Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 15 décembre 2020, n° 20-85.461, (P)

Rejet

Atteinte à la dignité – Recours préventif – Office du juge – Vérification de la situation personnelle de la personne incarcérée – Appréciation

Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme au regard de l'article 3 de la Convention qui interdit les peines ou traitements inhumains ou dégradants qu'en cas de surpopulation carcérale, chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d'une surface personnelle minimale au sol de 3 m² hors sanitaires, en-deçà de laquelle il existe une forte présomption de violation de l'article 3 qui ne peut être réfutée qu'à de strictes conditions qu'elle énonce. Entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids et d'autres aspects des conditions de détention sont à prendre en considération. Au-delà, le facteur spatial ne pose plus de problème en lui-même.

Il s'en déduit que l'appréciation du caractère indigne des conditions de détention en cas de surpopulation carcérale relève d'un ensemble de facteurs devant être globalement envisagés.

Doit être approuvé l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui, après avoir fait procéder à des vérifications, analyse, conformément aux principes et normes ainsi définis par la Cour européenne des droits de l'homme, les informations qu'elle a recueillies et, constatant que le demandeur dispose d'une surface personnelle au sol de 3,83 m², dans une cellule avec fenêtre, équipée pour satisfaire aux besoins essentiels, dont l'espace sanitaire présente des moisissures sur un seul mur et n'est clos par un drap que suite au retrait des portes par les occupants qui les utilisent à d'autres fins, qu'affecté aux ateliers, il passe 6 heures 30 par jour hors de sa cellule, a quotidiennement accès à la cour de promenade et à la bibliothèque une fois par semaine et dispose d'un accès effectif aux soins, et que l'administration justifie de mesures diverses et réitérées pour lutter contre la présence de nuisibles, en déduit exactement que l'intéressé n'est pas placé dans des conditions indignes de détention justifiant sa mise en liberté.

REJET du pourvoi formé par M. D... H... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 22 septembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'homicide volontaire, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 24 janvier 2019, M. H... a été mis en examen du chef précité et placé en détention provisoire. Sa détention a été prolongée une première fois par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 9 janvier 2020, confirmée par arrêt de la chambre de l'instruction en date du 27 janvier 2020.

3. Par ordonnance en date du 8 juillet 2020, le juge des libertés et de la détention a ordonné une nouvelle prolongation de la détention provisoire de l'intéressé.

4. Ce dernier a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prolongé la détention provisoire, en estimant que les conditions de détention de M. H... ne pouvaient être considérées comme indignes, alors « qu'il appartient au juge judiciaire, chargé d'appliquer la Convention européenne des droits de l'homme, de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant d'empêcher la continuation de la violation de l'article 3 de la Convention ; qu'il lui incombe, lorsque la description faite par le demandeur constitue un commencement de preuve du caractère indigne de la détention, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d'en apprécier la réalité ; qu'après que ces vérifications ont été effectuées, dans le cas où est constatée une atteinte au principe de la dignité, la chambre de l'instruction doit ordonner la mise en liberté de la personne, en l'astreignant, le cas échéant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou à un contrôle judiciaire ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction, qui a ordonné des vérifications sur les conditions de détention de M. H..., relève que sa cellule, d'une superficie de 13,30m², soit 11,50m² hors sanitaires, et prévue pour accueillir deux personnes, accueille en réalité trois personnes, que des moisissures sont présentes dans la partie sanitaire, dont les portes sont absentes, les détenus utilisant un drap pour assurer leur intimité, et que M. H... ne peut user de son accès à la promenade au regard de la personnalité des autres détenus ; qu'en estimant que les conditions de détention de M. H... ne pouvaient être considérées comme indignes, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conclusions qu'imposaient ses propres constatations, qui révélaient des conditions indignes au regard des standards européens et a violé les principes susvisés et l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Dans le cas de surpopulation carcérale, pour que les conditions de détention respectent cette disposition, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt du 20 octobre 2016, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, §§ 136 à 140 ; arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15, §§ 256 et 257) que chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d'une surface personnelle minimale au sol de 3 m² hors installations sanitaires.

7. Si tel n'est pas le cas, le manque d'espace personnel donne lieu à une forte présomption de violation de l'article 3. Celle-ci ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis : les réductions d'espace personnel par rapport au minimum requis sont courtes, occasionnelles et mineures, elles s'accompagnent d'une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d'activités hors cellule adéquates, l'établissement pénitentiaire offre, de manière générale, des conditions de détention décentes et le détenu n'est pas soumis à d'autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention.

