Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

GEOMETRE-EXPERT

Crim., 8 novembre 2022, n° 21-86.499, (B), FRH

Rejet

Exercice illégal de la profession – Eléments constitutifs – Travaux ayant directement pour objet de fixer les limites des biens fonciers – Travaux réalisés par un géomètre topographe – Accord des propriétaires – Absence d'influence

Les actes qui ont pour effet de fixer les nouvelles limites de biens fonciers et de créer des droits réels qui y seraient attachés, et participent ainsi à la rédaction des actes translatifs ou déclaratifs de propriété, relèvent du monopole des géomètres-experts.

Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer un géomètre-topographe coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, apprécie souverainement que les documents qu'il a établis ne sont pas des documents fiscaux dépourvus d'incidence foncière, mais ont, au contraire, pour effet de fixer de nouvelles limites de biens fonciers, peu important que le propriétaire actuel et le futur acquéreur en soient d'accord.

La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 8 septembre 2021, qui, pour exercice illégal de la profession de géomètre-expert, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le Conseil régional des géomètres-experts de Lyon et le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts ont fait citer la société [1] devant le tribunal correctionnel du chef d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, à raison de l'établissement, les 17 avril et 19 octobre 2015, de deux documents d'arpentage relevant du monopole des géomètres-experts.

3. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable de ces faits et ont prononcé sur les intérêts civils.

4. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

5. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi le document d'arpentage en date du 17 avril 2015, alors :

