Numéro 2 - Février 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 2 février 2022, n° 21-82.535, (B), FRH

Cassation partielle par voie de retranchement sans renvoi

Membre de l'enseignement public coupable d'infraction sur ses élèves – Responsabilité civile de l'Etat substituée à celle de l'enseignant – Domaine d'application – Agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM)

Doit être considéré comme membre de l'enseignement public, au sens de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, l'agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qui appartient à la communauté éducative, auquel est imputée une faute pénale commise à l'occasion d'activités scolaires ou périscolaires, d'enseignement ou de surveillance.

Méconnaît l'article susvisé la cour d'appel, qui, sur l'action civile de la victime d'une infraction commise dans un tel contexte, déclare cette action civile recevable et condamne l'agent au paiement de dommages-intérêts.

Mme [W] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 1er avril 2021, qui, pour harcèlement moral aggravé, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis, une interdiction professionnelle définitive, deux ans d'inéligibilité, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [W] [Y] a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour avoir harcelé deux enfants, scolarisés dans l'école où elle exerçait les fonctions d'agent territorial spécialisé des écoles maternelles, avec la circonstance qu'ils étaient mineurs de 15 ans.

3. Par jugement du 22 juin 2020, le tribunal a condamné Mme [Y] à six mois de sursis probatoire, une interdiction professionnelle définitive et a statué sur les actions civiles.

4. Mme [Y] a interjeté appel du jugement ; le procureur de la République a relevé appel incident.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable les constitutions de parties civiles et a déclaré Mme [Y] civilement responsable du préjudice subi par les parties civiles et l'a condamnée à les indemniser, alors :

« 1°/ que les règles de compétence des juridictions sont d'ordre public et peuvent être invoquées à tous les stades de la procédure ; que tout juge est tenu, même d'office et en tout état de la procédure, de vérifier sa compétence ; que selon l'article L. 911-4 du code de l'éducation, lorsque la responsabilité d'un membre de l'enseignement public se trouve engagée à la suite d'un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l'Etat est substituée à celle de ce membre qui ne peut jamais être mise en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants ; qu'en condamnant Mme [Y], après l'avoir déclarée coupable de harcèlement moral sur des élèves qui lui étaient confiés, à verser des dommages-intérêts aux parties civiles au motif qu'elle aurait commis une faute détachable de ses fonctions, circonstance qui n'était, même à supposer ce caractère détachable avéré, pas de nature à entraîner la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a méconnu l'article L. 911-4 du code de l'éducation ;

2°/ que n'est indemnisable que le préjudice résultant directement de l'infraction ; que la cour d'appel, n'ayant pas recherché l'existence d'un lien de causalité entre les faits reprochés et les dommages allégués, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L 911-4 du code de l'éducation :

7. Selon ce texte, lorsque la responsabilité d'un membre de l'enseignement public se trouve engagée à la suite d'un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l'Etat est substituée à celle de l'enseignant, qui ne peut jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.

L'action en responsabilité, exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droits, intentée contre l'Etat, ainsi responsable du dommage, est portée devant le tribunal de l'ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et est dirigée contre l'autorité académique compétente.

8. Doit être considéré comme membre de l'enseignement public, au sens du texte susvisé, l'agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qui appartient à la communauté éducative et remplit une mission d'accueil des élèves, d'assistance pédagogique et de surveillance, auquel est imputée une faute pénale commise à l'occasion d'activités scolaires ou périscolaires, d'enseignement ou de surveillance.

9. Après avoir déclaré la prévenue coupable de harcèlement moral aggravé commis dans l'exercice de son activité d'agent des écoles maternelles, les juges du fond l'ont condamnée à payer des dommages-intérêts aux parties civiles.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé.

11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

La demande présentée contre Mme [Y], au titre de l'action civile, sera déclarée irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 1er avril 2021, mais en ses seules dispositions ayant confirmé les condamnations de Mme [W] [Y] au paiement de dommages-intérêts aux parties civiles, M. [F] [D], Mmes [O] [D], [P] [D], M. [V] [Z], Mme [N] [Z] et M. [B] [Z], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DECLARE irrecevable la demande présentée contre Mme [W] [Y] au titre de l'action civile ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Turbeaux - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Article 911-4 du code de l'éducation.

