Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2021

INSTRUCTION

Crim., 2 mars 2021, n° 20-84.004, (P)

Rejet

Désignation du juge d'instruction – Juge d'instruction empêché – Remplacement – Désignation anticipée par l'assemblée générale – Possibilité (oui)

Aux termes de l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale, si le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, le tribunal judiciaire désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer.

Aucune disposition légale n'interdit à l'assemblée générale du tribunal judiciaire d'anticiper la désignation d'un ou plusieurs magistrats afin de permettre dans le seul cas d'empêchement du titulaire, conformément à ce texte et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, son remplacement par un magistrat disponible.

En effet, un tel processus de désignation présente toute garantie d'impartialité, sans que la désignation de plusieurs remplaçants potentiels ait pour effet la création temporaire d'un second juge d'instruction.

REJET des pourvois formés par MM. Q... E..., F... X..., B... A... G... et I... S... contre l'arrêt n°178 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 25 juin 2020, qui, dans l'information suivie contre eux, notamment des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a prononcé sur leurs demandes d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 19 octobre 2020, le président de la chambre criminelle a ordonné le retour de la procédure à la juridiction saisie concernant le pourvoi formé par M. X..., joint les pourvois de MM. E..., A... G... et S... en raison de leur connexité et prescrit leur examen immédiat.

Des mémoires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une enquête de la police judiciaire de Metz a permis d'identifier plusieurs personnes, agissant de concert, impliquées dans l'acheminement et la diffusion d'importantes quantités de produits stupéfiants dans le secteur de la Moselle-Est.

3. Le 13 septembre 2019, MM. S..., A... G... et E... ont été mis en examen des chefs de transport, détention, offre ou cession, acquisition et emploi d'une substance ou plante classée comme stupéfiant, de participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement, et de non justification de ressources, et placés en détention provisoire.

4. Par requêtes aux fins d'annulation d'actes de la procédure, MM. E..., A... G... et S... ont, notamment contesté la régularité, d'une part, d'opérations de géolocalisation menées en dehors du territoire national, d'autre part, de la désignation des magistrats ayant, ponctuellement, remplacé l'unique juge d'instruction titulaire de la juridiction.

Examen des moyens

Sur les moyens proposés pour MM. E... et A... G... et le second moyen proposé pour M. S...

Enoncé des moyens

5. Le moyen proposé pour M. E... et le second moyen proposé pour M. S... critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté leur requête en nullité, alors :

« 1°/ qu'une ordonnance du président du tribunal ne peut se substituer à une désignation de l'assemblée générale pour procéder à la désignation du magistrat du siège chargé de remplacer un juge d'instruction empêché ; qu'il en est ainsi quand bien même cette ordonnance vise l'avis de l'assemblée générale des magistrats du siège lorsqu'il ne résulte pas de cet avis la désignation expresse et nominative d'un juge d'instruction ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la nomination en tant que juges d'instruction de Mme P..., Mme R... et Mme H..., lorsqu'il ressort des pièces de la procédure que cette nomination est intervenue par une ordonnance de la présidente du tribunal de grande instance de Sarreguemines, rendue au visa de l'assemblée générale des magistrats du siège du 13 décembre 2018 dont le procès-verbal ne contenait aucune désignation d'un magistrat, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire, 50, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause, la désignation d'un magistrat en remplacement d'un juge d'instruction absent, malade ou autrement, empêché, ne peut intervenir qu'au moment de la manifestation effective dudit empêchement et non de manière anticipée ; qu'en déclarant qu' « aucune disposition n'interdit à l'assemblée générale des magistrats du siège de prévoir, par anticipation, quel sera ou quels seront le(s) magistrat(s) amené(s) à remplacer en cas d'empêchement le juge d'instruction en titre », pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la nomination en tant que juges d'instruction de Mme P..., Mme R... et Mme H... intervenue avant tout empêchement effectif du juge d'instruction initialement désigné, la chambre de l'instruction a violé les dispositions des article 50, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

6. Le moyen proposé pour M. A... G... critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande en nullité des actes d'instruction ordonnés contre M. G... par Mme L... P..., juge au tribunal d'instance de Saint-Paul, et par Mme K... R..., juge des enfants au tribunal de grande instance de Sarreguemines, toutes deux désignées en remplacement de M. C..., seul juge d'instruction nommé à ces fonctions auprès du tribunal de grande instance de Sarreguemines, alors ;

« 1°/ que le remplacement d'un juge d'instruction empêché, par un magistrat qui n'a pas été nommé à ces fonctions, ne peut intervenir qu'au moment de la manifestation de l'empêchement et non de manière anticipée ; qu'en retenant le contraire, pour valider les actes d'instruction ordonnés contre M. G... par Mmes P... et R..., dont la désignation en qualité de « binômes » ou de « suppléants » du seul juge d'instruction nommé auprès du tribunal de grande instance de Sarreguemines, était intervenue à un moment où celui-ci n'était pas encore empêché, la chambre de l'instruction a violé l'article 50 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'une ordonnance du président du tribunal de grande instance ne peut se substituer à une désignation de l'assemblée générale pour procéder à la désignation du magistrat du siège chargé de remplacer l'unique juge d'instruction d'un tribunal ; qu'en validant les actes d'instruction ordonnés contre M. G... par Mmes P... et R..., lesquelles avaient été désignées en remplacement de M. C... par une ordonnance du 21 décembre 2018 de la présidente du tribunal de grande instance de Sarreguemines, au visa d'un procès-verbal de l'assemblée des magistrats du siège du 13 décembre 2018 se bornant à valider le principe du remplacement de ce magistrat sans désigner nommément les magistrats remplaçants, la chambre de l'instruction a violé l'article 50 du code de procédure pénale ;

