Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MANDAT D'ARRET EUROPEEN

Crim., 23 novembre 2022, n° 22-86.162, (B), FRH

Rejet

Exécution – Conditions d'exécution – Accord de commerce et de coopération entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni – Respect de l'accord – Engagement ferme des autorités britanniques – Nécessité (non)

N'encourt pas la censure la chambre de l'instruction qui, en exécution d'un mandat d'arrêt européen délivré par les autorités britanniques en vue de la mise en oeuvre de poursuites pénales, subordonne la remise de la personne concernée à l'application par ces autorités de l'article 604, b), de l'Accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, prévoyant que la remise peut être subordonnée au renvoi de la personne dans l'État d'exécution afin d'y purger la peine ou la mesure de sûreté privative de liberté prononcée à son encontre dans l'État d'émission, sans s'être préalablement assurée de l'engagement ferme des autorités britanniques tendant au respect de cette condition, un tel engagement préalable n'étant pas exigé par ce texte.

M. [B] [M] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 18 octobre 2022, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires britanniques en exécution d'un mandat d'arrêt européen.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 6 octobre 2022, M. [B] [M] [X], de nationalité britannique, s'est vu notifier un mandat d'arrêt européen décerné le 9 décembre 2020 par les autorités judiciaires britanniques aux fins d'exercer des poursuites pénales pour des faits qualifiés d'association de malfaiteurs en vue de la fourniture d'une certaine quantité de cocaïne, substance de catégorie A soumise à contrôle, et de détention de stupéfiants.

3. Il a comparu devant la chambre de l'instruction le 9 juin 2022 et n'a pas consenti à sa remise. Il a été placé sous contrôle judiciaire le même jour.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré régulier et applicable le mandat d'arrêt décerné le 9 décembre 2020 par le juge du District de Matthew de la Bristol Magistrates, au visa d'un mandat d'arrêt national délivré le 27 février 2017 à l'encontre de M. [X] aux fins de l'exercice de poursuites pénales pour des faits d'association de malfaiteurs en vue de fournir de la drogue de classe A à savoir de la cocaïne, entre le 17 novembre 2015 et le 15 février 2016 et de possession de drogue avec intention d'en fournir, le 4 février 2016, ordonné la mise à exécution du mandat d'arrêt susvisé, ordonné la remise de M. [X] aux autorités judiciaires britanniques, dit que cette remise est subordonnée à l'engagement des autorités judiciaires britanniques d'appliquer l'article 604, b), de l'accord du 24 décembre 2020, et maintenu M. [X] sous contrôle judiciaire jusqu'à la mise à exécution de la présente décision, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 597 de l'accord du 24 décembre 2020 entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, « la coopération au moyen du mandat d'arrêt » mis en oeuvre par l'article 596 du même accord « est nécessaire et proportionnée compte tenu des droits de la personne recherchée et des intérêts des victimes, et eu égard à la gravité de l'acte, à la peine susceptible d'être infligée et à la possibilité qu'un Etat prenne des mesures moins coercitives que la remise des personnes recherchées » ; d'une part, dans l'hypothèse où il n'y a pas de victime, ce critère doit être pris en compte au regard de la situation de la personne réclamée ; d'autre part la gravité de l'acte doit être appréciée au regard des faits effectivement imputés et non au regard de la seule qualification qui peut leur être attribuée ; il résulte en l'espèce du mandat, des pièces de la procédure et des constatations de l'arrêt qu'il n'y a aucune victime, aucune plainte, ni aucun intérêt particulier lié à raison de la découverte à l'ancien domicile britannique de M. [X] de traces de cocaïne, de matériel susceptible d'être utilisé comme produit de coupe et d'une comptabilité ; le principe de proportionnalité devait donc être examiné notamment au regard de cette circonstance ; en s'abstenant de mettre ce critère en balance dans son examen, la chambre de l'instruction a violé l'article 597 de l'accord du 24 décembre 2020, et l'article 695-52 du code de procédure pénale, outre l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la gravité des faits qui doit entrer dans l'appréciation de la proportionnalité doit être examinée à la lumière des faits réellement décrits dans le mandat, et au besoin des critiques de l'intéressé, et non à la seule lumière d'une qualification abstraite pouvant selon le droit du Royaume-Uni entraîner une peine de réclusion criminelle à perpétuité ; qu'en examinant la gravité des faits uniquement au regard de cette qualification et de la grave peine encourue, et non au regard de leur réalité matérielle, et sans s'expliquer sur les moyens de l'intéressé qui faisait valoir qu'il avait effectivement connu « une mauvaise passe » dont il s'était pleinement sorti en quittant la Grande-Bretagne, la chambre de l'instruction n'a pas correctement apprécié le principe de proportionnalité et a encore violé les textes précités, outre l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la chambre de l'instruction avant d'accorder un renvoi sous condition, notamment sous la condition d'exécution de la peine éventuellement prononcée en France, doit s'assurer que cette condition a été acceptée par l'Etat requérant ; en s'abstenant totalement de s'assurer de l'accord préalable du Royaume-Uni sur ce point, la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs et violé l'article 604, b), de l'accord du 24 décembre 2020, outre l'article 695-52 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 597 de l'Accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne, d'une part, et le Royaume-Uni, d'autre part, en date du 24 décembre 2020, applicable en la cause, la coopération par le moyen d'un mandat d'arrêt doit être nécessaire et proportionnée compte tenu des droits de la personne recherchée et des intérêts des victimes et, eu égard à la gravité de l'acte, à la peine susceptible d'être infligée et à la possibilité de prendre des mesures moins coercitives que la remise de la personne recherchée, notamment en vue d'éviter des périodes inutilement longues de détention provisoire.