Crim., 15 février 2022, n° 21-80.670, (B), FP

Cassation sans renvoi

Partie civile – Constitution – Constitution à l'instruction – Recevabilité – Conditions – Relation directe entre le préjudice allégué et les infractions poursuivies – Applications diverses

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare la constitution de partie civile irrecevable, alors qu'il ressort des circonstances qu'elle retient que l'action dans laquelle l'intéressée s'est engagée pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d'atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles elle s'est ainsi elle-même exposée, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle peut être en relation directe avec ces dernières.

Mme [H] [K] [C], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 13 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre personnes non dénommées, des chefs d'assassinats terroristes et complicité, tentatives d'assassinats terroristes sur personnes dépositaires de l'autorité publique et complicité, association de malfaiteurs terroriste, et contre M. [I] [M], du chef d'association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le [Date décès 1] 2017, deux jeunes femmes ont été mortellement poignardées sur le parvis de la gare [3] à [Localité 2], par un homme, identifié par la suite comme étant [X] [M], finalement tué par le tir d'un des militaires en patrouille.

3. Une information a été ouverte des chefs susvisés.

Les investigations ont conduit à la mise en cause de M. [I] [M], frère d'[X] [M], qui a été mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste.

4. Mme [H] [K] [C] s'est constituée partie civile auprès du juge d'instruction. Elle a fait état de ce qu'elle avait tenté d'intervenir, alors que l'agresseur portait des coups sur la seconde victime, en le frappant avec un bâton de bois.

5. Par ordonnance du 10 juillet 2020, le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.

6. Mme [K] [C] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par le conseil de Mme [K] [C] dans la présente information judiciaire, alors :

« 1°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a relevé que Mme [K] [C] était intervenue pour tenter d'arrêter le terroriste armé qui avait poignardé deux jeunes femmes, qu'elle était allée seule au-devant de l'agresseur qui était muni d'un couteau, qu'elle l'avait frappé avec un bâton, qu'elle avait raconté lors de son audition que le terroriste, déstabilisé, avait mis un temps d'arrêt d'une seconde debout devant elle en la regardant, le couteau à la main, et qu'elle avait cru qu'il allait aussi la poignarder, mais qu'à ce moment-là un groupe de militaires était arrivé et qu'il avait couru vers eux en criant « Allah Akbar » ; qu'en retenant que Mme [K] [C] ne s'était pas trouvée directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste et n'était donc qu'un simple témoin des faits, quand il ressortait au contraire de ses constatations que Mme [K] [C] avait été exposée au risque d'être tuée ou blessée par le terroriste, risque qui se serait peut-être réalisé si les militaires n'étaient pas intervenus, la chambre de l'instruction a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et n'a de ce fait pas justifié celle-ci au regard des articles 2, 85 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'une constitution de partie civile est recevable dès lors que le préjudice invoqué, qui peut être aussi bien matériel, corporel ou moral, découle des faits objet des poursuites ; qu'en subordonnant la recevabilité de la constitution de partie civile de Mme [K] [C] à la preuve que cette dernière ait été directement et immédiatement exposée à l'intention d'homicide du terroriste, quand il suffisait que Mme [K] [C] puisse se prévaloir d'un préjudice qui découlait des faits poursuivis, ce qui était le cas puisqu'il ressortait de ses propres constatations que Mme [K] [C], à la suite de l'attentat au cours duquel elle avait tenté de porter secours aux jeunes femmes agressées par le terroriste en portant des coups de bâton à ce dernier, avait développé un traumatisme psychique important, la chambre de l'instruction a violé les articles 2, 3, 85 et 591 du code de procédure pénale ;

