Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CASSATION

Crim., 8 décembre 2021, n° 21-80.200, (B)

Cassation partielle

Intérêt – Partie civile – Arrêt opérant requalification d'une infraction – Possible incidence sur l'étendue du droit à réparation

Lorsque la requalification d'une infraction, opérée par la cour d'appel, est susceptible d'avoir une incidence sur l'étendue du droit à réparation de la partie civile, celle-ci est recevable à la contester devant la Cour de cassation.

M. [T] [U] et Mme [I] [M], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 3-5, en date du 27 novembre 2020, qui a relaxé le premier du chef de harcèlement moral aggravé ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, et qui, pour harcèlement moral aggravé n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, l'a condamné à 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [T] [U] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir à Paris, entre le 28 juillet 2017 et le 9 avril 2018, étant l'actuel ou l'ancien conjoint de Mme [I] [M], harcelé celle-ci par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de vie, se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale, lesdits faits lui ayant causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

3. Par jugement en date du 17 avril 2019, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable et l'a condamné à la peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve devenu sursis probatoire.

4. Le prévenu et le ministère public ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens proposés pour M. [U]

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen proposé pour Mme [M]

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement en toutes ses dispositions pénales et relaxé M. [U] du chef de harcèlement moral de l'actuel ou de l'ancien conjoint, Mme [M], ayant causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, alors :

« 1°/ qu'en se bornant à retenir que le certificat médical de Mme [H], médecin, ne suffisait pas à établir que l'altération de la santé mentale ou psychique de Mme [M] en lien direct avec les faits aient entraîné, à eux seuls, une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, sans rechercher, comme l'y invitait l'exposante, si les attestations établies par M. [G], médecin, les 15 novembre 2017 et 8 mars 2018 et celles de ses proches qu'elle avait versées aux débats ne confirmaient pas le lien de causalité, retenu par Mme [H], entre les faits de harcèlement et une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 222-33-2-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'imputabilité du dommage doit être appréciée sans qu'il soit tenu compte des prédispositions de la victime dès lors que ces prédispositions n'avaient pas déjà eu des conséquences préjudiciables au moment où s'est produit le fait dommageable ; qu'en excluant tout lien de causalité entre les faits de harcèlement et une incapacité totale de travail supérieure à huit jours aux motifs que Mme [M] avait été suivie, depuis une période ayant commencé peu après son mariage avec M. [U], par M. [G], médecin, pour un « trouble anxieux dépressif modéré » (M. [G] a en réalité fait état d'un « trouble anxieux modéré », sans que le terme « dépressif » ne figure dans ses attestations) et alors que Mme [H], médecin, – qui avait retenu que les faits de harcèlement avaient causé une incapacité totale de travail de quarante-cinq jours à Mme [M] – n'avait pas été en mesure d'appréhender la globalité de la situation, en particulier biographique, de Mme [M], sans vérifier si ces (prétendues) prédispositions de la victime avaient déjà eu des conséquences préjudiciables au moment où se sont produits les faits de harcèlement, ce qui était contesté par l'exposante, la cour d'appel a de ce chef privé sa décision de base légale au regard des articles 222-33-2-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu' en prenant en compte la déclaration de M. [S], médecin, selon laquelle le taux d'incapacité totale de travail de quarante-cinq jours, retenu par Mme [H], médecin, après avoir examiné Mme [M], était « énorme », quand elle a elle-même constaté que M. [S] admettait ne pas avoir examiné Mme [M], la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et, partant, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 222-33-2-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que si la cour d'appel n'était pas liée par le certificat médical de Mme [H], médecin, concluant à une incapacité totale de travail de quarante-cinq jours, elle ne pouvait s'en écarter au point de retenir une incapacité totale de travail inférieure à huit jours sans motiver sa décision sur ce point, ni viser les pièces (notamment médicales) sur lesquelles elle s'est fondée pour fixer ce taux d'incapacité totale de travail inférieur à huit jours ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, pour cette raison encore, entaché sa décision d'une insuffisance de motifs au regard des articles 222-33-2-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur la recevabilité du moyen, contestée par le prévenu :

7. La requalification opérée par la cour d'appel étant susceptible d'avoir une incidence sur l'étendue du droit à réparation de la partie civile, celle-ci est recevable à la contester.

8. En application de l'article 567 du code de procédure pénale le moyen est, en conséquence, recevable.

Sur le fond :

9. Après avoir caractérisé les éléments matériels et intentionnel du délit de harcèlement moral, l'arrêt attaqué, pour retenir que les faits n'ont pas causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, relève que le certificat médical, établi par Mme [H], praticien hospitalier en psychiatrie, a conclu à un retentissement psychologique sévère et a fixé à quarante-cinq jours l'incapacité totale de travail, en liant cet état aux faits décrits par la plaignante dont le discours était considéré comme cohérent et compatible avec les faits allégués.

