Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2020

DOUANES

Crim., 18 mars 2020, n° 19-84.372, (P)

Cassation

Agent des douanes – Pouvoirs – Droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes – Article 60 du code des douanes – Mesures autorisées – Rétention des personnes – Limites – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 60 du code des douanes que l'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes ne peut donner lieu au maintien des personnes concernées à la disposition des agents des douanes au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de cette mesure et à l'établissement du procès-verbal qui la constate.

Cette mesure de contrainte peut ainsi s'exercer le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent.

Si, dans ce cadre, les agents de douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée.

Par ailleurs, si, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, en application de l'article 67 F du code des douanes, lorsqu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction et qu'elle n'est pas placée en rétention douanière, les agents des douanes peuvent l'entendre sur ces faits dans le cadre d'une audition libre, c'est aux conditions, en partie déduites, par analogie, de l'article 61-1 du code de procédure pénale, que la personne n'a pas été conduite, sous contrainte, par les agents des douanes dans leurs locaux et qu'elle dispose du droit de les quitter à tout moment. Il s'en déduit qu'une telle audition ne peut avoir lieu au cours de l'exercice du droit de visite lorsqu'il s'accompagne d'une mesure de contrainte.

A l'issue du droit de visite, hors le cas où sont réunies les conditions permettant une retenue douanière, et sauf dispositions spécifiques, les agents des douanes ne sont pas autorisés à continuer à retenir la personne contrôlée contre son gré.

Dès lors, encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui rejette l'exception de nullité des procès-verbaux des agents des douanes, alors qu'il résulte de ses constatations et desdits procès-verbaux que la personne contrôlée en application de l'article 60 du code des douanes, laquelle était maintenue à la disposition des agents des douanes, a fait l'objet d'une audition formelle sur sa situation personnelle, notamment financière, et sur l'origine des fonds transportés par elle, audition à laquelle les agents des douanes ne pouvaient procéder, fût-ce en application de l'article 67 F du code des douanes, au cours de cette visite.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. R... S... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 26 avril 2019, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de transfert de capitaux sans déclaration, association de malfaiteurs, blanchiment aggravé et blanchiment douanier, a prononcé sur sa demande en annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 10 septembre 2019, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 9 février 2018, à 1h35, les agents des douanes ont procédé au contrôle d'un véhicule.

La fouille du bagage d'un passager, M. S..., qui avait déclaré ne pas transporter des sommes égales ou supérieures à 10 000 euros, a permis la découverte de liasses de billets de 500 euros pour un montant global de 215 080 euros. Des opérations complémentaires de fouille, de décompte, dépistage et consignation des fonds, et d'audition de l'intéressé ont été effectuées au siège de l'unité douanière d'1h50 à 10h45, heure à laquelle M. S... a été placé en garde à vue. M. S... a été mis en examen des chefs précités et placé sous contrôle judiciaire.

3. Le 1er août 2018, la personne mise en examen a saisi la chambre de l'instruction d'une requête tendant à voir annuler la procédure douanière, la garde à vue et la perquisition domiciliaire et les actes de procédure subséquents.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à annulation d'actes ou pièces de procédure alors :

