Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CONFISCATION

Crim., 16 décembre 2020, n° 19-87.622, (P)

Cassation partielle

Nature et origine de l'objet confisqué – Fondement – Indication – Défaut – Portée

Selon l'article 365-1 du code de procédure pénale, la cour d'assises n'a pas à préciser les raisons qui la conduisent à ordonner la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Elle doit néanmoins énumérer les objets dont elle ordonne la confiscation et indiquer, pour chacun d'eux, s'ils constituent l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, afin de mettre la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision, et d'apprécier, le cas échéant, son caractère proportionné. Encourt ainsi la cassation l'arrêt de la cour d'assises qui ordonne la confiscation des scellés sans indiquer la nature et l'origine des objets placés sous scellés dont elle ordonne la confiscation, ni le fondement de cette peine.

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. C... G... contre l'arrêt de la cour d'assises de la Seine-et-Marne, en date du 25 octobre 2019, qui, pour viol, l'a condamné à huit ans d'emprisonnement et a ordonné une mesure de confiscation, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance de mise en accusation du 4 février 2018, le juge d'instruction de Bobigny a renvoyé M. C... G... devant la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis pour viol.

3. Par arrêt du 8 février 2019, la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis a reconnu M. G... coupable, l'a condamné à huit ans d'emprisonnement et ordonné une mesure de confiscation.

Par arrêt du même jour, la cour a statué sur les intérêts civils.

4. L'accusé a relevé appel de l'arrêt pénal et le ministère public a formé appel incident.

La partie civile a relevé appel de l'arrêt civil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. G... à la peine de huit années d'emprisonnement et a ordonné la confiscation des scellés, alors :

« 1°/ qu'en se fondant, pour prononcer sur la peine, sur la circonstance que M. G... « n'assum[ait] pas sa responsabilité » pour le crime de viol dont il était accusé et qu'il contestait, quand tout accusé a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la cour d'assises a violé les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, 14, § 3, g, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 130-1 et 132-34 du code pénal, préliminaire, 365-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en ordonnant la confiscation des scellés, sans motiver sa décision de ce chef et sans constater que les biens confisqués constituaient le produit ou l'objet de l'infraction, la cour d'assises n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier Protocole additionnel à cette Convention, 131-21 et 132-1 du code pénal, 365-1 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen pris en sa première branche

7. Pour justifier la peine prononcée contre l'accusé reconnu coupable de viol, la feuille de motivation énonce que la cour d'assises a tenu compte des circonstances dans lesquelles les faits ont été commis, la nuit, dans un véhicule de tourisme avec chauffeur, où la victime, en état de vulnérabilité, croyait être à l'abri.

8. La cour d'assises ajoute qu'elle a aussi pris en considération l'absence d'antécédents de même nature de l'accusé, ses garanties de réinsertion familiales et professionnelles, ainsi que son positionnement, l'accusé, décrit comme « égocentré » par l'expert psychologue, n'assumant pas sa responsabilité et n'ayant pas évolué.

9. En prononçant ainsi, la cour d'assises n'a pas méconnu le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser lui-même, qui interdit de déduire la culpabilité de l'accusé de son silence et de le contraindre à faire des déclarations, mais ne s'oppose pas à ce que, après avoir retenu sa culpabilité, le juge tienne compte, entre autres éléments, pour déterminer la peine, de la manière dont l'accusé se situe par rapport aux faits, afin d'apprécier sa dangerosité, le risque de récidive et les garanties de sa réinsertion.

10. Le grief ne peut, dès lors, être admis.

Mais sur le moyen pris en sa seconde branche

Vu les articles 131-21 du code pénal et 365-1 du code de procédure pénale :

11. Selon le premier de ces textes, la confiscation est encourue de plein droit pour les crimes et porte sur tous les biens ayant servi à le commettre, ainsi que sur ceux qui en sont l'objet, ou le produit direct ou indirect.

12. Selon le second, la motivation consiste, en cas de condamnation, dans l'énoncé des principaux éléments ayant convaincu la cour d'assises dans le choix de la peine, la motivation de la peine de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction n'étant pas nécessaire.

13. Il résulte de ces textes que, si la cour d'assises n'a pas à préciser les raisons qui la conduisent à ordonner la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction, elle doit néanmoins énumérer les objets dont elle ordonne la confiscation et indiquer, pour chacun d'eux, s'ils constituent l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, afin de mettre la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision, et d'apprécier, le cas échéant, son caractère proportionné.

14. Après avoir déclaré l'accusé coupable et l'avoir condamné à une peine d'emprisonnement, la cour d'assises a ordonné la confiscation des scellés.

15. En prononçant ainsi, sans indiquer la nature et l'origine des objets placés sous scellés dont elle a ordonné la confiscation, ni le fondement de cette peine, la cour d'assises n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision.

