Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CASSATION

Crim., 15 février 2022, n° 20-81.450, (B), FP

Rejet

Moyen – Moyen nouveau – Principe ne bis in idem – Poursuites concomitantes – Irrecevabilité

Le principe ne bis in idem soulevé pour la première fois à hauteur de cassation en cas de poursuites concomitantes est nouveau et comme tel irrecevable. En effet, ce principe n'est pas d'ordre public et le grief pris de sa violation ne naît pas de l'arrêt.

Les sociétés [4] et [1] et les sociétés d'assurance mutuelle agricole [3] et [2], parties intervenantes, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 14 janvier 2020, qui, pour blessures involontaires et contraventions de blessures involontaires, a condamné les deux premières à 20 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société [1] et la société [4], ayant respectivement pour assureurs les sociétés [3] et [2], ont été poursuivies des chefs des délits et contraventions de blessures involontaires ayant entraîné des incapacités totales de travail supérieures à trois mois pour deux personnes et inférieures ou égales à trois mois pour onze personnes, à la suite de l'effondrement du toit d'un bâtiment de la société [1] consécutif à de fortes pluies, toit sur lequel la société [4] avait précédemment effectué des travaux d'étanchéité.

3. Les juges du premier degré ont déclaré les deux sociétés prévenues coupables des délits et contraventions de blessures involontaires ayant entraîné des incapacités totales temporaires de travail supérieures et inférieures ou égales à trois mois.

4. Les parties civiles, les parties intervenantes, les sociétés prévenues et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour les société [1] et [3]

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable, d'une part, du délit de blessures involontaires par personne morale suivies d'une incapacité supérieure à trois mois et, d'autre part, du délit de blessures involontaires par personne morale suivies d'une incapacité n'excédant pas trois mois, alors « que la cour d'appel, qui a retenu deux déclarations de culpabilité, l'une de nature délictuelle et l'autre de nature contraventionnelle, en se fondant sur des faits procédant pourtant de manière indissociable d'une action unique, consistant à n'avoir pas procédé à un entretien régulier et suffisant de la toiture et des abords du magasin, et caractérisés par une seule intention coupable, a méconnu le principe ne bis in idem et l'article 4 du Protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation la violation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes, est irrecevable.

7. En effet, d'une part, ce principe n'est pas d'ordre public.

8. D'autre part, le grief pris de sa violation ne naît pas de l'arrêt.

9. A le supposer recevable, le moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem ne serait, en tout état de cause, pas fondé.

10. En effet, les déclarations de culpabilité des délits et contraventions de blessures involontaires ne sont pas exclusives l'une de l'autre ; par ailleurs, aucune des qualifications telles qu'elles résultent des textes d'incrimination ne correspond à un élément constitutif ou à une circonstance aggravante de l'autre et aucune de ces qualifications n'incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction.

Sur le deuxième moyen proposé pour les société [1] et [3]

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable, d'une part, du délit de blessures involontaires par personne morale suivies d'une incapacité supérieure à trois mois et, d'autre part, du délit de blessures involontaires par personne morale suivies d'une incapacité n'excédant pas trois mois, alors :

« 1°/ qu'en affirmant que les services de secours avaient constaté la présence de débris végétaux sur la partie nord du toit, qui seule s'est effondrée, bien que ceux-ci avaient seulement constaté une accumulation de végétaux en partie sud du toit, de telle sorte que l'effondrement de la partie nord était uniquement dû à la stagnation d'eau résultant de l'obturation fautive, imputable à la société [4], de deux des quatre évacuations des eaux pluviales, la cour d'appel, qui a dénaturé les procès-verbaux d'audition des services de secours, a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs, en méconnaissance de l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que pour retenir une négligence ou un manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ou le règlement, la cour d'appel, qui a retenu que la société était tenue, en vertu du DTU 43.3, d'enlever « périodiquement » les mousses et la végétation sur le toit, sans expliquer en quoi la fréquence des visites effectuées par ses co-gérants, dont elle a constaté l'existence, était insuffisante au regard des exigences de ce DTU, a privé sa décision de base légale au regard des articles 222-19, 121-3 et R. 625-2 du code pénal ;