3°/ que commet un excès de pouvoirs le tribunal qui, ayant à remplacer le juge d'instruction empêché, désigne deux juges et crée ainsi temporairement un second juge d'instruction ; qu'en validant les actes d'instruction ordonnés contre M. G... par Mmes P... et R..., toutes deux désignées en remplacement du seul juge d'instruction du tribunal de Sarreguemines, la chambre de l'instruction a violé l'article 50 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Les moyens sont réunis.

8. Pour écarter les moyens de nullité, pris de l'irrégularité de la désignation des magistrats ayant remplacé ponctuellement le juge d'instruction empêché, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, que les magistrats du siège réunis en assemblée générale n'ont pas simplement donné un avis, par nature consultatif, mais bien pris une décision qui liait la présidente, quand bien même cette décision était rendue sur la base d'un projet d'ordonnance de roulement établi par la présidente et proposé à l'assemblée et, d‘autre part, que la lecture du procès-verbal de l'assemblée générale du 13 décembre 2018 permet de constater que, s'il est noté un « avis favorable » au projet présenté, le résultat de ce vote a bien été porté au chapitre intitulé : « désignation des magistrats remplaçant le juge d'instruction ».

9. Les juges ajoutent que, par ailleurs, aucune disposition n'interdit à l'assemblée générale des magistrats du siège de prévoir, par anticipation, quel sera ou quels seront le(s) magistrat(s) amené(s) à remplacer en cas d'empêchement le juge d'instruction en titre.

10. Ils en concluent que, si les dispositions relatives à la désignation des magistrats remplaçant le juge d'instruction empêché sont effectivement d'ordre public, elles visent à garantir l'impartialité du juge d'instruction et qu'en l'occurrence, la désignation en amont du ou des juges remplaçants, par l'assemblée générale des magistrats du siège, est un gage indéniable d'impartialité qui évite un choix fait par le seul président de la juridiction, dans l'urgence d'un empêchement non prévisible du juge d'instruction.

11. En l'état de ces énonciations la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, l'assemblée générale des magistrats du tribunal de grande instance de Sarreguemines ne s'est pas contentée d'émettre un avis sur le remplacement du juge d'instruction titulaire par un ou plusieurs magistrats de la juridiction mais a procédé, par un vote, à leur désignation nominative sur la base d'un projet qui lui a été soumis.

13. En second lieu, aucune disposition légale n'interdit, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'anticiper la désignation d'un ou plusieurs magistrats afin de permettre, conformément aux dispositions de l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale, dans le seul cas d'empêchement du titulaire, son remplacement par un magistrat disponible dont la nomination présente, en raison de son processus de désignation par l'assemblée générale du tribunal de grande instance, toute garantie d'impartialité, sans que, par ailleurs, la désignation de plusieurs remplaçants potentiels puisse avoir pour effet de créer temporairement un second juge d'instruction.

14. Ainsi, les moyens ne sont pas fondés.

Sur le premier moyen proposé pour M. S...

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la chambre de l'instruction n'a que partiellement fait droit à la requête en nullité fondée sur l'irrégularité des opérations de géolocalisation menées en dehors du territoire national sans acceptation des autorités judiciaires étrangères, alors :

« 1°/ que, d'une part, constitue une mesure de géolocalisation la mise en place de tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, indépendamment de toute considération de précision de cette localisation ; qu'en retenant, pour rejeter partiellement la requête en nullité de M. S..., qu'une mesure de localisation opérée notamment sur les territoires marocains, espagnols et allemands, sans autorisation préalable ou concomitante de ces Etats, ne saurait s'analyser en une mesure de géolocalisation, faute pour les procès-verbaux d'exploitation de cette mesure de faire état d'une indication précise de lieu, la chambre de l'instruction, qui a ajouté à la notion de géolocalisation un critère de précision que la loi ne prévoit pas, n'a pas justifié sa décision au regard des articles préliminaire, 230-32, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que, d'autre part, et en tout état de cause, les données issues d'une géolocalisation mise en oeuvre sur le territoire national et s'étant poursuivie sur le territoire d'un autre Etat ne peuvent, lorsque cette mesure n'a pas fait l'objet d'une acceptation préalable ou concomitante de celui-ci au titre de l'entraide pénale, être exploitées en procédure qu'avec son autorisation ; qu'ainsi, n'a pas justifié sa décision au regard des articles préliminaire, 230-32, 591 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui après avoir constaté l'existence d'un procès-verbal indiquant que « depuis le lundi 4 février à 17 heures 43, [M. I... S...] est en position de roaming au Maroc » et d'un second mentionnant qu' « il est à relever un déplacement en Espagne effectué visiblement en avion », rejette la requête en annulation sans rechercher si une autorisation des Etats étrangers concernés apparaissait dans la procédure. »

Réponse de la Cour

16. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l'irrégularité des opérations de géolocalisation menées en dehors du territoire national, sans acceptation des autorités judiciaires étrangères, l'arrêt retient, tout d'abord, s'agissant de la localisation en temps réel des véhicules utilisés par l'intéressé, que la plupart des pièces ne comportent aucune indication précise de lieu dès lors que l'intéressé franchit la frontière, les procès-verbaux se bornant à indiquer qu'il se rend sur le territoire allemand.

