Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2020

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 10 mars 2020, n° 19-87.757, (P)

Rejet

Juge des libertés et de la détention – Débat contradictoire – Phase préparatoire – Principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat – Droit de s'entretenir avec un avocat – Mise en oeuvre – Permis de communiquer – Délivrance – Conditions – Détermination – Portée

La personne mise en examen dont l'avocat ne s'est pas présenté au débat contradictoire différé devant le juge des libertés et de la détention, au motif qu'il n'avait pas été destinataire du permis de communiquer sollicité, ne saurait invoquer une atteinte aux droits de la défense, dès lors qu'il appartenait à ce conseil, s'il estimait n'être pas en mesure d'effectuer les démarches nécessaires pour retirer ce permis délivré le lendemain du jour où il avait été sollicité et s'entretenir, en temps utile, avec son client avant la tenue du débat contradictoire différé, de solliciter un report de celui-ci, encore possible avant l'expiration du délai prévu à l'article 145 du code de procédure pénale.

REJET du pourvoi formé par M. O... J...contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 6 décembre 2019, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de viols aggravés, menaces de mort réitérées, violences aggravées, agressions sexuelles aggravées, harcèlement moral, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 20 novembre 2019, M. J..., mis en examen par le juge d'instruction de Versailles des chefs précités, a comparu devant le juge des libertés et de la détention en vue de son placement en détention provisoire et a sollicité un délai pour préparer sa défense, de sorte que l'examen de l'affaire a été renvoyé au 22 novembre suivant, à 11 heures, avec incarcération provisoire de l'intéressé.

3. Par deux télécopies en date des 20 novembre 2019 à 21 heures 05 et 21 novembre à 17 heures 17, son avocat choisi, Maître F..., inscrit au barreau de Versailles, a sollicité la délivrance d'un permis de communiquer en précisant que ne pouvant se présenter en personne au cabinet du magistrat instructeur, il souhaitait que la copie de celui-ci lui soit adressée par télécopie ou par courriel.

4. Le 22 novembre 2019, le conseil de M.J... a informé le juge des libertés et de la détention qu'aucun permis de communiquer ne lui ayant été délivré, il ne se présenterait pas au débat contradictoire différé.

5. Le même jour, est intervenu, en l'absence de Maître F..., le débat contradictoire différé à l'issue duquel la personne mise en examen a été placée en détention provisoire.

Examen des moyens

Sur le second moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de procédure et ordonné le maintien en détention provisoire du mis en examen, alors :

« 1°/ que le droit du mis en examen de communiquer librement avec un avocat est un principe essentiel des droits de la défense ; que la délivrance au conseil de la personne mise en examen d'un permis de communiquer pour qu'il puisse s'entretenir avec son client avant le débat différé sur la détention provisoire doit être effective et l'envoi de ce permis à l'intéressé par télécopie, lorsqu'il en fait la demande en se prévalant d'une impossibilité de se déplacer au greffe du magistrat instructeur, ne peut être refusé sans raison valable ; qu'en retenant que les droits de la défense avaient été respectés par la mise à disposition au greffe du magistrat instructeur d'un permis de communiquer quand il résulte de ses constatations que le conseil du mis en examen avait demandé que ce permis lui soit communiqué par télécopie en indiquant être dans l'impossibilité de se rendre auprès de ce greffe, la chambre de l'instruction, en s'abstenant de constater une raison valable justifiant que le permis n'a pas été communiqué à l'avocat par télécopie ou tout autre procédé qui aurait permis une délivrance effective, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, 115 et 145 du code de procédure pénale ;

2°/ que le droit du mis en examen de communiquer librement avec un avocat est un principe essentiel des droits de la défense ; que l'exercice de ce droit doit être assuré de manière effective, dans un temps adéquat et utile à la préparation de la défense ; qu'en se bornant à retenir que les droits de la défense avaient été respectés quand il ressort de ses constatations que le permis de communiquer a été émis au greffe du magistrat instructeur le 21 novembre 2019, à une heure inconnue, pour une audience devant se tenir le 22 novembre 2019, la chambre de l'instruction qui n'a pas recherché si cette émission permettait au mis en examen et à son conseil de préparer la défense de manière adéquate et en temps utile n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention des droits de l'homme,115 et 145 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour rejeter la demande de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. J..., prise de l'absence de délivrance d'un permis de communiquer, l'arrêt attaqué énonce que le juge d'instruction a délivré celui-ci le 21 novembre 2019, comme en attestent la capture d'écran « cassiopée » et la copie certifiée conforme de celui-ci.

9. Les juges relèvent que le code de procédure pénale dispose que le permis doit être délivré et non remis au conseil, à qui il appartient de faire diligence pour en prendre possession et, qu'en l'espèce, le conseil ne fait état d'aucune circonstance insurmontable qui l'aurait empêché de se rendre au cabinet du juge d'instruction pour récupérer ce permis alors que son cabinet est situé dans la même ville que le siège du tribunal de grande instance.

10. Ils ajoutent qu'il n'est pas plus allégué par le conseil qu'il se soit enquis auprès du cabinet du juge d'instruction des modalités de délivrance dudit permis, quérable et non portable.

11. Ils relèvent enfin que le conseil n'a pas sollicité de reporter le débat sur la détention qui pouvait être organisé jusqu'au 25 novembre 2019.