« 1°/ qu'en énonçant que la procédure douanière est régulière tandis qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. S..., avant d'être placé, le 9 février 2018 à 10h45, en garde-à-vue pour blanchiment par la DPIJ de Lille, a suivi les agents des douanes au siège de la brigade des douanes où il a été maintenu, à compter de 1h50, au-delà du temps nécessaire au contrôle de ses sacs et de leur contenu ainsi que de sa personne, sans être placé en retenue douanière, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en énonçant que la procédure douanière est régulière dès lors que R... S... n'a été maintenu dans les locaux des douanes que le temps nécessaire à l'exercice du droit de contrôle prévu par l'article 60 du code des douanes tandis qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que les différentes opérations diligentées par les douanes ont eu pour objet de décompter, à deux reprises, les billets au nombre de 1973, de vérifier s'ils étaient imprégnés de produits stupéfiants, de procéder à leur consignation et mise sous scellés douaniers, jusqu'à la rédaction du procès-verbal de saisie et d'auditionner M. S... dans les locaux de la brigade des douanes, toutes cesopérations ne relevant pas l'exercice du droit de contrôle, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 60 et 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention de des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en énonçant que la procédure douanière est régulière tout en relevant que le 9 février 2018, à 8h30, le procureur de la République de Valenciennes co-saisissait la direction régionale de la police judiciaire (DIPJ) de Lille et le service national de douane judiciaire (SNDJ) d'une enquête de flagrance du chef de blanchiment à l'encontre de R... S... (D1bis-D25), infraction pour laquelle il a été placé en garde à vue à 10h45, ce dont il résultait que l'infraction de blanchiment a été retenue ab initio, sans que M. S... ne soit placé en retenue douanière et que ses droits ne lui soient notifiés, la chambre de l'instruction a violé l'article 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que, subsidiairement, en énonçant que la procédure douanière est régulière tandis que, s'il résulte des constatations de l'arrêt que les cotes D36 (entretien du gardé à vue avec un avocat) et D42 (notification de fin de garde à vue) portent mention d'un début de garde à vue remontant au 9 février 2018 à 1h45, l'arrêt constate que M. S... ne s'est vu notifier ses droits qu'à 10h45 sans que ce retard ne soit justifié par une circonstance insurmontable, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 323-1 du code des douanes et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 60 du code des douanes :

6. Il résulte de ce texte que l'exercice du droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes ne peut donner lieu au maintien des personnes concernées à la disposition des agents des douanes au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de cette mesure et à l'établissement du procès-verbal qui la constate.

7. Ainsi, cette mesure de contrainte peut s'exercer le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent.

8. Si, dans ce cadre, les agents des douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée.

9. Par ailleurs, si, depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2014-535 du 27 mai 2014, en application de l'article 67 F du code des douanes, lorsqu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction et qu'elle n'est pas placée en rétention douanière, les agents des douanes peuvent l'entendre sur ces faits dans le cadre d'une audition libre, c'est aux conditions, en partie déduites, par analogie, de l'article 61-1 du code de procédure pénale, que la personne n'a pas été conduite, sous contrainte, par les agents des douanes dans leurs locaux et qu'elle dispose du droit de les quitter à tout moment. Il s'en déduit qu'une telle audition ne peut avoir lieu au cours de l'exercice du droit de visite lorsqu'il s'accompagne d'une mesure de contrainte.

10. A l'issue du droit de visite, hors le cas où sont réunies les conditions permettant une retenue douanière, et sauf dispositions spécifiques, les agents des douanes ne sont pas autorisés à continuer à retenir la personne contrôlée contre son gré.

11. En l'espèce, pour rejeter le moyen de nullité de la procédure douanière et des actes subséquents pris de ce que le requérant a été maintenu à la disposition des agents des douanes au-delà du temps nécessaire au contrôle, l'arrêt attaqué énonce qu'après la découverte d'une somme en espèces de plus de 200 000 euros dans le bagage de M. S..., ce dernier a été invité à suivre les agents des douanes jusqu'à leurs locaux où ils sont arrivés à 1h50, qu'il a fait l'objet d'une visite à corps négative, achevée à 2h, que les agents des douanes ont, de 2h 55 à 4h10, compté manuellement, à deux reprises, les 1 973 billets découverts, la somme totale s'élevant à 215 080 euros, puis, de 4h10 à 4h30, effectué un dépistage de leur imprégnation en produits stupéfiants qui s'est avéré négatif, qu'ils ont procédé, de 6h25 à 8h10, à l'audition de M. S..., qu'après intervention de l'équipe cynophile de 8h30 à 8h50, les billets ont, de 9h20 à 9h45, été placés sous scellés douaniers et que le procès-verbal de saisie a été clôturé à 10h45, heure à laquelle M. S... a été remis aux enquêteurs de la police judiciaire dans le cadre d'une enquête de flagrance du chef de blanchiment et placé en garde à vue.

