Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2021

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

Crim., 16 mars 2021, n° 20-87.092, (P)

Cassation

Mesure de sûreté – Existence d'indices graves ou concordants – Contrôle d'office – Défaut – Cas – Raisons plausibles

Les mesures de sûreté ne peuvent être prononcées qu'à l'égard de la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

La chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices.

La constatation de l'existence de raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis les infractions reprochées ne permet pas de déduire l'existence d'indices graves ou concordants de sa participation à ces mêmes faits, cette dernière exigence étant plus stricte que la première.

Encourt en conséquence la censure la chambre de l'instruction qui se borne à relever l'existence de raisons plausibles sans s'assurer de celle d'indices graves ou concordants.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. F... U... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 9 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentative d'importation de stupéfiants et association de malfaiteurs, en récidive, a ordonné son placement en détention provisoire, après infirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé de le placer en détention provisoire et l'ayant placé en liberté sous contrôle judiciaire.

Joignant les pourvois en raison de leur connexité.

Un mémoire personnel et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. U... a été mis en examen le 28 novembre 2020 des chefs susvisés.

3. À l'issue de son interrogatoire de première comparution, il a été placé sous mandat de dépôt à durée déterminée ; par ordonnance en date du 1er décembre 2020, le juge des libertés et de la détention a refusé le placement en détention provisoire de M. U..., qu'il a placé sous contrôle judiciaire.

4. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 15 décembre 2020

5. Le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait le 11 décembre 2020, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; seul est recevable le pourvoi formé le 11 décembre 2020.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le second moyen est pris de la violation des articles 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ; il reproche à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire en affirmant l'existence de raisons rendant plausibles l'implication du mis en examen, alors :

« 1°/ qu'il se déduit de l'article 5, § 1, c, que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ; que pour infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'arrêt attaqué retient l'existence de raisons rendant plausibles l'implication du mis en examen par la seule référence abstraite à la nature d'actes d'investigation réalisés sans en préciser la teneur ; qu'en prononçant ainsi sans s'expliquer davantage sur les indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux seules infractions précisément imputés, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

2°/ que les conditions légales de la détention provisoire ne sont réunies qu'autant que sont énoncés les indices graves ou concordants justifiant de l'implication de la personne mise en cause ; qu'en affirmant ainsi, par les motifs repris au moyen, l'existence de seules raisons plausibles d'une participation de l'auteur aux faits imputés, la chambre de l'instruction, en ne relevant à son encontre aucun indice grave ou concordant justifiant d'une telle mesure, a privé sa décision de base légale ;

3°/ qu'en se déterminant par les seuls motifs repris au moyen sans répondre au mémoire par lequel la personne mise en examen faisait valoir l'absence de tout indice grave ou concordant des deux infractions imputées, faute d'une part, d'acte préparatoire, élément constitutif essentiel du délit d'association de malfaiteurs, et, d'autre part, de tout commencement d'exécution d'importation de produits stupéfiants, élément constitutif essentiel du délit de tentative d'importation de produits stupéfiants, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 80-1, 137 du code de procédure pénale et 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme :

8. Il résulte des deux premiers de ces textes que les mesures de sûreté ne peuvent être prononcées qu'à l'égard de la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

9. Il se déduit du troisième que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices.

10. Pour ordonner le placement en détention provisoire de M. U... et répondre au mémoire qui faisait valoir l'absence d'indices graves ou concordants de la participation de ce dernier à une partie des faits pour lesquels il est mis en examen, la chambre de l'instruction retient qu'il résulte suffisamment des éléments précédemment exposés par elle dans son arrêt (exploitation des sonorisations, surveillances policières, déclarations de M. A. H., contenu du carnet saisi au domicile de M. U...) qu'il existe des raisons rendant plausibles l'implication de ce dernier dans les infractions pour lesquelles il est actuellement mis en examen de sorte que les conditions prévues par l'article 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme pour détenir une personne sont remplies.

11. En se bornant à relever l'existence de raisons plausibles de l'implication de M. U... dans les faits pour lesquels il est mis en examen, sans s'assurer de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable sa participation à ces mêmes faits, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.

12. En effet, la constatation de l'existence de raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis les infractions reprochées ne permet pas de déduire l'existence d'indices graves ou concordants de sa participation à ces mêmes faits, cette dernière exigence étant plus stricte que la première.

13. La cassation est ainsi encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE irrecevable le pourvoi formé par M. U... le 15 décembre 2020 ;

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 9 décembre 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Croizier -

Textes visés :

Article 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; articles 80-1, 137 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 14 octobre 2020, pourvoi n° 20-82.961, Bull. crim. 2021 (cassation), et l'arrêt cité.

