Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Crim., 16 novembre 2022, n° 22-80.807, (B), FS

Rejet

Article 6 – Principe du contradictoire – Chambre de l'application des peines – Requête sur les conditions de détention – Comparution de la personne condamnée – Application (non)

M. [H] [E] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Douai, en date du 13 janvier 2022, qui a prononcé sur sa requête portant sur les conditions de détention.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 10 décembre 2021, le juge de l'application des peines de Béthune a déclaré partiellement bien-fondée la requête de M. [H] [E] portant sur ses conditions de détention, et a dit que les conditions de détention suivantes dont il fait l'objet, sont contraires à la dignité de la personne humaine :

 - soumission à un régime de prise en charge individualisée, sans réexamen de sa situation dans les délais mentionnés dans la décision du 8 octobre 2021,

 - menottage et présence de personnel de surveillance lors des examens médicaux, lorsque le personnel médical ne l'a pas exigé,

 - absence de traduction des prescriptions médicales et de présence d'un interprète ou d'un soignant hispanophone lors des consultations médicales,

et enfin, a fixé un délai d'un mois pour permettre à l'administration pénitentiaire d'y mettre fin.

3. Le ministère public a relevé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi

4. Il y a lieu de considérer, qu'à défaut de texte législatif contraire, l'ordonnance du président de la chambre de l'application des peines statuant sur une requête sur les conditions de détention d'une personne condamnée entre dans les prévisions de l'article 712-15 du code de procédure pénale duquel il résulte que les ordonnances rendues par ce magistrat peuvent faire l'objet dans les cinq jours de leur notification, d'un pourvoi en cassation qui n'est pas suspensif.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté comme mal fondée la requête du condamné portant sur les conditions de détention actuelles, alors :

« 1°/ qu'en cas d'appel par le ministère public d'une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, la personne détenue qui avait demandé à être entendue en première instance doit être auditionnée de nouveau par le juge d'appel ; qu'au présent cas, il ressort de l'ordonnance de première instance (p. 2) que M. [E] avait demandé à être entendu par le juge ; qu'en statuant sur l'appel de cette ordonnance formé par le parquet, sans avoir organisé de nouvelle audition de la personne détenue, la présidente de la chambre de l'application des peines a violé les articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberté fondamentales ;

2°/ qu'en cas d'appel par le ministère public d'une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, la personne détenue et son avocat doivent recevoir communication de l'avis écrit déposé par le parquet devant le juge d'appel et être mis en mesure d'y répondre avant que le juge ne statue ; qu'il ressort du dossier de la procédure qu'un avis écrit de l'avocat général a été déposé le 11 janvier 2022 ; qu'il ne résulte d'aucune mention de l'ordonnance attaquée ni d'aucune pièce de la procédure que cet avis ait été communiqué à M. [E] et à son avocat ni que ces derniers aient été mis en mesure d'y répondre avant que le juge ne se prononce ; qu'en statuant ainsi, la présidente de la chambre de l'application des peines a méconnu les droits de la défense et violé les articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberté fondamentales. »

Réponse de la Cour

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

6. La procédure applicable aux requêtes en conditions indignes de détention garantit de manière suffisante le droit d'accès au juge pour les motifs qui suivent.

7. Il se déduit de la lecture combinée des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 du code de procédure pénale, d'une part, que la personne détenue peut, au moment du dépôt de sa requête, demander à comparaître devant le juge de l'application des peines, d'autre part, que, saisi d'une telle demande ce magistrat doit procéder à cette audition s'il entend rendre une décision d'irrecevabilité, et, enfin, que si la requête est déclarée recevable, l'audition doit être réalisée avant la décision sur le bien-fondé de celle-ci.

8. Devant le président de la chambre de l'application des peines, la personne détenue peut présenter toutes observations utiles, personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat, auxquelles ce magistrat est tenu de répondre.

9. Dès lors, le grief fait au président d'avoir statué sans entendre le requérant est inopérant, en ce qu'il vise l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui n'est pas applicable en matière d'exécution des peines, et doit être écarté.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

10. Le demandeur ne saurait se faire un grief du défaut de communication de l'avis écrit déposé par le ministère public devant le président de la chambre de l'application des peines au soutien de son recours, dès lors que, d'une part, l'article 803-8 du code de procédure pénale ne prévoit pas cette communication et, d'autre part, que le demandeur, informé de ce recours, n'a pas sollicité que les éventuelles observations de l'appelant lui soient communiquées.

