Numéro 2 - Février 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 15 février 2023, n° 21-87.146, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Saisies spéciales – Requêtes relatives à l'exécution de la saisie – Biens saisis par un Etat étranger à la demande des autorités judiciaires françaises – Aliénation des biens saisis – Autorisation par la cour d'appel – Possibilité (non)

La cour d'appel ne tient pas de l'article 710 du code de procédure pénale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire le pouvoir d'autoriser l'aliénation des biens saisis au cours de l'enquête ou de l'information judiciaire.

Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui autorise l'aliénation, par les autorités judiciaires des Etats-Unis d'Amérique, des biens saisis par ces autorités à la demande des autorités judiciaires françaises.

M. [H] [G] et les sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 1er décembre 2021, qui a autorisé l'aliénation d'objets saisis par les autorités judiciaires des Etats-Unis d'Amérique sur demande des autorités judiciaires françaises.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une requête a été présentée, le 7 juillet 2021, par le Département de la justice des Etats-Unis d'Amérique, saisissant le procureur général près la cour d'appel de Paris en vue d'obtenir l'autorisation de vendre des biens meubles et immeubles appartenant à M. [H] [G] et aux sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12], et dont la saisie avait été ordonnée au cours de l'information judiciaire diligentée notamment contre M. [G], puis exécutée à la demande des autorités judiciaires françaises par les autorités judiciaires des Etats-Unis d'Amérique, avant que ces biens ne fassent l'objet d'une décision non définitive de confiscation ordonnée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 septembre 2020.

3. Le 14 octobre 2021, le procureur général près la cour d'appel a saisi cette juridiction d'une requête aux fins de mainlevée des saisies pénales immobilières et mobilières, de vente des biens immeubles et meubles saisis, et de report de la saisie sur le prix de cession.

Examen de la recevabilité des pourvois formés par les sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12]

4. Les pourvois des sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12] qui contestent la compétence de la cour d'appel pour autoriser l'aliénation, par les autorités judiciaires des Etats-Unis d'Amérique, de biens leur appartenant, sans qu'elles aient été citées à comparaître à l'audience de ladite cour d'appel, sont recevables.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. [G]

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur les deuxième et troisième moyens proposés pour M. [G] et le premier moyen proposé pour les sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12]

Enoncé des moyens

6. Le deuxième moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit à la requête du ministère public français tendant à autoriser le département américain de justice à vendre, malgré la confiscation pénale non définitive prononcées le 18 septembre 2020 par la chambre 5-13 de la cour d'appel de Paris, les biens immeubles et meubles visés à son dispositif selon les règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, et a dit que le produit de ces ventes sera versé sur un compte spécial dépendant du gouvernement américain sur lequel les saisies prononcées par les autorités judiciaires françaises s'appliqueront, dans l'attente du caractère définitif des confiscations prononcées par les autorités judiciaires françaises, alors :

« 1°/ que le code de procédure pénale ne permet l'aliénation par anticipation des biens saisis que durant l'enquête ou l'instruction préparatoire ; que cette aliénation par anticipation n'est plus possible une fois que la juridiction de jugement a été saisie ; qu'en autorisant l'alinéation par anticipation des biens susvisés saisis durant l'instruction préparatoire, la cour d'appel, qui a statué après que la juridiction de jugement a été saisie et après qu'elle a prononcé, par un arrêt non définitif, la confiscation de ces biens, a excédé ses pouvoirs et a violé les articles 41-5, 99-2, 706-144, 706-152 du code de procédure pénale ;

2°/ subsidiairement que seuls le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention peuvent autoriser l'alinéation par anticipation des biens saisis durant l'information judiciaire ; que la juridiction de jugement est incompétente pour en décider, même après le renvoi du prévenu, l'article 710 du code de procédure pénale ne lui donnant compétence que pour statuer sur les incidents d'exécution des peines définitivement prononcées ; qu'en autorisant la vente par anticipation de biens saisis malgré leur confiscation non définitive, la chambre des appels correctionnels a méconnu l'étendue de sa compétence en violation des articles 41-5, 99-2, 706-144, 706-152 et 710 du code de procédure pénale ;

