Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2020

ENQUETE DE FLAGRANCE

Crim., 31 mars 2020, n° 19-85.756, (P)

Rejet

Pouvoirs – Constatations ou examens techniques – Prélèvements sanguins pour dosage d'alcoolémie et dépistage de stupéfiants – Recours sans consentement – Article 8 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme – Violation

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'interdit pas, en tant que tel, le recours à une intervention médicale sans le consentement d'un suspect en vue de l'obtention de la preuve de sa participation à une infraction dans toutes ses circonstances.

Justifie sa décision une CA qui écarte le moyen de nullité de prélèvements sanguins pour dosage d'alcoolémie et dépistage de stupéfiants opérés sans le consentement de l'intéressé sur réquisition prise sur le fondement de l'article 60 du code de procédure pénale.

IRRECEVABILITE et REJET du pourvoi formé par M. J... M... contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 6 juin 2019, qui, pour violences aggravées et refus de se soumettre à des relevés signalétiques et des prélèvements biologiques l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, 500 000 francs CFP d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 19 octobre 2016, M. M..., chirurgien, et M. Y..., anesthésiste, ont procédé à une intervention de chirurgie esthétique sur une patiente de la clinique Cardella à Papeete. A la fin de cette opération, une altercation relative au protocole post-opératoire a eu lieu entre ces deux médecins, qui s'est poursuivie dans une seconde salle d'opération.

3. Au cours de l'enquête, M. Y... a expliqué qu'à la fin de l'intervention, le docteur M... lui avait demandé d'injecter à la patiente deux médicaments qui n'entraient pas dans le protocole du comité de lutte contre les maladies nosocomiales, ce qu'il avait refusé de faire. Tout en l'insultant, son confrère avait exigé le code du coffre à toxiques accessible aux seuls anesthésistes et devant un nouveau refus, lui avait porté un coup de poing au visage puis l'avait étranglé avec son stéthoscope avant de quitter la salle, non sans avoir au préalable, donné des coups de pied dans le matériel médical.

4. M. Y... a ajouté que quelques minutes plus tard, alors qu'il se trouvait dans une autre salle d'opération pour assister un autre chirurgien, le docteur M... l'avait rejoint, et l'avait à nouveau menacé.

Le docteur Y... déclarait s'être alors retourné et, pour parer le coup que son adversaire allait lui porter, lui avoir donné un coup de tête. Il contestait toute autre violence et expliquait que les blessures dont souffrait son confrère avaient été provoquées par les violences dont il était lui-même l'auteur.

5. Pour sa part, le docteur M... a expliqué avoir exigé du docteur Y..., à l'issue d'une intervention, que celui-ci fasse son travail et qu'en réponse son confrère l'avait poussé. Il a estimé s'être défendu. Il avait ensuite décidé d'effectuer le protocole lui-même et l'infirmière lui avait délivré les médicaments qu'il sollicitait. Il était revenu en salle d'opération où se trouvait toujours le docteur Y... qui lui avait « tordu le doigt, écrasé le pied et porté un coup de tête » qui lui avait fait perdre connaissance.

6. Les deux praticiens ont notamment été poursuivis pour des violences réciproques.

7. Suivant jugement contradictoire du 29 août 2017, le tribunal a rejeté l'exception de nullité présentée par le docteur M... relative aux prises de sang effectuées sous contrainte aux fins de déterminer la présence de produits stupéfiants, a déclaré M. M... coupable des faits de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à 8 jours (3 jours) sur un professionnel de santé, et de refus de se soumettre aux relevés signalétiques, le renvoyant des fins de la poursuite des autres chefs de prévention.

8. Appel de ce jugement a été interjeté, par M. Y..., et le même jour, par le procureur de la République sur l'ensemble des dispositions pénales et civiles à rencontre des deux prévenus.

Examen de la recevabilité du second pourvoi formé par M. M... le 7 juin 2019

9. Le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en a fait le 7 juin 2019, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; que seul est recevable le premier pourvoi formé le 7 juin 2019.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

10. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des articles 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 16 du code civil et 60 du code de procédure pénale.

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a écarté l'exception de nullité tiré de l'irrégularité de la réquisition aux fins de prélèvement sanguin pour dosage de l'alcoolémie et dépistage de stupéfiants alors :

« 1°/ qu' il résulte du principe d'inviolabilité du corps humain qu'il ne peut être prélevé du sang sur une personne vivante sans son consentement que dans les cas limitativement prévus par la loi ; qu'en l'espèce, un officier de police judiciaire agissant en matière de flagrance a requis le médecin des services des urgences du centre hospitalier de Taaone afin qu'il effectue des prélèvements sanguins pour dosage de l'alcoolémie et dépistage de stupéfiants sur la personne de M. M..., qui avait été placé en garde à vue pour des faits de violences volontaires et dont les vérifications d'alcoolémie s'étaient avérées négatives ; qu'en énonçant, pour refuser d'annuler cette réquisition, que les vérifications biologiques ordonnées étaient parfaitement fondées dans le cadre des dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale, lorsqu'aucun texte n'autorise les autorités publiques à contraindre une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre ce délit à se soumettre à une prise de sang pour vérifier la présence de produits stupéfiants dans son organisme, la cour d'appel a violé les articles 16 du code civil et 60 du code de procédure pénale ;

2°/ alors qu'il résulte de l'article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme que toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit reposer sur une base légale suffisamment accessible et prévisible ; qu'en écartant le moyen tiré de l'irrégularité de la réquisition aux fins de prélèvements sanguins sur la personne de M. M..., lorsqu'aucun texte n'autorise les autorités publiques à contraindre une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre le délit de violences volontaires à se soumettre à une prise de sang pour vérifier la présence de produits stupéfiants dans son organisme, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

13. Pour écarter le moyen de nullité des prélèvement sanguins opérés sur réquisition sans que le consentement de M. M... ait été recueilli, et l'atteinte ainsi portée aux principes d'inviolabilité du corps humain et du droit au respect de la vie privée, l'arrêt attaqué retient que les fonctionnaires de police sont intervenus à la demande de la directrice de la clinique suite à une rixe entre deux médecins, au visa des articles 53 et 73 du code de procédure pénale.

14. Les juges énoncent que bien que les signes caractéristiques d'ivresse aient été négatifs, M.M... se trouvait en possession de deux tubes de morphine qu'il a remis aux enquêteurs et que les fonctionnaires notaient, par ailleurs, que l'individu, excité, titubant, avait un air hagard, les mains tremblantes et tenait des propos incohérents.

15. Ils ajoutent qu'a été établie une réquisition manuscrite, » sur instructions de M. le procureur de la République », aux fins de prélèvements sanguins pour dosage de l'alcoolémie et de dépistage de stupéfiants, la seule détention de produits stupéfiants devant entraîner le contrôle de l'hypothèse d'une consommation desdits produits.

16. Ils en concluent que les vérifications biologiques ordonnées et l'analyse effectuée après instructions étaient parfaitement fondées dans le cadre des dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale, qui n'imposent pas le consentement de l'intéressé et alors que l'infraction flagrante de violences pouvait comporter des circonstances aggravantes relatives à un état alcoolique ou à la consommation de stupéfiants.

17. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'interdisant pas en tant que tel le recours à une intervention médicale sans le consentement d'un suspect en vue de l'obtention de la preuve de sa participation à une infraction dans toutes ses circonstances.

18. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

19. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le second pourvoi formé le 7 juin 2019 :

DECLARE le pourvoi irrecevable ;

Sur le premier pourvoi formé le 7 juin 2019 :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Lavielle - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 60 du code de procédure pénale ; article 8 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

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