11. Le moyen ne peut dès lors être admis.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté comme mal fondée la requête du condamné portant sur les conditions de détention actuelles, alors :

« 1°/ que constitue un traitement contraire à la dignité de la personne humaine le port de menottes ou la présence du personnel pénitentiaire durant des examens médicaux du détenu, lorsque ces mesures ne sont pas concrètement justifiées par des risques sérieux de fuite, de blessure ou de dommage ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que le menottage du détenu et la présence de personnel de surveillance lors des examens médicaux ne constituait pas des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine (ordonnance, p. 4), sans constater que ces mesures étaient concrètement justifiées par un risque sérieux de fuite, de blessure ou de dommage, la présidente de la chambre de l'application des peines n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 803-8 du code de procédure pénale et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'absence de traduction au détenu des prestations médicales qui lui sont dispensées, dans une langue qu'il comprend, constitue un traitement contraire à la dignité de la personne humaine ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs erronés que « la fourniture à un détenu, par l'administration pénitentiaire d'une traduction/ interprétation dans une langue qu'il comprend des prestations médicales qui lui sont dispensées en détention est étrangère aux prescriptions de l'article 3 de la CEDH et de l'article 803-9 du code de procédure pénale » (ordonnance, p. 5), la présidente de la chambre de l'application des peines a violé l'article 803-8 du code de procédure pénale et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Sur le second moyen, pris en sa première branche

13. Pour écarter le grief pris de l'indignité des conditions de détention du demandeur, en raison de son menottage lors d'examens médicaux et de déplacements au sein de l'établissement où il est détenu, le président de la chambre de l'application des peines relève que le personnel médical peut solliciter le menottage de la personne qui fait l'objet d'un examen ainsi que la présence de l'escorte, ce qui est justifié, en l'espèce, par le statut et le comportement passé de l'intéressé.

14. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, et dès lors que les allégations du demandeur sur son menottage lors des déplacements dans l'établissement où il est détenu ne sont plus d'actualité, le grief ne saurait être admis.

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche

15. Pour infirmer la décision du juge de l'application des peines ayant considéré comme contraire à la dignité de la personne humaine, l'absence de traduction des prescriptions médicales et de présence d'un interprète ou d'un soignant hispanophone lors des consultations médicales, l'ordonnance attaquée énonce que la fourniture à un détenu, par l'administration pénitentiaire, d'une traduction ou interprétation dans une langue qu'il comprend, des prestations médicales qui lui sont dispensées en détention est étrangère aux prescriptions de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 803-8 du code de procédure pénale.

16. En se déterminant ainsi, dès lors qu'il n'est pas contesté que M. [E] a eu accès à un traitement médical adapté à son état de santé, le président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision.

17. Ainsi, le grief doit être écarté.

18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale.

Crim., 9 novembre 2022, n° 21-85.655, (B) (R), FP

Cassation partielle et rejet

Article 6, § 1 – Délai raisonnable – Dépassement – Effets – Détermination

En application des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 802 du code de procédure pénale, la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures et, sous réserve des lois relatives à la prescription, ne constitue pas une cause d'extinction de l'action publique.

Cette méconnaissance ne constitue pas plus ni la violation d'une règle d'ordre public ou d'une règle de forme prescrite par la loi, ni l'inobservation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale dès lors qu'elle ne compromet pas en elle-même les droits de la défense. Ses éventuelles conséquences sur l'exercice de ces droits doivent en revanche être prises en compte au stade du jugement au fond selon les modalités suivantes.

Tout d'abord, il appartient au juge, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant lui, le dépérissement des preuves pouvant, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe.

Ensuite, en présence de parties civiles, le juge peut faire application du dernier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale, et décider, après avoir ordonné une expertise constatant que l'état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, qu'il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l'action civile, après avoir constaté la suspension de l'action publique et sursis à statuer sur celle-ci.

Enfin, dans le cadre de l'application des critères de l'article 132-1 du code pénal, le juge peut déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu'il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s'il constate que les conditions de l'article 132-59 du code pénal sont remplies.

Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui, après avoir constaté que le dépassement du délai raisonnable de la procédure a entraîné une atteinte définitive au droit à un procès équitable et aux droits de la défense qui fait obstacle à la poursuite du procès pénal, prononce l'annulation des poursuites ayant conduit au renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel.

Le procureur général près la cour d'appel de Versailles, MM. [E] [P] et [B] [K] ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 9e chambre, en date du 15 septembre 2021, qui, dans la procédure suivie contre les deux derniers et MM. [R] [G], [J] [A] et [X] [Z], des chefs de complicité de corruption active, recel, abus de biens sociaux, faux et usage, a prononcé l'annulation partielle des poursuites et ordonné le renvoi pour le surplus.