16. Il en résulte que la cassation est, dès lors, encourue.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt civil attaqué en ce qu'il a dit que l'arrêt civil rendu par la cour d'assises de Seine-Saint-Denis siégeant à Bobigny le 8 février 2019 reprendrait tous ses effets, a reçu Mme K... O... en sa constitution de partie civile et, y faisant droit, a condamné M. G... à payer à Mme O... la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts, alors :

« 1°/ que la cassation remet la cause et les parties au même état où elles étaient avant la décision annulée et qu'elle postule l'annulation de tout ce qui a été la suite ou l'exécution des dispositions censurées ; que la cassation de l'arrêt pénal rendu par la cour d'assises de Seine-et-Marne contre M. G... le 25 octobre 2019 emportera l'annulation de l'arrêt du même jour par lequel cette cour a prononcé sur les intérêts civils, qui en a été la suite et la conséquence, en application des articles 1240 du code civil, 2, 3, 371, 591, 593 et 609 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en toute hypothèse, toute personne déclarée coupable d'un crime a le droit de faire examiner par une autre cour d'assises la déclaration de culpabilité ou la condamnation ; qu'en condamnant M. G... à payer à la partie civile la somme de 3 500 euros en réparation du « préjudice dû à l'appel interjeté par l'accusé » sur la seule action publique, quand le préjudice ainsi indemnisé n'était pas directement causé par l'infraction et découlait du seul exercice d'une voie de recours, la cour d'assises a violé les articles 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 2, 3, 380-6 et 591 du code de procédure pénale et les droits de la défense ;

3°/ qu'en toute hypothèse, en retenant, pour condamner M. G... à payer la somme supplémentaire de 3 500 euros à la partie civile, qu'elle « dispos[ait] d'éléments suffisants d'appréciation pour évaluer l'indemnité réparatrice du préjudice subi par K... O..., partie civile, compte tenu notamment du préjudice dont cette victime a souffert depuis la première décision, ainsi qu'il est précisé au dispositif », ce dont il résulte que les dommages-intérêts accordés à la partie civile non appelante excédaient le préjudice souffert par cette dernière depuis la première décision, lequel pouvait seul être indemnisé, la cour d'assises a violé les articles préliminaire, 2, 3, 380-6 et 591 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 380-6 du code de procédure pénale :

18. Selon ce texte, la cour d'assises, statuant en appel sur l'action civile, ne peut, sur le seul appel de l'accusé, du civilement responsable ou de la partie civile, aggraver le sort de l'appelant.

La partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la précédente décision.

19. La Cour de cassation interprète cette disposition comme permettant à la victime, constituée partie civile en première instance, non appelante, de demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice subi depuis la première décision.

Mais l'arrêt de la cour d'assises, statuant en appel, qui accorde à une partie civile des dommages et intérêts sans préciser qu'ils réparent un préjudice souffert depuis la décision de première instance encourt la cassation.

20. L'arrêt civil attaqué a déclaré irrecevable l'appel de la partie civile contre la décision civile rendue par la cour d'assises, statuant en première instance.

21. Pour indemniser la partie civile, la cour, statuant en appel, énonce, dans l'arrêt civil attaqué, qu'elle est en mesure d'évaluer le dommage subi : « compte tenu notamment du préjudice dont cette victime a souffert depuis la première décision ».

22. En accordant ainsi une indemnité qui ne réparait pas exclusivement le préjudice subi depuis la décision prononcée en première instance, alors que la partie civile, dont l'appel était déclaré irrecevable, devait être considérée comme non appelante, la cour n'a pas justifié sa décision et méconnu le principe susvisé.

23. Il en résulte que la cassation est de nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

24. Le premier moyen, visant la régularité de la procédure, n'étant pas admis, aucun moyen n'étant dirigé contre la déclaration de culpabilité, et aucun moyen n'étant admis contre la peine d'emprisonnement, la décision étant justifiée à cet égard par les motifs retenus par la cour d'assises, les dispositions de l'arrêt relatives à la culpabilité et à la peine d'emprisonnement seront maintenues.

25. La cassation sera limitée aux dispositions de l'arrêt pénal relatives à la confiscation, ainsi qu'à l'arrêt civil. Elle interviendra avec renvoi, dans ces limites.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt pénal susvisé de la cour d'assises de la Seine-et-Marne, en date du 25 octobre 2019, mais en ses seules dispositions relatives à la confiscation des scellés, ainsi que l'arrêt civil rendu par la cour d'assises à cette date, les dispositions de l'arrêt pénal relatives à la culpabilité et à la peine d'emprisonnement étant expressément maintenues.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Principe « nul n'est tenu de s'accuser lui-même » ; article 365-1 du code de procédure pénale.

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