17. Les juges en concluent que même si les heures de franchissement aller- retour des frontières sont mentionnées, il ne saurait être considéré qu'il y a géolocalisation.

18. Ils relèvent, ensuite, s'agissant de l'exploitation en temps réel de la ligne téléphonique de l'intéressé au Maroc qu'il résulte du procès-verbal coté D 1290, que « depuis le lundi 4 février à 17 heures 43, il est en position de roaming au Maroc ».

19. Les juges en concluent que la seule indication du pays étranger, d'où les appels paraissent avoir été passés ou reçus provisoirement sans plus ample précision de lieu, ne saurait s'analyser en une mesure de géolocalisation.

20. Ils retiennent, enfin, dans le procès-verbal, coté D 2204, qu' « il est à relever un déplacement en Espagne effectué visiblement en avion ».

21. Ils en concluent que la seule indication du pays étranger, sans autre précision, ne saurait s'analyser en une mesure de géolocalisation.

22. En l'état de ces énonciations la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens pour les motifs qui suivent.

23. En premier lieu, les données issues d'une géolocalisation mise en oeuvre sur le territoire national mentionnant des heures de franchissement aller-retour des frontières avec l'Allemagne, par un véhicule, observées depuis la France, ne constituent pas, en l'absence de toute indication sur son itinéraire dans ce pays, une localisation en temps réel sur son territoire.

24. En deuxième lieu, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la seule mention de la date et de l'heure d'arrivée au Maroc de M. S... ne provient pas d'une opération de localisation en temps réel sur son territoire mais de l'exploitation des fadettes de la ligne mentionnée au procès-verbal coté D1067 et D1068.

25. En troisième lieu, la seule mention d'un déplacement en Espagne de l'intéressé, effectué visiblement en avion, ne constitue pas, en l'absence de toute indication sur son itinéraire dans ce pays, une localisation en temps réel sur son territoire.

26. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Dary - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 50 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 19-83.878, Bull. crim. 2019.

Crim., 16 mars 2021, n° 20-87.057, (P)

Cassation sans renvoi

Détention provisoire – Décision de prolongation – Débat contradictoire – Demande de renvoi – Rejet du juge des libertés et de la détention – Motivation dans la décision – Nécessité

Le juge des libertés et de la détention qui rejette une demande de report motivée, présentée avant le débat contradictoire ou à l'ouverture de celui-ci par la personne détenue ou son avocat, doit, dans son ordonnance, faire mention de cette demande et énoncer les motifs de son refus, motifs que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel de l'ordonnance rendue sur la détention provisoire, ne peut chercher dans le procès-verbal établi à l'occasion du débat contradictoire.

CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. E... Y... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 3 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, importation de stupéfiants, association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Le 22 novembre 2019, M. Y... a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt correctionnel.

2. Par ordonnance en date du 13 novembre 2020, le juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure pour une nouvelle durée de quatre mois.

3. M. Y... a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa troisième branche

4. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de M. Y... en écartant la demande d'annulation du débat contradictoire tirée de l'absence de mention, dans l'ordonnance elle-même, de la demande de report et de ses suites, alors :

« 1°/ que si aucune disposition n'impose que le refus du renvoi du débat contradictoire figure au dispositif de l'ordonnance de placement ou de prolongation de la détention provisoire, il importe toutefois qu'il soit expliqué dans les motifs de cette décision ; qu'ainsi, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 114, 137, 144, 145, 145-2, 591 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui a confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention entreprise quand celle-ci ne comportait aucune mention de la demande de report effectuée et des suites qui lui avaient été réservées. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 137-3 du code de procédure pénale :

6. Il se déduit de ce texte que le juge des libertés et de la détention qui rejette une demande de report motivée, présentée avant le débat contradictoire ou à l'ouverture de celui-ci par la personne détenue ou son avocat, doit, dans son ordonnance, faire mention de cette demande et énoncer les motifs de son refus.

7. Pour rejeter la demande d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de M. Y..., prise du refus non motivé d'un renvoi d'affaire demandé par l'intéressé à l'ouverture du débat contradictoire en raison de l'absence de ses avocats, l'arrêt énonce que, selon les mentions figurant au procès verbal de débat contradictoire, M. Y... a sollicité le report de l'audience.

8. Les juges précisent que les trois avocats de l'intéressé avaient été régulièrement convoqués et n'avaient pas sollicité le report ni allégué le moindre motif d'indisponibilité, ajoutant que deux d'entre eux, contactés téléphoniquement par le greffier avant l'audience, avaient indiqué qu'ils n'étaient pas disponibles, consentant ainsi implicitement à une organisation du débat en leur absence.

