de la volonté du prévenu, la cour d'appel n'a pu justifier légalement sa décision au regard des textes et principes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles préliminaire, 712-6, 712-11 et 742 du code de procédure pénale :

7. Selon le premier de ces textes, la personne poursuivie a le droit d'obtenir la traduction des pièces essentielles à l'exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code.

8. Il résulte des autres articles susvisés que le jugement par lequel le juge de l'application des peines révoque un sursis probatoire doit être notifié et est susceptible d'appel.

9. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [S], la chambre de l'application des peines relève qu'il disposait, pour exercer son recours, d'un délai de dix jours à compter de la notification du 31 octobre 2020, de sorte que la déclaration du 18 novembre 2020 est tardive, et que son recours est irrecevable.

10. Les juges ajoutent que M. [S] ne démontre pas que son défaut de lecture de la langue française ne lui ait pas permis de se conformer au délai légal de l'appel, dans la mesure où il a été en capacité de faire appel plus tard de la décision, et où il savait qu'il était suivi par le juge de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation, à la convocation duquel il avait su se rendre le 10 octobre 2019.

11. Ils en concluent que, faute, pour lui, de rapporter la preuve de l'existence d'un obstacle invincible assimilable à la force majeure, l'ayant placé dans l'impossibilité absolue de se conformer au délai, l'appel formé par M. [S] doit être déclaré irrecevable.

12. En prononçant ainsi, alors que le jugement, qui devait être notifié au demandeur en application d'une disposition du code de procédure pénale, devait donc être traduit, tout comme sa notification, laquelle, informant l'intéressé des modalités d'exercice d'une voie de recours, était une pièce essentielle à l'exercice de sa défense et à la garantie d'un procès équitable, et que ce défaut de traduction n'avait pas fait courir le délai d'appel, la chambre de l'application des peines a méconnu les textes susvisés.

13. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

14. Par l'effet de la cassation de l'arrêt ayant déclaré irrecevable l'appel de M. [S], la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes se trouve saisie de l'appel formé le 18 novembre 2020 par M. [S].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 avril 2021 ;

DIT que la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes se trouve saisie de l'appel formé le 18 novembre 2020 par M. [S] contre le jugement du juge de l'application des peines de Nantes du 30 octobre 2020 ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. de Larosière de Champfeu (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Crim., 9 mars 2022, n° 21-82.580, (B), FRH

Cassation

Droits de la personne suspectée ou poursuivie – Traduction des pièces essentielles – Domaine d'application – Avis sollicitant l'accord du prévenu pour comparaître par visioconférence

Si l'avis sollicitant l'accord du prévenu pour comparaître par visioconférence à l'occasion de son jugement n'est pas visé par l'article D. 594-6 du code de procédure pénale, il n'en constitue pas moins une pièce essentielle à la garantie du caractère équitable du procès, ce qui impose sa traduction au cas où le prévenu ne comprend pas le français.

M. [H] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 8e chambre, en date du 6 avril 2021, qui, pour vol aggravé, l'a condamné à six mois d'emprisonnement et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 8 décembre 2020, le tribunal correctionnel, après avoir rejeté des exceptions de nullité, a condamné M. [H] [P] pour vols, la récidive étant retenue à l'égard du plus ancien de ces délits, à huit mois d'emprisonnement, a ordonné la révocation du sursis prononcé par jugement du 2 mai 2019 par le tribunal correctionnel de Paris et a statué sur les intérêts civils.

3. M. [P] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du procès-verbal de comparution immédiate, alors :

« 1°/ qu'en vertu de l'article 393 du code de procédure pénale, en cas de procédure de comparution immédiate, l'avocat ou la personne déférée lorsqu'elle n'est pas assistée par un avocat peut consulter sur-le-champ le dossier ; qu'en l'espèce, le prévenu a soulevé la nullité du procès-verbal de comparution immédiate pour défaut de consultation effective du dossier dès lors qu'il avait été remis à son conseil sous forme d'un CD-ROM sans mise à disposition du matériel adéquat pour le consulter ; qu'en rejetant ce moyen de nullité, au motif qu'aucune obligation légale ne prévoit que le conseil du prévenu puisse disposer d'un moyen de lecture du CD-ROM fourni par l'autorité judiciaire, sans rechercher si cette mise à disposition n'est pas rendue nécessaire dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles préliminaire et 393 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'il ressort de la procédure que le procureur de la République a refusé d'entendre les observations présentées par le conseil de M. [P] lors d'une premier entretien auquel il a mis fin unilatéralement puis a décidé de le déférer lors d'un second entretien, sans la présence de son avocat qui a été prévenu tardivement et sans qu'il ait donc la possibilité de faire ses observations sur les éventuelles irrégularités du dossier et sur la nécessité de procéder à de nouveaux actes d'enquête ; que ce faisant, la procédure est entachée de nullité au regard des articles préliminaire et 393 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme et 393 du code de procédure pénale :

5. Selon le premier de ces textes, toute personne poursuivie a le droit de disposer du temps et des facultés nécessaires à la préparation de sa défense.