3°/ que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu'en retenant pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile, que bien que Mme [K] [C] soit intervenue pour tenter de neutraliser le terroriste armé qui avait poignardé deux jeunes femmes, qu'elle soit allée seule au-devant de l'agresseur qui était muni d'un couteau et qu'elle l'ait frappé avec un bâton, elle n'avait néanmoins pas été directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste puisque ce dernier n'avait eu aucun geste à son encontre, la chambre de l'instruction, qui a exigé la preuve d'un préjudice certain, a méconnu son office en violation des dispositions des articles 2, 3, 85 et 591 du code de procédure pénale ;

4°/ que la constitution de partie civile incidente devant la juridiction d'instruction est recevable à raison des faits pour lesquels l'information est ouverte ou de faits indivisibles ; qu'en l'espèce, pour refuser d'examiner la constitution de partie civile de Mme [K] [C] à l'aune

du « chef de tentative d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste au préjudice de Mme [K] [C] », la chambre de l'instruction a retenu qu'elle devait uniquement statuer dans le cadre des qualifications d'assassinats et de tentatives d'assassinat sur personne dépositaire de l'autorité publique en relation avec une entreprise terroriste ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si les faits de tentative d'assassinat à son encontre en relation avec une entreprise terroriste dont se prévalait Mme [K] [C] à l'appui de sa constitution de partie civile n'étaient pas indivisibles de ceux pour lesquels l'information avait été ouverte, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 2, 3, 85, 87 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale :

8. Il résulte de ces textes que, pour qu'une constitution de partie civile incidente soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'instruction d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

9. Pour confirmer l'ordonnance ayant déclaré la constitution de partie civile de Mme [K] [C] irrecevable, l'arrêt attaqué énonce que c'est par une juste analyse que le juge d'instruction a considéré que cette dernière ne s'est pas trouvée directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessures recherché par le terroriste qui a ciblé ses victimes, puisqu'après avoir délibérément porté des coups à deux d'entre elles, il a tenté de s'en prendre à des militaires, mais n'a eu aucun geste à l'encontre de Mme [K] [C] lorsqu'elle est intervenue pour tenter de le maîtriser.

10. Les juges ajoutent que les conséquences de l'attaque meurtrière lui ont causé un traumatisme indéniable, mais qui relève de celui vécu par un témoin de la commission des infractions visées à l'information, laquelle n'est pas ouverte du chef de tentative d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste au préjudice de Mme [K] [C].

11. Ils en déduisent que les arguments relatifs à la caractérisation d'une telle infraction et d'un lien direct entre son préjudice et une tentative d'assassinat à son encontre sont sans incidence.

12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

13. En effet, il ressort des circonstances qu'elle retient que l'action dans laquelle Mme [K] [C] s'est engagée pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d'atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles elle s'est ainsi elle-même exposée, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle peut être en relation directe avec ces dernières.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2021 ;

DÉCLARE recevable la constitution de partie civile de Mme [K] [C] ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 3 mars 2015, pourvoi n° 13-88.514, Bull. crim. 2015, n° 38 (cassation), et l'arrêt cité.

Crim., 15 février 2022, n° 21-80.264, (B), FP

Cassation sans renvoi

Partie civile – Constitution – Constitution à l'instruction – Recevabilité – Existence d'une préjudice certain, direct et personnel – Appréciation – Cas – Attentats terroristes

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare la constitution de partie civile irrecevable, alors qu'il ressort des circonstances qu'elle retient que l'action dans laquelle l'intéressé s'est engagé pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d'atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles il s'est ainsi lui-même exposé, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour lui peut être en relation directe avec ces dernières.

M. [G] [L], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 16 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre MM. [V] [K], [M] [S], [O] [W], Mme [E] [Y], MM. [X] [I], [P] [U], [N] [B], [H] [J] et [R] [F], notamment des chefs d'assassinats, tentatives d'assassinats et complicité d'assassinats, en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste, association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le soir du [Date décès 1] 2016 à [Localité 2], un camion a fait irruption sur la [Adresse 3] où était massée la foule venue assister au feu d'artifice, a parcouru deux kilomètres, tuant quatre-vingt-six personnes et blessant plusieurs centaines d'autres, avant de s'immobiliser pour une raison mécanique à l'intersection de la [Adresse 3] et de la [Adresse 4]. Un échange de coups de feu a alors eu lieu avec les forces de l'ordre et le conducteur, identifié par la suite comme étant [R] [A] [T], a été mortellement touché.

