Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

EXTRADITION

Crim., 13 décembre 2022, n° 22-80.610, (B), FRH

Rejet

Chambre de l'instruction – Avis – Avis favorable – Réexamen – Conditions – Cas – Exclusion de l'Etat requérant du Conseil de l'Europe

Depuis que, le 16 septembre 2022, la Fédération de Russie a cessé d'être une Haute partie contractante à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les engagements qu'elle a pu prendre antérieurement, à l'appui d'une demande d'extradition, au regard des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, sont caducs.

Si la Convention n'exige pas des Etats qui demeurent membres qu'ils s'assurent que, en cas de remise à un pays non-membre, la personne réclamée bénéficiera de toutes les garanties conventionnelles, il leur appartient néanmoins, au regard de leurs propres obligations issues des articles 2, 3 et 6 de la Convention, de refuser la remise lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne réclamée courra, dans le pays requérant, un risque réel d'être soumise à la peine de mort, ou à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou y sera exposée à un risque de déni de justice flagrant.

Dès lors, nonobstant ces circonstances nouvelles, il n'y a pas lieu à réexamen de la demande d'extradition lorsque la personne n'a fait état, au regard des articles 8 et 9 de la Convention, que d'un risque d'atteinte, sur le territoire de la Fédération de Russie, à son droit au respect de la vie privée et familiale et à sa liberté religieuse, sans alléguer un risque de persécution religieuse susceptible de s'apparenter à un traitement contraire à l'article 3.

M. [D] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 7 janvier 2022, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement russe, a émis un avis favorable.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 25 novembre 2020, les autorités de la Fédération de Russie ont formé, sur le fondement d'un mandat d'arrêt délivré le 28 juin 2018 par le tribunal du district de Moscou Presnensky, une demande d'extradition de M. [D] [N], ressortissant russe, aux fins de poursuites pénales des chefs d'enlèvement, séquestration et extorsion, faits commis le 19 août 2014 dans la région de [Localité 1].

3. L'intéressé a déclaré ne pas consentir à sa remise.

4. Par trois arrêts avant dire droit, la chambre de l'instruction a sursis à statuer, d'abord dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile sur le recours de M. [N], puis aux fins de complément d'information sur les conditions de détention susceptibles d'être appliquées à la personne réclamée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à l'extradition de M. [N] vers la Fédération de Russie, alors :

« 1°/ que l'Etat français doit refuser l'extradition de toute personne à qui il ne peut être garanti que ses droits et libertés fondamentaux seront respectés ; que la Fédération de Russie cessant d'être une Haute Partie contractante à la Convention européenne des droits de l'homme à compter du 16 septembre 2022 ; qu'en ce qu'il est fondé sur l'engagement solennel des autorités russes de respecter les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt, qui se trouve privé de fondement juridique, ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale, au regard des articles 1er de la Convention européenne des droits de l'homme et 696-15 du code de procédure pénale ;

2°/ que constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale l'incarcération d'une personne à une distance qui ne lui permet pas de bénéficier des visites autorisées des membres de sa famille ; qu'en se bornant à relever que M. [N] ne justifie pas de la situation actuelle de sa famille sur le territoire de la Fédération de Russie, quand il lui appartenait, au besoin, d'interroger l'intéressé, présent à l'audience, ou de solliciter un complément d'information, la chambre de l'instruction n'a pas justifié son arrêt au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que constitue une atteinte disproportionnée à la liberté religieuse de la personne détenue le fait de subordonner le respect de l'alimentation spécifique à l'exercice de sa religion à l'achat ou à la livraison des produits nécessaires ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour donner un avis favorable à l'extradition du demandeur, l'arrêt attaqué commence par énoncer que, s'agissant des risques de violation des articles 8 et 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les autorités russes se sont solennellement engagées, dans la lettre jointe à la demande d'extradition, au respect des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Les juges poursuivent en retenant que, s'agissant du risque d'atteinte à la vie privée et familiale causée par les conditions d'incarcération provisoire en Russie de M. [N], les autorités russes ont rappelé que les faits pour lesquels le mandat d'arrêt a été émis ont été commis dans la région de [Localité 1] et sont poursuivis dans cette ville, que l'intéressé sera provisoirement détenu à la maison d'arrêt SIZO-1 où les visites sont autorisées et qu'il argue, sans en justifier, de la distance entre cet établissement et le lieu de résidence de sa famille restée sur le territoire de la Fédération de Russie.

8. Ils considèrent encore que, s'agissant du risque d'atteinte à la liberté de pensée, de conscience et de religion du fait que l'intéressé ne pourra pas bénéficier en détention d'une alimentation conforme aux préceptes de sa religion, celui-ci pourra acheter les produits nécessaires ou les recevoir par colis.

9. Depuis que la chambre de l'instruction a statué, la Fédération de Russie a été exclue du Conseil de l'Europe et, selon résolution en date du 22 mars 2022, la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré que, d'une part, cet Etat cesse d'être une Haute Partie contractante à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à compter du 16 septembre 2022, d'autre part, elle demeure compétente pour traiter les requêtes dirigées contre lui concernant les actions et omissions susceptibles de constituer une violation de la Convention qui surviendraient jusqu'au 22 septembre 2022.

10. Il en résulte que les engagements pris par les autorités russes concernant M. [N], s'il était extradé, au regard des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sont caducs.

11. Nonobstant ces circonstances nouvelles, il n'y a pas lieu à un nouvel examen de la demande d'extradition, pour les motifs qui suivent.

12. La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne régit pas les actes d'un Etat tiers, ni ne prétend exiger des Parties contractantes à la Convention qu'elles imposent ses normes à pareil Etat.

L'article 1 de la Convention ne saurait s'interpréter comme consacrant un principe général selon lequel un Etat contractant, nonobstant ses obligations en matière d'extradition, ne peut livrer une personne réclamée sans se convaincre que les conditions escomptées dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention (CEDH, arrêt du 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, n° 14038/88, § 86).

13. La décision d'un Etat partie à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'extrader une personne peut engager la responsabilité de cet Etat au regard des articles 2 et 3 de la Convention lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne, si elle est livrée à l'Etat requérant, y courra un risque réel d'être soumise à la peine de mort (CEDH, arrêt du 2 mars 2010, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, n° 61498/08, §§ 123 et 140-143), ou à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CEDH, arrêt du 7 juillet 1989, précité, § 91).

14. Il en va de même au regard de l'article 6 de la Convention lorsqu'il existe des motifs de croire que la personne sera exposée à un risque de déni de justice flagrant (CEDH, arrêt du 7 juillet 1989, précité, § 113).

15. Or, le demandeur ne fait état que d'un risque d'atteinte, sur le territoire de la Fédération de Russie, à son droit au respect de la vie privée et familiale et à sa liberté religieuse, lesquels ne sont respectivement garantis, par les articles 8 et 9 de ladite Convention, hors l'hypothèse, non alléguée en l'espèce, d'une persécution religieuse susceptible de s'apparenter à un traitement contraire à l'article 3, qu'aux personnes relevant de la juridiction des Etats parties à la Convention.

16. Dès lors, le moyen, en ses trois branches, est inopérant.

17. Il s'ensuit que l'arrêt satisfait, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.

18. Par ailleurs, l'arrêt a été rendu par une chambre de l'instruction compétente et composée conformément à la loi et la procédure est régulière.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles 1, 2, 3, 6, 8 et 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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