10. Les juges exposent que la cour d'appel n'est cependant pas liée par les conclusions de ce rapport et qu'elle conserve la liberté d'apprécier les conséquences qu'elle tire des observations qui y sont contenues.

11. Le moyen revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, sans insuffisance ni contradiction, que les faits reprochés au prévenu n'avaient pas entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

12. Il ne saurait donc être accueilli.

Mais sur le second moyen proposé pour Mme [M]

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il s'est borné, sur l'action civile, à confirmer les dispositions civiles du jugement, qui avait déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [M] et condamné M. [U] à lui payer la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors :

« 1°/ que les juridictions correctionnelles doivent statuer sur l'ensemble des demandes dont elles sont saisies ; qu'en se bornant à confirmer les dispositions civiles du jugement, qui avait déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [M] et condamné M. [U] à lui payer la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral, sans statuer sur la demande de Mme [M], fondée sur l'article 515, alinéa 3, du code de procédure pénale, tendant à voir condamner M. [U] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral correspondant au préjudice souffert depuis la décision de première instance, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en rejetant la demande de Mme [M] tendant à voir condamner M. [U] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral correspondant au préjudice souffert depuis la décision de première instance, sans aucunement motiver sa décision sur ce point, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que selon les dispositions de l'article 515, alinéa 3, du code de procédure pénale, la partie civile, même non appelante, peut demander un complément de dommages et intérêts pour le préjudice nouveau souffert depuis la décision de première instance et se rattachant directement aux faits dont il est la conséquence ; qu'à supposer que la cour d'appel ait rejeté la demande de Mme [M] tendant à voir condamner M. [U] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral correspondant au préjudice souffert depuis la décision de première instance au motif que Mme [M] n'avait pas interjeté appel du jugement, la cour d'appel a méconnu le texte et le principe susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 515, alinéa 3, du code de procédure pénale :

14. Selon ce texte, la partie civile, même non appelante, peut demander un complément de dommages-intérêts pour le préjudice nouveau souffert depuis la décision de première instance et se rattachant directement aux faits dont il est la conséquence.

15. Pour confirmer la décision des premiers juges ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [M] et ayant condamné M. [U] à l'indemniser, à hauteur de 8 000 euros, du préjudice moral résultant directement du harcèlement poursuivi, l'arrêt retient que la partie civile n'a pas interjeté appel de cette décision.

16. En se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de la partie civile qui avait également sollicité la condamnation du prévenu à lui payer 8 000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral enduré depuis le jugement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

17. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [T] [U] :

LE REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par Mme [I] [M] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 27 novembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [T] [U] devra payer à Mme [I] [M] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de M. [T] [U] ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 515 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 21 avril 1977, pourvoi n° 76-90.508, Bull. crim. 1977, n° 124 (1) (rejet), et l' arrêt cité.

Crim., 15 décembre 2021, n° 20-85.924, (B)

Rejet

Moyen – Moyen nouveau – Principe ne bis in idem – Poursuites concomitantes – Irrecevabilité

Le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation la violation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes, est irrecevable.

M. [B] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 14 octobre 2020, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 26 mars 2019, pourvoi n° 18-83.153), pour travail dissimulé, prêt illicite de main d'oeuvre et emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite de plusieurs contrôles intervenus entre 2009 et 2012 sur quatre chantiers de la société [X], ayant mis en évidence la présence de salariés de sociétés de droit roumain, M. [X], gérant de la société éponyme, a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs de prêt illicite de main-d'oeuvre, travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié et emploi d'étrangers sans autorisation de travail.

3. Par jugement en date du 21 octobre 2016, le tribunal correctionnel a déclaré M. [X] coupable dans les termes de la prévention et a prononcé sur les peines et l'action civile.

4. M. [X] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches et sur le second moyen

5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le moyen, en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [X] coupable de recours à un prêt illicite de main-d'oeuvre et à du travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié et est entré en voie de condamnation à son égard, alors :

« 1°/ que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à plusieurs déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu'en déduisant du prêt illicite de main-d'oeuvre l'existence d'un travail dissimulé, concernant les mêmes travailleurs, pour les mêmes faits, aux mêmes dates, et en affirmant que ce comportement a procuré souplesse dans la gestion du personnel et gains substantiels dans l'économie des charges afférentes aux emplois salariés ainsi dissimulés, la cour d'appel a caractérisé une seule intention coupable concernant des faits procédant de manière indissociable d'une action unique ; qu'en procédant pourtant à deux déclarations de culpabilité différentes, elle a violé le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

7. Le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation la violation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes, est irrecevable.

8. En effet, d'une part, ce principe n'est pas d'ordre public.

9. D'autre part, le grief pris de sa violation ne naît pas de l'arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.