Par ordonnance du 30 novembre 2021, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 26 juin 2002, le procureur de la République a ouvert une information des chefs de corruption et trafic d'influence à la suite d'un signalement de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hauts-de-Seine concernant les conditions du renouvellement en 2000 de la délégation de service public de production et de distribution du chauffage du quartier de la Défense au profit de la société [2]. [S] [L], alors maire de [Localité 4] et président du syndicat intercommunal délégant, était soupçonné d'avoir fait approuver par celui-ci la décision de n'engager des négociations qu'avec l'entité [2] représentée par M. [J] [A], associé à M. [R] [G] et à M. [X] [Z], en contrepartie du versement de commissions occultes en espèces entre juin 2001 et janvier 2002.

3. De nombreux réquisitoires supplétifs ont été délivrés entre 2004 et 2005 pour des faits de recel, d'abus de biens sociaux et complicité de ce délit, de favoritisme et d'entente et de recel de ces infractions, et de faux et usage, ces derniers faits ayant été dénoncés par les consorts [F].

Par ailleurs, le 27 juin 2005, le juge d'instruction a ordonné la jonction de cette procédure avec l'information ouverte le 23 janvier 2003 du chef d'abus de biens sociaux impliquant la société [3] dirigée par M. [E] [P].

4. Six personnes, dont [S] [L], décédé le [Date décès 1] 2019, ont été mises en examen et, le 7 novembre 2019, le juge d'instruction a ordonné le renvoi de MM. [G], [A], [Z], [P] et [K] devant le tribunal correctionnel qui a annulé l'ensemble de la procédure d'enquête et d'information, par un jugement du 11 janvier 2021 à l'encontre duquel le ministère public et les parties civiles ont interjeté appel.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. [P], contestée en défense par les consorts [F]

5. L'existence d'un mandat d'arrêt décerné à l'encontre de M. [P] est sans incidence sur la recevabilité de son pourvoi.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième et cinquième moyens proposés par le procureur général et le moyen proposé pour MM. [P] et [K], pris en ses première et troisième branches

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le quatrième moyen proposé par le procureur général

Enoncé du moyen

7. Le quatrième moyen proposé par le procureur général est pris de la violation des articles préliminaire, 427, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale.

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé les poursuites ayant conduit au renvoi de MM. [G], [A] et [Z] devant le tribunal correctionnel de Nanterre ainsi qu'à celui de MM. [P] et [K] pour les faits en relation avec le volet de l'affaire relatif à des faits de corruption, alors :

1°/ que la méconnaissance de la recommandation énoncée à l'article préliminaire du code de procédure pénale relative au respect d'un délai raisonnable pour statuer sur l'accusation d'une personne ne porte pas nécessairement atteinte aux principes de fonctionnement de la justice pénale et aux droits de la défense et ne compromet pas irrémédiablement l'équité du procès et l'équilibre des droits des parties et est en tout état de cause sans incidence directe sur la validité des procédures ;

2°/ que l'impossibilité pour la cour d'appel d'interroger personnellement des témoins à charge ou des co-prévenus ou de permettre aux parties de les interroger ou de les faire interroger n'est pas de nature à entraîner la nullité de la procédure et ne porte pas nécessairement atteinte au respect des droits de la défense.

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire et 802 du code de procédure pénale :

9. L'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce le droit de tout accusé de voir sa cause jugée par un tribunal dans un délai raisonnable, une fois le processus judiciaire entamé. Ce droit trouve son assise dans la nécessité de veiller à ce qu'un accusé ne demeure pas trop longtemps dans l'incertitude de la solution réservée à l'accusation pénale qui sera portée contre lui (CEDH, arrêt du 3 décembre 2009, Kart c. Turquie, n° 8917/05, § 68).

10. Le moyen pose la question des conséquences du dépassement du délai raisonnable sur la validité de la procédure.

11. La Cour de cassation juge de manière constante que le dépassement du délai raisonnable défini à l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans incidence sur la validité de la procédure. Il ne saurait conduire à son annulation et, sous réserve des lois relatives à la prescription, il ne constitue pas une cause d'extinction de l'action publique (Crim., 3 février 1993, pourvoi n° 92-83.443, Bull. crim. 1993, n° 57 ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi n° 21-81.656, publié au Bulletin).

12. Il résulte du paragraphe 9 que le droit à être jugé dans un délai raisonnable protège les seuls intérêts des personnes concernées par la procédure en cours.

La méconnaissance de ce droit ne constitue donc pas la violation d'une règle d'ordre public. Elle ne constitue pas davantage la violation d'une règle de forme prescrite par la loi à peine de nullité, ni l'inobservation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale.

