Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 15 décembre 2021, n° 21-82.015, (B)

Rejet

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Saisie ordonnée à l'encontre d'un tiers au dossier – Domaine d'application – Assurance sur la vie avant le décès du souscripteur du contrat

Seules sont applicables à la saisie de la créance dont dispose le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie sur l'assureur, les dispositions du premier alinéa de l'article 706-155 du code de procédure pénale qui font obligation au tiers débiteur de consigner sans délai la somme due à la Caisse des dépôts et consignations ou à l'Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, lorsqu'elle est saisie, cette consignation ne devant intervenir, s'agissant des créances conditionnelles ou à terme, que lorsque celles-ci sont exigibles.

Les dispositions du second alinéa de l'article précité ne régissent quant à elles que les effets de la saisie de la créance que détient, avant son décès, le souscripteur d'un tel contrat sur l'assureur.

Justifie cependant sa décision l'arrêt de la chambre de l'instruction qui énonce que la saisie de la créance détenue par le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie a pour fondement les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale qui prévoit la saisie des droits incorporels.

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Créance détenue par le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie après le décès du souscripteur – Fondement juridique

M. [L] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Agen, en date du 17 mars 2021, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'abus de faiblesse, faux et usage, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Fin juin 2019, le procureur de la République a diligenté une enquête préliminaire à la suite d'un signalement de la banque [2] révélant que le 21 mai 2019, cet établissement a enregistré une demande de modification, datée du 11 avril 2019, de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie d'une valeur de 474 366,98 euros, dont [V] [C], âgée de 93 ans, veuve sans enfant et séjournant dans un Ehpad, était titulaire et sur lequel M. [C], son neveu, n'avait pas de procuration.

3. Selon cet avenant, la clause bénéficiaire en cas de décès était portée au profit de M. [C] seul, et à défaut, de ses héritiers, alors que les bénéficiaires initiaux désignés par [V] [C] étaient les deux nièces de celle-ci à hauteur de 30 % chacune, les deux fils de M. [C] à hauteur de 15 % chacun et M. [C] à hauteur de 10 %.

4. Questionnée par les enquêteurs, le 7 octobre 2019, notamment, sur cette modification, [V] [C] a indiqué que, bien qu'informée, elle n'était pas d'accord et elle a contesté avoir rempli et signé le document en cause en précisant qu'elle ne voulait pas que son neveu soit bénéficiaire de la totalité de la somme figurant sur le contrat d'assurance-vie.

5. Au cours de cette audition, les enquêteurs ont constaté le comportement perturbé d'[V] [C] qui a, par ailleurs, fait l'objet d'une expertise psychiatrique le 7 novembre 2019 qui conclut qu'elle est en grande souffrance psychologique, très vulnérable en raison de son âge et d'un important sentiment de solitude.

6. Le 11 décembre 2020, postérieurement au décès d'[V] [C] survenu le [Date décès 1] 2020, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie de la créance figurant au contrat d'assurance-vie par une décision à l'encontre de laquelle M. [C] a interjeté appel.

Examen des moyens

Sur le second moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention d'Auch le 11 décembre 2020 et confirmé cette ordonnance, alors « que le décès du souscripteur d'un contrat d'assurance-vie emporte de plein droit transmission au bénéficiaire du montant figurant au contrat ; que ce montant ne peut donc plus faire l'objet d'une saisie sur le fondement de l'article 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale ; qu'en retenant, pour dire que le juge des libertés et de la détention avait pu ordonner, le 11 décembre 2020, la saisie de la créance figurant sur le contrat d'assurance-vie souscrit par [V] [C], pourtant décédée le [Date décès 1] 2020, en application de l'article 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale, que les droits nés de la souscription du contrat d'assurance-vie, au nombre desquels figure le versement au décès du souscripteur du capital ou de la rente garantis au bénéficiaire du contrat, peuvent être confisqués et que la saisie peut viser le bénéficiaire mis en cause lorsqu'elle porte sur l'objet de l'infraction, la chambre de l'instruction a violé les articles L.131-1 du code des assurances, 706-155, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour confirmer l'ordonnance de saisie rendue par le juge des libertés et de la détention, l'arrêt énonce que le demandeur est mis en cause pour avoir obtenu à son seul profit la modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie dont [V] [C] était titulaire à la [2], en abusant de la situation de faiblesse de sa tante, que les articles 223-15-3, 4° et 441-4, 4°du code pénal prévoient au titre des peines complémentaires encourues par la personne physique reconnue coupable respectivement du délit d'abus de faiblesse et des délits de faux et usage, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution.

10. Les juges, après avoir constaté qu'il existe des indices suffisants à l'encontre de M. [C] d'avoir commis l'infraction d'abus de faiblesse, relèvent qu'en raison du décès du souscripteur du contrat d'assurance, M. [C] a droit, par application de la clause bénéficiaire, au versement des sommes figurant au contrat dont il est devenu propriétaire, que la mesure de saisie est prise en application des articles 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale dès lors que la créance figurant au contrat d'assurance sur la vie encourt la confiscation comme objet de l'infraction sur le fondement de l'article 131-21, alinéa 3, du code pénal.

11. Les juges ajoutent que cette peine concerne les droits nés de la souscription du contrat d'assurance sur la vie, au nombre desquels figure le versement, au décès du souscripteur, du capital ou de la rente garantis à son bénéficiaire et que la saisie entreprise poursuit le but légitime d'assurer la réparation du préjudice causé par l'infraction et de permettre aux ayants-droit de la victime de demander le cas échéant, en application de l'article 706-164 du code de procédure pénale, que la somme pouvant être allouée à titre de dommages et intérêts, soit prélevée sur les fonds susceptibles d'être confisqués.