3°/ qu'il était soutenu que la norme NFP 84-208-1 impose une visite périodique de surveillance des ouvrages « au moins une fois par an », de préférence à la fin de l'automne pour les bâtiments situés à proximité d'arbres, de telle sorte qu'il ne pouvait être reproché à la société, qui soutenait en outre avoir entretenu le toit au moins une fois au cours de l'année, l'absence d'entretien avant la date de l'accident, intervenu à l'été 2008 ; que la cour d'appel, en ne s'expliquant pas sur les éléments de nature à établir qu'aucune faute n'avait été commise, le contrôle annuel ayant été réalisé – ce qu'elle a constaté puisqu'il a retenu que de « précédentes visites » avaient été effectuées –, et aucun contrôle supplémentaire ne pouvant être exigé avant la fin de l'automne, a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que c'est à la partie poursuivante d'établir l'élément moral de l'infraction, en particulier la négligence ou le manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ou le règlement ; que la cour d'appel, qui, pour retenir qu'il n'avait pas été procédé à un entretien régulier et suffisant de la toiture ou des abords du magasin, a en définitive exigé de la société qu'elle établisse que des visites régulières et suffisantes avaient été effectuées, a inversé la charge de la preuve, en méconnaissance de la présomption d'innocence ;

5°/ que la cour d'appel, qui, pour retenir une faute, s'est uniquement fondée sur l'encombrement du toit constaté par les services de secours, sur l'obligation générale d'entretien incombant à la société, plus encore après des épisodes pluvieux, et sur la présence d'eau stagnante constatée avant les faits, n'a pas recherché ni démontré en quoi la société n'avait pas suffisamment entretenu le toit avant l'accident, a privé sa décision de base légale au regard des articles 222-19 et R. 625-2 du code pénal ;

6°/ que la cour d'appel a constaté une pluviosité exceptionnelle dans les quatre jours ayant précédé l'accident ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'absence d'entretien pendant cette courte période avant l'accident, et dans ces conditions météorologiques rendant toute intervention dangereuse, n'était pas de nature à écarter toute faute de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 222-19 et R. 625-2 du code pénal. »

Réponse de la Cour

12. Pour déclarer la société [1] coupable de blessures involontaires ayant entraîné des incapacités totales de travail supérieures à trois mois et inférieures ou égales à trois mois, l'arrêt attaqué énonce que les gérants de cette société, MM. [C] et [N] [G], ont reconnu qu'ils se rendaient eux-mêmes périodiquement sur le toit pour le débarrasser des feuilles et branchages, qu'ils réalisaient un entretien par saison dont ils n'ont pas été en mesure de justifier en l'absence de registre tenu à cet effet et qu'ils devaient enlever périodiquement la végétation et maintenir en bon état de fonctionnement les évacuations d'eaux pluviales.

13. Les juges ajoutent qu'il appartenait aux gérants, et plus encore lors d'un épisode de pluies importantes, de vérifier de manière spécifique et attentive le bon état de propreté et d'usage des évacuations d'eaux pluviales afin d'éviter toute accumulation d'eau sur le toit, et donc de surcharge, étant précisé que leur attention avait nécessairement été attirée lors de leurs précédentes visites par la présence d'eau stagnante, dont la réalité était attestée par une photo aérienne des lieux figurant à la procédure, antérieure aux faits, et par des traces d'oxydation sur les murs relevées par l'expert sur place, caractérisant une accumulation permanente d'eau.

14. Les juges retiennent encore qu'il importe peu qu'un peuplier soit situé sur la partie sud du bâtiment, les constatations sur place ayant révélé la présence de feuilles également sur la partie nord qui s'est effondrée.

15. Les juges en concluent qu'en ne prenant pas la mesure du danger dont ils avaient connaissance, et en n'entretenant pas le toit de manière suffisante, les co-gérants de la société, incontestablement organes de celle-ci et agissant dans son intérêt et pour son compte, en voulant lui faire économiser le coût d'un contrat d'entretien ont commis une faute qui a contribué à la réalisation du dommage.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a considéré qu'une négligence des gérants, organes de la personne morale agissant pour le compte de celle-ci, dans l'entretien de la toiture et l'enlèvement des végétaux était en lien de causalité certain avec le dommage et qui n'avait pas à effectuer la recherche de circonstances exceptionnelles qui ne lui était pas demandée a, sans insuffisance ni contradiction, sans inversion de la charge de la preuve ni dénaturation, justifié sa décision.

