Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2021

EXTRADITION

Crim., 30 mars 2021, n° 21-80.339, (P)

Rejet

Chambre de l'instruction – Détention extraditionnelle – Demande de mise en liberté – Critères – Garanties offertes en vue de satisfaire à la demande de l'État requérant exclusivement

L'article 696-19 du code de procédure pénale ne renvoyant pas aux articles 137-3 et 144 de ce code, lorsque la chambre de l'instruction statue sur une demande de mise en liberté présentée par un étranger placé sous écrou extraditionnel, elle ne doit se référer qu'aux garanties offertes par l'intéressé en vue de satisfaire à la demande de l'Etat requérant.

REJET du pourvoi formé par M. R... G... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Pau, en date du 27 novembre 2020, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement de la Fédération de Russie, a rejeté sa demande de mise en liberté.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. G... a été incarcéré en France le 21 octobre 2016. Il a été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement par le tribunal correctionnel le 25 octobre 2017.

3. Le 4 juin 2020, un mandat d'arrêt, émis par les autorités judiciaires de la Fédération de Russie, lui a été notifié et il a été placé sous écrou extraditionnel.

4. Par arrêt en date du 16 juin 2020, la chambre de l'instruction a émis un avis favorable à la demande d'extradition et dit que la remise de l'intéressé aux autorités russes était subordonnée au consentement préalable des autorités allemandes.

5. Par lettre recommandée, l'avocat de M. G... a saisi la chambre de l'instruction d'une demande de mise en liberté, enregistrée au greffe de cette juridiction le 10 novembre 2020.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise en liberté de M. G..., alors :

« 3°/ que même en matière d'écrou extraditionnel, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'objectif poursuivi par cet écrou et que ledit objectif ne saurait être atteint en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; qu'au cas d'espèce, en ne constatant à aucun moment que l'éventuelle remise aux autorités russes ne pouvait être garantie par le placement de l'intéressé sous contrôle judiciaire ou l'assignation à résidence avec surveillance électronique, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 696-19 et 144 du code de procédure pénale ;

4°/ que, subsidiairement, même en matière d'écrou extraditionnel, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'objectif poursuivi par cet écrou et que ledit objectif ne saurait être atteint en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; que dès lors que la personne qui fait l'objet d'une demande d'extradition a le droit de refuser cette extradition et de défendre à la demande de l'État requérant, la circonstance que l'intéressé refuse sa remise à cet État ne saurait être mise en avant de manière prépondérante pour conclure à un risque de fuite et refuser une mesure alternative à la détention provisoire ; qu'au cas d'espèce, en se fondant sur la circonstance que l'intéressé refusait son extradition vers la Russie pour en déduire « qu'il est à craindre si l'extradition est finalement accordée qu'il ne cherche à fuir », la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a violé les articles 696-19 et 144 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour rejeter la demande de mise en liberté de M. G..., l'arrêt attaqué énonce que, pour examiner la demande de mise en liberté, la chambre de l'instruction doit se référer aux garanties offertes par l'intéressé en vue de satisfaire à la demande de l'Etat russe.

9. Les juges relèvent que la situation familiale et conjugale de l'intéressé n'apparaît pas de nature à offrir un cadre suffisamment ferme pour permettre le cas échéant une remise aux autorités russes.

10. Ils précisent qu'en effet, alors que M. G..., selon ses explications, menait vie commune avec Mme S... depuis 2013, il a été condamné en France pour des faits graves commis en 2016 à cinq ans de prison, ce dont ils déduisent d'abord que la vie conjugale et familiale ne l'a pas dissuadé de commettre des méfaits, que sa conjointe n'est pas en capacité de s'opposer à ces transgressions et, ensuite, que l'intégration affichée dans un pays suppose le respect de ses lois, ce qui n'a pas été le cas.

11. La chambre de l'instruction ajoute que le moyen relatif à l'absence de risque et de possibilité matérielle de fuite à l'étranger à raison de la pandémie est sans portée, la libre circulation des personnes demeurant la règle et le demandeur expliquant qu'il ne veut pas être remis aux autorités russes, de sorte qu'il est à craindre si l'extradition est finalement accordée qu'il ne cherche à fuir.

12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision et n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les raisons qui suivent.

13. En premier lieu, l'article 696-19 du code de procédure pénale, qui s'applique à la demande de mise en liberté présentée par une personne détenue sous écrou provisoire dans l'attente d'une décision d'extradition, ne renvoie pas aux articles 137-3 et 144 de ce même code.

14. En second lieu, lorsque la chambre de l'instruction statue sur une demande de mise en liberté présentée par un étranger placé sous écrou extraditionnel, elle ne doit se référer qu'aux garanties offertes par l'intéressé en vue de satisfaire à la demande de l'Etat requérant.

15. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud -

Textes visés :

Articles 696-19, 137-3 et 144 du code de procédure pénale.

Crim., 30 mars 2021, n° 21-80.421, (P)

Rejet

Chambre de l'instruction – Procédure – Arrestation provisoire – Compétence exclusive du procureur de la République pour statuer sur une demande d'arrestation provisoire

Lorsqu'une convention d'extradition autorise l'Etat requérant à solliciter, en cas d'urgence, l'arrestation provisoire d'une personne dans l'attente d'une demande d'extradition, le procureur général territorialement compétent peut, en application de l'article 696-23 du code de procédure pénale, dont les dispositions sont exclusives de celles des articles 696-10 et suivants du même code, ordonner l'arrestation provisoire de la personne.

Il s'ensuit que la chambre de l'instruction n'est pas compétente pour donner son avis sur une telle demande et n'a pas à être saisie à cette fin.

Justifie en conséquence sa décision la chambre de l'instruction qui refuse de déclarer arbitrairement détenue la personne arrêtée à titre provisoire, placée sous écrou extraditionnel dans l'attente de la demande d'extradition, le délai de soixante jours prévu par le Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique signé le 23 avril 1996 pour transmettre une telle demande n'étant pas expiré.

REJET du pourvoi formé par M. Q... H... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 30 décembre 2020, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, a rejeté sa demande de mise en liberté.

Un mémoire personnel a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 17 août 2020, le gouvernement américain a formé contre M. H..., de nationalité russe, une demande d'arrestation provisoire aux fins d'extradition, fondée sur le mandat d'arrêt du 17 août 2020 d'un juge fédéral, en vue de l'exercice de poursuites pénales du chef de dissimulation de blanchiment d'argent, faits commis au moins depuis le mois de mai 2018 aux Etats-Unis, prévus et réprimés par l'article 1956(a)(1)(B)(i) du chapitre 18 du code des Etats-Unis d'Amérique, la peine encourue étant de vingt ans d'emprisonnement.

3. Le 15 novembre 2020, M. H... a été interpellé à l'aéroport français de Roissy-Charles de Gaulle, en provenance du Brésil.

4. Le 16 novembre 2020, le procureur général a notifié la demande d'arrestation provisoire à M. H... et procédé à son interrogatoire. Celui-ci a déclaré ne pas consentir à sa remise aux autorités requérantes.

5. Le même jour, M. H... a été placé sous écrou extraditionnel par le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel.

6. Le 14 décembre 2020, M. H... a formé une demande de mise en liberté.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a considéré que M. H... n'est pas détenu arbitrairement, alors que l'article 696 du code de procédure pénale prévoit que les conditions, la procédure et les effets de l'extradition sont déterminés par ce code en l'absence de convention internationale en stipulant autrement ou si celles-ci ne réglementent pas certains points, qu'au cas d'espèce, la procédure est régie par la Convention bilatérale d'extradition entre la France et les Etats-Unis, signée à Paris le 23 avril 1996, que son article 13 prévoit un délai maximum de soixante jours au cours duquel les Etats-Unis doivent adresser l'entier dossier à la France faute de quoi l'arrestation provisoire prend fin, que ce délai est plus long que celui de trente jours prévu à l'article 696-24 du code de procédure pénale, que les articles 696-13 et 696-15 de ce code trouvent à s'appliquer en l'absence de précision de la Convention bilatérale en cause, que M. H... a été présenté au procureur général le 16 novembre 2020 et lui a déclaré ne pas consentir à son extradition et qu'en conséquence, l'article 696-15 du code de procédure pénale selon lequel il aurait dû comparaître devant la chambre de l'instruction dans le délai de dix jours ouvrables à compter de cette date a été méconnu.

Réponse de la Cour

9. Pour dire que M. H... n'est pas arbitrairement détenu, la chambre de l'instruction énonce qu'il résulte de l'article 696 du code de procédure pénale que les dispositions de ce code relatives à l'extradition ne s'appliquent qu'en l'absence de convention internationale en disposant autrement, qu'en l'espèce, le texte applicable est l'article 13 du Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique signé à Paris le 23 avril 1996, selon lequel un Etat contractant peut, en cas d'urgence, demander l'arrestation provisoire de la personne réclamée en attendant la transmission de la demande d'extradition, l'arrestation provisoire prenant fin si, dans le délai de soixante jours, l'Etat requis n'a pas été saisi de la demande d'extradition officielle.

10. Les juges ajoutent que cette disposition conventionnelle ne souffre aucune ambiguïté ou imprécision et est seule applicable à la demande d'arrestation provisoire visant M. H..., l'article 696-15 du code de procédure pénale ne concernant que la demande d'extradition une fois transmise.

