Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DROITS DE LA DEFENSE

Crim., 7 décembre 2021, n° 21-85.533, (B)

Rejet

Instruction – Détention provisoire – Débat contradictoire – Prolongation de la détention – Permis de communiquer – Délivrance – Défaut – Effet

Ne méconnaît pas les droits de la défense la chambre de l'instruction qui écarte l'exception de nullité du débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire, prise du défaut de délivrance d'un permis de communiquer à l'avocat de la personne mise en examen, dont la désignation par déclaration en maison d'arrêt n'est pas parvenue au greffe du juge d'instruction, dès lors qu'il appartenait à ce conseil, informé près de quatorze jours avant ledit débat de l'absence au dossier de la procédure d'une désignation le concernant, d'effectuer en temps utile les démarches nécessaires lui permettant de régulariser celle-ci.

M. [U] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 4 août 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, importation de stupéfiants, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [J], mis en examen des chefs précités, a été placé en détention provisoire le 30 novembre 2020.

3. Le 15 décembre 2020, il a désigné comme avocat Mme [R] [X], aux côtés de M. [P] [W], avocat choisi lors de son interrogatoire de première comparution, sans préciser à qui les convocations devaient être adressées.

4. Sur demande de la maison d'arrêt, le 17 décembre 2020, la personne mise en examen a désigné « M. [W] et M. [X] » pour les recevoir.

5. Le 26 février 2021, par déclaration au greffe de la maison d'arrêt, M. [J] a désigné pour assurer sa défense Mme [T] [G] sans mentionner que celle-ci était choisie en remplacement des avocats prédésignés ni indiquer l'avocat destinataire des convocations et notifications. Cette déclaration, revêtue de la signature du chef d'établissement en date du 5 mars 2021, n'est jamais parvenue au cabinet du juge d'instruction.

6. Enfin, par déclaration au greffe de la maison d'arrêt datée du 1er juillet 2021, la personne mise en examen a désigné comme avocat M. [E] [N] « en remplacement de l'avocat déjà désigné, MM. [W]/[X] ».

7. Le 6 juillet 2021, le juge des libertés et de la détention a convoqué M. [N], avocat, au débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire de la personne mise en examen fixé au 22 juillet 2021.

8. Le même jour, Mme [G], avocat, a sollicité la délivrance d'un permis de communiquer qui a été refusé par le juge d'instruction au motif, selon la mention apposée par le greffier, que l'intéressée n'avait pas été désignée comme son avocat par M. [J].

9. A l'issue du débat contradictoire qui s'est tenu à la date précitée, durant lequel M. [J] a comparu sans avocat, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la détention provisoire de l'intéressé.

10. M. [J] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

11. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation pour défaut de convocation de Mme [G], en tant que premier avocat choisi, et défaut de délivrance d'un permis de communiquer au même avocat préalablement au débat contradictoire, alors :

« 1°/ que la détention provisoire ne peut être prolongée que par une ordonnance rendue après un débat contradictoire, l'avocat désigné par la personne mise en examen ayant été convoqué conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 114 du même code ; que, si plusieurs avocats ont été désignés, doit être convoqué celui d'entre eux que la personne mise en examen a chargé de recevoir les convocations et notifications, et, à défaut de ce choix, l'avocat premier choisi ; qu'en retenant qu' « il ressort de l'examen de la cote A de la procédure qu'après avoir désigné différents avocats, M. [J] a, le 1er juillet 2021, désigné Maître [E]. [N], en cochant la case « en remplacement de l'avocat déjà désigné » et sans cocher la case « plusieurs avocats ayant été désignés, les convocations seront adressées à... », pour en déduire, à cette date, « la volonté claire de désigner le seul Maître [E] [N] en qualité d'avocat pour assurer sa défense et, à ce titre, recevoir les convocations », sans tenir compte ni de ce que ce document indiquait expressément désigner M. [N] en remplacement des seuls M. [W] et Mme [X], ni de la désignation antérieure, dès lors déterminante, de Mme [G], régulièrement versée aux débats, datée par le chef d'établissement du 5 mars 2021, et signée par ce dernier avec le cachet du greffe pénitentiaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 114, 115, 145, 145-1, R. 57-6-5 du code de procédure pénale et méconnu les droits de la défense, ensemble les articles préliminaires du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en retenant encore que « Ce n'est que le 3 août 2021 que la désignation de Maître [T] [G] est intervenue » sans prendre en compte la désignation de Mme [G], régulièrement versée aux débats par M. [J], datée du 5 mars 2021, la cour d'appel n'a pas

légalement justifié sa décision au regard des articles 114, 115, 145, 145-1, R. 57-6-5 du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que M. [J] faisait valoir, pièces à l'appui, que la désignation de Mme [G] (datée du 5 mars 2021), n'était pas parvenue au cabinet du juge d'instruction par suite d'une erreur du greffe pénitentiaire l'ayant adressé à un numéro de télécopie erroné ; qu'en retenant que « la désignation alléguée mais ne figurant pas au dossier de la procédure, de Maître [G], antérieurement, serait sans incidence », sans rechercher, alors qu'il n''est pas constaté que M. [J] avait expressément renoncé à la présence de Mme [G] lors du débat contradictoire, si l'absence de cette pièce au dossier de la procédure résultait d'une circonstance imprévisible et insurmontable extérieure au service de la justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 114, 115, 145, 145-1, R. 57-6-5 du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

13. Pour, d'une part, écarter l'exception de nullité de l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire, prise de l'absence de convocation au débat contradictoire de Mme [G], « premier avocat choisi », l'arrêt énonce qu'il résulte de l'examen de la procédure que la personne mise en examen a, le 1er juillet 2021, désigné M. [N] en cochant la case « en remplacement de l'avocat déjà désigné » et sans cocher la case « plusieurs avocats ayant été désignés, les convocations seront adressées à ».

