Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 15 novembre 2022, n° 21-87.295, (B), FRH

Cassation partielle

Ordonnances – Criminalité organisée – Procédure – Perquisitions – Locaux d'habitation – Perquisitions nocturnes – Régularité – Conditions – Ordonnance écrite – Contrôle du juge de la persistance de l'urgence avant la perquisition – Nécessité

Si le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences de l'article 706-92 du code de procédure pénale, autoriser des perquisitions de nuit en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera, encore doit-il, pour garantir l'effectivité de son contrôle, s'assurer de la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées.

Lorsqu'une ordonnance a été délivrée dans de telles conditions, il appartient aux enquêteurs de recueillir l'avis préalable, serait-il même oral, de ce magistrat, et de justifier de l'accomplissement de cette formalité en procédure.

Encourt la cassation l'arrêt par lequel une chambre de l'instruction rejette le grief de nullité pris de l'absence d'un tel contrôle, alors qu'aucune pièce de procédure n'en établit la réalité.

M. [B] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 7 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [B] [E] a été mis en examen des chefs susvisés le 12 mars 2021.

3. Le 26 mars 2021, le juge d'instruction a notifié aux parties l'avis de fin d'information prévu à l'article 175 du code de procédure pénale.

4. Le 26 avril suivant, l'avocat de M. [E] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation d'actes de la procédure.

Examen des moyens

Sur les premier à quatrième, sixième et septième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la perquisition réalisée au domicile de M. [E], alors :

« 1/° que l'urgence qui justifie une perquisition nocturne doit être caractérisée au moment de cette perquisition ; qu'en jugeant valable une perquisition nocturne effectuée sur la base d'une autorisation donnée deux mois plus tôt, laquelle ne pouvait par hypothèse constater l'urgence à perquisitionner au moment des opérations, la Chambre de l'instruction a violé les articles 706-91, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2/° qu'en se fondant, pour caractériser l'urgence à perquisitionner le domicile de M. [E], sur le fait que M. [E] avait fait l'objet de recherches infructueuses et qu'il avait fui avant l'arrivée des enquêteurs, motifs impropres à établir l'urgence d'une perquisition nocturne, la chambre de l'instruction a derechef violé les articles 706-91, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale :

7. Il résulte de ces textes que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174).

8. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée (Crim., 13 septembre 2022, pourvoi n° 21-87.452, Bull. crim.).

9. Il se déduit de ce qui précède que si le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences ci-dessus, autoriser de telles perquisitions en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera, encore doit-il, pour garantir l'effectivité de son contrôle, s'assurer de la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées.

10. Lorsque l'ordonnance a été ainsi délivrée antérieurement aux actes qu'elle vise, il appartient aux enquêteurs de recueillir l'avis préalable, serait-il même oral, du juge d'instruction, et de justifier de l'accomplissement de cette formalité en procédure.

11. Pour rejeter la demande d'annulation de la procédure réalisée au domicile de M. [E] le 13 décembre 2021, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance prévue par l'article 706-91 du code de procédure pénale a été délivrée le 13 septembre, qu'elle est motivée de manière circonstanciée et repose sur une analyse des faits objet des investigations, spécialement le caractère nocturne des agissements des mis en cause.

12. Les juges relèvent que c'est en considération de la situation qui sera générée par les interpellations à venir et du risque de dépérissement des preuves qui en découlera que cette autorisation a été établie.

13. Ils ajoutent que ce texte n'interdit pas que ladite autorisation soit donnée à l'avance, la notion d'urgence étant à apprécier, non pas à ce moment-là, mais au moment, qui n'est pas nécessairement prévisible, où la perquisition autorisée sera opportune pour la manifestation de la vérité.

14. Ils retiennent que cette urgence était caractérisée, d'une part, en raison des recherches en cours afin d'interpeller le mis en cause, d'autre part, en raison de la nécessité de s'assurer de sa personne, la perquisition ayant été effectuée après constat, par les enquêteurs, de la fuite de l'intéressé de son domicile.

15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

16. En effet, si elle a, à juste titre, relevé que, d'une part, l'ordonnance délivrée par le juge d'instruction était régulière, d'autre part, l'urgence s'apprécie au moment où la perquisition est réalisée, il ne résulte néanmoins pas des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que les enquêteurs aient avisé préalablement le magistrat ni que celui-ci ait donné son accord, de sorte qu'il n'a pas exercé de contrôle effectif sur la mesure.

