Numéro 2 - Février 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 17 février 2021, n° 20-81.397, (P)

Cassation

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Ordonnance de rejet d'une requête aux fins de saisie de bien ou droit incorporel – appel du ministère public – Recevabilité (oui)

Le procureur de la République est recevable, en application de l'article 185 du code de procédure pénale, à interjeter appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête aux fins de saisie de bien ou droit incorporel.

En cas d'appel, le propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, les tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit, doivent être convoqués devant la chambre de l'instruction et peuvent prétendre dans ce cadre à la mise à disposition des pièces de la procédure se rapportant à la saisie.

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant la requête du procureur de la République aux fins de saisie de créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, retient que seules les pièces soumises par le ministère public au juge des libertés et de la détention sont communicables au titulaire de la convention et qu'il appartenait à l'intéressé de demander la communication des pièces relatives à la procédure de saisie.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. E... J... C... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 21 janvier 2020, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'abus de confiance, abus de biens sociaux et blanchiment, a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant la requête aux fins de saisie pénale du procureur de la République.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par requête du 17 octobre 2019, le procureur de la République a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de saisie d'une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie dont est titulaire M. C....

3. Par ordonnance du même jour, le juge des libertés et de la détention a rejeté cette requête.

4. Le procureur de la République a interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la procédure régulière et autorisé la saisie de la créance figurant sur le contrat d'assurance-vie Capital Euro Epargne, alors :

« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable et tout accusé a droit notamment à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; qu'il était soutenu que la procédure de saisie spéciale prévue par les articles 706-153 et suivants du code de procédure pénale est inconventionnelle à défaut de notification de la décision du premier juge au titulaire du compte en cas de rejet de la demande de saisie, et à défaut de prévoir la mise à disposition des pièces de la procédure de saisie au titulaire du compte lorsqu'il n'est pas appelant ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen d'inconventionnalité, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591, 593, 706-141, 706-153 et 706-155 du code de procédure pénale ;

2°/ que s'ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent néanmoins être entendus par le président de la chambre de l'instruction ou la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure ; que la chambre de l'instruction a décidé au contraire que M. C..., propriétaire du bien et non appelant, pouvait prétendre à la mise à disposition de la procédure et lui reprochait de ne pas l'avoir fait ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 591, 593, 706-141, 706-153 et 706-155 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 706-153 du code de procédure pénale :

7. Il se déduit de ces textes qu'en cas d'appel interjeté par le procureur de la République, en application de l'article 185 du code de procédure pénale, à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête aux fins de saisie de bien ou droit incorporel, le propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, les tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit, qui doivent être convoqués devant la chambre de l'instruction, peuvent prétendre dans ce cadre à la mise à disposition des pièces de la procédure se rapportant à la saisie.

8. Pour ordonner la saisie de la créance figurant sur le contrat d'assurance sur la vie dont est titulaire M. C... après avoir écarté le moyen pris du caractère inconventionnel des dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale tiré de ce que ce texte ne prévoit pas, en cas d'appel interjeté par le procureur de la République à l'encontre de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête aux fins de saisie, la mise à disposition des pièces de la procédure de saisie au titulaire du contrat, l'arrêt retient qu'en matière de contentieux des saisies dans le cadre d'une enquête préliminaire, seules les pièces soumises par le ministère public au juge des libertés et de la détention sont communicables aux parties à l'exclusion de l'entier dossier.

9. Les juges ajoutent que l'avocat de M. C... pouvait avoir régulièrement communication des pièces relatives à la procédure de saisie de créances, ce qu'il lui appartenait de demander, et qu'il ne saurait en conséquence se prévaloir de son inaction.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle devait s'assurer que la requête du procureur de la République aux fins de saisie et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention avaient été mises à la disposition du demandeur, et au besoin renvoyer l'examen de l'affaire à une audience ultérieure pour permettre le respect de cette formalité, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

11. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 21 janvier 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : Me Carbonnier -

Rapprochement(s) :

S'agissant de la mise à disposition de la partie appelante, contre l'ordonnance de saisie spéciale, des pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste : Crim., 31 mai 2017, pourvoi n° 16-83.238. S'agissant du fait que les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie sont la requête du ministère public, l'ordonnance attaquée et la décision de saisie précisant les éléments sur lesquels se fonde la mesure de saisie immobilière : Crim., 13 juin 2018, pourvoi n° 17-83.238 ; Crim., 13 juin 2018, pourvoi n° 17-83.242. S'agissant de la communication à la partie appelante des pièces sur lesquelles la chambre de l'instruction, saisie d'un recours formée contre une ordonnance de saisie spéciale, s'appuie pour justifier d'une telle mesure : Crim., 13 juin 2018, pourvoi n° 17-83.893, Bull. crim. 2018, n° 110 ; Crim., 13 juin 2018, pourvoi n° 17-83.894.

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