Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

Crim., 13 décembre 2022, n° 22-81.108, (B), FRH

Rejet

Procédure – Mémoire – Dépôt – Modalités – Transmission par voie électronique – Format de messagerie utilisé

La communication des mémoires au greffe de la chambre de l'instruction, prévue à l'article 198 du code de procédure pénale, peut être effectuée par un moyen de télécommunication électronique sécurisé, selon des modalités précisées dans la convention nationale signée le 5 février 2021 entre le ministère de la justice et le Conseil national des barreaux.

Est, dès lors, irrecevable le mémoire qui, envoyé au moyen d'une messagerie ne répondant pas au format spécifique prévu par l'article 6.3 de la convention et dans ses annexes 5 et 9, n'est pas susceptible d'établir l'authenticité du courriel et des pièces jointes ainsi que l'identité de l'auteur du mémoire, peu important que ce mémoire ait été reçu, en temps et en heure, au greffe de la chambre de l'instruction.

M. [I] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Amiens, en date du 4 février 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 19 octobre 2021, pourvoi n° 21-82.230, publié au Bulletin), dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement marocain, a émis un avis favorable.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [I] [V], ressortissant marocain, a fait l'objet d'une demande d'extradition formée le 24 septembre 2018 par les autorités marocaines aux fins d'exécution d'une peine de dix ans d'emprisonnement prononcée par contumace le 22 février 2017 par la chambre criminelle de la cour d'appel de Rabat des chefs de constitution d'une association criminelle, recel d'objet provenant d'un crime, formation d'une association pour préparer et commettre des actes terroristes dans le cadre d'une entente visant à porter gravement atteinte à l'ordre public et assistance volontaire aux auteurs d'actes terroristes, faits commis en 2001.

3. Par arrêt du 15 novembre 2019, la chambre de l'instruction a donné un avis défavorable à l'extradition.

4. Sur pourvoi du procureur général, la Cour de cassation a cassé cette décision (Crim., 2 décembre 2020, pourvoi n° 19-87.428, publié au Bulletin).

5. Par arrêt du 18 mars 2021, la chambre de l'instruction de renvoi, statuant après cassation, a rejeté une demande de renvoi et une exception d'incompétence et émis, avec une réserve, un avis favorable à l'extradition.

6. Sur pourvoi de M. [V], la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé la cause et les parties devant une troisième chambre de l'instruction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable le mémoire en date du 24 janvier 2022 transmis par courriel au greffe de la chambre de l'instruction et a, en conséquence, émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; qu'en se fondant, pour déclarer irrecevable le mémoire déposé par M. [V], sur la seule circonstance que ce mémoire avait été « transmis, par courriel », au greffe de la chambre de l'instruction (arrêt, p. 4, § 5), quand il résultait pourtant de ses propres constatations que ce mémoire avait été reçu la veille de l'audience et « visé à 16 heures 03 par le greffe de la chambre de l'instruction » (arrêt, p. 4, § 5), en sorte qu'elle devait l'examiner, la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire et 198 du code de procédure pénale et a privé sa décision, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale. »

Réponse de la Cour

8. Pour déclarer irrecevable le mémoire, l'arrêt attaqué énonce, après avoir rappelé les termes de l'article 198 du code de procédure pénale, que le conseil de M. [V] a transmis celui-ci par courriel.

9. Depuis lors, la Cour de cassation, prenant acte de la signature, le 5 février 2021, entre le ministère de la justice et le Conseil national des barreaux, de la convention ayant pour objet d'étendre, au niveau national, la possibilité de recourir à la communication électronique en matière pénale, a jugé que la communication des mémoires au greffe de la chambre de l'instruction peut être effectuée par un moyen de télécommunication électronique sécurisé selon des modalités précisées dans ladite convention (Crim., 23 février 2022, pourvoi n° 21-86.762, publié au Bulletin).