3°/ que les débats sont publics, sauf les cas où la loi exige qu'ils aient lieu en chambre du conseil ; qu'en statuant en chambre du conseil sur la requête du parquet général tendant à obtenir l'autorisation, malgré la confiscation pénale non définitive prononcée le 18 septembre 2020 par la chambre des appels correctionnels de cour d'appel de Paris, la vente de biens saisis durant l'instruction préparatoire, la chambre des appels correctionnels a violé les articles 306, 400, 512, 535 et 592 et 710 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ enfin et encore plus subsidiairement qu'à supposer que la juridiction de jugement puisse autoriser l'aliénation par anticipation de biens saisis puis confisqués de manière non définitive, le principe conventionnel d'égalité exige qu'elle statue à charge d'appel même lorsque la peine de confiscation non définitive a été prononcée par la chambre des appels correctionnels ; qu'en autorisant la vente par anticipation de biens saisis malgré leur confiscation non définitive, la chambre des appels correctionnels, qui a statué en premier et dernier ressort, a violé les articles 6 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ensemble l'article 1 du Protocole n°1 à ladite convention. »

7. Le troisième moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit à la requête du ministère public français tendant à autoriser le département américain de justice à vendre, malgré la confiscation pénale non définitive prononcées le 18 septembre 2020 par la chambre 5-13 de la cour d'appel de Paris, les biens immeubles et meubles visés à son dispositif selon les règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, et a dit que le produit de ces ventes sera versé sur un compte spécial dépendant du gouvernement américain sur lequel les saisies prononcées par les autorités judiciaires françaises s'appliqueront, dans l'attente du caractère définitif des confiscations prononcées par les autorités judiciaires françaises, alors :

« 1°/ qu'aucune disposition de droit interne ni aucun traité international ne donnent compétence aux juridictions françaises pour autoriser le département de justice américain à procéder à l'aliénation anticipée de biens saisis sur le territoire des Etats-Unis d'Amérique en exécution d'une ordonnance de saisie d'un juge d'instruction français ; qu'en autorisant, malgré la confiscation pénale non définitive prononcées le 18 septembre 2020 par la chambre 5.13 de la cour d'appel de Paris, la vente des biens immeubles et meubles précités selon les règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, et en disant que le produit de ces ventes sera versé sur un compte spécial dépendant du gouvernement américain sur lequel les saisies prononcées par les autorités judiciaires françaises s'appliqueront, dans l'attente du caractère définitif des confiscations prononcées par les autorités judiciaires françaises, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 10 et 11 du traité d'entraide judiciaire en matière pénale signé par la France et les Etats-Unis d'Amérique le 10 décembre 1998 et les articles 41-5, 99-2, 706-152 et 706-160 du code de procédure pénale ;

2°/ en toute hypothèse que l'alinéation par anticipation de biens saisis à l'étranger en exécution d'une décision judiciaire française est soumise aux conditions prévues par le code de procédure pénale français ; que celui-ci ne permet l'aliénation par anticipation de biens immobiliers que si leurs frais d'immobilisation sont disproportionnés par rapport à leur valeur en l'état ; qu'en énonçant, pour autoriser la vente des biens immobiliers susvisés, qu'il convenait d'éviter leur « déperdition » et en tout cas leur « dévalorisation », et en se fondant encore sur le fait que M. [G] serait en fuite, la cour d'appel, a statué par des motifs inopérants et n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 706-152 du code de procédure pénale ;

3°/ que le code de procédure pénale français ne permet d'aliéner par anticipation des biens mobiliers saisis durant l'information judiciaire que si, d'une part, leur restitution s'avère impossible ou si, d'autre part, ils sont confiscables et susceptibles de dévalorisation, et à condition que la conservation des uns et des autres ne soit plus nécessaire à la manifestation de la vérité ; qu'en se bornant à affirmer, pour autoriser l'aliénation des biens mobiliers susvisés, que M. [G] était en fuite et que ces biens étaient susceptibles de déperdition ou de dévalorisation, sans autrement s'expliquer, ni sur la nécessité de les conserver pour la manifestation de la vérité, ni sur l'évolution de leur valeur dans le temps, s'agissant notamment de véhicules de collection, de montres et de bijoux dont ni le ministère public français ni le département américain de la justice ne prétendaient qu'ils seraient susceptibles de dévalorisation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 41-5 et 99-2 du code de procédure pénale ;