8. Quand l'espace personnel est compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids et d'autres aspects des conditions de détention sont à prendre en considération pour examiner le respect de l'article 3. Parmi ces éléments figurent la possibilité d'utiliser les toilettes de manière privée, l'aération disponible, l'accès à la lumière et à l'air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Concernant les installations sanitaires et l'hygiène, les détenus doivent jouir d'un accès facile à ce type d'installation, qui doit leur assurer la protection de leur intimité et ne pas être seulement partiellement cloisonné.

La présence d'animaux nuisibles doit être combattue par les autorités pénitentiaires, par des moyens efficaces et des vérifications régulières des cellules, en particulier quant à l'état des draps et des endroits de stockage d'aliments.

9. Lorsqu'un détenu dispose de plus de 4 m² d'espace personnel, le facteur spatial ne pose pas de problème en lui-même et les autres aspects de ses conditions matérielles de détention demeurent pertinents aux fins de l'appréciation du caractère adéquat de ses conditions de détention au regard de l'article 3.

10. Il se déduit de ces arrêts que l'appréciation du caractère indigne des conditions de détention en cas de surpopulation carcérale relève d'un ensemble de facteurs devant être globalement envisagés.

11. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire en écartant le moyen pris de conditions indignes de détention, l'arrêt attaqué énonce, au vu d'un rapport du chef d'établissement du centre pénitentiaire de Seysses du 27 août 2020, transmis suite à l'arrêt avant dire droit de la chambre de l'instruction en date du 4 août 2020 ayant ordonné des vérifications sur les conditions de détention de M. H..., que celui-ci occupe une cellule prévue pour deux personnes, occupée la plupart du temps par trois personnes, dans laquelle il dispose d'un espace individuel de plus de 3 m², en l'occurrence 3,83 m².

12. Les juges ajoutent que la cellule dispose d'une fenêtre, que son équipement permet de satisfaire aux besoins essentiels de la vie quotidienne, que seul un mur de la partie sanitaire présente des moisissures, les autres murs n'étant pas dégradés, que si les portes battantes fermant normalement cet espace sont utilisées à d'autres fins par les détenus, le respect de l'intimité est assuré par la présence d'un drap utilisé comme rideau, ce dont l'intéressé ne s'est jamais plaint, qu'il est affecté aux ateliers, passe 6 heures 30 par jour hors de sa cellule en semaine, qu'il a en outre accès une heure par jour à la cour de promenade et à la bibliothèque le samedi matin, même s'il ne paraît pas s'y rendre, qu'il bénéficie d'un accès effectif aux soins et que l'administration justifie de la mise en place de mesures variées et réitérées pour remédier à la présence de nuisibles résultant notamment du jet de détritus.

13. Ils en concluent que les conditions de détention de M. H... ne peuvent être considérées comme indignes et justifier sa mise en liberté.

14. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui a appliqué les principes et normes définis par la Cour européenne des droits de l'homme, en a exactement déduit que les conditions de détention de l'intéressé n'étaient pas indignes.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Desportes, premier avocat général - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Rapprochement(s) :

S'agissant de la nécessité pour les juges du fond d'apprécier le caractère précis, crédible et actuel des conditions de détention, à rapprocher : Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 20-84.886, Bull. crim. 2020 (cassation). S'agissant de l'obligation incombant au juge judiciaire de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif permettant de mettre un terme à la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, à rapprocher : Crim., 8 juillet 2020, pourvoi n° 20-81.739, Bull. crim. 2020, (rejet), et les arrêts cités. S'agissant de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation des articles 3 et 13 de la Convention, à rapprocher : CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres.

Crim., 16 décembre 2020, n° 20-85.580, (P)

Rejet

Débat contradictoire – Convocation – Dépassement de l'heure fixée – Report (non)

Doit être rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de chambre de l'instruction ayant confirmé une ordonnance de rejet de mise en liberté rendue par le juge des libertés et de la détention après un débat contradictoire s'étant tenu le 3 septembre 2020 à seize heures quarante sept alors que l'avocat avait été convoqué pour onze heures le même jour dès lors que, d'une part, ce retard ne constituait pas un report de l'audience à laquelle l'avocat et la personne mise en examen avaient été régulièrement convoqués, d'autre part, le juge des libertés et de la détention a motivé, comme il en avait l'obligation, son refus de faire droit à la demande de renvoi déposée.