6. Il résulte du second que, lorsque une personne est déférée devant le procureur de la République, en vue de sa comparution devant le tribunal correctionnel, selon la procédure de la comparution immédiate ou de la comparution différée, son avocat, ou la personne déférée elle-même, lorsqu'elle n'est pas assistée par un avocat, peut consulter sur le champ le dossier.

7. Pour répondre à l'exception de nullité de la comparution immédiate, soulevée par le prévenu au motif que, lors de son déferrement, son avocat n'avait pu consulter de manière effective le dossier de la procédure, qui lui avait été remis sous la forme d'un CD-ROM, sans mise à disposition d'un matériel permettant de le consulter, la cour d'appel énonce qu'aucune disposition légale ne prévoit la mise à disposition, par l'autorité judiciaire, d'un tel matériel au conseil du prévenu, lors d'un déferrement en vue d'une comparution immédiate.

8. En prononçant ainsi, alors que la libre consultation du dossier de la procédure implique la mise à disposition, de la personne déférée et de son avocat, du matériel nécessaire à sa lecture effective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de la procédure d'appel, alors :

« 1°/ que toute personne suspectée ou poursuivie et qui ne comprend pas la langue française a droit, dans une langue qu'elle comprend et jusqu'au terme de la procédure, à l'assistance d'un interprète et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l'exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès ; qu'en l'espèce, en rejetant la demande de nullité du recours à la visioconférence pour l'audience devant la cour, tirée d'une absence de traduction de l'avis d'audience prévoyant ce recours, au motif que cet avis d'audience n'est pas visé par l'article D. 594-6 du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les articles préliminaire, 706-71 et 803-5 du code de procédure pénale, et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en rejetant la demande de nullité du recours à la visioconférence pour l'audience devant la cour, tirée d'une absence de traduction de l'avis d'audience, au motif inopérant que l'avocat du prévenu avait été informé du recours à la visioconférence, la cour d'appel a violé les articles préliminaire, 706-71 et 803-5 du code de procédure pénale, et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles préliminaire et 706-71 du code de procédure pénale :

10. Selon le premier de ces textes, la personne poursuivie, si elle ne comprend pas la langue française, a droit, dans une langue qu'elle comprend, à l'assistance d'un interprète, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l'exercice de sa défense.

11. Il résulte du second qu'avec l'accord du prévenu, la comparution de celui-ci devant le tribunal correctionnel peut avoir lieu par télécommunication audiovisuelle.

12. Pour écarter le moyen de nullité, tiré de l'absence de traduction de l'avis informant le prévenu que sa comparution devant la cour d'appel aurait lieu par le recours à la visioconférence, l'arrêt attaqué énonce que, cet avis n'étant pas visé par les 1° à 4° de l'article D. 594-6 du code de procédure pénale, sa traduction écrite ou par le biais d'un interprète n'est pas obligatoire.

13. Les juges ajoutent qu'à titre surabondant, ils constatent que plus d'un mois avant la transmission de l'avis d'audience au prévenu, son avocat a été informé par le parquet général qu'il comparaîtrait par visioconférence, qu'ainsi les droits de M. [P] ont été préservés, l'avocat ayant pu faire toutes observations sur le recours à la visioconférence avant l'audience, de sorte que le prévenu ne peut se prévaloir d'un grief tiré de l'absence de traduction écrite ou de notification par le biais d'un interprète.

14. En prononçant ainsi, alors que, si l'avis sollicitant l'accord du prévenu pour comparaître devant la juridiction de jugement par visioconférence à l'occasion de son jugement sur le fond ne figure pas à l'énumération des paragraphes 1° à 4° de l'article D. 594-6 du code de procédure pénale, il n'en constitue pas moins une pièce essentielle à la garantie du caractère équitable du procès, ce qui impose sa traduction, lorsque le prévenu ne comprend pas le français, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés.

15. La cassation est par conséquent à nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles en date du 6 avril 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Turbeaux - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ; article 393 du code de procédure pénale ; articles préliminaire, 706-71 et D. 594-6 du code de procédure pénale.

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