Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 3 - Mars 2020

BLANCHIMENT

Crim., 18 mars 2020, n° 18-85.542, (P)

Rejet

Blanchiment par concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion d'un produit d'un crime ou d'un délit – Auteur – Auteur de l'infraction principale – Possibilité

L'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment.

REJET des pourvois formés par M. W... I... et Mmes N... B... N... D... et R... ND... D... contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 2 août 2018, qui les a condamnés, le premier, pour escroquerie aggravée et blanchiment, à cinq ans d'emprisonnement, dont trois ans avec sursis, 50 000 000 FCP d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer, la deuxième, pour escroquerie aggravée à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis, 35 000 000 FCP d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer et la troisième, pour escroquerie, à un an d'emprisonnement avec sursis, 500 000 FCP d'amende et un an d'interdiction de gérer et a prononcé une mesure de confiscation.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Entre novembre 2009 et février 2011, le service des contributions de la Polynésie française a transmis au procureur de la République plusieurs dénonciations de faits susceptibles de constituer des fraudes au dispositif de défiscalisation dit « loi Girardin », qui permet à des particuliers de bénéficier de crédits d'impôts en investissant dans l'acquisition de matériel industriel neuf au profit d'entreprises polynésiennes.

3. Les contrôles réalisés ont mis en évidence que des factures présumées fictives avaient été produites dans le cadre de dossiers de défiscalisation afin de faire entrer dans le dispositif du matériel non éligible ou qui n'avait en réalité jamais été acheté.

4. L'ensemble des dossiers de défiscalisation litigieux avait été constitué avec l'intervention de la SARL Sofipac, société de conseil pour les affaires et la gestion, dont M. I... était le gérant.

5. Il est apparu au cours des investigations que Mme N... B... N... D... avait exercé une activité d'apporteur d'affaire pour le compte de la société Sofipac et à ce titre aurait participé au montage d'une partie des dossiers de défiscalisation frauduleux.

6. Il a également été mis en évidence que ses honoraires avaient été déposés sur des comptes ouverts au nom de sa fille, Mme R... N... D..., qui aurait elle aussi participé à la constitution d'un dossier frauduleux.

7. A l'issue de l'information judiciaire M. I... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'escroquerie commise en bande organisée et blanchiment.

8. Mmes N... B... et R... N... D... ont été renvoyées devant cette même juridiction des chefs d'escroquerie commise en bande organisée.

9. Les juges du premier degré ont condamné les trois prévenus. Ces derniers et le ministère public ont formé appel de cette décision.

Déchéance du pourvoi formé par Mme R... N... D...

10. Mme R... N... D... n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens proposés pour M. I... et le premier moyen et le second moyen pris en sa première branche, proposés pour Mme N... B... N... D...

11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen proposé pour M. I...

Enoncé du moyen

12. Le moyen est pris de la violation des articles 324-1 du code pénal et 591 du code de procédure pénale.

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable de blanchiment, alors « que l'infraction de blanchiment prévue à l'article 324-1 al. 2 du code pénal suppose pour être caractérisée une opération de placement, dissimulation ou conversion distincte de la seule utilisation des fonds ou biens provenant d'une infraction ; qu'en déclarant le prévenu coupable de blanchiment du seul fait qu'il avait transféré les fonds provenant des escroqueries présumées sur un compte personnel, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

14. Aux termes de l'article 324-1 alinéa 2 du code pénal, le blanchiment est défini comme le fait d'apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

15. L'opération de placement consiste notamment à mettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d'un crime ou d'un délit.

16. La caractérisation du délit de blanchiment n'implique pas, dans ce cas, que soit établie une dissimulation de l'origine illicite de ces biens.

17. Il s'en déduit que l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment.

18. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le quatrième moyen proposé pour M. I...

Enoncé du moyen

19. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 132-1, 132-19 et 132-20 du code pénal, 459, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale.

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné le prévenu à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont trois ans assortis du sursis sans prononcer d'aménagement pour la partie ferme, de 50 millions de francs pacifiques d'amende, de cinq ans d'interdiction de gérer et a ordonné la confiscation des sommes portées au crédit de ses contrats d'assurance-vie et d'assurance-retraite, alors « qu'aux termes de l'article 132-1 du code pénal, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale ; que la peine d'amende doit en outre être motivée en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; qu'en se bornant à constater l'absence du prévenu à l'audience pour justifier de l'absence de tout motif relatif à sa personnalité, à sa situation personnelle ainsi qu'à ses ressources et ses charges, bien que son avocat présent à l'audience avait produit de nombreuses pièces relatives à la situation personnelle du prévenu à l'appui des conclusions d'appel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »

Réponse de la Cour

21. Pour condamner le prévenu à cinq ans d'emprisonnement dont trois ans assortis du sursis sans prononcer d'aménagement pour la partie ferme, 50 000 000 FCP d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer et ordonner la confiscation des sommes portées au crédit de ses contrats d'assurance-vie et d'assurance-retraite, l'arrêt attaqué relève que M. I..., gérant de Sofipac, est le principal auteur et bénéficiaire du système d'escroquerie mis en place qui lui aurait permis de percevoir des fonds évalués à plus de 180 000 000 FCP.