4°/ enfin que l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ne peut aliéner par anticipation des biens saisis au cours de l'instruction que sur l'autorisation du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction ; qu'en affirmant, pour autoriser le département de justice américain à aliéner par anticipation ces biens, qui avaient été saisis aux Etats-Unis d'Amérique en exécution d'une ordonnance d'un juge d'instruction français, que s'ils étaient situés en France, l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués aurait oeuvré pour leur vente sans son autorisation, la cour d'appel a violé les articles 41-5, 99-2 et 706-152 du code de procédure pénale. »

8. Le premier moyen proposé pour les sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a autorisé, malgré la confiscation pénale non définitive prononcée le 18 septembre 2020 par la chambre 5.13 de la cour d'appel de Paris, la vente du bien immeuble n° 002-4203-334-3120 situé au [Adresse 2] appartenant à la société [10], du bien immeuble n°4384-002-018 situé au [Adresse 4] appartenant à la société [13], du bien immeuble n° 01-3231-062-0590 Unit 3504 situé au [Adresse 1] appartenant à la société [11], des véhicules de marques Bentley Sedan modèle Mulsanne immatriculé [Immatriculation 7] et Mercedes modèle S550 immatriculé [Immatriculation 3] appartenant à la société [9], du véhicule de marque Range Rover immatriculé [Immatriculation 6] appartenant à la société [12] et du véhicule de marque Ferrari immatriculé [Immatriculation 5] appartenant à la société [8], selon les règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, et a dit que le produit de ces ventes sera versé sur un compte spécial dépendant du gouvernement américain sur lequel les saisies prononcées par les autorités judiciaires françaises s'appliqueront dans l'attente du caractère définitif des confiscations prononcées par les autorités judiciaires françaises, alors :

« 1°/ que d'une part, seules peuvent être exercées les voies de recours prévues par la loi ; qu'aucune disposition légale n'offre au ministère public la possibilité de saisir la juridiction correctionnelle d'une requête aux fins d'aliénation de biens dont la confiscation a été prononcée par une décision antérieure non définitive ; que, dès lors, en statuant sur « la requête de mainlevée des saisies pénales immobilières et mobilières, de vente de biens immeubles et meubles saisis, et de report de la saisie pénale sur le prix de cession », par laquelle le procureur général sollicitait que soit autorisée la vente, selon les règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, des biens immeubles et meubles saisis sur le territoire de cet Etat pendant l'information judiciaire et dont la confiscation avait été prononcée par une décision antérieure non définitive, lorsque cette requête était irrecevable, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et méconnu son office, en violation de l'article 591 du Code de procédure pénale ;

2°/ que d'autre part, aucune disposition légale n'attribue à la juridiction correctionnelle ayant prononcé, par une décision antérieure non définitive, la confiscation de biens saisis pendant l'enquête ou l'information judiciaire, la compétence de décider de l'aliénation de ces biens et d'en fixer le régime ; que, dès lors, en autorisant, sur requête du procureur général, la vente des biens meubles et immeubles situés aux Etats-Unis qui avaient été saisis pendant l'information judiciaire et dont elle avait prononcé la confiscation par une décision antérieure non définitive comme étant frappée de pourvoi (n° 20-87.060), la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et méconnu son office, en violation de l'article 591 du Code de procédure pénale, ensemble par fausse application des articles 41-5, 99-2, 706-144, 706-152, 710 du même Code ;

3°/ que d'autre part, aucune Convention internationale ni aucune disposition légale interne relative à l'entraide pénale internationale n'attribue aux juridictions correctionnelles françaises la compétence d'autoriser une autorité américaine à aliéner des biens saisis, à la demande des autorités judiciaires françaises, sur le territoire des Etats-Unis d'Amérique et de lui ordonner de consigner les fonds provenant de la vente de ces biens sur un compte spécial ; que, dès lors, en autorisant la vente, selon les règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, des biens meubles et immeubles situés sur le territoire de cet Etat dont elle avait prononcé la confiscation par une décision antérieure non définitive comme étant frappée de pourvoi (n° 20-87.060), et en disant que le produit de ces ventes sera versé sur un compte spécial dépendant du gouvernement américain sur lequel les saisies prononcées par les autorités judiciaires françaises s'appliqueront dans l'attente du caractère définitif des confiscations prononcées, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, méconnu son office et violé le principe de souveraineté des Etats, ensemble l'article 591 du Code de procédure pénale et le traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis d'Amérique signé à Paris le 10 décembre 1998.

