Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2020

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

Crim., 11 mars 2020, n° 18-84.307, (P)

Cassation partielle

Article 5, paragraphe 3 – Coercition en haute mer – Présentation à l'autorité judiciaire – Bref délai – Défaut – Portée

Selon l'article 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne arrêtée ou détenue doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires.

Selon l'article L. 1521-18 du code de la défense, dès leur arrivée sur le sol français, les personnes faisant l'objet de mesures de coercition sur un bâtiment de la Marine nationale, en application des articles L. 1521-11 et suivants du même code, sont mises à la disposition de l'autorité judiciaire. Si elles font l'objet d'une mesure de garde à vue, elles sont présentées dans les plus brefs délais, soit, à la requête du procureur de la République, au juge des libertés et de la détention, soit au juge d'instruction, qui peuvent ordonner leur mise en liberté.

Encourt la cassation l'arrêt qui écarte l'exception de nullité, soulevée par les membres de l'équipage d'un navire arraisonné en haute-mer, qui, privés de liberté sur un bâtiment de la Marine nationale, ont été placés, dès leur arrivée au port, en rétention douanière puis à l'issue, en garde à vue sans avoir été présentés immédiatement au juge des libertés et de la détention ou au juge d'instruction.

CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par M. U... I..., M. J... S... W..., et M. G... E... contre l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa, chambre correctionnelle, en date du 5 juin 2018, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants et importation en contrebande, les a condamnés, le premier, à neuf ans d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire français, le deuxième, à sept ans d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire français, le troisième, à sept ans d'emprisonnement, et a prononcé sur les demandes de l'administration des douanes.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les trois demandeurs constituaient l'équipage du voilier C... N..., battant pavillon britannique.

3. Le 17 octobre 2017, les autorités françaises, suspectant un transport de stupéfiants, ont demandé aux autorités britanniques, Etat du pavillon, conformément à l'article 17.3 de la Convention des Nations unies contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes conclue à Vienne, le 20 décembre 1988, de confirmer l'immatriculation du voilier et d'autoriser que soient prises les mesures appropriées à son égard. Cette autorisation a été donnée le lendemain, 18 octobre 2017, par les autorités britanniques.

4. Le 20 octobre 2017, l'équipage du bâtiment de la marine nationale d'Entrecasteaux a arraisonné le voilier, dans la zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie, et, sans le fouiller de manière approfondie ni y découvrir de drogue, l'a dérouté vers le port de Nouméa, pour qu'il soit procédé à des investigations plus complètes. Conformément aux articles L. 1521-11 et suivants du code de la défense, les membres de l'équipage du voilier ont fait l'objet de mesures de privation de liberté, décidées par le commandant du bâtiment d'Entrecasteaux, à compter du 20 octobre à 5 heures 15, puis prolongées par le juge des libertés et de la détention, par ordonnance du 21 octobre 2017, à compter du 22 octobre 2017 à 5 heures 15, et pour une durée de quatre jours.

5. A l'accostage à la base navale de Nouméa, le 23 octobre 2017 à 10 heures 25, les mesures privatives de liberté prises à l'égard des membres de l'équipage du voilier ont été levées, et les demandeurs ont été remis, sur instruction du procureur de la République, aux fonctionnaires de l'administration des douanes. Ceux-ci ont fouillé le voilier, y ont découvert, dissimulée derrière une cloison, une quantité de 575 kg de cocaïne, puis ont placé les membres de l'équipage en rétention douanière le même jour, à 12 heures 40.

6. Le 24 octobre 2017 à 10 heures 15, les fonctionnaires de l'administration des douanes ont remis les membres de l'équipage aux gendarmes de la section de recherches de Nouméa, qui leur ont notifié une mesure de garde à vue, prenant effet depuis le début de la rétention douanière.

7. Le 25 octobre 2017, au cours de la matinée, les demandeurs ont été conduits devant le juge des libertés et de la détention, qui a prolongé leur garde à vue pour une durée de quarante-huit heures, à compter du même jour à 12 heures 40.