17. D'où il suit que le moyen n'est pas fondé.

Sur le troisième moyen proposé pour les sociétés [1] et [3]

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé recevable la constitution de partie civile de M. [W] [H] et a condamné la société [1] à lui payer, à titre de provision à valoir sur son préjudice définitif, la somme de 5 000 euros, alors « que la société [1] soutenait que M. [W] [H] n'était pas visé par la décision de renvoi ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la cour d'appel a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

19. Pour déclarer la constitution de partie civile de M. [H] recevable, à titre personnel, et lui allouer une somme à titre provisionnel, l'arrêt attaqué énonce qu'il convient de confirmer le jugement attaqué qui a déclaré la constitution de partie civile recevable et, qu'eu égard à l'ancienneté des faits, il y a lieu de lui allouer une provision de 5 000 euros.

20. En statuant ainsi, et dès lors que l'absence du nom de M. [H] dans l'ordonnance de renvoi ne fait pas obstacle à la recevabilité de sa constitution de partie civile à l'audience, la cour d'appel a justifié sa décision.

21. D'où il suit que le moyen doit être écarté.

Sur le premier moyen proposé pour les sociétés [4] et [2]

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [4] coupable de délit consistant, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ou le règlement, à causer involontairement une incapacité de travail, alors :

« 1°/ que les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en condamnant la société [4] au motif que si la faute initiale a été matériellement commise par un ou plusieurs salariés de la société, qui seuls pourraient en répondre sur le plan pénal, sa conjugaison avec la seconde visite supposée corriger toute malfaçon affectant le chantier, caractérise un manque de professionnalisme et d'organisation de la société, imputable à son gérant [V] [M], de nature à engager la responsabilité pénale de cette dernière, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que les faits reprochés à la personne morale avaient été commis, pour son compte, par l'un de ses organes ou représentants, a violé l'article 121-2 du code pénal ;

2°/ qu'en se fondant, pour retenir la culpabilité de la société [4], personne morale, sur le fait qu'elle a, en janvier 2008, par une seconde visite supposée corriger toute malfaçon affectant le chantier, commis un manque de professionnalisme et d'organisation, imputable à son gérant [V] [M], fait non visé à la prévention et cependant que la société [4] n'était poursuivie que pour avoir obturé, en avril 2007 à l'occasion de précédents travaux d'étanchéité, les orifices d'écoulement des eaux de pluie, les juges du fond, qui sont sortis des limites de la prévention, ont violé l'article 388 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6,§1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

23. Pour déclarer la société [4] coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce qu'au cours des travaux qu'elle a effectués en avril 2007, cette société a obturé deux exutoires, que les pompiers ont été contraints, pour rétablir l'évacuation, de les découper au couteau et qu'il est manifeste que cette obturation fautive a été commise lors des travaux, les salariés de l'entreprise ayant oublié à la fin du chantier de les rouvrir.

24. Les juges ajoutent que la société [4] est intervenue en 2008 pour une visite d'étanchéité qui n'a pas corrigé les malfaçons et que ces fautes conjuguées ont contribué à maintenir sur le toit une nappe d'eau importante qui ne pouvait s'échapper et dont le poids excessif a provoqué l'effondrement.

25. Les juges en concluent que si la faute initiale a été matériellement commise par un ou plusieurs salariés de la société, qui seuls pouvaient en répondre sur le plan pénal, sa conjugaison avec la seconde visite supposée corriger toute malfaçon affectant le chantier caractérise un manque de professionnalisme et d'organisation de la société imputable à son gérant, M. [V] [M], de nature à engager la responsabilité pénale de cette dernière.

26. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

27. En premier lieu, elle a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction, une faute en lien de causalité certain avec l'accident commise par le gérant, organe de la société, agissant pour le compte de celle-ci.

28. En second lieu, la cour d'appel, saisie par la citation de l'accident survenu le 6 septembre 2008, ce qui incluait tant les travaux eux-mêmes effectués en avril 2007 que le contrôle de ceux-ci en janvier 2008, n'a pas excédé sa saisine.