« 1°/ que l'interprétation jurisprudentielle d'une loi d'incrimination ayant pour effet, au détriment du prévenu, d'étendre le champ de cette incrimination n'est pas applicable à des faits non définitivement jugés et qui, commis antérieurement à cette nouvelle interprétation, ne constituaient pas une infraction ; qu'en se fondant sur la « lecture convergente que font les deux ordres de juridiction » des articles 1, 2, et 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 et en faisant dès lors application à la SARL [1], poursuivie pour l'établissement d'un document d'arpentage du 17 avril 2015, de l'interprétation de ces dispositions faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 (Crim., 1er septembre 2015, pourvoi n° 14-86.235, Bull. crim. 2015, n° 187) consistant à étendre l'application du délit d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert à la réalisation de certains documents d'arpentage en ce que destinés à être annexés ou à accompagner un acte translatif de propriété, ils participeraient à la rédaction de tels actes et fixeraient les limites des biens fonciers lorsque le Conseil d'Etat, qui n'a été saisi d'aucun recours contre l'arrêté du 30 juillet 2010 (JORF, 7 août 2010, NOR BCRE1018050A) ni contre la doctrine fiscale de 2012 affirmant la compétence des géomètres-topographes agréés pour établir tout document d'arpentage, n'a jamais inclus les documents d'arpentage dans le monopole avant le 1er septembre 2015 et que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation antérieure au 1er septembre 2015 avait exclu les documents d'arpentage du champ du monopole des géomètres-experts soit en rejetant, dans un arrêt de principe publié, le pourvoi contre la relaxe du prévenu auquel était reproché d'avoir établi ces documents (Crim., 16 mai 2006, pourvoi n° 05-82.870, Bull. crim. 2006, n° 134) soit en faisant droit au pourvoi de la partie civile qui distinguait néanmoins les documents pénalement poursuivis des documents d'arpentage qu'elle reconnaissait non soumis à monopole (Crim., 8 février 2011, pourvoi n° 10-83.917), la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le respect du principe de légalité des délits et des peines interdit qu'un prévenu se voit appliquer une interprétation jurisprudentielle consacrée postérieurement à la commission des faits poursuivis, ayant pour effet d'étendre le champ de la répression et non prévisible ; qu'en faisant application à la SARL [1] poursuivie pour l'établissement d'un document d'arpentage en date du 17 avril 2015 de l'interprétation faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 (Crim., 1er septembre 2015, pourvoi n° 14-86.235, Bull. crim. 2015, n° 187) des articles 1, 2 et 7 de la loi n° 46-940 du 7 mai 1946 qui était imprévisible et n'a pas pu « s'insérer » dans la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle ayant exclu les documents d'arpentage du champ du monopole des géomètres-experts soit en rejetant, dans un arrêt de principe publié, le pourvoi contre la relaxe du prévenu auquel était reproché d'avoir établi ces documents (Crim., 16 mai 2006, pourvoi n° 05-82.870, Bull. crim. 2006, n° 134) soit en faisant droit au pourvoi de la partie civile qui distinguait néanmoins les documents pénalement poursuivis des documents d'arpentage qu'elle reconnaissait non soumis à monopole (Crim., 8 février 2011, pourvoi n° 10-83.917), ce que confirmaient la modification de la doctrine fiscale dès le lendemain de l'arrêt du 1er septembre 2015 ainsi que l'envoi à la prévenue d'un courrier le 21 septembre 2015 par le service du cadastre qui, face à la modification du champ de compétences des professionnels autres que les géomètres-experts dans la doctrine fiscale, prévoyait même des dispositions transitoires autorisant le dépôt au cadastre de documents d'arpentage « accompagnant ou destinés à être suivis d'un acte notarié ou administratif », la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ; qu'en ne répondant pas explicitement au moyen tiré de l'erreur sur le droit invoqué par la prévenue et en se bornant à invoquer la hiérarchie des normes sans examiner, comme elle y était invitée, si l'information donnée par l'administration fiscale, dans sa doctrine publiée, aux professionnels qu'elle agrée sur le champ de leurs compétences concernant les documents d'arpentage servant de fondement aux poursuites et sans rechercher si cette information, alors que ni le décret n° 55-471 du 30 avril 1955 ni l'arrêté du 30 juillet 2010 (JORF, 7 août 2010, NOR BCRE1018050A) ni l'agrément délivré individuellement ne précisaient que des documents d'arpentage pouvaient relever du monopole des géomètres-experts, n'avait pas donné lieu à une erreur sur le droit au bénéfice de la prévenue, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 122-3 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que l'exercice illégal de la profession de géomètre-expert est une infraction intentionnelle, supposant la conscience et la volonté d'enfreindre le monopole des géomètres-experts ; qu'en déclarant la SARL [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi le document d'arpentage du 17 avril 2015, cependant qu'au vu du libellé des articles 1er, 2 et 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 et des articles 25 et 30 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955 qui ne prévoient pas que certains documents d'arpentage relèveraient du monopole et de leur interprétation par la chambre criminelle ayant exclu dans ses arrêts antérieurs à celui du 1er septembre 2015 ces documents du monopole, la prévenue, même en ayant recours à des conseils éclairés, ne pouvait évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, que l'établissement d'un document d'arpentage tel que celui établi le 17 avril 2015 était de nature à constituer le délit d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-3 du code pénal, 1, 2 et 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que des dispositions réglementaires peuvent autoriser la commission d'une infraction ; que l'interprétation jurisprudentielle nouvelle et imprévisible de dispositions réglementaires qui prévoient un fait justificatif ayant pour effet, au détriment du prévenu, de restreindre le champ de ce fait justificatif n'est pas applicable à des faits non définitivement jugés et commis antérieurement à cette nouvelle interprétation ; qu'en faisant application de l'interprétation jurisprudentielle des articles 25 et 30 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955 faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 selon laquelle parmi les documents d'arpentage visés par ces dispositions réglementaires, certains constituent des travaux relevant du monopole des géomètres-experts, cependant qu'antérieurement à l'arrêt de la chambre criminelle du 1er septembre 2015, les articles 25 et 30 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955 autorisaient les géomètres-topographes à établir tout document d'arpentage, la cour d'appel a violé les articles 122-4 du code pénal et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

6. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi les documents d'arpentage du 17 avril 2015 et 19 octobre 2015, alors :

« 1°/ qu'un document d'arpentage ne peut jamais fixer les limites de propriété ; qu'en relevant, pour déclarer la SARL [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour l'établissement de deux documents d'arpentage, que ces documents ont été établis afin de permettre la division d'une parcelle et l'édification d'une construction sur la nouvelle parcelle, qu'ils ont été visés dans l'acte notarié de cession de la parcelle et annexés à celui-ci et qu'ils constituaient un bornage destiné à fixer les nouvelles limites de propriété, cependant que le document d'arpentage, même annexé à un acte notarié et visé dans celui-ci, demeure un document cadastral inapte, par sa nature et son objet, à fixer des limites de propriété ainsi que l'Ordre des géomètres-experts le reconnaît lui-même, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, 25 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'un document d'arpentage ne peut jamais fixer les limites de propriété ; que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en retenant que le document d'arpentage établi le 17 avril 2015 par la prévenue était un bornage sans répondre aux conclusions d'appel se prévalant de la clause de l'acte notarié qui constatait expressément que les limites et la contenance cadastrale mentionnées dans le document annexé n'étaient qu'indicatives et que le cadastre n'était pas un document à caractère juridique mais à caractère fiscal, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1, 2, 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, 25 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le document cadastral constatant une ligne de séparation au sein d'une parcelle entre une partie que le propriétaire entend conserver et une partie qu'il entend créer en vue de sa cession ne peut jamais constituer un plan fixant les limites de biens fonciers puisqu'au jour de l'établissement du document, la parcelle au sein de laquelle une ligne de séparation a été établie appartient à un seul propriétaire ; qu'en relevant que les documents d'arpentage divisant la parcelle appartenant à un unique propriétaire en deux ou trois nouvelles parcelles créent une nouvelle limite parcellaire entre deux fonds et constituaient un bornage, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, 25 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que les propriétaires de deux fonds voisins peuvent se mettre d'accord pour fixer les limites de leurs propriétés sans faire appel à un professionnel ; qu'en retenant, après avoir constaté que les documents d'arpentage litigieux comportaient la signature du propriétaire initial et des futurs acheteurs, que ces documents constituent en réalité un bornage destiné à fixer les nouvelles limites de propriété et entrent dans le champ du monopole des géomètres-experts, l'existence d'un accord entre propriétaires ou l'absence de désaccord et de conflit étant à cet égard indifférentes au regard de l'objet et de la finalité du monopole cependant que le monopole des géomètres-experts étant accessoire par rapport à l'accord des propriétaires quant à la fixation des limites de leur propriété, le projet de division entre l'actuel propriétaire d'une parcelle et l'acheteur potentiel d'une partie de celle-ci lors de l'établissement du document d'arpentage devient, au moment de la réalisation de la cession, un bornage amiable procédant régulièrement de l'accord de propriétaires de fonds voisins, la cour d'appel a violé les articles 646 du code civil, 1 du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ; que l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 prévoit que ne sont pas opposables aux services publics pour l'exécution des travaux qui leur incombent les dispositions de son premier alinéa prévoyant que peuvent seuls effectuer les travaux prévus au 1° de l'article 1 les géomètres-experts inscrits à l'ordre ; qu'en se bornant à relever que les dispositions de la loi de 1946 avaient dans la hiérarchie des normes une valeur supérieure aux textes réglementaires invoquées par la prévenue sans rechercher comme elle y était invitée si la SARL [1], bénéficiaire d'un agrément de l'administration fiscale pour établir des documents d'arpentage et délégataire à ce titre d'une mission de service public, celui du cadastre, n'avait pas établi les documents d'arpentage litigieux en application de l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 de sorte que le monopole des géomètres-experts ne lui était pas opposable, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1, 2, 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, ensemble l'article 122-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