Crim., 30 mars 2021, n° 20-84.974, (P)

Rejet

Pouvoirs – Juridiction de renvoi en cas d'évocation partielle – Renvoi à un autre juge d''nstruction que celui précédemment désigné – Faculté (oui)

L'article 207, alinéa 2, du code de procédure pénale, doit être interprété comme autorisant, en toute autre matière que la détention provisoire, le renvoi à un autre juge d'instruction que celui précédemment désigné, y compris dans le cas où, après avoir infirmé la décision contestée, la chambre de l'instruction évoque partiellement et procède à tel acte qu'elle juge utile à la manifestation de la vérité.

REJET du pourvoi formé par M. J... F... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Papeete, en date du 23 juin 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et tentative, corruption de mineurs, évoquant partiellement, a notamment ordonné le versement de pièces à la procédure et renvoyé le dossier à un juge d'instruction.

Par ordonnance en date du 16 novembre 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire personnel et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 24 avril 2019, M. F... a été mis en examen des chefs susvisés et placé sous contrôle judiciaire.

3. Le magistrat instructeur a reçu le 16 juillet 2019 une lettre comportant cinq courriers de cinq personnes, se disant proches de C... W... E..., qu'ils présentaient comme le défunt fils adoptif de M. F..., dans lesquels ils mettaient ce dernier en cause pour avoir commis des viols et agressions sexuelles sur C... W... E...

4. Par soit-transmis du 20 septembre 2019, le procureur de la République a retourné au juge d'instruction, qui les lui avait communiqués, les documents ci-dessus, informant ce dernier que les faits dénoncés étaient prescrits, demandant néanmoins l'annexion au dossier de personnalité de ces pièces ainsi que de la procédure de découverte du cadavre de C... W... E... au domicile de M. F..., à laquelle il n'avait été donné aucune suite, qu'il a communiquée par ailleurs au magistrat.

5. Par réquisitions du 8 novembre 2019, le procureur de la République a saisi le juge d'instruction d'une demande d'actes, portant sur l'annexion des pièces ci-dessus au dossier de personnalité, l'audition de certains proches de M. F... et des auteurs des courriers susvisés, ainsi que des membres de la famille de C... W... E..., avec laquelle M. F... avait expliqué être encore en relation.

6. Par ordonnance en date du 19 novembre 2019, le juge d'instruction a rejeté ces demandes.

7. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le second moyen

8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation de l'article 207, alinéa 2, du code de procédure pénale.

10. Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir renvoyé le dossier à un autre juge d'instruction afin de poursuivre l'information, après avoir évoqué partiellement et procédé à certains actes, alors que lorsqu'elle infirme une ordonnance rendue par un juge d'instruction, la chambre de l'instruction peut, soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201, 202, 204 et 205 du code de procédure pénale, soit renvoyer le dossier au juge d'instruction ou à tel autre afin de poursuivre l'information, soit procéder à une évocation partielle du dossier en ne procédant qu'à certains actes avant de renvoyer le dossier au juge d'instruction initialement saisi.

Réponse de la Cour

11. Pour désigner un autre juge d'instruction, l'arrêt attaqué, après évocation partielle pour ordonner le versement à la procédure des pièces concernées, énonce que la chambre de l'instruction n'évoque pas pour les autres actes requis par le procureur de la République.

12. Les juges relèvent que la chambre de l'instruction tient de l'article 207, alinéa 2, du code de procédure pénale, le pouvoir de renvoyer le dossier au juge d'instruction ou à tel autre afin de poursuivre l'information lorsqu'elle infirme une ordonnance en toute autre matière que la détention provisoire sans évoquer ou en évoquant partiellement.

13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen, pour les raisons qui suivent.

14. L'article 207, alinéa 2, du code de procédure pénale, qui permet à la chambre de l'instruction, en toute autre matière que la détention provisoire, dès lors qu'elle est saisie selon les modalités qu'il énumère, de renvoyer le dossier à un autre juge d'instruction, soit lorsqu'elle infirme une décision du magistrat initialement saisi, soit lorsque, ce faisant, elle évoque en totalité et ordonne un supplément d'information, doit être interprété comme autorisant également le renvoi à un autre juge d'instruction, dans le cas où, après avoir infirmé la décision contestée, la chambre de l'instruction évoque partiellement et procède à tel acte qu'elle juge utile à la manifestation de la vérité.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Aldebert -

Textes visés :

Article 207 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant des pouvoirs de la chambre de l'instruction en application de l'article 207 du code de procédure pénale, à rapprocher : Crim., 22 janvier 2019, pourvoi n° 18-83.304, Bull. crim. 2019, n° 21 (cassation), et les arrêts cités.

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