11. Ils en concluent que M. H..., arrêté le 15 novembre 2020, présenté au procureur général le 16 novembre 2020, avisé des raisons de son arrestation, informé du délai conventionnel de soixante jours pour la transmission de la demande d'extradition et placé sous écrou extraditionnel par un juge auquel il a donc eu accès, a fait l'objet d'une procédure régulière.

12. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

13. En effet, lorsqu'une convention d'extradition autorise l'Etat requérant à solliciter, en cas d'urgence, l'arrestation provisoire d'une personne dans l'attente de la transmission d'une demande d'extradition, le procureur général territorialement compétent peut, en application de l'article 696-23 du code de procédure pénale, dont les dispositions sont exclusives de celles des articles 696-10 et suivants, ordonner l'arrestation provisoire de la personne en cause.

14. En conséquence, la chambre de l'instruction n'était pas compétente pour donner son avis sur une telle demande et n'avait pas à être saisie à cette fin.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir considéré que M. H... n'était pas soumis à des conditions indignes de détention, alors que la maison d'arrêt de Fresnes est connue pour sa surpopulation, le manque de surveillants et la présence de nuisibles, que dès son arrivée, l'intéressé, qui était légèrement vêtu comme arrivant de l'hémisphère sud où c'est l'été, a tenté de demander des vêtements chauds et qu'en raison de la barrière de la langue et de la mauvaise volonté du centre pénitentiaire, il n'a obtenu aucun vêtement adapté ni à ce moment, ni ultérieurement, en violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Réponse de la Cour

17. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (Crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, en cours de publication) que le juge judiciaire a l'obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant de mettre un terme à la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'il incombe à ce juge, en tant que gardien de la liberté individuelle, de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s'assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant. Lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention est suffisamment crédible, précise et actuelle, de sorte qu'elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne, la juridiction est tenue de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d'en apprécier la réalité.

18. Ces principes, énoncés au bénéfice des personnes placées en détention provisoire, valent également pour les personnes placées sous le régime de l'écrou extraditionnel.

19. Pour rejeter le moyen pris de conditions indignes de détention à la maison d'arrêt de Fresnes où M. H... est placé sous écrou extraditionnel, la chambre de l'instruction énonce que pour recevoir une telle qualification, les conditions de détention doivent être de nature à créer chez la victime des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à l'humilier, à l'avilir et à briser éventuellement sa résistance morale et physique (CEDH, arrêt du 19 avril 2001, Peers c. Grèce, n° 28524/95, § 75) et que la personne intéressée doit donner une description de ses conditions personnelles de détention suffisamment crédible, précise et actuelle pour constituer un commencement de preuve.

20. Les juges ajoutent que la difficulté que M. H... aurait éprouvée pour obtenir du linge chaud n'est étayée par aucun élément de preuve pour caractériser et expliciter cet incident et son issue, que le mémoire indique que l'administration pénitentiaire aurait donné son accord pour apporter du linge et qu'à supposer qu'il soit véridique, un tel incident ne caractériserait pas suffisamment par lui-même des conditions indignes de détention.

21. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte conventionnel visé au moyen, pour les raisons qui suivent.

22. D'une part, M. H... s'est limité à faire état des conditions générales de détention à la maison d'arrêt de Fresnes telles qu'elles ont pu être antérieurement observées en matière de surpopulation carcérale, de manque de surveillants et de présence de nuisibles, sans donner de précisions sur ses conditions personnelles et actuelles de détention à cet égard.

23. D'autre part, si c'est à tort que la chambre de l'instruction a écarté les allégations du demandeur sur le manque de vêtements chauds comme motif inopérant à caractériser des conditions inhumaines ou dégradantes de détention, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que l'intéressé s'est limité à affirmer qu'effectuant un voyage entre le Brésil et la Russie, il était légèrement vêtu comme provenant de l'hémisphère sud où c'est l'été et qu'ainsi, il n'a pas donné de ses conditions personnelles de détention en la matière une description suffisamment précise et crédible de nature à constituer un commencement de preuve de leur caractère inhumain ou dégradant, justifiant des vérifications sur son degré de dénuement.

24. Ainsi, le moyen doit encore être écarté.

25. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) -

Textes visés :

Article 696-23 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 7 avril 2009, pourvoi n° 09-80.703, Bull. crim. 2009, n° 71. Crim., 8 juillet 2020, pourvoi n° 20-81.739, Bull. crim. 2020 ; Crim., 15 décembre 2020, pourvoi n° 20-85.461, Bull. crim. 2021.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.