9. Ils relèvent encore que M. Y... n'a formulé sa demande de renvoi qu'à l'ouverture du débat, du seul fait de l'absence de ses conseils, alors que le juge des libertés et de la détention était tenu de statuer dans un délai contraint, avant le 21 novembre 2020.

10. La chambre de l'instruction retient que la seule absence d'un élément de réponse motivée du juge des libertés et de la détention à la demande de renvoi formée oralement par le mis en examen au cours du débat ne saurait être considérée comme faisant grief aux droits de la défense, dès lors que l'atteinte dénoncée résulte de la seule absence de ses avocats, régulièrement convoqués et n'ayant à aucun moment sollicité un tel report d'audience.

11. La chambre de l'instruction en déduit que dès lors que la demande de report émanant de M. Y... avait pour unique motif l'absence de ses défenseurs régulièrement convoqués, il ne saurait être légitimement reproché au juge des libertés et de la détention de ne pas avoir motivé son refus dans l'ordonnance de prolongation.

12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction, constatant qu'aucune réponse n'avait été donnée par le juge des libertés et de la détention, dans sa décision, à une demande de renvoi formulée par la personne mise en examen, ne pouvait chercher dans les mentions du procès verbal établi à cette occasion les raisons de ce refus et a ainsi méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

13. La cassation est dès lors encourue.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

15. M. Y... doit être remis en liberté, s'il n'est détenu pour autre cause.

16. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale, permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissances des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

17. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. Y... ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions qui lui sont reprochées.

18. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin :

- d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen, ses coauteurs ou ses complices et prévenir les risques de pression sur les témoins en ce que les investigations se poursuivent aux fins de déterminer l'implication de chaque personne mise en cause dans ce qui peut apparaître comme un réseau organisé, reposant sur des interventions multiples, d'autant que M. Y..., dont les déclarations, à l'issue des confrontations organisées, ne coïncident pas avec celles d'autres personnes mises en examen, est mis en cause pour avoir joué un rôle déterminant dans l'organisation du trafic mis à jour ; que des allégations de pressions ont été formulées par l'un des mis en cause au moins, alors qu'il a été découvert récemment un téléphone portable dans la cellule de M. Y... et que de nouvelles confrontations sont envisagées ;

- de prévenir le renouvellement des infractions, en ce que le casier judiciaire de M. Y... met en évidence six condamnations, dont cinq en lien avec les stupéfiants, au nombre desquelles une précédente en 2001 à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour des faits similaires, alors que la perquisition au domicile de l'intéressé a permis la saisie de stupéfiants et d'une arme ;

- de garantir le maintien de l'intéressé à la disposition de la justice, en ce que si M. Y... revendique des attaches familiales pérennes et un domicile stable, l'activité professionnelle de commerçant dont il se prévaut le conduit, selon ses explications, à se rendre régulièrement en Belgique et aux Pays-Bas, zone d'approvisionnement en stupéfiants dans le cadre du trafic concerné.

19. Afin d'assurer ces objectifs, M. Y... sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.

20. Le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Metz est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 3 décembre 2020 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que M. Y... est détenu sans titre depuis le 22 novembre 2020 ;

ORDONNE la mise en liberté de M. Y... s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. Y... ;

DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :

- ne pas sortir des limites territoriales suivantes : département de la Moselle ;

- ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer [...], qu'aux conditions suivantes : chaque jour de 6 heures à 21 heures, sous réserve du respect des règles liées à la situation sanitaire ;

- se présenter avant le 18 mars 2021 à 17 heures et ensuite chaque lundi, mercredi et vendredi au commissariat de police de Moyeuvre-Grande ;

- s'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes :

MM. W... BN..., I... T..., O..., R... et F... L..., J... S..., M... H..., T... Y..., M... V..., X... C..., HO... B..., T... D..., U... Q..., K... A..., P... G... et M... H..., Mme N... RF... AF...,

DESIGNE, pour veiller au respect de ces obligations, le commissaire de police de Moyeuvre-Grande ;

DIT que le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Metz est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;

DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 137-3 du code de procédure pénale.

Crim., 10 mars 2021, n° 20-86.919, (P)

Cassation sans renvoi

Détention provisoire – Juge des libertés et de la détention – Débat contradictoire – Phase préparatoire – Principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat – Droit de s'entretenir avec un avocat – Mise en oeuvre – Permis de communiquer – Délivrance – Refus injustifié

Le fait que le mis en examen ait accepté d'être défendu par l'avocat de permanence lors du débat contradictoire différé ne permet pas d'écarter l'atteinte à ses droits résultant d'un refus injustifié de délivrance du permis de communiquer opposé, avant ce débat, à l'avocat choisi qui n'a ainsi pas été en mesure d'assurer sa défense.

CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. Q... G... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 3 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment et travail dissimulé, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. G... a été mis en examen le 23 novembre 2020 pour blanchiment et travail dissimulé, et, ayant sollicité devant le juge des libertés et de la détention un débat différé, il a été placé sous mandat de dépôt à durée déterminée.