12. Les juges retiennent que, si le procès-verbal des douanes mentionne que M. S... est resté libre et sans contraintes pendant la procédure douanière, il en résulte qu'il a été invité à suivre les agents des douanes dans leurs locaux, ce dont il se déduit qu'il a été nécessairement contraint à y demeurer.

13. Ils concluent que les différentes opérations diligentées par les douanes qui ont eu pour objet de décompter les billets, de vérifier leur imprégnation en produits stupéfiants et de procéder à leur consignation et mise sous scellés, se sont succédé sans délai ni discontinuité jusqu'à la rédaction du procès- verbal de saisie, et relèvent des pouvoirs dévolus aux agents des douanes dans le cadre de l'exercice du droit de contrôle prévu à l'article 60 du code des douanes.

14. Les juges ajoutent que, lors de son audition, M. S..., qui ne faisait l'objet d'aucune mesure coercitive, n'a été entendu que sur les seuls faits relevés par le contrôle.

15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte et les principes susvisés.

16. En effet, il résulte de ses constatations et des procès-verbaux établis par les agents des douanes que la personne contrôlée, laquelle était maintenue à la disposition des agents des douanes, a fait l'objet d'une audition formelle sur sa situation personnelle, notamment financière, et sur l'origine des fonds transportés, audition à laquelle les agents des douanes ne pouvaient procéder, fût-ce en application de l'article 67 F du code des douanes, au cours de cette visite.

17. Par conséquent, la cassation est encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 26 avril 2019, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen de nullité de la procédure douanière et des actes de procédure subséquents, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Pichon - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Article 60 et 67 F du code des douanes.

Rapprochement(s) :

Sur les pouvoirs des agents douaniers en matière de rétention dans le cadre de l'exercice de leur droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes, à rapprocher : Crim., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-83.297, Bull. crim 2019, n° 111 (cassation), et les arrêts cités.

Crim., 18 mars 2020, n° 19-81.001, (P)

Cassation

Procès-verbaux – Inscription de faux – Portée

Il se déduit des dispositions de l'article 336 du code des douanes que les mentions dans les procès-verbaux établis par les agents des douanes relatives à l'accomplissement par ceux-ci des formalités qu'ils ont l'obligation d'accomplir font foi jusqu'à preuve contraire.

Ne justifie pas sa décision, la cour d'appel qui prononce l'annulation des pièces de la procédure douanière et des citations sans qu'il soit allégué, et encore moins démontré, l'inexactitude des énonciations du procès-verbal de visite relatives à l'accomplissement, par les agents des douanes, de la formalité d'information préalable du procureur de la République concernant les opérations de contrôle, qui n'est soumise à aucun formalisme particulier.

CASSATION sur le pourvoi formé par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, partie poursuivante, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 17 décembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. M... H... et la société Frams du chef de détention de marchandises contrefaites, a prononcé l'annulation de procès-verbaux et de tous les actes subséquents dont les citations.

LA COUR,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 19 février 2013, les agents de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ont procédé à un contrôle dans les locaux commerciaux de la société Frams France à Aubervilliers, dirigée par M. H..., au cours duquel ont été découverts de nombreux articles susceptibles d'être des contrefaçons.

3. Le 4 mars 2013, les agents douaniers ont notifié à M. H... l'infraction de détention sans justificatif de marchandises prohibées, réputées avoir été importées en contrebande, et saisi la totalité des articles contrefaisants.

4. Le 14 mars 2013, les agents douaniers ont établi un procès-verbal aux fins de rectifier le nombre de marchandises saisies compte tenu d'une erreur intervenue dans le décompte des articles contrefaisant la marque « Beats By Dre ».

5. Le procureur de la République de Bobigny a été informé des faits par la DNRED par courriers recommandés en date des 9 juillet 2013 et 13 juillet 2015.

6. Le 24 novembre 2015, le ministère public a autorisé l'administration des douanes à transiger mais la transaction n'a pu aboutir.

7. Le 14 mars 2016, la DNRED a fait citer la société Frams France, prise en la personne de son représentant légal M. H..., ainsi que ce dernier pour avoir à Aubervilliers, courant février et jusqu'au 31 mars 2013,détenu sans justificatif des marchandises prohibées, à savoir 4992 articles contrefaisant les marques Burberry, Beats By Dre, Samsung et Gilette, d'une valeur totale de 848 590 euros.