REJET du pourvoi formé par M. G... T... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 25 septembre 2020, qui dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 6 mai 2020, M. G... T... a été mis en examen des chefs susvisés.

Le même jour, il a été placé en détention provisoire.

3. Le 3 septembre 2020, le juge des libertés et de la détention de Bobigny a ordonné la prolongation de sa détention.

4. M. T... a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité soulevé par M. T... tiré de l'irrégularité du débat devant le juge des libertés et de la détention, et d'avoir confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de celui-ci, alors « que le juge des libertés et de la détention saisi par l'avocat du mis en examen d'une demande tendant au renvoi d'un débat de prolongation de détention provisoire à raison du retard de plusieurs heures pris dans la tenue de ce débat ayant rendu l'avocat indisponible, ne peut passer outre et tenir le débat en l'absence de l'avocat que s'il constate que le retard est la conséquence de circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service public de la justice ; qu'au cas d'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que le juge des libertés et de la détention, qui avait convoqué le conseil de M. T... le 3 septembre 2020 à 11 heures, a rejeté la demande de renvoi présenté par ce conseil et tenu le débat en son absence à 16 heures 47, soit près de six heures plus tard ; qu'en se bornant, pour dire la procédure régulière, à affirmer que le retard pris par le juge des libertés et de la détention ne constituait ni un report ni un renvoi, que l'avocat en avait été averti et qu'un renvoi ne pouvait intervenir dans les délais légaux de convocation, sans caractériser les circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service public de la justice qui, seules, pouvaient justifier que la demande de renvoi soit rejetée et qu'il soit passé outre l'absence de l'avocat, convoqué à heure fixe, au débat tenu près de six heures plus tard, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles préliminaire, 114, 145, 145-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour écarter les moyens de nullité de l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire du demandeur, fondés sur le fait que le juge des libertés et de la détention a tenu le débat en l'absence de son avocat, près de six heures après l'heure indiquée dans la convocation adressée à celui-ci, l'arrêt attaqué relève que l'avocat de M. T... a été régulièrement convoqué à l'audience du 3 septembre 2020, à 11 heures, devant le juge des libertés et de la détention et qu'il a été informé de ce que, en raison des contraintes de l'escorte, le débat était retardé et ne pourrait intervenir avant 13 heures.

7. Les juges ajoutent que l'avocat de M. T... a alors pris des conclusions écrites aux termes desquelles il était attendu à la cour d'appel de Paris à 13 heures 30, sollicitait un renvoi, et à défaut, la remise en liberté de son client au motif pris d'un dysfonctionnement du service de la justice. Ayant quitté la juridiction à 12 heures 30, il était recontacté téléphoniquement par le greffe à 15 heures 50 en vue du débat. Il ne s'est pas présenté et a maintenu ses conclusions.

Le débat est intervenu, selon l'ordonnance attaquée, à 16 heures 47.

8. Les juges retiennent que le retard pris par le juge des libertés et de la détention ne constitue ni un report ni un renvoi de l'audience justifiant une nouvelle convocation, et qu'afin de lui permettre de prendre toute mesure utile aux intérêts de son client, l'avocat de M. T... a été avisé de ce retard, des motifs de ce retard, ainsi que, près d'une heure avant le débat, du moment auquel celui-ci pourrait avoir lieu.

9. Ils énoncent encore qu'en outre, le juge des libertés et de la détention a motivé le rejet de la demande de renvoi présentée par écrit, en retenant qu'en l'absence de renonciation expresse en ce sens, ce report ne pouvait intervenir dans les délais légaux de convocation, le mandat de dépôt arrivant à échéance le 6 septembre.

10. En se déterminant ainsi, et dès lors que, d'une part, le retard pris par le juge des libertés et de la détention ne constituait pas un report de l'audience à laquelle l'avocat et la personne mise en examen avaient été régulièrement convoqués, d'autre part, le juge des libertés et de la détention a motivé, comme il en avait l'obligation, son refus de faire droit à la demande de renvoi déposée, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes et principes visés au moyen.

11. Dès lors, le moyen doit être écarté.

12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Guéry - Avocat général : Mme Mathieu - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

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