29. D'où il suit que le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen proposé pour les sociétés [4] et [2]

Enoncé du moyen

30. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [4] à 20 000 euros d'amende, alors :

« 1°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que ces exigences s'imposent en ce qui concerne les peines prononcées à l'encontre tant des personnes physiques que des personnes morales ; qu'en condamnant la société [4] à une amende de 20 000 euros sans s'expliquer sur les ressources et les charges de la personne morale prévenue qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a violé les articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal ;

2°/ que toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée ; qu'en retenant une motivation commune aux sociétés [4] et [1] pour les condamner à la même amende de 20 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 132-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

31. Pour condamner la société [4], comme la société [1], à 20 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué énonce que la gravité des fautes commises par chacune des deux sociétés reconnues coupables justifie le prononcé d'une amende significative qui les fasse réfléchir sur la nécessité de respecter la loi et les dissuade à l'avenir de persister dans leur comportement et que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de ces sociétés ne porte mention d'aucune condamnation.

32. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

33. En premier lieu, la société [4], non comparante en appel mais représentée par son avocat, n'a pas contesté l'amende infligée en première instance ni son caractère disproportionné et il n'appartenait pas aux juges de rechercher d'autres éléments que ceux qui leur étaient soumis.

34. En second lieu, le principe de personnalisation des peines n'interdit pas aux juges de prononcer la même peine contre deux prévenus différents dès lors qu'ils ont estimé que leur responsabilité était identique et que l'amende était proportionnée à leurs revenus et à leurs charges.

35. D'où il suit que le moyen n'est pas fondé.

36. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Fixe à 2 500 euros la somme globale que les sociétés [1] et [4] devront payer à la société [5], en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Fixe à 2 500 euros la somme globale que les sociétés [4] et [2] devront payer aux parties représentées par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Fixe à 2 500 euros la somme globale que les sociétés [1] et [3] devront payer aux parties représentées par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale, à l'égard de la société [1].

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Bellenger - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Lévis ; Me Le Prado ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Rapprochement(s) :

Sur le principe ne bis in idem : Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-85.924, Bull. crim., (rejet). Sur le cumul idéal d'infraction : Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, Bull. crim., (rejet).

Crim., 2 février 2022, n° 21-82.009, n° 21-82.065, (B), FS

Rejet et irrecevabilité

Pourvoi – Délai – Point de départ – Cour d'assises – Instance sur les intérêts civils – Accusé représenté par son avocat – Jour du prononcé de la décision.

La décision rendue par la cour d'assises statuant sur l'action civile, après des débats au cours desquels les accusés absents étaient représentés par leurs avocats, lesquels ont été informés de la date du prononcé de la décision mise en délibéré, est contradictoire. Dès lors, sont irrecevables en application de l'article 568 du code de procédure pénale les pourvois en cassation formés par les accusés au-delà du délai de cinq jours francs à compter du prononcé de la décision (Crim., 12 janvier 1972, pourvoi n° 71-92.245).

M. [R] [F] et M. [C] [Y] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, statuant comme juridiction interrégionale spécialisée, en date du 12 février 2021, qui a condamné, le premier, pour meurtre en bande organisée en récidive, à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, le second, pour association de malfaiteurs en récidive, à douze ans d'emprisonnement (pourvois n° 21-82.009), ainsi que contre l'arrêt en date du 8 mars 2021 par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils (pourvois n° 21-82.065).

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le [Date décès 1] 2014, [N] [V] a été tué par les tirs des occupants d'un véhicule automobile, qui l'ont atteint à vingt-trois reprises.

3. L'enquête puis l'information ont conduit à la mise en cause de M. [R] [F], de M. [C] [Y] et de cinq autres personnes comme auteurs, complices ou membres d'une association de malfaiteurs ayant contribué à la commission du crime, intervenu dans un contexte de règlement de comptes lié à un trafic de stupéfiants.

4. Par arrêt du 10 octobre 2018, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a notamment renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône M. [F] du chef de meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs en récidive et M. [Y] pour complicité de ces crimes, en récidive.

5. Par arrêt du 11 octobre 2019, cette juridiction a condamné M. [F] à vingt-cinq ans de réclusion criminelle et M. [Y] à quinze ans de réclusion criminelle.

En l'absence de constitution de partie civile aucun arrêt civil n'a été prononcé.