22. Il retient que le prévenu, âgé de 73 ans, aujourd'hui retraité, ne présente aucune condamnation à son casier judiciaire, qu'il est marié et, qu'absent à l'audience, il n'a pas été justifié de ses revenus et de ses charges.

23. Il énonce que toutefois en prenant en compte l'extrême gravité de l'infraction commise au préjudice de l'Etat, de la Polynésie française et de nombreux investisseurs métropolitains, du caractère très élaboré du système d'escroquerie mis en place, de l'ampleur du préjudice commis, la juridiction pénale de première instance a fait une juste application de la loi pénale en le condamnant à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis, toute autre sanction étant manifestement inadéquate.

24. Les juges ajoutent que l'importance des profits tirés de ses agissements délictueux justifie également le montant de l'amende de 50 000 000 CFP prononcée par la juridiction pénale de première instance.

25. Ils concluent, après avoir rappelé les dispositions de l'article 324-7 du code pénal qui la prévoit, que c'est à juste titre que le tribunal correctionnel a prononcé une interdiction de gérer pendant 5 ans, peine complémentaire tout à fait adaptée en l'espèce, le délit ayant été commis par M. I... dans le cadre de la gestion de ses sociétés.

26. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

27. En effet, en premier lieu, ces motifs satisfont aux exigences de motivation des peines d'emprisonnement et d'interdiction de gérer posées par les articles 132-19, 132-1 et 485 du code pénal dès lors que, d'une part en se référant au casier judiciaire du prévenu, les juges se sont prononcés en tenant compte de la personnalité du prévenu, d'autre part, si des attestations relatives à son état psychologique étaient jointes aux conclusions déposées devant la cour d'appel par le conseil du prévenu, non-comparant, ces dernières ne comportaient aucun développement permettant aux juges de les prendre en compte.

28. En second lieu, ces motifs satisfont aux dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal relatives à la motivation de la peine d'amende, dès lors que d'une part la cour d'appel a constaté que le prévenu, non-comparant devant elle, n'avait fait produire aucun élément de nature à justifier ses ressources et ses charges et d'autre part il ne lui appartenait pas de rechercher d'autres éléments que ceux dont elle disposait.

29. D'où il suit que le moyen doit être écarté.

Mais sur le deuxième moyen proposé pour Mme N... D... pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

30. Le moyen est pris de la violation des articles 132-1, 132-19 et 132-20 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale.

31. Le moyen, en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la prévenue à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans assortis du sursis sans prononcer d'aménagement pour la partie ferme, à 35 000 000 francs pacifiques d'amende et a prononcé une interdiction de gérer pendant cinq ans, alors :

2°/ que la cour d'appel est tenue de se prononcer sur le principe d'un aménagement de la peine d'emprisonnement sans sursis et sur la nature de celui-ci ; que le refus de prononcer un tel aménagement doit être spécialement motivé au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation personnelle ; qu'en se prononçant par des motifs inopérants relatifs à la faisabilité technique de l'aménagement sans se prononcer sur son principe ni sa nature, eu égard notamment à la situation personnelle de la prévenue, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision.

Réponse de la Cour

Vu l'article 132-19 du code pénal :

32. Il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement susceptible d'aménagement doit, s'il décide de ne pas l'aménager, motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle.

33. Pour condamner la prévenue, comparante à l'audience, à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans assortis du sursis sans prononcer d'aménagement pour la partie ferme, l'arrêt attaqué énonce que la personnalité et la situation de l'intéressée ne permettent pas matériellement, en l'état, d'ordonner une mesure d'aménagement de la peine d'emprisonnement ferme prononcée, aucune pièce du dossier ne permettant d'évaluer la faisabilité technique d'une telle mesure.

34. Les juges ajoutent que la mise en place des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal pourra être envisagée en application de l'article 707 du code de procédure pénale, qui dispose que les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d'exécution, par le juge de l'application des peines informé de la présente décision.

35. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

36. En effet, en premier lieu, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs abstraits, ne s'est pas suffisamment expliquée sur les éléments relatifs à la personnalité et à la situation personnelle de la condamnée ayant fondé sa décision de ne pas aménager la peine prononcée ou rendant matériellement impossible cet aménagement.