10. La Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de constater que l'envoi du mémoire litigieux a été effectué au moyen d'une messagerie ne répondant pas au format spécifique prévu par l'article 6.3 de la convention ainsi que dans ses annexes 5 et 9, dès lors insusceptible d'établir tant l'authenticité du courriel et des pièces jointes émanant de celle-ci que l'identité de l'auteur du mémoire, de telles vérifications relevant, dans l'intérêt même de la personne réclamée, d'un formalisme nécessaire.

11. Cet envoi par courriel ne saurait donc être régulier et la réception du mémoire, par le greffe de la chambre de l'instruction, en temps et en heure, remédier à cet état de fait.

12. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition de M. [V] par les autorités marocaines, alors :

« 1°/ que les dispositions des articles 194, 197, 198 et 609-1 du code de procédure pénale, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense en ce qu'elles dispensent une chambre de l'instruction, statuant comme cour de renvoi après cassation, de se référer et de répondre aux mémoires antérieurement déposés devant la chambre de l'instruction dont la décision a été annulée ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et de constater, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

2°/ que M. [V] invoquait, dans des mémoires déposés devant les chambres de l'instruction dont les arrêts ont été annulés, l'existence de risques de traitements inhumains et dégradants et de torture qui pouvaient lui être infligés en cas de remise à autorités marocaines ; qu'en s'abstenant de répondre à cette articulation essentielle des mémoires régulièrement déposés devant les juges dont les décisions avaient été annulées, quand, à défaut de renonciation, elle s'en trouvait nécessairement saisie, la chambre de l'instruction a privé son arrêt, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale et a violé les articles 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 3 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 198, 609-1, 614 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en s'abstenant de rechercher, au besoin d'office, si la personne réclamée pour des faits de terrorisme ne risquait pas d'être soumise à des traitements inhumains ou dégradants et à la torture en cas de remise aux autorités marocaines, au regard des pièces que M. [V] avait déjà produites, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 7, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 3 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a prononcé par un arrêt qui ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

14. Le grief est devenu sans objet dès lors que, par décision du 28 juin 2022, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

15. L'arrêt attaqué, qui donne un avis favorable à l'extradition, ne contient pas de motifs relatifs au risque de traitement inhumain ou dégradant auquel pourrait être exposée la personne réclamée en cas de remise aux autorités de l'Etat requérant.

16. Il n'encourt cependant pas la censure pour ce motif.

17. En effet, d'une part, la chambre de l'instruction, qui statuait comme cour de renvoi après cassation, n'était tenue de se référer et de répondre qu'au mémoire susceptible d'être régulièrement produit, dans les conditions prévues par l'article 198 du code de procédure pénale, au cours de la procédure ainsi ouverte devant elle, et n'avait pas à faire mention des mémoires antérieurement déposés devant les chambres de l'instruction dont les décisions avaient été annulées.

18. D'autre part, à défaut d'allégations en ce sens de la personne réclamée, cette juridiction n'était pas tenue de rechercher l'existence d'un risque de traitement inhumain ou dégradant en cas de remise de celle-ci aux autorités judiciaires de l'Etat requérant, ce, même en vue de poursuites pour faits de terrorisme, la vérification n'ayant dès lors pas d'objet concret.

19. Ainsi, le moyen doit encore être écarté.

20. Il s'ensuit que l'arrêt satisfait, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.

21. Par ailleurs, il a été rendu par une chambre de l'instruction compétente et composée conformément à la loi, et la procédure est régulière.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 198 du code de procédure pénale ; Convention nationale signée le 5 février 2021 entre le ministère de la justice et le Conseil national des barreaux.

Rapprochement(s) :

Sur la recevabilité d'un mémoire transmis par la voie électronique et non signé : Crim., 13 janvier 2021, pourvoi n° 20-80.511, Bull. (rejet) ; Sur la recevabilité d'un mémoire non signé transmis par l'avocat au moyen de sa messagerie électronique sécurisée : Crim., 23 février 2022, pourvoi n° 21-86.762, Bull. (annulation).

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