En effet, elle ne compromet pas en elle-même les droits de la défense, ses éventuelles conséquences sur l'exercice de ces droits devant en revanche être prises en compte au stade du jugement au fond, dans les conditions indiquées aux paragraphes 23 à 26.

13. Au demeurant, en cas d'information préparatoire, l'article 385 du code de procédure pénale prévoit que, lorsque la juridiction est saisie par l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du juge d'instruction, les parties sont irrecevables à invoquer devant la juridiction de jugement des exceptions de nullité de la procédure antérieure, dès lors que ladite ordonnance purge les vices de la procédure en application de l'article 179, alinéa 6, du même code (Crim., 26 mai 2010, pourvoi n° 10-81.839, Bull. crim. 2010, n° 95).

En vertu du même texte, les juridictions de jugement, lorsqu'elles constatent une irrégularité de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, n'ont pas qualité pour l'annuler mais peuvent seulement renvoyer l'affaire au ministère public pour saisine du juge d'instruction aux fins de régularisation de cet acte (Crim., 13 juin 2019, pourvoi n° 19-82.326, Bull. crim. 2019, n° 112).

14. Enfin, la durée excessive d'une procédure ne peut aboutir à son invalidation complète, alors que chacun des actes qui la constitue est intrinsèquement régulier.

15. Ces règles ne méconnaissent aucun principe conventionnel.

16. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme juge que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d'une procédure sont effectifs au sens de l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (CEDH, arrêt du 24 janvier 2017, Hiernaux c. Belgique, n° 28022/15, § 45).

17. Elle n'a jamais estimé qu'une méconnaissance du droit d'être jugé dans un délai raisonnable constituait une atteinte aux droits de la défense.

18. Plusieurs mécanismes de droit interne répondent aux exigences conventionnelles.

19. Tout d'abord, au stade de l'information, les articles 221-1 à 221-3 du code de procédure pénale permettent aux parties, sous certaines conditions, et au président de la chambre de l'instruction qui, en vertu de l'article 220 du même code, s'emploie à ce que les procédures ne subissent aucun retard injustifié, de saisir cette juridiction, qui, après évocation, peut poursuivre elle-même l'information, ou la clôturer ou la confier à un autre juge d'instruction.

20. Ensuite, en vertu de l'article 175-1 du même code, une partie peut demander au juge d'instruction la clôture de l'information.

21. Enfin, l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire prévoit la possibilité, pour la partie concernée, d'engager la responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice, en particulier en cas de dépassement du délai raisonnable (1re Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.955, Bull. 2010, I, n° 219).

22. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que doit être maintenu le principe selon lequel la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures.

23. Par conséquent, la juridiction de jugement qui constate le caractère excessif de la durée de la procédure ne peut se dispenser d'examiner l'affaire sur le fond. Dans cet office, elle dispose de plusieurs voies de droit lui permettant de prendre cette situation en compte.

24. Tout d'abord, il lui appartient, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant elle. Elle doit, à ce titre, prendre en considération l'éventuel dépérissement des preuves imputable au temps écoulé depuis la date des faits, et l'impossibilité qui pourrait en résulter, pour les parties, d'en discuter la valeur et la portée. Ainsi, elle doit appliquer le principe conventionnel selon lequel une condamnation ne peut être prononcée sur le fondement d'un unique témoignage émanant d'un témoin auquel le prévenu n'a jamais été confronté malgré ses demandes.

Le dépérissement des preuves peut, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe.

25. Ensuite, selon le dernier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale, en présence de parties civiles, lorsqu'il constate que l'état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, le juge peut, d'office ou à la demande des parties, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu'il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l'action civile, après avoir constaté la suspension de l'action publique et sursis à statuer sur celle-ci.

26. Enfin, dans le cadre de l'application des critères de l'article 132-1 du code pénal, le juge peut déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu'il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s'il constate que les conditions de l'article 132-59 du code pénal sont remplies.

27. En l'espèce, pour annuler les poursuites ayant conduit au renvoi de MM. [G], [A] et [Z] devant le tribunal correctionnel, et de MM. [P] et [K] pour « les faits en relation avec le volet corruption », l'arrêt attaqué énonce que l'évaluation globale du déroulement de la procédure qui a duré près d'une vingtaine d'années, en fonction de la complexité de l'affaire, du comportement des parties et des autorités compétentes, permet de retenir que la procédure a excédé un délai raisonnable.