37. En second lieu, l'absence d'étude technique de faisabilité ne saurait suffire à établir cette impossibilité matérielle.

38. La cassation est donc encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par Mme R... N... D... :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur le pourvoi formé par M. I... :

Le REJETTE ;

Sur le pourvoi formé Mme N... B... N... D... :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papeete, en date du 2 août 2018, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de Mme N... B... N... D..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 324-1 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation d'une opération de blanchiment, à rapprocher : Crim., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-85.491, Bull. crim. 2020 (cassation). Sur l'imputabilité de l'infraction de blanchiment à l'auteur de l'infraction d'origine, à rapprocher : Crim., 14 janvier 2004, pourvoi n° 03-81.165, Bull. crim. 2004, n° 12 (cassation).

Crim., 18 mars 2020, n° 18-86.491, (P)

En delibere

Eléments constitutifs – Elément matériel – Opération de dissimulation – Caractérisation – Transfert d'argent à l'étranger – Absence de déclaration

Le transfert de fonds, sans qu'ait été respectée l'obligation déclarative résultant des articles 464 du code des douanes et L. 152-1 du code monétaire et financier, doit être considéré comme une opération de dissimulation au sens de l'article 324-1 du code pénal.

N'encourt pas la censure, l'arrêt, qui, pour caractériser l'existence d'une opération de dissimulation, énonce, notamment, qu'il est établi que l'un des prévenus a tenté de transférer en Espagne, sans déclaration, une somme de 76 000 euros en numéraires.

CASSATION sur les pourvois formés par MM. K... O... et Y... G... contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 4 octobre 2018, qui, pour blanchiment, a condamné le premier à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 25 000 euros d'amende et le second à un an d'emprisonnement et 25 000 euros d'amende et a prononcé une mesure de confiscation.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 25 mars 2014, les agents des douanes ont procédé au contrôle d'un véhicule Opel Vectra immatriculé en Espagne au volant duquel circulait M. C... W.... Après que celui-ci a déclaré qu'il ne détenait pas de somme supérieure à 10 000 euros, les douaniers ont découvert plusieurs liasses de billets dissimulées sous la banquette arrière et dans l'optique arrière droit du véhicule, le tout représentant une somme totale de 76 000 euros.

3. MM. O... et G..., qui se sont prétendus propriétaires des fonds, ont été poursuivis du chef de blanchiment, pour avoir apporté leur concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit indirect d'un crime ou d'un délit, en l'espèce la somme de 76 000 euros en numéraire, cette somme étant issue d'une fraude fiscale.

4. Le tribunal correctionnel a condamné les prévenus pour les faits qui leur étaient reprochés.

5. MM. O... et G... ainsi que le procureur de la République ont formé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les premiers moyens proposés pour MM. O... et G...

Enoncé des moyens

6. Le premier moyen proposé pour M. O... est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 324-1 et 324-1-1 du code pénal, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. K... O... coupable de blanchiment par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un délit de fraude fiscale et l'a condamné de ce chef à une peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 25 000 euros, alors :

« 1°/ que le délit de blanchiment n'est constitué que si le prévenu a concouru au placement, à la dissimulation ou à la conversion du produit d'un crime ou d'un délit qu'il appartient aux juges du fond de caractériser ; qu'en jugeant M. O... coupable de blanchiment de fraude fiscale, sans caractériser la fraude fiscale qui serait le support du blanchiment, ni même en préciser la nature et les éléments constitutifs, la cour d'appel a violé les textes susvisés et privé son arrêt de base légale ;

2°/ qu'en retenant M. O... dans les liens de la prévention, au simple motif qu'il connaissait l'étendue de ses obligations déclaratives en matière de transfert international de fonds et y avait manqué concernant la somme de 76 000 euros, motif impropre à caractériser dans son chef l'infraction de blanchiment de fraude fiscale, la cour d'appel a violé les textes susvisés et privé son arrêt de base légale ;

3°/ que le blanchiment n'est constitué que si le prévenu a concouru au placement, à la conversion ou à la dissimulation du produit d'un crime ou d'un délit qui, s'il n'a pas été poursuivi, doit au moins être établi ; qu'en jugeant M. O... coupable de blanchiment de fraude fiscale, sur la foi d'un simple soupçon de fraude fiscale qui aurait été commise en Algérie et sans mieux caractériser l'origine frauduleuse des fonds confiés à M. G... par M. O..., la cour d'appel a violé les textes susvisés et privé son arrêt de base légale ;