3. Une information a été ouverte des chefs susvisés.

4. M. [G] [L] s'est constitué partie civile auprès du juge d'instruction. Il a fait état de ce qu'il se trouvait alors sur la plage de [Localité 2] et qu'après avoir entendu des bruits de choc ainsi que des hurlements, et comprenant ce qui était en train de se produire, il a entrepris de poursuivre le camion afin d'en neutraliser le conducteur. Il a indiqué s'être trouvé à hauteur de la cabine lorsqu'a débuté la fusillade opposant le conducteur aux forces de l'ordre.

5. Par ordonnance du 21 février 2020, le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.

6. M. [L] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

7. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. [L], alors « que l'action civile est recevable pour tous chefs de dommages qui découlent des faits objets de la poursuite ; que les traumatismes inhérents à la seule présence dans un lieu où un individu tente, dans un court laps de temps, d'atteindre à la vie du plus grand nombre de personnes présentes, sans que les victimes n'aient été déterminées au préalable – situation qui pourrait être qualifiée de tuerie de masse – constituent un préjudice moral en lien de causalité direct avec les assassinats et tentatives d'assassinats poursuivis, et ce indépendamment de l'exposition effective à un risque de mort ; qu'en confirmant l'ordonnance d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. [L], motifs pris de ce qu'il n'aurait pas directement et immédiatement été exposé à un risque de mort ou de blessure, lorsqu'elle constatait expressément que « les conséquences de l'attentat sur [G] [L], induites par la vision de victimes persécutées et décédées, sont cause d'un traumatisme indéniable », la chambre de l'instruction a violé les dispositions des articles 2 et 3 du code de procédure pénale. »

8. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. [L], alors « que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; que même à admettre que le statut de victime directe de M. [L] suppose une exposition directe de celui-ci à l'intention homicide de [R] [A] [T], une telle exposition ne saurait être exclue en l'état, celui-ci affirmant aux termes de ses déclarations, seul élément sur lequel la chambre de l'instruction s'appuie pour justifier sa décision, « je suis arrivé jusqu'au lieu de la fusillade », « au début j'étais du côté chauffeur du camion, et après je suis passé du côté passager », ce dont il se déduit une proximité certaine de M. [L] avec l'auteur des faits, et dont il résulte subséquemment la possibilité qu'il ait été exposé directement ; qu'il est également constaté qu'afin de protéger un individu présent sur les lieux, M. [L] a décidé de plaquer celui-ci au sol, ce dont il peut se déduire qu'en ce lieu, le fait d'être debout emportait un risque d'être atteint par un tir ; qu'en confirmant néanmoins l'ordonnance d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. [L], la chambre de l'instruction a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale :

10. Il résulte de ces textes que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

11. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de M. [L] irrecevable, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort de ses déclarations qu'alors que sa position dans la ville le mettait à l'abri de la trajectoire du camion, il a pris la décision de remonter sur la chaussée de la promenade et de courir derrière lui.

12. Les juges relèvent que, si M. [L] a indiqué être passé du côté conducteur au côté passager dans sa course, il ne ressort nullement de ses explications qu'il se soit trouvé à la hauteur du conducteur dans une possible ligne de tir de celui-ci, mais, au contraire, qu'il a couru derrière le camion sans le rattraper, se focalisant sur la porte arrière, qu'il n'a vu ni le conducteur ni les tirs que celui-ci pouvait avoir effectués, qu'il s'est arrêté de courir quand il a compris que « c'était fini » avec les tirs des policiers et qu'il a contribué à empêcher des personnes de se rapprocher du lieu des tirs où lui-même ne se trouvait pas.