28. L'arrêt souligne ensuite que ce dépassement empêche MM. [G] et [A], qui n'en ont plus la capacité physique et intellectuelle, de participer à leur procès, de suivre les débats et de les commenter, de vérifier l'exactitude de leurs moyens de défense et de les comparer aux déclarations des autres prévenus, victimes ou témoins, d'être confrontés à ceux-ci et d'exercer de manière effective les droits de la défense, ces manquements ne pouvant être compensés par la représentation des prévenus par leur avocat à l'audience, et que les faits de corruption, abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux ne pouvant être débattus contradictoirement à l'audience, les intéressés se verraient privés de leur droit à un procès équitable.

29. Les juges relèvent encore que si M. [Z] est capable d'assister à son procès, il ne pourra répondre des infractions qui lui sont reprochées en l'absence de [S] [L] et de MM. [G] et [A], qu'il lui appartiendrait de se défendre seul sur l'ensemble des faits, y compris sur des questions pour lesquelles il ne peut s'expliquer en lieu et place des personnes concernées, que n'étant pas en mesure de répondre utilement aux déclarations de certains témoins avec lesquels il n'a jamais eu le moindre échange, il devrait réfuter les accusations portées à l'encontre de chacun des trois autres prévenus sans pouvoir leur être confronté et en étant privé de toute possibilité de voir corroborer ses déclarations.

30. Ils ajoutent qu'il en est de même pour MM. [P] et [K] qui, s'ils sont capables d'assister à leur procès, seraient privés de débats contradictoires et ne pourraient, en l'absence des principaux mis en cause, exercer de manière effective les droits de la défense.

31. S'agissant des conséquences du constat du caractère déraisonnable de la procédure, de l'atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et à l'équilibre des droits des parties, ainsi qu'aux droits de la défense, pour MM. [G], [A] et [Z], la cour d'appel, après avoir constaté que la procédure relative aux faits en relation avec le « volet corruption » viole la norme d'un délai raisonnable et porte atteinte de façon irrémédiable à l'ensemble des principes de fonctionnement de la justice pénale, notamment le respect des droits de la défense et des règles d'administration de la preuve, conclut qu'elle ne peut participer elle-même à cette violation en laissant se poursuivre un procès dépourvu de tout caractère équitable.

32. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé au paragraphe 22.

33. D'une part, elle a déduit faussement de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article préliminaire du code de procédure pénale qu'elle devait annuler les poursuites.

34. D'autre part, elle n'a pas statué sur le bien-fondé de la prévention au regard des éléments qui lui étaient soumis conformément à l'article 427 du code de procédure pénale.

35. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le moyen proposé pour MM. [P] et [K], pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

36. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a évoqué s'agissant des faits de faux et usage de faux, d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société [3] reprochés à MM. [P] et [K] et a renvoyé pour que ces derniers soient jugés au fond de ces chefs, alors :

« 2°/ qu'en se bornant, pour évoquer et permettre le jugement de MM. [P] et [K] des chefs de faux et usage de faux, d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux commis au préjudice de [3], à énoncer que « le délai déraisonnable de la procédure, quoique caractérisé, ne porte pas atteinte aux droits de la défense de MM. [P] et [K] qui sont en capacité de les exercer de manière effective », quand l'exercice effectif de ces droits suppose que MM. [P] et [K] puissent faire interroger des témoins et mis en cause, ce que l'écoulement du temps et la violation de l'exigence de délai raisonnable les empêchent de faire, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

37. La cassation prononcée sur le pourvoi du procureur général rend inopérant le grief.

Portée et conséquences de la cassation

38. L'arrêt est cassé en toutes ses dispositions sauf celles ayant ordonné le renvoi à l'égard de MM. [P] et [K] pour être jugés des chefs d'abus de biens sociaux, de recel, de faux et d'usage.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par MM. [P] et [K] :

Les REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par le procureur général :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 15 septembre 2021, en toutes ses dispositions sauf celles ayant ordonné le renvoi à l'égard de MM. [P] et [K] pour être jugés des chefs d'abus de biens sociaux, de recel, de faux et d'usage ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Fixe à 2 500 euros la somme globale que MM. [P] et [K] devront verser aux consorts [F] et à la société [3] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Spinosi ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles préliminaire et 802 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 24 avril 2013, pourvoi n° 12-82.863, Bull. crim. 2013, n° 100 (cassation), et l'arrêt cité ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi n° 21-81.656, Bull. crim., Ass. plén. (rejet) ; Cf. : CEDH, arrêt du 3 décembre 2009, Kart c. Turquie, n° 8917/05 ; CEDH, arrêt du 24 janvier 2017, Hiernaux c. Belgique, n° 28022/15.

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