8. Le 27 octobre 2017, il a été mis fin à la garde à vue, et les membres de l'équipage du voilier ont été déférés devant le procureur de la République puis traduits devant le tribunal correctionnel de Nouméa, qui a décidé leur placement en détention provisoire et renvoyé le jugement de l'affaire au 19 janvier 2018.

9. Par jugement prononcé à cette dernière date, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité soulevées par les prévenus, déclaré ceux-ci coupables et les a condamnés à des peines d'emprisonnement et d'interdiction du territoire, la confiscation de la drogue et du voilier étant ordonnée, sur l'action publique.

Le tribunal a statué sur les demandes de l'administration des douanes.

10. Les demandeurs ont relevé appel de cette décision, et le ministère public a formé appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen présenté pour M. S... W... et M. E...

Et sur le même moyen, repris pour M. I...

Enoncé des moyens

11. Les moyens sont pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 17-3 de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 113-1, 113-3 et 113-12 du code pénal, 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

12. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité d'actes à l'origine de la compétence des juridictions françaises soulevées par les prévenus alors :

« 1°/ que la seule langue de procédure admise devant les juridictions françaises étant la langue française, le juge ne peut fonder sa décision sur des actes rédigés en langue étrangère ; qu'en affirmant, pour écarter l'exception de nullité d'actes fondant la compétence des juridictions françaises, que la demande des autorités françaises du 17 octobre 2017 et la réponse britannique, rédigées en anglais et non traduites, n'étaient pas des actes de poursuite puisqu'ils ne définissaient pas les préventions sous lesquelles les prévenus avaient été renvoyés devant les juridictions pénales et que le défaut de traduction ne causait aucun grief aux appelants, quand ces deux actes, dont il n'était pas possible de s'assurer avec certitude de leur sens ni de leur portée, avaient fondé la compétence de la juridiction française, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

2°/ que la signature d'un acte pris au nom d'une autorité publique constitue une formalité indispensable en ce qu'elle permet notamment de s'assurer que l'acte émane bien de la personne habilitée à se prononcer compétemment au nom de l'autorité publique étrangère ; qu'en affirmant que la réponse britannique du 18 octobre 2017 n'était pas un acte d'enquête ou d'instruction au sens du code de procédure pénale et que la régularité de cette autorisation émanant d'une autorité étrangère n'était pas soumise à l'exigence de signature posée par l'article 107 du code de procédure pénale, cependant que la signature de cette réponse constituait néanmoins une formalité indispensable, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

3°/ que ce n'est que si l'immatriculation du navire est confirmée par l'Etat du pavillon que la demande d'autorisation de prendre les mesures adéquates à l'égard de ce navire peut être sollicitée ; qu'en affirmant, pour écarter l'exception de nullité, qu'aucune disposition conventionnelle n'imposait aux parties de suivre une procédure particulière et qu'une requête unique du ministère des affaires étrangères était suffisante cependant que l'article 17-3 de la Convention de Vienne signée le 20 décembre 1988 distingue clairement entre la phase d'identification du navire et celle de l'autorisation de son interception, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

13. Les moyens sont réunis.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

14. Les prévenus ont soutenu, devant les juges du fond, que la procédure était irrégulière car la demande adressée par les autorités françaises aux autorités britanniques, le 17 octobre 2017, sur le fondement de l'article 17.3 de la Convention de Vienne du 19 décembre 1988, et la réponse de celles-ci étaient rédigées en anglais, et figuraient au dossier de la procédure sans traduction en français.

15. Pour rejeter cette exception, l'arrêt attaqué énonce que ces documents ne sont pas des actes de poursuite, car ils ne définissent pas la prévention sous laquelle les intéressés sont renvoyés devant la juridiction de jugement.

Les juges ajoutent que le défaut de traduction de ces documents n'a causé aucun grief aux prévenus, qui, invoquant, dans leurs conclusions, la violation, par les autorités françaises, des termes de l'autorisation donnée par les autorités britanniques, laissent entendre qu'ils en ont compris le sens.

16. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les raisons suivantes :

17. En premier lieu, ces documents ne sont pas des actes d'enquête, ayant pour but de constater une infraction et d'en identifier les auteurs, ni des actes de poursuite, manifestant l'intention du ministère public de traduire les auteurs d'une infraction devant une juridiction pénale. Ils s'inscrivent seulement dans la relation bilatérale entre le gouvernement français et celui d'un Etat étranger, portent sur l'application d'une convention internationale et n'obéissent donc pas au formalisme prévu par le code de procédure pénale.

18. En deuxième lieu, les prévenus n'ont pas demandé, dans leurs conclusions devant la cour d'appel, l'organisation d'un supplément d'information afin que ces documents soient traduits, ce qu'ils pouvaient faire.

19. En troisième lieu, une analyse et une traduction de ces documents figurent dans les conclusions des demandeurs. Ceux-ci ne démontrent l'existence d'aucun grief résultant pour eux de cette absence de traduction et ne peuvent donc obtenir l'annulation de la procédure pour ce motif.

20. Le grief ne peut donc être admis.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

21. Les demandeurs ont prétendu, devant les juridictions du fond, que la procédure devait être annulée, la réponse des autorités britanniques à la demande des autorités françaises n'étant pas signée.

22. Pour écarter cette exception, l'arrêt attaqué énonce que cette réponse n'est pas un acte d'enquête ou d'instruction, qui serait soumis à l'exigence de signature posée par l'article 107 du code de procédure pénale, et que cette réponse contient l'identité de son auteur, et vise son appartenance au « Border Force », service britannique dont les autres documents de la procédure établissent qu'il était compétent pour intervenir dans l'arraisonnement du voilier C... N....

23. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les raisons suivantes :

24. En premier lieu, l'article 107 du code de procédure pénale régit la nullité des procès-verbaux dressés au cours de l'instruction. Tel n'est pas le cas d'un acte établi par une autorité étrangère, qui n'est pas régi par les formes prévues par le code de procédure pénale, et s'inscrit dans une relation bilatérale, présentant les caractéristiques décrites au paragraphe 17 précité.

25. En deuxième lieu, l'article 17 de la Convention de Vienne ne soumet les échanges entre les pays signataires à aucun formalisme particulier, en particulier lorsqu'un Etat autorise la prise des mesures appropriées qu'il énumère, parmi lesquelles l'arraisonnement, la visite du navire et la privation de liberté des membres de son équipage. Il en résulte que l'autorisation des autorités britanniques, dont l'existence a été constatée par la cour d'appel, laquelle a relevé qu'elle émanait d'un service compétent pour la délivrer, ne peut être annulée.

26. En troisième lieu, les demandeurs n'indiquent pas en quoi le défaut de signature invoqué aurait porté atteinte à leurs intérêts.

27. Le grief ne peut donc être admis.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

28. Les demandeurs ont prétendu, devant la juridiction du fond, que la procédure était irrégulière, les autorités françaises ayant demandé aux autorités britanniques, dans un même document, la confirmation de l'immatriculation de leur voilier, ainsi que l'autorisation de prendre des mesures appropriées à son égard. Ils soutiennent que la demande d'autorisation de prendre de telles mesures ne pouvait être présentée qu'après avoir obtenu la confirmation de l'immatriculation du navire.

29. Pour écarter cette exception, la cour d'appel énonce que la Convention de Vienne n'impose pas aux parties de se soumettre à un formalisme particulier, les modalités de la mise en oeuvre de la coopération contre le trafic illicite de stupéfiants relevant de la responsabilité des Etats souverains.

30. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué, pour les raisons suivantes :

31. En premier lieu, l'article 17.3 de la Convention de Vienne prévoit : « une Partie qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un navire exerçant la liberté de navigation conformément au droit international et battant le pavillon d'une autre partie se livre au trafic illicite peut le notifier à l'Etat du pavillon, demander confirmation de l'immatriculation et, si celle-ci est confirmée, demander l'autorisation à cet Etat de prendre les mesures appropriées à l'égard de ce navire ». Cette règle vise seulement à empêcher qu'un Etat, partie à la Convention, ne prenne des mesures envers un navire battant pavillon d'un autre Etat, sans l'autorisation de ce dernier.

Mais elle n'institue pas un formalisme imposant deux demandes distinctes et successives, l'une, sollicitant la confirmation de l'immatriculation du navire, puis, une fois celle-ci obtenue, une demande différente tendant à être autorisé à prendre des mesures.

32. En second lieu, l'arraisonnement du voilier n'est intervenu qu'après l'autorisation des autorités britanniques, et il est établi que le navire arraisonné est bien celui visé par cette autorisation.

33. Les moyens ne peuvent donc être admis.

Sur le deuxième moyen présenté par M. S... W... et M. E...

Et sur le même moyen, repris pour M. I...

Enoncé des moyens

34. Les moyens sont pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 17-4 de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

35. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité des autorisations d'arraisonnement, de déroutement du navire et d'arrestation de l'équipage, alors « que l'Etat du pavillon ne peut autoriser l'Etat requérant à prendre les mesures appropriées à l'égard du navire, des personnes qui se trouvent à bord et de la cargaison que si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes ; qu'en l'espèce, bien que le Royaume-Uni ait autorisé l'autorité compétente française à perquisitionner le navire battant pavillon britannique uniquement dans les eaux internationales et dans la seule hypothèse où la preuve d'une implication dans le trafic de drogue illicite serait trouvée, les autorités françaises ont néanmoins décidé d'arraisonner puis de dérouter vers un port français un navire britannique sans jamais avoir eu la preuve d'une quelconque infraction ; qu'en se fondant, pour écarter l'exception d'irrégularité du déroutement tenant à un excès de pouvoir des autorités françaises, sur la circonstance que le Royaume-Uni n'avait émis aucune protestation lorsqu'il avait été avisé que le voilier était dérouté sur le port de Nouméa pour une fouille complète par le service de douanes bien que son interlocuteur français ne fasse pas état de la découverte préalable de stupéfiants et que les prévenus n'avaient pas qualité à se plaindre d'un prétendu dévoiement de l'autorisation donnée en l'absence de remarque de l'Etat dont le navire arraisonné arborait le pavillon, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, impropre à écarter la violation par les autorités de poursuite de la procédure qui leur était applicable, n'a pas légalement justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

36. Les moyens sont réunis.

37. Devant les juges du fond, les demandeurs ont soutenu que l'arraisonnement de leur voilier et son déroutement vers Nouméa ont été accomplis de manière irrégulière, sans que leur participation à un trafic de stupéfiants soit établie, cette preuve n'ayant été acquise que lors de la découverte de la drogue à l'arrivée à Nouméa, alors que les autorités britanniques n'avaient autorisé la prise de mesures à l'égard du voilier que s'il était impliqué dans un trafic de stupéfiants.

38. Pour rejeter cette exception, l'arrêt attaqué retient que les autorités françaises ont informé les autorités britanniques, le 20 octobre 2017, de l'arraisonnement du voilier, et de son déroutement vers Nouméa pour une fouille complète, et que les autorités britanniques, dans une réponse du lendemain, n'ont formé aucune objection à ce déroutement, après avoir été informées qu'il intervenait en l'absence de découverte préalable de drogue à bord.

39. En l'état de ces motifs, la cour d'appel a souverainement apprécié le contenu et la portée des documents soumis à la discussion contradictoire des parties et en a déduit que les mesures prises envers le navire arraisonné avaient été autorisées par les autorités britanniques. Elle a donc justifié sa décision sans encourir le grief allégué.

40. Les moyens seront donc écartés.

Sur le troisième moyen présenté par M. S... W... et M. E...

Et sur le même moyen, repris pour M. I...