6. MM. [F] et [Y] ont relevé appel de l'arrêt pénal et le ministère public a formé appel incident.

7. En appel, Mme [I] [S] s'est constituée partie civile et, par arrêt distinct du 8 mars 2021, la cour a prononcé sur les intérêts civils.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. [Y] contre l'arrêt pénal du 12 février 2021, par déclaration faite par son avocat

8. M. [Y] ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait, le 16 février 2021, par déclaration au greffe de l'établissement pénitentiaire, le droit de se pourvoir contre l'arrêt pénal attaqué, son avocat était irrecevable à se pourvoir à nouveau, le même jour, contre la même décision. Seul est recevable le pourvoi de M. [Y].

Examen de la recevabilité des pourvois formés par M. [Y] et M. [F] contre l'arrêt civil du 8 mars 2021

9. Lors de l'audience pénale, l'examen de la demande en réparation de la partie civile a été renvoyé à l'audience du 1er mars 2021. A l'issue des débats qui se sont tenus à cette date, en présence des avocats représentant les accusés, la présidente de la cour d'assises a indiqué que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe, le 8 mars 2021.

10. La décision ayant été prononcée dans les conditions précitées, est contradictoire et les accusés ont été en mesure d'en connaître la teneur le 8 mars 2021. Dès lors, les déclarations de pourvoi formées, le 22 mars 2021 par M. [Y] et le 23 mars 2021 par M. [F], sont irrecevables comme ayant été faites au-delà du délai de cinq jours francs prévu par l'article 568 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le second moyen proposé pour M. [F] et le premier moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches proposé pour M. [Y], contre l'arrêt pénal du 12 février 2021

11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y] contre l'arrêt pénal du 12 février 2021

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable de participation à une association de malfaiteurs et l'a condamné à douze ans d'emprisonnement, alors :

« 1°/ qu'une victime non constituée partie civile devant la cour d'assises de première instance ne peut se constituer, pour la première fois, devant celle statuant en appel et ne peut, par suite, intervenir aux débats devant la cour d'assises statuant en appel ; que, dès lors, en déclarant M. [Y] coupable des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en état de récidive légale qui lui étaient reprochés et en entrant en conséquence en voie de condamnation à son encontre, après avoir donné acte à Mme [S] de sa constitution de partie civile et après avoir accepté que Mme [S] intervienne aux débats devant elle en qualité de partie civile, quand il résultait de l'arrêt rendu le 11 octobre 2019 par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en première instance que Mme [S] n'était pas constituée devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en première instance, la cour d'assises a violé les dispositions de l'article 380-6 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Tandis qu'il ressort du procès-verbal des débats de première instance qu'aucune partie civile ne s'est constituée, celui relatant les débats en appel, mentionne que la présidente de la cour d'assises a donné acte à Mme [S] de sa constitution de partie civile, après avoir entendu chacune des parties et les accusés, qui ont eu la parole en dernier, et qu'aucune observation n'a été soulevée. Il résulte de ce même procès-verbal des débats que Mme [S] a participé aux débats et qu'elle a été entendue en qualité de partie civile, sans prestation de serment.

14. En cet état, à défaut pour le demandeur au pourvoi ou toute autre partie au procès de s'être opposé à cette constitution de partie civile par une demande de donner acte ou en soulevant un incident, la contestation de la recevabilité de cette constitution de partie civile en application de l'article 380-6 du code de procédure pénale ne peut être présentée pour la première fois devant la Cour de cassation.

15. Le grief est dès lors irrecevable.

Sur le moyen du mémoire complémentaire proposé pour M. [Y] contre l'arrêt pénal du 12 février 2021

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en état de récidive légale qui lui étaient reprochés et l'a condamné à la peine de douze ans d'emprisonnement, alors « que les dispositions de l'article 310 du code de procédure pénale, qui édictent des règles de compétence d'ordre public, réservent au président de la cour d'assises le pouvoir d'ordonner l'audition d'une personne n'ayant pas la qualité de témoin acquis aux débats, à moins qu'il n'estime opportun d'en saisir la cour et sous réserve que, par cette saisine, il ne méconnaisse pas l'exercice de son propre pouvoir ; qu'en l'espèce, à l'audience du 9 février 2021, l'avocat de M. [F], co-accusé, a demandé à la présidente de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel d'entendre trois enquêteurs, en vertu de son pouvoir discrétionnaire ; que la présidente de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel a sursis à statuer sur cette demande ; qu'à l'audience du 10 février 2021, après avoir redonné la parole aux accusés, à leurs avocats et au ministère public, la présidente de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel a avisé les parties que la décision sur la demande d'audition de trois enquêteurs serait rendue plus tard au cours des débats ; que, le lendemain, la présidente de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel a donné la lecture d'un arrêt de la cour rejetant cette demande d'audition ; que, cependant, dès lors que la présidente de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel avait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire exclusif, décidé de surseoir à statuer sur la demande d'audition de trois enquêteurs, elle devait vider sa saisine en statuant elle-même sur cette demande et ne pouvait plus en saisir la cour ; qu'en conséquence, l'arrêt attaqué a été rendu en violation des dispositions de l'article 310 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

