Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MANDAT D'ARRET EUROPEEN

Crim., 2 décembre 2020, n° 19-87.428, (P)

Cassation

Exécution – Procédure – Extension des effets d'un mandat d'arrêt européen – Extradition vers un Etat non-membre de l'Union européenne – Condition – Exclusion – Consentement de l'Etat ayant remis l'étranger en vertu d'un mandat d'arrêt européen

Le consentement de l'Etat étranger à l'extradition de la personne remise en vertu d'un mandat d'arrêt européen vers un Etat non membre de l'Union européenne n'entre pas dans les conditions légales visées par l'article 695-15 du code de procédure pénale.

Doit être cassé l'arrêt qui, pour donner un avis défavorable à la demande d'extradition présentée par les autorités marocaines d'une personne remise aux autorités françaises, par la Belgique, en exécution d'un mandat d'arrêt européen, retient que la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles n'a pas été sollicitée pour donner son consentement à la demande d'extradition faisant suite à la remise sur mandat d'arrêt européen qu'elle a autorisée.

CASSATION sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Douai contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 15 novembre 2019, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre M. Y... B... à la demande du gouvernement marocain, a émis un avis défavorable.

Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. Y... B..., né le [...] 1976 à Bruxelles, a été remis aux autorités judiciaires françaises par les autorités belges, le 20 septembre 2016, en exécution d'un mandat d'arrêt européen décerné le 8 octobre 2014 par le procureur de la République de Nancy pour des faits d'association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes de vols en bande organisée avec arme, falsification et usage de faux documents administratifs, acquisition et détention en bande organisée d'armes, éléments d'armes et munitions de catégorie A et B, transport et détention d'explosifs en bande organisée et recel de biens provenant de vols commis en bande organisée.

3. Le 6 mars 2017, M. B... a été condamné à une peine de dix ans d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Nancy.

4. Le 24 septembre 2018, les autorités judiciaires marocaines ont adressé aux autorités françaises, conformément à la convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale du 18 avril 2008, une demande formelle d'extradition de M. B..., aux fins de mise à exécution d'une peine de dix ans d'emprisonnement prononcée, par contumace, le 22 février 2016, par la chambre criminelle de la cour d'appel de Rabat, des chefs de constitution d'une association criminelle, recel d'objet provenant d'un crime, formation d'une association pour préparer et commettre des actes terroristes dans le cadre d'une entente visant à porter gravement atteinte à l'ordre public et d'assistance volontaire aux auteurs d'actes terroristes.

5. La demande d'extradition a été notifiée à M B... le 18 juin 2019. Celui-ci a déclaré ne pas accepter cette extradition.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation de l'article 695-21 du code de procédure pénale et de l'article 9 de la Convention d'extradition bilatérale entre la République française et le Royaume du Maroc signée à Rabat le 18 avril 2008.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a donné un avis défavorable à la demande d'extradition alors :

« 1°/ que l'article 695-21 II du code de procédure pénale pose le principe que l'autorité compétente dont le consentement est requis pour assurer la ré-extradition vers un pays extérieur à l'Union européenne relève des règles internes de cet Etat.

En affirmant que le consentement à la ré-extradition de M. B... vers le Maroc relevait de la compétence de la chambre du conseil de première instance francophone de Bruxelles, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai qui était incompétente pour se prononcer sur ce point, a outrepassé ses pouvoirs et violé le texte susvisé.

2°/ qu'il ne résulte ni de l'article 695-21 ni de l'article 9 de la Convention d'extradition bilatérale entre la République française et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 18 avril 2008, selon lequel « la ré-extradition au profit d'un Etat tiers ne peut être accordée sans le consentement de la partie qui a accordé l'extradition », que ce consentement soit exigé au stade judiciaire de la procédure d'extradition. Aucun de ces textes n'interdit en effet que ce consentement soit porté à la connaissance de l'Etat requis postérieurement à l'avis de la chambre de l'instruction, lors de la phase administrative de la procédure. Cette absence de consentement lors de la phase judiciaire ne cause aucun grief à la personne recherchée dans la mesure où la validité de l'éventuel décret d'extradition à intervenir à l'issue de la phase administrative de la procédure, lui reste subordonnée.