Enoncé des moyens

41. Les moyens sont pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 17-4 de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, L. 1521-16 du code de la défense, des articles préliminaire, 591, 593, 803-5 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

42. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a a rejeté les exceptions de nullité soulevées par MM. S... W..., E... et I... à l'encontre des mesures privatives ou restrictives liberté, alors « que l'ordonnance du juge des libertés statuant sur la prolongation éventuelle des mesures de restriction ou de privation de liberté mentionnées à l'article L. 1521-12 du code de la défense doit être transmise dans les plus brefs délais par le procureur de la République au préfet maritime ou, Outre-Mer, au délégué du gouvernement pour l'action de l'Etat en mer, à charge pour celui-ci de la faire porter à la connaissance de la personne intéressée dans une langue qu'elle comprend ; qu'en se fondant, pour écarter la nullité des mesures de rétention infligées aux prévenus, sur la circonstance que ceux-ci n'avaient pas subi de grief car l'ordonnance n'était pas susceptible de recours, la cour d'appel qui a statué par un motif inopérant, totalement impropre à écarter l'existence d'un grief, s'agissant d'une décision portant atteinte à la liberté de l'individu, n'a pas légalement justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

43. Les moyens sont réunis.

44 Les demandeurs ont fait l'objet, chacun, d'une mesure de privation de liberté, décidée par le commandant du navire qui a arraisonné le voilier à bord duquel ils naviguaient, à compter de son arraisonnement, le 20 octobre 2017 à 5 heures 15. Ces mesures ont été prolongées par le juge des libertés et de la détention, par ordonnance du 21 octobre 2017, à compter du 22 octobre 2017 à 5 heures 15, et pour une durée de quatre jours.

45 Les prévenus ont soulevé la nullité de la procédure au motif que cette ordonnance n'avait pas été portée à leur connaissance dans une langue qu'ils comprennent.

46. Pour rejeter cette exception, la cour d'appel, après avoir constaté qu'il n'est pas démontré que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, prolongeant leur privation de liberté, ait été portée à la connaissance des prévenus, énonce que le code de la défense ne sanctionne pas l'inobservation de cette formalité par la nullité.

L'arrêt ajoute que, cette décision n'étant pas susceptible de recours, aucun grief ne résulte de l'omission critiquée, les prévenus n'ayant pas été privés d'un droit.

47. En prononçant ainsi, dès lors que l'existence et la régularité des ordonnances en cause ne sont pas contestées, et que les demandeurs ne soutiennent pas qu'ils ignoraient les raisons de leur arrestation et de leur retenue à bord d'un bâtiment de la marine nationale, la cour d'appel a justifié sa décision.

48. Ainsi, les moyens ne peuvent être accueillis.

Mais sur le moyen additionnel présenté par M. S... W... et M. E...

Et sur le même moyen, repris pour M. I...

Enoncé des moyens

49. Les moyens sont pris de la violation des articles 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 1521-18 du code de la défense, préliminaire, 591, 593, du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

50. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité des rétentions douanières notifiées le 23 octobre 2017 et des gardes à vue ultérieures soulevées par MM. S... W... et E... et I..., alors « que les personnes qui font l'objet d'une mesure privative de liberté à leur arrivée sur le sol français doivent être présentées dans les plus brefs délais soit au juge des libertés et de la détention, soit au juge d'instruction ; qu'à leur arrivée sur le sol français, le 23 octobre 2017, à 10 heures15, M. S... W..., M. E... et M. I... ont été placés en rétention douanière à compter de 12 heures 40 et ont été transférés à la gendarmerie le 24 octobre 2017 à 10 heures15 où ils se sont vus notifier leur placement en garde à vue ; que le 24 octobre, entre 12 heures 10 et 12 heures 30, ils ont été présentés devant le procureur de la République qui a autorisé la prolongation de la garde à vue pour un nouveau délai de 24 heures et n'ont été présentés devant le juge des libertés et de la détention que le 25 octobre entre 10 heures 30 et 12 heures ; qu'en se fondant, pour refuser d'annuler la rétention douanière et la garde à vue de M. S... W..., de M. E... et de M. I..., sur la circonstance que la coercition avait été rompue à la descente du bateau cependant que les suspects avaient fait l'objet d'une retenue douanière puis d'une mesure de garde à vue à leur arrivée sur le sol français et qu'ils avaient été présentés au juge des libertés et de la détention plus de 48 heures après leur arrivée, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

51. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme et L. 1521-18 du code de la défense :

52. Selon le premier de ces textes, toute personne arrêtée ou détenue doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires.

53. En application de ce texte, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à trois reprises car des personnes, arrêtées en haute mer et transférées en France, n'avaient pas été présentées à un juge au moment de leur arrivée en France, mais deux jours plus tard (CEDH 27 juin 2013, Vassis et autres c/France, n° 62736/09, § 58 et 59 ; CEDH 4 décembre 2014, P... A... et autres c/France, n° 17110/10 et 17301/10, § 55 à 59 ; CEDH 4 décembre 2014, n° Hassan et autres c/France, n° 46695/10 et 54588/10, § 99 à 103).

54. Selon le texte susvisé du code de la défense, dès leur arrivée sur le sol français, les personnes faisant l'objet de mesures de coercition sur un bâtiment de l'Etat, en application des articles L. 1521-11 et suivants de ce code, sont mises à la disposition de l'autorité judiciaire. Si elles font l'objet d'une mesure de garde à vue, elles sont présentées dans les plus brefs délais, soit, à la requête du procureur de la République, au juge des libertés et de la détention, soit au juge d'instruction, qui peuvent ordonner leur remise en liberté.

55. Devant les juges du fond, les prévenus ont soutenu que la procédure était irrégulière, car ils n'avaient pas été présentés au juge des libertés et de la détention, à leur arrivée à Nouméa, le 23 octobre 2017.

56. Pour rejeter cette exception, la cour d'appel énonce qu'à leur arrivée à Nouméa, ils n'ont pas été soumis à un régime coercitif, mais qu'ils ont procédé, comme tout étranger entrant en Nouvelle-Calédonie, aux formalités douanières, et qu'ils n'ont fait l'objet d'une nouvelle mesure coercitive, une retenue douanière, qu'à compter de la découverte de produits stupéfiants dans le voilier, puis d'une garde à vue, et qu'ils ont été présentés au juge des libertés et de la détention, le 25 octobre 2017, aucune présentation devant le juge des libertés et de la détention n'ayant été nécessaire à leur arrivée sur le sol français, en l'absence de placement en garde à vue à ce moment.

57. En se déterminant ainsi, alors que les demandeurs, privés de liberté depuis l'arraisonnement, intervenu le 20 octobre 2017, ont été remis, par l'autorité navale, aux fonctionnaires de l'administration des douanes, le 23 octobre 2017, à leur arrivée à Nouméa, puis placés en rétention douanière et en garde à vue sans avoir été présentés au juge des libertés et de la détention, la cour d'appel a méconnu les textes précités.

58. La cassation est, en conséquence, encourue.

Portée de la cassation

59. La cassation sera limitée aux dispositions de l'arrêt ayant rejeté l'exception de nullité prise du défaut de comparution des prévenus devant le juge des libertés et de la détention à leur arrivée à Nouméa ainsi que, par voie de conséquence, aux dispositions relatives aux déclarations de culpabilité et aux peines prononcées.

Les dispositions de l'arrêt attaqué, rejetant les exceptions de nullité visées par les trois premiers moyens de cassation, sont maintenues.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de cassation proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à l'exception de nullité prise du défaut de comparution des prévenus devant le juge des libertés et de la détention à leur arrivée à Nouméa, aux déclarations de culpabilité et aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nouméa, en date du 5 juin 2018, les autres dispositions de l'arrêt demeurant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ; articles L. 1521-11 et L. 1521-18 du code de la défense.

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