8. Par jugement en date du 30 novembre 2016, le tribunal correctionnel a annulé les procès-verbaux des 19 février et 4 mars 2013 et tous les actes subséquents, dont les citations du 14 mars 2016.

9. La DNRED a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles 63 ter et 336 du code des douanes, 40, 591 et 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé les procès-verbaux des 19 février 2013 et 4 mars 2013, ainsi que tous les actes subséquents, dont les citations en date du 14 mars 2016, alors :

1°/ « que les procès-verbaux de douanes rédigés par deux agents douaniers, en raison de la qualité de ceux qui, en apposant leur signature, en authentifient les constatations et énonciations, font foi jusqu'à inscription de faux des faits matériels qu'ils relatent ; qu'en affirmant qu'il n'était pas suffisamment établi que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny ait été préalablement informé des opérations de contrôle devant se dérouler dans les locaux de la société Frams France, quand elle relevait elle-même que le procès-verbal de visite de ces locaux, rédigé par plusieurs agents douaniers, mentionnait que « le procureur de la République à la section DAFES près le tribunal de grande instance de Bobigny (93) a été préalablement informé de notre contrôle et (...) ne s'y est pas opposé », constatation matérielle qui faisait foi jusqu'à inscription de faux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;

2°/ que l'exécution tardive de l'obligation faite à tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit, d'en donner avis sans délai au procureur de la République, n'est pas sanctionnée par la nullité des actes relatifs à ce délit ; qu'en considérant que la procédure de visite des locaux de la société Frams France était irrégulière et que devaient être annulés les procès-verbaux de visite de ces locaux et de retenue du 19 février 2013, ainsi que l'ensemble des pièces dont ces procès-verbaux étaient les supports nécessaires, du fait que les agents douaniers auraient mis un délai de cinq mois pour aviser le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny des faits délictueux dont ils avaient eu connaissance et auraient ainsi manqué à leur obligation de transmettre de tels faits au parquet sans délai, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 63 ter et 336 du code des douanes, 40 et 593 du code de procédure pénale :

12. Le premier de ces textes, qui impose aux agents des douanes d'informer préalablement le procureur de la République des opérations de visite de locaux à usage professionnel, ne soumet pas cette obligation à un formalisme particulier.

13. Il se déduit des dispositions du second de ces textes que les mentions dans les procès-verbaux établis par les agents des douanes relatives à l'accomplissement par ceux-ci des formalités qu'ils ont l'obligation d'accomplir font foi jusqu'à preuve contraire.

14. Le troisième de ces textes prévoit que toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

15. Selon l'article 593 du code de procédure pénale, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour accueillir l'exception de nullité tirée, notamment, de la méconnaissance des dispositions des articles 63 ter du code des douanes et 40 du code de procédure pénale, et annuler l'ensemble de la procédure, l'arrêt rappelle que les premiers juges ont annulé les procès-verbaux de retenue douanière des 19 février 2013 et 4 mars 2013 ainsi que les actes subséquents, dont les citations délivrées aux deux prévenus, sur le fondement des dispositions des textes susvisés au motif que les pièces produites aux débats par l'administration douanière sont insuffisantes pour établir que le procureur de la République a été régulièrement et préalablement informé des opérations de contrôle se déroulant dans les locaux de la société Frams France et qu'il lui a été régulièrement transmis le procès-verbal de constat relatant le déroulement des opérations de contrôle.

17. Les juges, après avoir rappelé les termes de l'article 40 du code de procédure pénale et que l'article 63ter du code des douanes prévoit que, d'une part, le procureur de la République, qui peut s'y opposer, doit être informé des opérations de contrôle préalablement à leur réalisation, d'autre part, un procès-verbal de constat relatant le déroulement des opérations de contrôle est transmis à ce magistrat dans les cinq jours de son établissement, relèvent qu'il ressort des pièces de la procédure communiquées le 29 mars 2016 au procureur de la République de Bobigny aux fins d'audiencement que, le 19 février 2013, les agents des douanes ont procédé à la visite des locaux de la société Frams France en application de l'article 63 ter susvisé.