En émettant, en l'espèce, un avis défavorable à la ré-extradition de M. B... vers le Maroc sans solliciter au besoin, si elle l'estimait utile à ce stade, le consentement de l'Etat belge dans le cadre d'un supplément d'information, sans rechercher par ailleurs si les conditions légales étaient remplies pour la mise en oeuvre de la convention franco-marocaine du 18 avril 2008 et sans subordonner un éventuel avis favorable à l'obtention ultérieure de l'accord de l'Etat belge, la chambre de l'instruction de Douai a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour.

Vu les articles 696-15 et 695-21 II du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, la chambre de l'instruction donne un avis défavorable à l'extradition si elle estime que les conditions légales ne sont pas remplies ou qu'il y a une erreur évidente.

9. Le second énonce que, lorsque le ministère public qui a délivré un mandat d'arrêt européen a obtenu la remise de la personne recherchée, celle-ci ne peut être extradée vers un Etat non membre de l'Union européenne sans le consentement de l'autorité compétente de l'Etat membre qui l'a remise.

10. Pour donner un avis défavorable à la demande d'extradition présentée par les autorités marocaines, l'arrêt attaqué relève que M. B... se trouve incarcéré sur le territoire français pour avoir été remis aux autorités françaises par les autorités belges le 20 septembre 2016, en exécution d'un mandat d'arrêt européen décerné le 8 octobre 2014 par le procureur de la République de Nancy.

Par ordonnance en date du 29 octobre 2014, la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a autorisé sa remise et a constaté que M. B... ne renonçait pas à la protection que lui conférait le principe de la spécialité.

11. Les juges énoncent que, selon l'article 28 de la décision cadre du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres de l'Union européenne et selon l'article 695-21 du code de procédure pénale, une personne qui a été remise en vertu d'un mandat d'arrêt européen n'est pas extradée vers un État tiers sans le consentement de l'autorité compétente de l'État membre qui l'a remise.

12. Ils ajoutent que l'article 31 de la loi belge du 19 décembre 2003, relative au mandat d'arrêt européen, prévoit que, si après la remise de la personne, l'autorité compétente de l'Etat d'émission souhaite poursuivre, condamner ou priver de liberté celle-ci pour une infraction commise avant la remise autre que celle qui a motivé cette remise, la chambre du conseil qui a remis la personne décide dans les conditions prévues à l'article 16 de la présente loi.

13. Ils relèvent qu'il ne figure au dossier aucun avis émanant de la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles mais qu'en revanche y est joint, notamment, un courrier en date du 4 février 2019, émanant du ministère de la justice belge, dans lequel cette autorité expose que, avant de se prononcer sur la question de son accord, elle souhaite que la chambre de l'instruction française ait préalablement statué.

14. La cour conclut que la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles n'a pas été sollicitée pour donner son consentement à la demande d'extradition faisant suite à la remise sur mandat d'arrêt européen qu'elle a autorisée ; que, dans ces conditions, il ne peut être soutenu que la chambre de l'instruction doit donner un avis sur l'extradition sans tenir compte de la position des autorités belges dont l'autorisation pourrait être recueillie en toute fin de procédure au stade de la prise éventuelle du décret d'extradition alors qu'il n'est pas établi que c'est bien l'autorité judiciaire ayant préalablement accordé la remise à la France qui sera sollicitée pour donner son consentement.

15. En l'état de ces énonciations, l'arrêt attaqué ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.

16. En effet le consentement de l'Etat étranger à l'extradition de la personne remise en vertu d'un mandat d'arrêt européen vers un Etat non membre de l'Union européenne n'entre pas dans les conditions légales visées par l'article 696-15 du code de procédure pénale.

17. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 15 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Guéry - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Boullez -

Textes visés :

Articles 696-15 et 695-21 du code de procédure pénale.

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