4°/ qu'en tout état de cause, toute atteinte au droit de propriété doit être prévue par la loi et être entourée de garanties procédurales suffisantes ; que, dès lors, en autorisant la vente des biens appartenant aux sociétés exposantes en dehors de tout cadre légal, sans que celles-ci n'aient été citées à comparaître devant elle ni entendues en leurs observations, par une décision rendue en premier et dernier ressort à l'encontre de laquelle aucun recours n'est prévu, la cour d'appel a violé les articles 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier protocole additionnel à cette Convention et préliminaire du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 710 du code de procédure pénale :

10. Si, selon ce texte, les juridictions répressives peuvent statuer sur les incidents contentieux relatifs à l'exécution des sentences qu'elles ont prononcées, ainsi que procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans leurs décisions, ces dispositions ne leur donnent pas le pouvoir d'autoriser l'aliénation des biens saisis au cours de la procédure.

11. Pour autoriser l'aliénation par les autorités judiciaires des Etats-Unis d'Amérique des biens saisis, selon les règles étrangères, l'arrêt retient que ces biens sont tous localisés aux Etats-Unis, qu'ils se dévalorisent au fil du temps et que s'ils étaient situés en France, l'AGRASC aurait, sans autorisation de la cour, procédé à leur vente.

12. Les juges ajoutent que le produit de la vente sera versé sur un compte spécial, dans l'attente du caractère définitif des confiscations.

13. Ils concluent qu'afin d'éviter la déperdition des biens confisqués et en tout cas leur dévalorisation supplémentaire, qui n'est de l'intérêt ni de l'Etat français, partie civile, ni-même de M. [G], il y a lieu de faire droit à la requête.

14. En se déterminant ainsi, alors qu'elle ne tenait pas de l'article 710 susvisé, non plus que d'aucune autre disposition législative ou réglementaire, le pouvoir d'autoriser l'aliénation des biens saisis au cours de la procédure, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.

15. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé pour les sociétés [11], [8], [10], [9], [13] et [12], la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 1er décembre 2021 ;

REJETTE la requête ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 710 du code de procédure pénale.

Crim., 1 février 2023, n° 22-82.235, (B), FRH

Rejet

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Appel – Règle de l'unique objet – Moyen portant sur l'immunité pénale liée aux fonctions – Recevabilité

Si la personne dont le bien fait l'objet d'une saisie pénale au cours d'une enquête préliminaire, ne saurait, à l'occasion de son appel contre l'ordonnance de saisie, invoquer des exceptions ou formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel, il se déduit des articles 689-11 et 706-153 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre une ordonnance de saisie spéciale rendue dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger et dont les éventuelles poursuites sont conditionnées par la résidence en France de la seule personne mise en cause, est tenue, nonobstant la règle de l'unique objet, d'examiner les éléments que celle-ci lui soumet en invoquant l'immunité pénale liée aux fonctions qu'elle occupait à la date des faits et à la nature des actes qui lui sont reprochés.

M. [P] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 23 mars 2022, qui, dans la procédure suivie des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité et de complicité, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée en France des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité et complicité relatifs à des faits qui auraient été commis en Côte d'Ivoire, mettant en cause, notamment, M. [P] [B] qui revendique avoir exercé les fonctions de premier ministre durant la période incriminée, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie pénale de la somme détenue sur un contrat d'assurance-vie par la [1], tiers débiteur de M. [B], pour un montant de 231 931,23 euros.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale frappée d'appel par M. [B], alors « que la règle de l'unique objet ne peut être opposée à la personne qui fonde son appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé une saisie sur l'exception tirée de l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ; qu'en retenant que la règle de l'unique objet de l'appel lui interdisait d'examiner l'exception d'immunité invoquée par M. [B] à raison de sa qualité de premier ministre de la Côte d'Ivoire à l'époque des faits, la cour d'appel a méconnu les principes généraux du droit international et les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-153, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

4. La Cour de cassation juge que la personne dont le bien fait l'objet d'une saisie pénale au cours d'une enquête préliminaire, ne saurait, à l'occasion de son appel contre l'ordonnance de saisie, invoquer des exceptions ou formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel.