13. Ils ajoutent que c'est donc par une précise et juste analyse de la localisation de M. [L] par rapport à la trajectoire du camion que le juge d'instruction a considéré qu'il ne s'était pas trouvé directement et immédiatement exposé au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur.

14. Ils en déduisent que les conséquences de l'attentat ont causé à M. [L] un traumatisme indéniable qui résulte de la vision des victimes percutées et décédées, mais relève du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l'infraction et non du préjudice d'une victime directe de la commission de celle-ci.

15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

16. En effet, il ressort des circonstances qu'elle retient que l'action dans laquelle M. [L] s'est engagé pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d'atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles il s'est ainsi lui-même exposé, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour lui peut être en relation directe avec ces dernières.

17. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 16 décembre 2020 ;

DÉCLARE recevable la constitution de partie civile de M. [L] ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Crim., 15 février 2022, n° 21-80.265, (B), FP

Cassation sans renvoi

Partie civile – Constitution – Constitution à l'instruction – Recevabilité – Existence d'une préjudice certain, direct et personnel – Appréciation – Cas – Attentats terroristes

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare la constitution de partie civile irrecevable, alors que les circonstances qu'elle retient, desquelles il ressort que l'intéressée s'est blessée en tentant de fuir le lieu d'une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée, initiative indissociable de l'action criminelle qui l'a déterminée, suffisent à caractériser la possibilité du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives, objet de l'information.

Mme [M] [D], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 16 décembre 2020, qui, dans l'information suivie contre MM. [R] [X], [S] [B], [G] [A], Mme [P] [H], MM. [E] [T], [W] [N], [O] [Z], [U] [I] et [K] [F], notamment des chefs d'assassinats, tentatives d'assassinats et complicité d'assassinats, en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste, association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le soir du 14 juillet 2016, à [Localité 2], un camion a fait irruption sur [Localité 1] où était massée la foule venue assister au feu d'artifice, a parcouru deux kilomètres, tuant quatre-vingt-six personnes et blessant plusieurs centaines d'autres, avant de s'immobiliser pour une raison mécanique à l'intersection de [Localité 1] et de la rue du Congrès. Un échange de coups de feu a alors eu lieu avec les forces de l'ordre et le conducteur, identifié par la suite comme étant [K] [C], a été mortellement touché.

3. Une information a été ouverte des chefs susvisés.

4. Mme [M] [D] s'est constituée partie civile et a fait état de ce qu'elle se trouvait ce soir-là sur la promenade, a entendu les cris de la foule et les coups de feu et, comprenant qu'un attentat était en cours, a sauté sur la plage quatre mètres plus bas, se blessant à la tête.

5. Par ordonnance du 21 février 2020, le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.

6. Mme [D] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la constitution de partie civile de Mme [D] irrecevable, alors :