6. Selon l'article 604, b), de cet Accord, si la personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt aux fins de poursuite est résidente de l'Etat d'exécution, sa remise peut être subordonnée à la condition que la personne, après avoir été entendue, soit renvoyée dans l'Etat d'exécution afin d'y purger la peine ou la mesure de sûreté privative de liberté prononcée à son encontre dans l'Etat d'émission.

7. Pour rejeter le moyen de M. [X] pris d'une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et autoriser sa remise aux autorités judiciaires britanniques, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que les conditions légales de la double incrimination étaient remplies, énonce que M. [X], de nationalité britannique, vit en France depuis 2016, et bénéficie d'un titre de séjour valable jusqu'en novembre 2025, qu'il est marié et que le couple a trois enfants, nés en France en 2017, 2018 et 2021 et dont les deux aînés sont scolarisés.

8. Les juges relèvent que M. [X], qui a travaillé régulièrement depuis 2016, exerce actuellement un emploi de mécanicien dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée signé le 11 juillet 2022 tandis que son épouse est employée à temps partiel comme chef de cuisine.

9. Ils considèrent que la remise de M. [X], inséré professionnellement et socialement en France, aurait de lourdes conséquences pour sa famille, sa vie familiale et professionnelle.

10. Ils retiennent cependant que les faits objet de la poursuite sont d'une particulière gravité au regard de l'emprisonnement à perpétuité qui est encouru, du rôle central prêté à M. [X] dans un trafic de stupéfiants portant sur de la cocaïne, substance éminemment dangereuse, dont l'ampleur s'apprécie en tenant compte des volumes découverts à son domicile susceptibles d'être vendus après coupage.

11. Ils soulignent enfin que la perquisition a été diligentée le 4 février 2016 au domicile de M. [X], alors que celui-ci avait quitté le Royaume-Uni pour venir en France avec son épouse au cours de cette même année.

12. Ils en déduisent que la remise sollicitée est proportionnée eu égard à l'extrême gravité objective des faits reprochés à M. [X].

13. En l'état de ces énonciations, qui procèdent de son pouvoir souverain d'appréciation et dont il résulte que la remise de M. [X] aux autorités judiciaires britanniques ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions de l'Accord du 24 décembre 2020 de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

14. Par ailleurs, en subordonnant la remise de M. [X] aux autorités judiciaires britanniques à l'application par ces dernières des dispositions de l'article 604, b), de l'Accord précité, lequel ne subordonne pas l'exécution du mandat d'arrêt en vue de la mise en oeuvre de poursuites pénales dans l'Etat d'émission à un engagement ferme de l'autorité judiciaire émettrice tendant à ce que la peine qui viendrait à être infligée à la personne recherchée soit subie sur le territoire de l'Etat d'exécution, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les dispositions visées au moyen.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Enfin, l'arrêt a été rendu par une chambre de l'instruction compétente et composée conformément à la loi, et la procédure est régulière.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Pauthe - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 593 et 695-52 du code de procédure pénale ; article 604, b), de l'Accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni du 24 décembre 2020.

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