5. Il résulte de l'article 689-11 du code de procédure pénale que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle réside habituellement sur le territoire de la République, toute personne soupçonnée d'avoir commis les crimes contre l'humanité définis au chapitre II du sous-titre 1er du titre 1er du livre II du code pénal, si les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis ou si cet Etat ou l'Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie à la convention portant statut de la Cour pénale internationale, ouverte à la signature le 18 juillet 1998, ou, dans les mêmes conditions, celle soupçonnée d'avoir commis les crimes et délits de guerre définis aux articles 461-1 et 461-31 du même code.

6. Il résulte de ces dispositions que la compétence des juridictions françaises pour connaître des crimes et délits susvisés est conditionnée par la faculté, pour les autorités judiciaires françaises, de pouvoir poursuivre la personne résidant habituellement sur le territoire de la République.

7. Il se déduit du principe énoncé au § 4 et des articles 689-11 et 706-153 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre une ordonnance de saisie spéciale rendue dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger et dont les éventuelles poursuites sont conditionnées par la résidence en France de la seule personne mise en cause, est tenue, nonobstant la règle de l'unique objet, d'examiner les éléments soumis par l'intéressé qui invoque l'immunité pénale liée aux fonctions qu'il occupait à la date des faits et à la nature des actes qui lui sont reprochés.

8. C'est donc à tort que la chambre de l'instruction a jugé qu'aucune disposition du code de procédure pénale ne donne compétence à la chambre de l‘instruction, saisie d'un appel formé contre une ordonnance de saisie, en l'absence d'ouverture d'information, pour statuer sur des exceptions de procédure, y compris lorsque le mis en cause invoque une immunité pénale.

9. En effet, l'immunité revendiquée par le demandeur qui est seul mis en cause des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité, si elle est avérée, est de nature à priver la juridiction française de la compétence universelle qui lui est reconnue par les dispositions de l'article 689-11 du code de procédure pénale et en conséquence, de mettre un terme aux investigations en cours.

10. L'arrêt n'encourt toutefois pas la censure dès lors qu'il résulte de ses énonciations que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a confirmé que M. [B], qui revendique avoir exercé les fonctions de premier ministre de Côte d'Ivoire et invoque l'immunité pénale qui s'attache aux actes susceptibles de lui être reprochés en cette qualité, n'exerçait aucune fonction officielle entre le 6 décembre 2010 et le 11 avril 2011 et qu'il ne peut, au moins durant cette période, se prévaloir d'une quelconque immunité.

11. Dès lors, le moyen doit être écarté.

12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. d'Huy - Avocat général : Mme Viriot-Barrial - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 706-153, 591 et 593 du code de procédure pénale.

Crim., 15 février 2023, n° 22-83.956, (B), FRH

Cassation

Scellés – Destruction – Appel – Compétence – Président de la chambre de l'instruction seul (non)

Selon l'article 41-5 du code de procédure pénale, la décision par laquelle le procureur de la République ordonne la destruction des biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, s'il s'agit d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite, est notifiée par tout moyen aux personnes ayant des droits sur le bien, si celles-ci sont connues, et aux personnes mises en cause, qui peuvent la contester devant la chambre de l'instruction.

Excède ses pouvoirs le président de la chambre de l'instruction qui statue seul sur la contestation de la décision de destruction prise par le procureur de la République.

Scellés – Destruction – Forme de la décision – Décision écrite ou orale – Décision orale – Condition – Procès-verbal rendant compte de la décision et de ses motifs

La décision de destruction des biens meubles saisis prise par le procureur de la République en application de l'article 41-5 du code de procédure pénale peut être écrite ou orale, à condition que le procès-verbal d'enquête rende compte de cette décision et de ses motifs. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour déclarer la décision du procureur de la République inexistante, retient que les pièces de la procédure établissent que celle-ci a été verbale et qu'en l'absence de décision formalisée, il ne peut être apprécié la pertinence de la motivation, ni les éléments de fait et de droit, pas plus que le fondement juridique de la décision, alors que l'existence de la décision du procureur de la République ressortait du procès-verbal de notification de celle-ci et que ce procès-verbal en énonçait les motifs.