14. Les juges en déduisent que M. [J] a exposé de façon claire qu'il désignait M. [N] en qualité d'avocat pour assurer sa défense et, à ce titre, recevoir les convocations.

15. Ils ajoutent que lors du débat contradictoire, M. [J] n'a désigné que M. [N] comme son avocat et qu'une convocation a bien été adressée à celui-ci le 6 juillet 2021.

16. Ils relèvent aussi que, selon les pièces de la procédure, la désignation de Mme [G] n'est intervenue que le 3 août 2021.

17. Ils en concluent que la désignation alléguée, qui ne figure pas au dossier de la procédure, « serait » sans incidence.

18. Ils énoncent enfin que Mme [G] n'avait pas à recevoir de permis de communiquer puisqu'elle n'était pas désignée le 6 juillet 2021, jour de sa demande.

19. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les raisons qui suivent.

20. En premier lieu, il résulte des pièces de la procédure que M. [J] a désigné Mme [G], non pas en remplacement des avocats précédemment désignés, Mme [X] et M. [W], mais comme avocat supplémentaire dans la procédure.

21. Il s'ensuit qu'au jour de la désignation de Mme [G], et dès lors que M. [J] n'a pas indiqué à qui devaient être adressées les convocations, celles-ci devaient toujours l'être à M. [W], avocat premier désigné.

22. La Cour de cassation juge que la désignation, en remplacement de l'avocat précédemment choisi pour recevoir les convocations et notifications, d'un nouvel avocat emporte, en l'absence d'indication contraire, transfert à ce dernier, par la partie concernée, de la même responsabilité (Crim., 14 novembre 2017, pourvoi n° 17-85.299, Bull. crim. n° 257).

23. En conséquence, la désignation de M. [N], en remplacement de l'avocat précédemment choisi pour recevoir les convocations et notifications, à savoir M. [W], faute d'indication contraire, emportait transfert au premier de la même responsabilité.

24. Il s'ensuit que seul M. [N] devait être convoqué au débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire, peu important à cet égard l'absence de transmission au juge d'instruction de la désignation de Mme [G], par déclaration en date du 26 février 2021.

25. En second lieu, M. [J] ne saurait soutenir que le défaut de délivrance du permis de communiquer à Mme [G], qui en avait fait la demande avant le débat contradictoire, a porté atteinte aux droits de la défense dès lors qu'il appartenait à ce conseil, informé dès le 8 juillet 2021 par courriel du greffier du juge d'instruction, de l'absence au dossier de la procédure d'une désignation le concernant, d'effectuer en temps utile les démarches nécessaires lui permettant de régulariser celle-ci avant la tenue du débat contradictoire fixé au 22 juillet 2021, ce qu'il n'a fait que le 3 août 2021.

26. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure relative au débat contradictoire et de l'ordonnance de prolongation de la détention, alors « qu'il résulte de l'arrêt que « constatant l'absence de son conseil, [U] [J] a indiqué « Ce que je comprends pas c'est qu'il manque mon avocat. Non je n'ai pas de nouvelles de lui. Pour aujourd'hui on m'a prévenu ce matin pour être extrait. J'ai mon avocat qui a les pièces. Je peux pas passer aujourd'hui sans avocat. Il a tous mes documents » » ; qu'en retenant, pour écarter le moyen d'annulation tiré du rejet non motivé de cette demande de renvoi du débat contradictoire, que le juge des libertés et de la détention n'avait pas à organiser un débat sur ce point ni à motiver un rejet de demande de renvoi qui n'avait pas été expressément sollicité, la chambre de l'instruction, qui s'est mise en contradiction avec ses propres constatations, a violé les articles 137-3 du code de procédure pénale et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe du contradictoire et les droits de la défense. »

Réponse de la Cour

28. Pour écarter l'argumentation de la personne mise en examen selon laquelle le juge des libertés et de la détention n'a pas répondu à sa demande de renvoi, l'arrêt énonce que si M. [J] a déclaré : « Ce que je comprends pas c'est qu'il manque mon avocat. Non je n'ai pas de nouvelles de lui (...) Je peux pas passer aujourd'hui sans avocat. Il a tous mes documents », la personne mise en examen n'a pas, pour autant, sollicité un renvoi du débat contradictoire.

29. Les juges en déduisent que le juge des libertés et de la détention n'avait pas à motiver un rejet d'une demande de renvoi qui n'avait pas été expressément sollicité.

30. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

31. En effet, il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que les déclarations de M. [J] ne constituaient pas une demande de renvoi, qui, pour appeler une réponse motivée du juge des libertés et de la détention en cas de rejet, doit être formulée sans équivoque.

32. Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.

33. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 114, 115, 145, 145-1, R. 57-6-5 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 10 mars 2020, pourvoi n° 19-87.757, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité.

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