3. Dès le lendemain, Me Scemama, avocat choisi par le mis en examen, a demandé par télécopie au magistrat instructeur que lui soit délivré un permis de communiquer. Faute de réponse, il a réitéré sa demande le lendemain, 25 novembre 2020.

Le 26 novembre 2020, le greffier du juge d'instruction lui a répondu par télécopie que M. G... n'était pas encore en détention provisoire, le débat sur le placement en détention provisoire n'ayant pas encore eu lieu, et n'a pas donné suite à sa demande de permis de communiquer.

4. Le débat contradictoire a eu lieu comme prévu le 26 novembre 2020, en l'absence de l'avocat choisi. M. G... était cependant défendu, avec son accord, par l'avocat de permanence, avec lequel il s'était préalablement entretenu, et qui avait eu accès au dossier.

5. À l'issue du débat, M. G... a été placé en détention provisoire. Il a fait appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa troisième branche

6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Énoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire qui lui était déférée et d'avoir confirmé ladite ordonnance, alors :

« 1°/ qu'en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense ; que le défaut de délivrance de cette autorisation à un avocat désigné, avant un débat contradictoire différé, organisé en vue d'un éventuel placement en détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen ; qu'en l'absence de circonstances insurmontables ayant empêché la délivrance à l'avocat, en temps utile, d'un permis de communiquer avec la personne détenue, permis qui peut être délivré d'office à l'avocat choisi dès la décision d'incarcération provisoire, l'ordonnance de placement en détention provisoire prononcée sans que l'intéressé ait pu être assisté de l'avocat choisi est nulle ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué constate que l'avocat choisi par M. G... a sollicité auprès du greffe du juge d'instruction à deux reprises, avant la tenue du débat contradictoire différé, la délivrance d'un permis de communiquer qui lui a été refusée ; qu'en refusant néanmoins d'annuler l'ordonnance de placement en détention provisoire, l'arrêt attaqué a violé les articles 6, § 3c de la Convention européenne des droits de l'homme, 115 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale ;

2°/ que la circonstance que le mis en examen a été assisté d'un avocat commis d'office lors du débat différé ne peut suppléer l'absence et le refus de délivrance d'un permis de communiquer à l'avocat désigné ; qu'en énonçant « en l'absence de toute réponse de l'avocat choisi aux sollicitations du juge des libertés et de la détention pour qu'il assiste son client lors du débat contradictoire, ce dernier a avisé l'avocat de permanence, qui a accepté de défendre l'intéressé » et que « le mis en examen a[avait] accepté, dûment éclairé par l'avocat de permanence, l'assistance de ce dernier », la chambre de l'instruction a méconnu l'article 6, § 3, de la Convention des droits de l'homme ensemble les articles 115, 145-4 R. 57-6-5 et R. 57-6-6 du code de procédure pénale et 25 loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 » ;

4°/ qu'aucun texte ne fait obligation à l'avocat choisi qui s'est vu refuser la délivrance d'un permis de communiquer avant la tenue du débat différé de déposer des écritures pour protester ou de se présenter au cabinet du juge des libertés et de la détention préalablement à la demande de nullité de l'ordonnance invoquée dans le cadre de l'appel interjeté contre ladite ordonnance ; qu'en énonçant, pour confirmer l'ordonnance de placement en détention provisoire, qu'« aucune écriture n'ayant été déposée, aucune mention de protestation ne figurant au dossier été faite et l'avocat choisi ne s'étant pas présenté au cabinet du juge des libertés et de la détention » et que « la défense ne saurait (...) invoquer a posteriori une atteinte aux droits de la défense » la chambre de l'instruction a méconnu les mêmes textes ;

5°/ qu' il doit être établi au dossier de la procédure d'instruction une copie des actes d'information ainsi que de toutes les pièces de la procédure ; qu'il appartient au juge des libertés et de la détention de prendre connaissance du dossier de l'instruction avant la tenue du débat différé et de mettre en liberté le mis en examen s'il constate que le juge d'instruction ou son greffier ont irrégulièrement refusé à l'avocat désigné du mis en examen la délivrance d'un permis de communiquer avant la tenue du débat différé ; que figurent au dossier de l'instruction les demandes de délivrance du permis de communiquer et le refus opposé par le greffe de le délivrer ; qu'en énonçant que le juge des libertés et de la détention « est demeuré dans l'ignorance de la situation et s'est trouvé dans l'impossibilité d'en tirer le cas échéant les conséquences de droit, le mis en examen ayant accepté, dûment éclairé par l'avocat de permanence, l'assistance de ce dernier », quand il appartenait audit juge de constater qu'un refus illégal de permis de communiquer avait été opposé à l'avocat choisi du mis en examen et d'en tirer les conséquences en ordonnant la mise en liberté de M. G..., la chambre de l'instruction a de nouveau méconnu les mêmes textes. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, et 115 du code de procédure pénale :

8. En vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant du premier de ces textes, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense. Il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à un avocat désigné, avant un débat contradictoire tenu en vue d'un éventuel placement en détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen.