12. En l'état de ces énonciations, et dès lors que le permis de communiquer, sollicité le 20 novembre 2019, à 21 heures 05, a été délivré par le juge d'instruction dès le 21 novembre 2019, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

13. En effet, il appartenait au conseil du prévenu, s'il estimait n'être pas en mesure d'effectuer les démarches nécessaires pour retirer le permis de communiquer et s'entretenir, en temps utile, avec son client avant la tenue du débat contradictoire différé, de solliciter un report de celui-ci, qui pouvait intervenir jusqu'au 25 novembre 2019.

14. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.

15. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : Mme Caby - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles R. 57-6-5 et R. 57-6-6 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur les conséquences du défaut de délivrance d'un permis de communiquer, à rapprocher : Crim., 7 janvier 2020, pourvoi n° 19-86.465, Bull. crim. 2020 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité.

Crim., 31 mars 2020, n° 20-80.234, (P)

Rejet

Mandats – Mandat décerné par le juge des libertés et de la détention – Mandat de dépôt – Annulation – Nouveau mandat – Existence de circonstances nouvelles – Nécessité (non)

Lorsque la mise en liberté n'est intervenue qu'en raison de l'annulation de l'interrogatoire de première comparution, le mandat de dépôt s'étant trouvé dépourvu de tout support légal, aucune disposition du Code de procédure pénale ne fait obstacle à ce que le juge des libertés et de la détention soit saisi aux fins de placement en détention, dans la même information et en raison des mêmes faits, sans qu'il soit besoin de constater l'existence de circonstances nouvelles.

REJET du pourvoi formé par M. X... R... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Pau, en date du 26 décembre 2019, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ordonnant son placement en détention provisoire.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. R... a été mis en examen et placé en détention provisoire le 19 mars 2019 du chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur la personne de Mme B... J..., sa mère, faits commis le [...].

3. Par arrêt du 26 novembre 2019, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Pau a prononcé à la demande de la défense de M. R... la nullité de l'interrogatoire de première comparution du 19 mars 2019 et des interrogatoires au fond des 8 avril et 9 août 2019, en raison de l'absence d'enregistrement audiovisuel desdits interrogatoires. Constatant que la mise en examen avait été annulée, elle a ordonné la mise en liberté de M. R... le titre de détention n'ayant plus de support.

4. M. R..., interpellé le 12 décembre 2019 au domicile de sa compagne, en exécution d'un mandat d'amener délivré par le juge d'instruction, était à nouveau mis en examen et placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention. M. R... a formé appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait une application erronée de la jurisprudence de la Cour de cassation (Crim 9 février 2016, pourvoi 15-87095), selon laquelle « le juge des libertés et de la détention, saisi par le juge d'instruction à cette fin, ne peut, en raison des mêmes faits et dans la même information, ordonner un nouveau placement en détention provisoire d'une personne mise en liberté sans constater, à défaut de l'annulation du précédent titre de détention pour vice de forme, l'existence de circonstances nouvelles entrant dans les prévisions de l'article 144 du code de procédure pénale, et justifiant, au regard des nécessités de l'instruction, la délivrance d'un nouveau titre d'incarcération alors « qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction de l'instruction retient comme circonstance nouvelle que M. R... s'est installé au domicile de sa petite amie, témoin des faits, alors que ce fait n'a rien de nouveau, M. R... ayant été appréhendé la première fois au domicile de celle-ci. »

Réponse de la Cour

7. Pour écarter l'exception tirée de la nullité de la nouvelle ordonnance de placement en détention provisoire, l'arrêt attaqué retient que le mandat de dépôt initial n'a pas été annulé pour un vice de forme mais n'a cessé de produire ses effets qu'en raison de la mise en liberté ordonnée par l'arrêt de la chambre de l'instruction pour violation des droits de la défense.

8. Les juges ajoutent que le juge des libertés et de la détention a bien retenu l'existence de circonstances nouvelles constituées par l'installation de M. R..., depuis sa sortie de prison, au domicile de son amie S... E... et en déduisent que le placement en détention provisoire est possible.

9. Pour confirmer le placement en détention, les juges retiennent qu'en raison de son installation chez son amie, seul témoin des faits, il existe un risque de pression. Ils ajoutent qu'il a déjà été condamné pour des violences graves en 2009 et 2019, qu'il n'a pas respecté le contrôle judiciaire alors mis en place et que sa personnalité impulsive et son intempérance font craindre un renouvellement de l'infraction ainsi que sa non-représentation en justice.

10. Si c'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu le caractère nouveau d'une des circonstances retenues à l'appui du placement en détention provisoire, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure.

11. En effet, aucune disposition légale ou conventionnelle n'interdit, lorsque, comme en l'espèce, la mise en liberté n'est intervenue qu'en raison de l'annulation de l'interrogatoire de première comparution, le mandat de dépôt s'étant trouvé dépourvu de tout support légal, de placer à nouveau en détention provisoire la personne mise en examen, dans la même information et à raison des mêmes faits.

12. Par ailleurs, la chambre de l'instruction a justifié sa décision par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

13. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

14. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Ingall-Montagnier - Avocat général : Mme Le Dimna -

Textes visés :

Article 144 du code de la procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant du placement en détention provisoire d'une personne précédemment mise en liberté lorsque le titre de détention a été annulé pour vice de forme, à rapprocher : Crim. 1er février 2005, pourvoi n° 04-86.768, Bull. crim. 2005, n° 33 (rejet), et les arrêts cités ; Crim., 3 septembre 2003, pourvoi n° 03-83.068, Bull. crim. 2003, n° 152 (irrecevabilité), et les arrêts cités ; Crim., 14 novembre 1985, pourvoi n° 85-94.663, Bull. crim. 1985, n° 356 (rejet).

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