6°/ que ne saurait être pénalement responsable le professionnel ayant agi sur l'autorisation de l'administration qui a édicté des dispositions transitoires pour autoriser temporairement l'établissement et le dépôt d'actes enfreignant la loi pénale ; qu'en déclarant la SARL [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour l'établissement du document d'arpentage du 19 octobre 2015, cependant que la prévenue avait été autorisée par l'administration fiscale, par courrier du 21 septembre 2015 prévoyant « A titre de mesure transitoire, les documents d'arpentage en cours de confection à la date du 2 septembre 2015 c'est-à-dire les documents pour lesquels les géomètres agréés ont engagé les travaux de terrain où se sont engagés contractuellement avant cette date, pourront être déposés pour vérification et numérotage au service du cadastre jusqu'au 2 décembre 2015, quand même ils accompagneraient un tel acte », à établir un tel document et qu'elle bénéficiait à ce titre du fait justificatif de l'article 122-4 du code pénal ou à tout le moins de celui de l'article 122-3, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Les moyens sont réunis.

8. Pour confirmer le jugement ayant déclaré la prévenue coupable, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée par la loi n° 87-998 du 15 décembre 1987, et de la lecture convergente qu'en font les deux ordres de juridiction judiciaire et administratif, que les documents de modification du parcellaire cadastral ou tout autre document d'arpentage qui établit une ligne de séparation au sein d'une parcelle entre une partie que le propriétaire entend conserver et une partie qu'il entend créer en vue de sa cession, et qui a donc vocation à devenir la limite séparative de deux fonds issus de la vente, entrent dans le champ du monopole des géomètres-experts en ce qu'ils fixent les nouvelles limites de biens fonciers et créent des droits réels qui y sont attachés, leur auteur participant directement à la rédaction d'un acte translatif de propriété.

9. Les juges ajoutent qu'il en résulte, d'une part, que les géomètres-experts peuvent effectuer tous les actes fixant les limites de biens fonciers, des relevés, plans et documents topographiques, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, dès lors que ces actes concernent la définition des droits attachés à la propriété foncière, que l'opération ait un caractère amiable ou contentieux, d'autre part, que les géomètres-topographes peuvent effectuer les mesurages de superficies et descriptions et, plus généralement, toutes les opérations techniques ou études sur l'évaluation, la gestion ou l'aménagement des biens fonciers, dès lors que ces travaux sont sans incidence, directe ou non, sur la propriété foncière et ses limites.

10. Ils précisent qu'il appartient donc aux géomètres-topographes de s'assurer, préalablement au commencement de leur mission, de l'objet et de la finalité du document de délimitation qui leur est demandé.

11. Ils relèvent également que le décret n° 55-471 du 30 avril 1955 relatif à la rénovation et à la conservation du cadastre et l'arrêté du 30 juillet 2010 (JORF, 7 août 2010, NOR BCRE1018050A) fixant les modalités d'attribution des agréments pour l'exécution des travaux cadastraux ont, dans la hiérarchie des normes, une valeur moindre que la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 puisqu'il s'agit de textes réglementaires et non pas législatifs et que si les articles 25 et 30 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955 disposent que les documents d'arpentage constatant un changement de limites de propriétés, notamment par suite de divisions, lotissement, partage peuvent être réalisés par les personnes agréées à cette fin, ils ne peuvent avoir pour but ou pour effet de contrevenir aux dispositions de cette loi.

12. Ils retiennent encore qu'il ressort également de l'article 8 de l'arrêté du 30 juillet 2010 (JORF, 7 août 2010, NOR BCRE1018050A) que les personnes agréées s'interdisent de réaliser des études et travaux topographiques destinés à fixer eux-mêmes des limites des biens fonciers ou les droits qui y sont attachés, de sorte que l'agrément fiscal ne confère au géomètre agréé aucune des compétences dévolues par la loi au géomètre-expert et ne peut autoriser son titulaire à violer la loi.