9. Pour écarter le moyen de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire, tiré de l'absence de délivrance du permis de communiquer à l'avocat choisi par le mis en examen, malgré deux demandes de celui-ci adressées au greffe du juge d'instruction la veille et l'avant-veille du débat contradictoire, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'en l'absence de toute réponse de l'avocat choisi aux sollicitations du juge des libertés et de la détention pour qu'il assiste son client lors du débat contradictoire, ce dernier a avisé l'avocat de permanence, qui a accepté de défendre l'intéressé, a pris connaissance du dossier avant le débat, et s'est entretenu avec M. G..., qui lui-même ne s'y est pas opposé.

10. Les juges ajoutent qu'il s'en déduit, aucune écriture n'ayant été déposée, aucune mention de protestation ne figurant au dossier, et l'avocat choisi ne s'étant pas présenté au cabinet du juge des libertés et de la détention lors du débat contradictoire différé du 26 novembre 2020, que le juge des libertés et de la détention est demeuré dans l'ignorance de la situation, et s'est trouvé dans l'impossibilité d'en tirer, le cas échéant, les conséquences de droit, le mis en examen ayant accepté, dûment éclairé par l'avocat de permanence, l'assistance de ce dernier.

11. La chambre de l'instruction en conclut que la défense ne saurait, dans ces conditions, invoquer a posteriori une atteinte aux droits de la défense.

12. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

13. En effet, les juges ayant constaté qu'un refus injustifié de délivrance du permis de communiquer avait été opposé à l'avocat choisi, lequel n'a pas été en mesure d'assurer la défense du mis en examen lors de ce débat, le fait que ce dernier ait accepté d'être défendu par l'avocat de permanence lors du débat contradictoire ne permet pas d'écarter toute atteinte à ses droits.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquence de la cassation

15. Le défaut de délivrance du permis de communiquer en temps utile, met en cause la régularité du débat contradictoire et donc celle de l'ordonnance rendue et du titre de détention qui en résulte.

La cassation aura donc lieu sans renvoi et l'intéressé sera remis en liberté s'il n'est détenu pour autre cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 3 décembre 2020 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE la remise en liberté de M. Q... G... s'il n'est détenu pour autre cause.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Wyon - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ; article 115 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 7 janvier 2020, pourvoi n° 19-86.465, Bull. crim. 2020.

Crim., 10 mars 2021, n° 20-84.117, (P)

Rejet

Mesures conservatoires – Saisie immobilière – Définition – Mesure temporaire à caractère provisoire – Effet – Transfert de propriété (non) – Bien nécessairement saisi dans sa totalité

En application de l'article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale, la saisie immobilière, qui est une mesure temporaire et à caractère provisoire n'entraînant aucun transfert de propriété, les biens immobiliers appartenant à un tiers ne peuvent être saisis que dans leur totalité, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

REJET du pourvoi formé par la Société de gestion immobilière Nalpas contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 25 juin 2020, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre la société Pronal et M. P... D..., des chefs d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, faux, complicité de ce délit et recel, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société Simtech, candidate à des marchés publics organisés par le ministère de la défense, a dénoncé auprès du procureur de la République des faits susceptibles de constituer le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics qui auraient été commis dans le cadre de l'attribution de neuf marchés à la société Pronal, alors que le matériau présenté par celle-ci comme échantillon s'est révélé non conforme à la spécification imposée par le règlement de la consultation des marchés.

3. Il résulte des investigations entreprises que des personnels du ministère de la défense auraient avantagé la société Pronal en lui attribuant une note technique excessive au regard de la qualité de son échantillon, en lui fournissant des informations privilégiées sur les termes des marchés, et en demandant à la direction centrale du service des essences des armées (DCSEA) d'homologuer le tissu de la société Pronal pour une durée de dix ans, garantissant ainsi un niveau de qualité du matériau qu'en réalité il n'avait pas.

4. L'enquête a par ailleurs mis en évidence les liens privilégiés entretenus par la société Pronal et son dirigeant, M. P... D..., avec les agents des services concernés.

5. En juillet 2019, la société Pronal et M. D... ont été convoqués devant le tribunal correctionnel du chef de recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.

6. Auparavant, dans le cadre de l'enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie d'un immeuble, d'une valeur de 2 380 000 euros, propriété de la Société de gestion immobilière Nalpas (SGIN), détenue par la société Pronal qui en est l'associé unique, et dirigée par M. D..., par décision du 23 juillet 2018 à l'encontre de laquelle la société SGIN a interjeté appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la saisie en valeur de l'ensemble immobilier litigieux appartenant à l'exposante en la cantonnant à la valeur de 523 157 euros, alors :