17. M. [Y] n'est pas recevable à contester devant la Cour de cassation la réponse qui a été faite, au cours des débats de la cour d'assises, à une demande d'audition de témoins non cités, qui avait été présentée par un autre accusé, et à laquelle aucune pièce de procédure ni aucune mention du procès-verbal des débats ne vient démontrer qu'il avait entendu s'associer.

Sur le premier moyen proposé pour M. [F] contre l'arrêt pénal du 12 février 2021

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [F] pour meurtre en bande organisée en récidive, à la peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle, alors « que l'article 310 du code de procédure pénale réserve au président le pouvoir d'ordonner l'audition d'une personne n'ayant pas la qualité de témoin acquis aux débats, à moins qu'il n'estime opportun d'en saisir la cour et sous réserve que par cette saisine il ne méconnaisse pas l'exercice, de son propre pouvoir ; qu'en l'espèce, à l'audience du 9 février, le conseil de M. [F], accusé, a demandé à la présidente d'entendre trois enquêteurs, en vertu de son pouvoir discrétionnaire ; que la présidente a sursis à statuer sur cette demande ; qu'à l'audience du 10 février, après avoir redonné la parole aux accusés, à leurs conseils et au ministère public, la présidente a avisé les parties que la décision serait rendue plus tard au cours des débats ; que, à la reprise des débats le lendemain, la présidente a donné lecture d'un arrêt de la cour rejetant la demande ; que, dès lors que la présidente avait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire exclusif, décidé de surseoir à statuer sur la demande, elle devait vider sa saisine et ne pouvait plus saisir la cour de cette demande ; que l'article 310 du code de procédure pénale a été méconnu. »

Réponse de la Cour

19. Il résulte du procès-verbal des débats que, saisie par l'avocat de M. [F] d'une demande d'audition de trois témoins qui n'avaient pas été cités, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, la présidente de la cour d'assises a sursis à statuer sur celle-ci.

Le lendemain, elle a donné la parole à l'avocat de M. [F] sur sa demande d'audition de ces témoins, puis au ministère public et aux parties, les accusés ayant eu la parole en dernier et les a informés que la décision serait rendue plus tard, au cours des débats.

Le jour suivant, elle a donné lecture d'un arrêt incident, rendu par la cour, mentionnant qu'elle avait saisi celle-ci et rejetant la demande d'audition de témoins.

20. En cet état, la présidente de la cour d'assises a fait un exercice régulier de la faculté que lui offre l'article 310 du code de procédure pénale de saisir la cour d'une demande relevant de son pouvoir discrétionnaire, cette saisine n'étant assujettie à aucune condition de forme.

21. Le moyen ne peut donc être admis.

22. Par ailleurs, la procédure est régulière et les peines ont été légalement appliquées aux faits déclarés constant par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par l'avocat de M. [Y] contre l'arrêt pénal :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur les pourvois formés par M. [Y] et M. [F] contre l'arrêt civil du 8 mars 2021 :

Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;

Sur les pourvois formés par M. [Y] et M. [F] contre l'arrêt pénal du 12 février 2021 :

Les REJETTE.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. de Larosière de Champfeu (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sudre - Avocat général : Mme Chauvelot - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 568 du code de procédure pénale ; article 380-6 du code de procédure pénale ; articles 310 et 316 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 12 janvier 1972, pourvoi n° 71-92.245, Bull. crim. 1972, n° 15 (rejet). Crim., 21 juin 1976, pourvoi n° 75-90.078, Bull. crim. 1976, n° 224 (cassation partielle). Crim., 18 mai 1978, pourvoi n° 76-93.629, Bull. crim. 1978, n° 152 (rejet).

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