18. Ils ajoutent que le procès-verbal établi lors de cette visite mentionne qu'il a été notifié au demandeur que le procureur de la République à la section DAFES près le tribunal de grande instance de Bobigny a été préalablement informé du contrôle et ne s'y est pas opposé et précise également que ce magistrat a été immédiatement informé de la mise en oeuvre d'une mesure de retenue des marchandises aux fins d'expertise.

19. Les juges relèvent qu'il résulte de la production, par l'administration des douanes, du récépissé d'envoi par télécopie en date du 19 février 2013 mentionnant le nom de la société Frams France et l'objet de la transmission « compte rendu du contrôle effectué (procès verbal joint) » et « retenue de marchandises (procès-verbal joint) » que la transmission des procès-verbaux des opérations de contrôle a été effectuée conformément aux dispositions de l'article 63 ter.

20. Ils énoncent ensuite que le délai de cinq mois qui s'est écoulé entre les opérations de contrôle et l'envoi par l'administration, le 9 juillet 2013, d'une lettre recommandée informant le procureur de la République de Bobigny des faits et lui transmettant la copie de la procédure contrevient aux exigences de l'article 40 du code de procédure pénale qui prescrit une transmission sans délai.

21. S'agissant de la production par l'administration, pour justifier de l'information préalable du procureur de la République, du récépissé d'envoi par télécopie en date du 15 février 2013, la cour d'appel relève que ce document ne précise nullement la procédure à laquelle il se rattache et que si cette formalité n'est soumise à aucun formalisme particulier, force est de constater qu'en dépit de la mention au procès-verbal de l'avertissement donné par l'agent à la personne concernée de l'absence d'opposition du procureur de la République aux opérations de contrôle dont ce magistrat avait été préalablement informé, il n'est pas suffisamment établi que le procureur de la République ait été régulièrement et préalablement informé conformément aux dispositions de l'article 63 ter du code des douanes des opérations de contrôle devant se dérouler dans les locaux de la société Frams France, lui permettant le cas échéant de s'y opposer.

22. Elle conclut qu'il résulte de ces deux derniers manquements que la procédure est entachée de nullité dès son commencement, à compter de la visite des locaux et que c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé les procès-verbaux de contrôle et de retenue du 19 février 2013 ainsi que l'ensemble des pièces dont ils sont les supports nécessaires, en ce compris, outre l'ensemble des procès-verbaux subséquents établis jusqu'au 14 mars 2013, les citations délivrées aux prévenus le 14 mars 2016 qui y font expressément référence.

23. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

24. En effet, d'une part, il n'est pas allégué, et encore moins démontré, qu'une quelconque pièce de procédure soit de nature à mettre en cause l'exactitude des énonciations du procès-verbal de visite du 19 février 2013 relatives à l'accomplissement, par les agents des douanes, de la formalité d'information préalable du procureur de la République concernant les opérations de contrôle.

25. D'autre part, l'exécution par un fonctionnaire de son obligation, en vertu des dispositions de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale, d'aviser le procureur de la République des infractions qu'il a constaté dans l'exercice de ses fonctions, à la supposer tardive, n'est pas sanctionnée par la nullité, étant au surplus rappelé qu'en l'espèce, ce magistrat a été préalablement informé des opérations de contrôle susceptibles de donner lieu à la constatation d'infractions douanières.

26. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 décembre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer -

Textes visés :

Article 336 du code des douanes ; article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la force probante des procès verbaux en matière de douanes, à rapprocher : Crim., 3 mai 2001, pourvoi n° 00-85.953, Bull. crim. 2002, n° 108 (cassation). Sur la portée de l'exécution tardive de l'obligation de l'article 40 du code de procédure pénale par les fonctionnaires, à rapprocher : Crim., 20 septembre 2000, pourvoi n° 00-84.328, Bull. crim. 2000, n° 275 (rejet), et l'arrêt cité.

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