« 1°/ que, d'une part, il résulte de l'article 706-141-1 du code de procédure pénale que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ; que, selon les dispositions de l'article 706-151, alinéa 2, du même code, jusqu'à la mainlevée de la saisie pénale de l'immeuble ou la confiscation de celui-ci, la saisie porte sur la valeur totale de l'immeuble ; qu'il s'ensuit qu'un bien immobilier dont la valeur excède celle du bien susceptible de confiscation ne peut être saisi ; qu'en l'espèce, pour confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a autorisé la saisie pénale en valeur de l'immeuble appartenant à la société exposante, tiers à la procédure, et l'infirmer en ce qu'elle a dit que cette saisie portait sur la valeur totale de l'immeuble saisi pour la cantonner à la somme de 523 157 euros, la chambre de l'instruction retient que le produit de l'infraction reprochée à la société poursuivie devait s'analyser comme la marge nette comptable sur les neuf marchés publics suspects, c'est-à-dire 523 157 euros HT, de sorte que la saisie de l'immeuble litigieux, dont la valeur est estimée à 3 millions d'euros, devait être cantonnée à cette somme ; qu'en prononçant ainsi, lorsque, par l'application des dispositions légales qui régissent les effets des saisies pénales immobilières, et en dépit du cantonnement prononcé, la saisie ainsi ordonnée porte nécessairement sur la valeur totale de l'immeuble, qui devient indisponible pour le tout, et que cette valeur excède celle du produit de l'infraction poursuivie, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;

2°/ que d'autre part les biens appartenant à un tiers de bonne foi ne peuvent faire l'objet d'une mesure de saisie pénale immobilière ; que, dès lors, en confirmant l'ordonnance entreprise en son principe en ce qu'elle a autorisé la saisie en valeur de l'ensemble immobilier appartenant à la société exposante, tiers à la procédure, motif pris que la société poursuivie en avait la libre disposition, sans répondre à l'articulation essentielle du mémoire régulièrement déposé devant elle qui soutenait que la société exposante était de bonne foi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 du code pénal, 706-141, 706-141-1, 706-150, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'enfin, le juge qui autorise la saisie en valeur d'un bien appartenant à une personne à l'encontre de laquelle il n'existe pas de raisons plausibles de soupçonner qu'elle a participé à l'infraction poursuivie ou qu'elle a bénéficié du produit de celle-ci doit apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, y compris lorsque la saisie a porté sur la valeur du produit direct ou indirect de l'infraction ; que, dès lors, en s'abstenant de répondre à l'articulation essentielle du mémoire qui invoquait le caractère disproportionné de la saisie en valeur de l'immeuble appartenant à l'exposante, lorsqu'il ne ressort pas de ses constatations que celle-ci aurait participé aux infractions poursuivies ou qu'elle en aurait tiré profit, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 706-150 du code de procédure pénale et 131-21 du code pénal. »

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer l'ordonnance de saisie immobilière rendue par le juge des libertés et de la détention en son principe et la cantonner à hauteur de la somme de 523 157 euros correspondant à la marge nette comptable dégagée par la société Pronal dans le cadre des neuf marchés litigieux, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des éléments précis et circonstanciés de la procédure qu'il existe des raisons rendant plausible l'implication de la société Pronal dans les faits de recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.

9. Les juges ajoutent qu'en tout état de cause, la société Pronal et son dirigeant sont convoqués devant le tribunal correctionnel de ce chef et qu'en application des articles 433-17,3° et 131-21 alinéa 9 du code pénal, la société susnommée encourt la peine complémentaire de confiscation en valeur de biens lui appartenant ou dont elle a la libre disposition.

10. Ils relèvent ensuite que la société Pronal est l'unique associée de la société SGIN, seule propriétaire de l'immeuble à usage industriel et de bureaux, objet de la saisie pénale contestée, que ces deux sociétés ont le même dirigeant en la personne de M. D... et en déduisent que la première a la libre disposition dudit bien.

11. La chambre de l'instruction énonce que la saisie pénale en valeur du bien immobilier est possible sous réserve du respect du principe de proportionnalité et que le produit de l'infraction reprochée à la société Pronal ne saurait se confondre avec le chiffre d'affaires TTC d'un montant de 2 891 400,08 euros généré par les neuf marchés suspects et visé tant dans la requête du procureur de la République que dans l'ordonnance déférée.

12. Elle constate qu'il résulte du rapport d'audit réalisé par KPMG le 28 juin 2019 et produit par la société appelante que le seul profit qu'a pu percevoir la société Pronal résulte de la marge nette HT sur les ventes de ses produits qui a été chiffrée par ce rapport à la somme de 523 157 euros.

13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

14. En effet, d'une part, en application de l'article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale, la saisie immobilière, qui est une mesure temporaire et à caractère provisoire, n'entraînant aucun transfert de propriété, les biens immobiliers appartenant à un tiers ne peuvent être saisis que dans leur totalité, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

15. D'autre part, il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que la direction de la société SGIN par M. D..., lui-même mis en cause tout comme la société Pronal qu'il dirige également et qui est l'associée unique de la demanderesse, exclut la bonne foi de celle-ci.

16. Enfin, le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité est irrecevable, la société SGIN étant sans qualité à invoquer les conséquences de la saisie pour la société Pronal qui n'est pas la propriétaire du bien saisi.

17. D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : M. Valleix - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale.

Crim., 30 mars 2021, n° 21-80.141, (P)

Cassation partielle

Ordonnances – Appel – Appel de la partie civile – Ordonnance de règlement – Omission de statuer sur certains faits – Pouvoirs de la chambre de l'instruction

Lorsque la chambre de l'instruction statuant sur appel d'une ordonnance de règlement du juge d'instruction qui a omis de statuer sur certains des faits dont il était saisi, elle doit annuler cette ordonnance en ce qu'elle a omis de statuer sur ces faits puis, conformément aux dispositions de l'article 206, alinéa 3, du code de procédure pénale, soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201, 202 et 204 du même code, soit renvoyer le dossier de la procédure au même juge d'instruction ou à tel autre, afin de poursuivre l'information sur les faits omis par l'ordonnance de règlement.