4°/ que le blanchiment est une infraction intentionnelle ; qu'en déclarant M. O... coupable d'un tel délit, en relevant seulement son intention de ne pas déclarer en douane le déplacement des capitaux remis à M. W..., la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction, a de plus fort violé les textes susvisés et insuffisamment motivé sa décision. »

8. Le premier moyen proposé pour M. G... est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 324-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a reconnu le demandeur coupable d'avoir apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un délit de fraude fiscale, alors :

« 1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans ses conclusions en appel régulièrement déposées, l'exposant faisait valoir, document à l'appui, qu'il avait déclaré, le 7 mars 2013, la somme de 85 000 euros, conformément aux exigences de l'article 152-1 du code monétaire et financier applicable à l'espèce, ce qui établissait l'absence de fraude fiscale constitutive d'une infraction d'origine et, partant, celle de l'infraction de conséquence, à savoir le blanchiment ; que la cour d'appel n'a pas examiné l'existence de la déclaration invoquée ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux moyens péremptoires de nature à influer sur la solution du litige, ne serait-ce que pour les écarter, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs et a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel a, par motifs adoptés, estimé le blanchiment caractérisé sans établir aucun fait de blanchissement imputable au prévenu, se contentant de statuer sur un prétendu délit de fraude fiscale, infraction préalable, et d'affirmer qu'il résulte des éléments du dossier que les faits reprochés à M. G... sont établis ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

Sur le premier moyen proposé pour M. O... pris en sa deuxième branche

11. Aux termes de l'article 324-1 alinéa 2 du code pénal, constitue notamment un blanchiment le fait d'apporter son concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

12. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière de l'article 6 de la convention de Strasbourg du 8 novembre 1990, relative au blanchiment, au dépistage et à la saisie et à la confiscation des produits du crime et de l'article 3 b) de la directive 2018/1673/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, que constitue une opération de blanchiment, notamment, le fait de dissimuler ou de déguiser le mouvement de biens dont celui qui s'y livre sait qu'ils proviennent d'une activité criminelle.

13. Il s'en déduit que le transfert de fonds, sans qu'ait été respectée l'obligation déclarative résultant des articles 464 du code des douanes et L. 152-1 du code monétaire et financier, doit être considéré comme une opération de dissimulation au sens de l'article 324-1 du code pénal.

14. En l'espèce, pour caractériser l'existence d'une opération de dissimulation, l'arrêt attaqué énonce, notamment, par motifs propres et adoptés, qu'il est établi que M. W... a bien tenté le 25 mars 2014 d'effectuer un transfert vers l'Espagne sans déclaration d'une somme de 76 000 euros en numéraires.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel n'encourt pas le grief allégué.

Mais sur le premier moyen proposé pour M. O... pris en ses première et troisième branches et sur le premier moyen proposé pour M. G... pris en sa première branche

Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 324-1 alinéa 2 du code pénal :

16. Il résulte du premier de ces textes, que le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs.

17. Aux termes du second, le blanchiment est le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

18. Il s'en déduit que la caractérisation du délit de blanchiment, si elle n'implique pas que les auteurs de l'infraction principale soient connus, ni les circonstances de la commission de celle-ci entièrement déterminées, nécessite que soit établie l'origine frauduleuse des biens blanchis.

19. En l'espèce, pour dire établie l'existence du délit principal de fraude fiscale dont le produit aurait été blanchi par les prévenus, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, énonce que l'article 324-1 du code pénal n'impose pas que des poursuites aient été préalablement engagées ni qu'une condamnation ait été prononcée du chef du crime ou du délit ayant permis d'obtenir les sommes d'argent blanchi, mais qu'il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l'infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses et qu'en l'espèce, le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de la somme de 76 000 euros sujette à l'impôt, et l'intention coupable se déduit de l'abstention réitérée de déclaration de l'importation de cette somme, de l'importance de la somme dissimulée, et de la volonté de se soustraire aux obligations déclaratives légales prévues par les articles 464 et 465 du code des douanes, et des articles L.152-1 et L.152-4 du code monétaire et financier.

20. En statuant ainsi, sans caractériser le délit de fraude fiscale ayant procuré les sommes blanchies, autrement qu'en se référant au défaut de déclaration des fonds aux autorités douanières lors de leur transfert, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

21.La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 4 octobre 2018, mais en ses seules dispositions ayant déclaré MM. O... et G... coupables de blanchiment et sur les peines prononcées à leur encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article 464 du code des douanes ; article L. 152-1 du code monétaire et financier ; article 324-1 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation d'une opération de blanchiment, à rapprocher : Crim., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-85.542, Bull. crim. 2020 (rejet).

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