12. La chambre de l'instruction conclut que la saisie pénale ne contrevient à aucune disposition conventionnelle ou légale et a été à bon droit ordonnée par le juge des libertés et de la détention, que cette mesure porte légalement sur la totalité des fonds figurant sur le contrat d'assurance sur la vie et qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande subsidiaire de mainlevée de la saisie pénale, à hauteur de la moitié de cette somme.

13. C'est à tort que la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en ce qu'elle constate qu'en application du second alinéa de l'article 706-155 du code de procédure pénale, la saisie entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat dans l'attente du jugement définitif au fond et interdit également toute acceptation postérieure du bénéfice de ce contrat dans l'attente de ce jugement.

14. En effet, seules sont applicables à la saisie de la créance dont dispose le bénéficiaire dudit contrat sur l'assureur, les dispositions du premier alinéa de l'article susvisé qui font obligation au tiers débiteur de consigner sans délai la somme due à la Caisse des dépôts et consignations ou à l'Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, lorsqu'elle est saisie, cette consignation ne devant intervenir, s'agissant des créances conditionnelles ou à terme, que lorsque celles-ci sont exigibles.

Les dispositions du second alinéa de l'article 706-155 ne régissent quant à elles que les effets de la saisie de la créance que détient, avant son décès, le souscripteur d'un tel contrat sur l'assureur.

15. L'arrêt n'encourt toutefois pas la censure dès lors qu'il énonce que la saisie a pour fondement les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale qui prévoit la saisie des droits incorporels, catégorie dans laquelle entre nécessairement la créance que détient le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie à l'encontre de l'assureur.

16. D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté.

17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 706-153 et 706-155 du code de procédure pénale.

Crim., 15 décembre 2021, n° 21-80.411, (B)

Cassation

Saisies spéciales – Saisie portant sur un bien meublé placé sous main de justice à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) aux fins d'aliénation – Appel d'une ordonnance de remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) aux fins d'aliénation – Compétence – Président de la chambre de l'instruction seul (non)

Le président de la chambre de l'instruction ne peut statuer seul sur l'appel de l'ordonnance, prévue par l'article 99-2 du code de procédure pénale, par laquelle le juge d'instruction ordonne la remise d'un bien meuble placé sous main de justice à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) en vue de son aliénation.

M. [H] [R] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 4 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre M. [W] [M] [R] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a confirmé l'ordonnance de remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) rendue par le juge d'instruction.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 22 mai 2019, M. [W] [M] [R] a été contrôlé par les douanes alors qu'il transportait, dans un ensemble routier appartenant à M. [H] [R], entrepreneur individuel sous la dénomination [2], 53,920 kg d'herbe de cannabis.

3. Le 24 mai 2019, M. [W] [M] [R] a été mis en examen des chefs d'acquisition, détention, transport, et importation de produits stupéfiants, et des délits douaniers connexes.

4. Le 18 juillet 2019, l'avocat de M. [H] [R] et de la société [1], propriétaire du chargement de l'ensemble routier, a déposé une requête en restitution de cet ensemble et de son chargement.

5. Par ordonnance en date du 24 juillet 2019, le juge d'instruction a rejeté cette demande.

6. Cette décision a été confirmée par ordonnance du président de la chambre de l'instruction du 26 novembre 2020.

7. Par ordonnance du 28 septembre 2020, le juge d'instruction a ordonné la remise à l'AGRASC de l'ensemble routier en vue de son aliénation.

8. Le 5 octobre 2020, l'avocat de M. [W] [M] [R], de M. [H] [R] et de la société [1] a interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le moyen soulevé d'office et mis dans le débat

Vu l'article 99-2 du code de procédure pénale :

9. Selon ce texte, l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction ordonne la remise d'un bien meuble placé sous main de justice à l'AGRASC en vue de son aliénation est notifiée au ministère public, aux parties intéressées et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant des droits sur le bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99 du code de procédure pénale.

10. Les dispositions des articles 99 et D. 43-5 du code de procédure pénale, prévoyant que le président de la chambre de l'instruction est compétent pour statuer seul, notamment, sur les recours relatifs à la restitution d'objets placés sous main de justice, sauf si l'auteur du recours a précisé qu'il saisit la chambre de l'instruction dans sa formation collégiale, ne concernent pas le recours formé contre l'ordonnance prévue par l'article 99-2 du même code.

11. Le président de la chambre de l'instruction ne peut donc statuer seul sur l'appel de l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction a ordonné la remise à l'AGRASC d'un bien meuble placé sous main de justice en vue de son aliénation.

12. En statuant seul sur l'appel formé par M. [H] [R] contre l'ordonnance du juge d'instruction ayant ordonné la remise à l'AGRASC de l'ensemble routier lui appartenant en vue de son aliénation, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 4 janvier 2021 ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, autrement présidée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. d'Huy - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 99-2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

« le président de la chambre de l'instruction ne peut statuer seul sur l'appel de l'ordonnance, prévue par l'article 706-154 du code de procédure pénale, par laquelle le juge d'instruction s'est prononcé sur le maintien ou la mainlevée de la saisie d'une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôt », voir : Crim., 2 juin 2021, pourvoi n° 20-81.100, Bull. crim. 2021, (cassation).

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