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par Mme L... C..., partie civile, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 14 février 2020, rectifié par un arrêt du 22 décembre 2020, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte contre Mme B... F... et M. T... S... des chefs de traite d'êtres humains, soumission d'une personne à des conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine, rétribution insuffisante d'une personne vulnérable, aide à l'entrée et au séjour irréguliers d'un étranger, emploi d'un étranger démuni de carte de travail et travail dissimulé, a confirmé partiellement l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction.

Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mme C..., de nationalité nigériane, a porté plainte contre personne non dénommée et s'est constituée partie civile, le 7 juin 2012, des chefs de traite d'êtres humains, soumission d'une personne à des conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine, rétribution insuffisante d'une personne vulnérable, aide à l'entrée et au séjour irréguliers d'un étranger, emploi d'un étranger démuni de carte de travail et travail dissimulé.

3. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le 27 juillet 2012, M. et Mme S... ont été mis en examen, le 10 décembre 2015, des chefs de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine, aide à l'entrée et au séjour irréguliers d'un étranger et travail dissimulé.

4. Le 15 décembre 2016, le procureur de la République a pris un réquisitoire définitif aux fins de non-lieu et, par ordonnance en date du 3 octobre 2017, le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque.

5. Mme C... a relevé appel de l'ordonnance du juge d'instruction.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir seulement dit qu'il existe des charges suffisantes contre Mme F..., épouse S..., et M. S... d'avoir commis les faits de travail dissimulé, de travail et d'hébergement dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, ainsi que d'aide au séjour irrégulier et d'avoir, ainsi, refusé de se prononcer sur les faits de traite des êtres humains et de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante, alors :

« 1°/ que le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits régulièrement dénoncés par la partie civile ; qu'en retenant, pour limiter son examen des charges suffisantes contre les époux S... aux faits de travail dissimulé, de travail et d'hébergement dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, ainsi que d'aide au séjour irrégulier, que ni l'infraction de traite des êtres humains, ni celle de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante n'avaient fait partie de la saisine du magistrat instructeur, quand ces faits avaient pourtant été régulièrement dénoncés au juge d'instruction par la plainte avec constitution de partie civile déposée le 7 juin 2012 par Mme C..., la chambre de l'instruction a violé les articles 176, 186, 206, 591 et 802 du code de procédure pénale, 4, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que le juge d'instruction n'est pas compétent pour apprécier l'opportunité des poursuites ; qu'en retenant, pour limiter son examen des charges suffisantes contre les époux S... aux faits de travail dissimulé, de travail et d'hébergement dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, ainsi que d'aide au séjour irrégulier, que l'absence d'examen par le juge d'instruction des infractions de traite des êtres humains et de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante constituait « un simple exercice de l'opportunité des poursuites », quand le juge d'instruction n'est pas compétent pour apprécier l'opportunité des poursuites, la chambre de l'instruction a violé les articles 176, 177, 178, 179 et 181 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 85, 86 et 206 du code de procédure pénale :

7. Il résulte de ces textes que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public. Cette obligation ne cesse, suivant les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 86, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.

8. Pour confirmer partiellement l'ordonnance de règlement du juge d'instruction en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à suivre des chefs de traite des êtres humains et de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante, l'arrêt attaqué énonce qu'aucun de ces faits n'a fait partie de la saisine du magistrat instructeur sans que cela puisse être considéré comme étant « une omission de statuer », ainsi que le soutient la partie civile, mais un simple exercice de l'opportunité des poursuites.

9. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

10. En effet, d'une part, ni le procureur de la République, les dispositions des articles 40, alinéa 1er, et 40-1 du code de procédure pénale n'étant pas applicables lorsque ce magistrat requiert l'ouverture d'une information sur une plainte avec constitution de partie civile, ni le juge d'instruction ne peuvent apprécier en opportunité la suite à donner aux faits qui sont dénoncés par ladite plainte.

11. D'autre part, les juges du second degré auraient dû annuler la décision entreprise en ce qu'elle s'est bornée à examiner les faits pour lesquels les personnes visées par la plainte ont été mises en examen, omettant ainsi de statuer sur l'ensemble des faits dénoncés par la partie civile, puis, conformément à l'article 206, alinéa 3, du code de procédure pénale, soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201, 202 et 204 dudit code, soit renvoyer le dossier de la procédure au même juge d'instruction ou à tel autre afin de poursuivre l'information sur les faits omis.

12. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation sera limitée aux seules dispositions relatives aux infractions de traite des êtres humains, rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, mais en ses seules dispositions relatives aux infractions de traite des êtres humains, rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 14 février 2020, rectifié par arrêt en date du 22 décembre 2020, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Maziau - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; Me Brouchot -

Textes visés :

Articles 85, 86 et 206 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 16 novembre 1999, pourvoi n° 98-84.800, Bull. crim. 1999, n° 259 (2) (cassation).

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