« 1°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, Mme [D] faisait valoir qu'elle se trouvait sur [Localité 1] lorsque le camion conduit par [K] [C] a fait irruption sur la chaussée et, lancé à grande vitesse sur plusieurs kilomètres, a tué et blessé des centaines de piétons avant de s'arrêter pour une raison mécanique providentielle ; qu'elle expliquait qu'en entendant des cris et des coups de feu, elle avait immédiatement compris qu'un attentat était en cours et que, craignant pour sa vie, elle avait sauté sur la plage située quatre mètres plus bas pour fuir, s'était blessée à la tête dans sa chute ; qu'en retenant, pour déclarer la constitution de partie civile irrecevable, que « seul le parcours effectif du camion peut être en considération » et que Mme [D] ne se trouvait pas sur ce parcours, mais « au-delà du lieu où le camion s'est arrêté », la chambre de l'instruction, qui a subordonné l'action civile à une condition non prévue par la loi, a violé les articles 2 et 87 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, Mme [D] faisait valoir qu'elle se trouvait sur [Localité 1] lorsque le camion conduit par [K] [C] a fait irruption sur la chaussée et, lancé à grande vitesse sur plusieurs kilomètres, a tué et blessé des centaines de piétons avant de s'arrêter pour une raison mécanique providentielle ; qu'elle expliquait qu'en entendant des cris et des coups de feu, elle avait immédiatement compris qu'un attentat était en cours et que, craignant pour sa vie, elle avait sauté sur la plage située quatre mètres plus bas pour fuir, s'était blessée à la tête dans sa chute ; qu'en retenant, pour déclarer la constitution de partie civile irrecevable, qu'il convenait de « rechercher si Mme [D] a été directement exposée à l'intention homicide de [K] [C] » et que faute de se trouver sur le parcours effectif du camion, elle n'avait pas été « directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur », si bien que ses préjudices relèvent de ceux subi par un témoin et non une victime directe, la chambre de l'instruction, qui a subordonnée l'action civile à une condition non prévue par la loi, a violé les articles 2 et 87 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en retenant, pour déclarer la constitution de partie civile irrecevable, que l'état de stress post-traumatique de Mme [D], sa chute et les blessures physiques consécutives avaient pour cause non un risque avéré d'impact avec le camion, mais « la perception de la panique de la foule, la peur qui l'a atteinte en conséquence et les coups de feu entendus » et relèvent donc « du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l'infraction et non du préjudice d'une victime directe de la commission de l'infraction », quand ces circonstances n'étaient pas de nature à exclure un lien direct entre les préjudices allégués et l'attentat, qui était la cause première et exclusive de la fuite de Mme [D] et de son état psychique, la chambre de l'instruction a violé les articles 2, 87 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, Mme [D] faisait valoir qu'elle se trouvait sur la trajectoire du camion et que s'il n'avait pas été arrêté par une avarie mécanique providentielle, il aurait fallu moins de six secondes pour qu'il la percute ; que, pour déclarer la constitution de partie civile irrecevable, la cour d'appel a retenu qu'afin de déterminer si Mme [D] avait été directement exposée à l'intention homicide de [K] [C], « seul le parcours effectif du camion peut être pris en considération » et que, s'étant trouvée au-delà du lieu où il s'était arrêté, Mme [D] n'avait pas été « directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur » ; qu'en refusant ainsi de rechercher quelle aurait dû être la trajectoire du camion en l'absence de l'avarie mécanique et si, dans cette hypothèse, Mme [D] aurait pu être tuée, de sorte que, comme toute autre personne présente sur les lieux, elle était bien visée par la tentative d'assassinat poursuivie, la chambre de l'instruction a violé l'article 121-5 du code pénal, ensemble les articles 2, 87 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale :

8. Il résulte de ces textes que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

9. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de Mme [D] irrecevable, après avoir rappelé que le camion conduit par [K] [C] s'est arrêté du fait d'une avarie mécanique, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des explications données par Mme [D] qu'elle se trouvait hors du champ des tirs qui ont suivi, au-delà du point d'arrêt du camion, qu'elle n'a pas vu, et que le caractère imminent d'un choc avec celui-ci ne s'applique donc pas à sa situation, seul son parcours effectif pouvant être pris en considération.

10. Les juges ajoutent que c'est par une précise et juste analyse de la localisation de Mme [D] par rapport à la trajectoire du camion que le magistrat instructeur a considéré qu'elle ne s'était pas trouvée directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur.

11. Ils en concluent que la perception de la panique de la foule, la peur qui l'a atteinte en conséquence et les coups de feu entendus ayant occasionné un stress post-traumatique, relèvent du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l'infraction et non du préjudice d'une victime directe de la commission de l'infraction, que ses blessures physiques sont dues à la chute dans ces circonstances et non à un risque avéré d'impact avec le camion, de sorte que Mme [D] n'est pas une victime directe des faits dont le magistrat instructeur est saisi au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.

12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

13. En effet, les circonstances qu'elle retient, desquelles il ressort que Mme [D] s'est blessée en tentant de fuir le lieu d'une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée, initiative indissociable de l'action criminelle qui l'a déterminée, suffisent à caractériser la possibilité du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives, objet de l'information.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 16 décembre 2020 ;

DÉCLARE recevable la constitution de partie civile de Mme [D] ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : M. Desportes (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

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