13. Pour conclure ensuite que les documents du 17 avril 2015 et du 19 octobre 2015 ne constituent pas de simples arpentages, mais des bornages destinés à fixer de nouvelles limites de propriété et à en permettre le transfert, et entrent de la sorte dans le champ du monopole des géomètres-experts, les juges constatent que ces actes divisent une parcelle en plusieurs parcelles, créent une nouvelle limite parcellaire entre des fonds et comportent les signatures tant du propriétaire initial que du futur acquéreur de l'une de ces parcelles, ainsi que cela ressort des actes notariés ultérieurs qui en consacrent la vente et font expressément référence à cette division parcellaire certifiée et numérotée par le service du cadastre, qu'ils annexent. Ils en déduisent que cette division parcellaire était un préalable nécessaire à la cession de parcelles destinées à la construction et que la prévenue ne pouvait ignorer ce but au moment de l'établissement des actes. Ils précisent que l'existence ou non d'un accord entre propriétaires est indifférente au regard de l'objet et de la finalité du monopole instauré au profit des géomètres-experts.

14. Par motifs adoptés, ils énoncent également que la prévenue ne pouvait se méprendre sur la portée de la lettre de l'administration fiscale du 21 septembre 2015 autorisant à titre transitoire les géomètres-topographes agréés à déposer au cadastre les documents d'arpentage, en cours de confection au 2 septembre 2015, accompagnant un acte notarié ou destinés à être suivis d'un tel acte, que si cette lettre pouvait entretenir un certain flou, l'administration n'avait pas le pouvoir de régulariser des actes contraires à la loi en l'état d'un droit clair et constant depuis plusieurs années et que la prévenue pouvait consulter l'un de ses organismes professionnels avant de dresser des documents d'arpentage destinés à diviser des fonds et à être annexés à des actes notariés de vente, de sorte que l'erreur invincible sur le droit n'est pas établie.

15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu à tous les chefs péremptoires des conclusions de la prévenue, a justifié sa décision, sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

16. En premier lieu, elle a souverainement apprécié que les documents en cause ne consistaient pas en des documents fiscaux dépourvus d'incidence foncière, mais avaient au contraire pour effet de fixer de nouvelles limites de biens fonciers, peu important que le propriétaire actuel et le futur acquéreur soient d'accord pour la fixation de ces nouvelles limites.

17. En deuxième lieu, l'interprétation stricte des textes sur lesquels elle s'est fondée résulte non d'un arrêt qui aurait été rendu de manière imprévisible par la Cour de cassation le 1er septembre 2015 (Crim., 1er septembre 2015, pourvoi n° 14-86.235, Bull. crim. 2015, n° 187), mais de la jurisprudence dans laquelle cet arrêt s'insère, selon laquelle les actes réservés aux géomètres-experts sont ceux qui fixent les limites des biens fonciers pour l'établissement des droits réels, préparent, accompagnent ou suivent l'intervention d'un notaire et participent des actes translatifs ou déclaratifs de propriété, tandis que les actes relevant de la compétence des géomètres- topographes concernent les documents d'arpentage et tous travaux cadastraux relatifs à la situation fiscale du fonds concerné.

18. En troisième lieu, elle a caractérisé l'élément intentionnel, sans qu'il y ait lieu de distinguer, eu égard à ce qui est énoncé au paragraphe précédent, entre chacun des deux actes concernés, selon qu'il a été établi avant ou après l'arrêt du 1er septembre 2015.

19. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Samuel - Avocat général : M. Lesclous - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 591 et 593 du code de procédure pénale ; articles 122-3 et 122-4 du code pénal ; article 646 du code civil ; articles 1, 2 et 7 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946.

Rapprochement(s) :

Crim., 1er septembre 2015, pourvoi n° 14-86.235, Bull. crim. 2015, n° 187 (cassation et désignation de juridiction), et l'arrêt cité.

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