17. La cassation est de ce fait encourue.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation sera limitée aux seules dispositions de l'arrêt relatives à la perquisition réalisée au domicile de M. [E] le 13 décembre 2021, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 décembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la perquisition du 13 décembre 2021 au domicile de M. [E], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174 (3) (cassation partielle) ; Crim., 13 septembre 2022, pourvoi n° 21-87.452, Bull. crim. (2) (cassation partielle).

Crim., 29 novembre 2022, n° 22-82.615, (B), FRH

Rejet

Réquisitoire – Réquisitoire introductif – Délai de quarante-huit heures de l'article 80-5 du code de procédure pénale – Point de départ – Détermination

Le délai de quarante-huit heures visé à l'article 80-5 du code de procédure pénale doit être calculé en heures, à compter de celle à laquelle le réquisitoire introductif a été établi.

Cette heure peut se déduire de toute pièce de la procédure, aucun texte n'exigeant l'horodatage dudit réquisitoire.

M. [L] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 12 avril 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, blanchiment et refus de remettre ou de mettre en oeuvre la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 13 juillet 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une information a été ouverte par réquisitoire introductif du 31 mai 2021.

3. A cette même date, le procureur de la République, au visa de l'article 80-5 du code de procédure pénale, a autorisé les enquêteurs à poursuivre une mesure de géolocalisation de véhicule et à maintenir en place un dispositif de captation d'images.

4. M. [L] [Z] a été mis en examen des chefs susvisés le 4 juin 2021.

5. Le 3 novembre 2021, la chambre de l'instruction a été saisie de deux requêtes en annulation d'actes de la procédure, dont l'une présentée pour M. [Z].

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation du réquisitoire introductif, alors qu'en jugeant, pour contourner l'absence d'indication de l'heure sur cet acte, que le point de départ du délai de quarante-huit heures est fixé au lendemain du réquisitoire introductif, pour s'achever quarante-huit heures plus tard à 24 heures, la chambre de l'instruction a violé l'article 80-5 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

8. Pour rejeter le grief de la nullité du réquisitoire introductif, l'arrêt attaqué énonce qu'en l'absence d'un texte exigeant l'horodatage de cet acte, seule la date du réquisitoire introductif est exigée à peine de nullité.

9. En l'état de ces seuls motifs, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

10. Le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de la mesure de géolocalisation, alors qu'en l'espèce, les opérations de géolocalisation se sont poursuivies jusqu'au 2 juin 2021 à 10 heures 48 et qu'après le retrait de la balise du véhicule, celle-ci est restée active jusqu'à 15 heures 49 et 45 secondes ; qu'en ne recherchant pas si la défense était en mesure de déterminer si le délai de quarante-huit heures, au-delà duquel la mesure de géolocalisation ne pouvait plus être réalisée qu'en exécution d'une commission rogatoire délivrée par le magistrat instructeur, avait été respecté, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 81, 81-5, 151 et 152 du code de procédure pénale et le principe d'irrévocabilité de la saisine du juge d'instruction.

Réponse de la Cour

12. C'est à tort que, pour écarter le grief pris de la poursuite irrégulière des investigations, la chambre de l'instruction a retenu que le délai de quarante-huit heures visé à l'article 80-5 du code de procédure pénale relevait du régime défini par l'article 801 de ce code et en a déduit que le point de départ de ce délai est fixé au jour du réquisitoire introductif, soit en l'espèce le 31 mai 2021, pour s'achever quarante-huit heures plus tard, soit le 2 juin à 24 heures.

13. En effet, ce délai, exprimé en heures, doit être calculé en heures, à compter de celle à laquelle le réquisitoire introductif a été établi.

14. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, pour les motifs qui suivent.

15. D'une part, il se déduit de manière certaine des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que le réquisitoire introductif a été établi à 11 heures le 31 mai 2021, cette information figurant sur l'autorisation de poursuite des mesures en cours délivrée par le procureur de la République.

16. D'autre part, il ressort des pièces de cette même procédure qu'aucune des mesures dont le maintien avait été autorisé ne s'est poursuivie au-delà de l'expiration du délai de quarante-huit heures susvisé.

17. Ainsi, le moyen doit être rejeté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Quintard -

Textes visés :

Articles 80-5, 81, 81-5, 151, 152 et 801 du code de procédure pénale.

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