Le procureur général près la cour d'appel de Dijon a formé un pourvoi contre l'arrêt du président de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 25 mai 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [V] [J] du chef d'infractions à la législation sur les armes, a infirmé la décision de destruction d'objet saisi rendue par le procureur de la République.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Dans le cadre de l'enquête de flagrance diligentée contre M. [V] [J] du chef de port d'arme de catégorie D, a été saisi un couteau à cran d'arrêt.

2. A l'issue de l'enquête, le procureur de la République a fait procéder à un rappel à la loi de ce chef.

3. Par ailleurs, les enquêteurs ont notifié à l'intéressé la décision prise par le procureur de la République de détruire le couteau placé sous main de justice.

4. Cette décision a été notifiée oralement à l'intéressé le 12 février 2022 selon procès-verbal de la même date.

5. Le procès-verbal énonce que la décision de destruction a été prise au motif que le couteau constitue un produit dangereux et nuisible, et dont la détention est illicite, et que son maintien sous scellé n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité.

6. M. [J] a contesté la décision du procureur de la République par déclaration faite à l'officier de police judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu par le président de la chambre de l'instruction, en violation des dispositions de l'article 41-5 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

Vu l'article 41-5 du code de procédure pénale :

8. Selon ce texte, la décision par laquelle le procureur de la République ordonne la destruction des biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, s'il s'agit d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite, est notifiée par tout moyen aux personnes ayant des droits sur le bien, si celles-ci sont connues, et aux personnes mises en cause, qui peuvent la contester devant la chambre de l'instruction.

9. En statuant seul sur la contestation de M. [J] contre la décision de destruction prise par le procureur de la République, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.

10. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur les deuxième et troisième moyens

Enoncé des moyens

11. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il déclare la décision du procureur de la République inexistante, en l'absence de décision formalisée, ce qui ne permet pas d'apprécier la pertinence de la motivation, ni les éléments de fait et de droit, pas plus que le fondement juridique de cette décision, alors que l'article 41-5 du code de procédure pénale n'impose au ministère public aucune forme particulière que doit revêtir la décision de destruction des biens meubles saisis et n'exclut pas que cette décision soit prise sans support écrit préalable et soit ensuite notifiée oralement par l'officier de police judiciaire en charge de l'enquête.

12. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il énonce que le fondement juridique invoqué à l'audience de la chambre de l'instruction par le ministère public, à savoir l'article 41-5 du code de procédure pénale, comme permettant une décision orale, prévoit en réalité à l'alinéa 6 la nécessité d'une motivation et la possibilité d'une notification orale de la décision, ce qui contredit la décision de déclarer inexistante la décision du procureur de la République.

Réponse de la Cour

13. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 41-5 du code de procédure pénale :

14. Selon ce texte, la décision par laquelle le procureur de la République ordonne la destruction des biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, s'il s'agit d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite, est motivée. Elle est notifiée par tout moyen aux personnes ayant des droits sur le bien, si celles-ci sont connues, et aux personnes mises en cause.

15. Il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 dont sont issues ces dispositions que celles-ci ont été adoptées afin de simplifier le régime juridique applicable à la gestion des scellés au cours de l'enquête préliminaire ou de flagrance.

16. Il se déduit de ce qui précède que la décision de destruction prise par le procureur de la République peut être écrite ou orale, à condition que le procès-verbal d'enquête rende compte de cette décision et de ses motifs.

17. Pour déclarer la décision du procureur de la République inexistante, l'arrêt retient que les pièces de la procédure établissent que celle-ci a été verbale et qu'en l'absence de décision formalisée, il ne peut être apprécié la pertinence de la motivation, ni les éléments de fait et de droit, pas plus que le fondement juridique de la décision.

18. En se déterminant ainsi, alors que l'existence de la décision du procureur de la République ressortait du procès-verbal de notification de celle-ci et que ce procès-verbal en énonçait les motifs, le président de la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

19. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé du président de la chambre de l'instruction de Dijon, en date du 25 mai 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon, autrement présidée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Bougy -

Textes visés :

Article 41-5 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue des pouvoirs du président de la chambre de l'instruction en matière de saisies, rendue sur le fondement de l'article 99-2 du code de procédure pénale : Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-80.411, Bull. crim. (cassation).

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