Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

PEINES

Crim., 9 novembre 2021, n° 20-84.394, (B)

Rejet

Exécution – Peine privative de liberté – Détention provisoire – Effets – Déduction de la durée de la peine prononcée – Domaine d'application – Détention provisoire subie à l'étranger pour des faits jugés en France – Conditions – Détention assimilable à une détention provisoire – Détention ordonnée dans le cadre d'une procédure suivie à l'étranger pour tout ou partie des faits jugés ultérieurement en France

Si l'article 716-4 du code de procédure pénale n'exclut pas de son domaine d'application une détention subie à l'étranger, pourvu qu'elle soit assimilable à une détention provisoire au sens dudit code, encore faut-il que cette détention ait été ordonnée dans le cadre d'une procédure suivie à l'étranger pour tout ou partie des faits jugés ultérieurement en France. Dans le cas où aucune dénonciation officielle permettant de s'assurer de la réunion de ces conditions n'aurait été faite par l'autorité étrangère, il incombe au requérant d'établir qu'il a fait l'objet d'une détention répondant à ces conditions. Doit être approuvé l'arrêt de la cour d'appel qui, pour rejeter la requête du requérant qui soutenait qu'ayant été arrêté pour sa participation au djihad armé et détenu par les forces armées américaines à la prison militaire de Bagram en Afghanistan pendant près de dix-neuf mois, cette période de détention devait être déduite de la durée de la peine prononcée contre lui par une juridiction française pour association de malfaiteurs terroriste, énonce que, d'une part, cette période de détention n'a été accomplie ni en vertu d'un mandat d'amener ou d'arrêt délivré par l'autorité judiciaire française et mis en oeuvre par l'autorité judiciaire afghane ni d'une procédure d'extradition sollicitée par la première et acceptée par la seconde, d'autre part, si l'arrestation et la détention en Afghanistan du requérant ont pu être causées en raison de faits qui, par la suite, ont conduit, avec d'autres, à sa condamnation en France, elle n'ont été initiées et subies ni dans le cadre d'une procédure française ni dans le cadre d'une enquête ou d'une information d'une autorité judiciaire étrangère, qui aurait dénoncé les faits à l'autorité judiciaire française et conduit à sa condamnation en France.

M. [V] [N] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 8-2, en date du 9 juillet 2020, qui a rejeté sa requête en incident contentieux d'exécution.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [N] [E] a été arrêté par les forces armées de la coalition internationale pour sa participation au djihad armé dans les rangs des talibans et détenu par les forces armées américaines, à qui il a été remis, à la prison militaire de Bagram en Afghanistan pendant près de dix-neuf mois.

3. Il a été remis aux autorités françaises par les autorités américaines, le 19 mai 2014.

L'intéressé a alors été placé en garde à vue puis, après ouverture d'une information judiciaire, placé en détention provisoire à compter du 22 mai 2014.

4. Par jugement du 20 avril 2016, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable de faits d'association de malfaiteurs terroriste et l'a condamné à neuf ans d'emprisonnement, assortis d'une période de sûreté des deux tiers.

L'intéressé a été maintenu en détention.

5. L'intéressé a formé une requête en difficulté d'exécution, le 4 juillet 2019, tendant à ce que la période de détention effectuée à la prison de Bagram soit imputée sur la peine prononcée par le tribunal.

6. Par jugement du 22 octobre 2019, les premiers juges ont rejeté ladite requête.

7. M. [N] [E] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en difficulté d'exécution formée par M. [N] [E], alors :

« 1°/ que le recours à la visioconférence n'est pas prévu devant la cour d'appel, lorsqu'elle est saisie d'une requête en difficulté d'exécution ; qu'en ayant toutefois recours à la visioconférence, la cour d'appel a violé l'article 706-71 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause, lorsqu'il est recouru à la visioconférence devant le tribunal correctionnel, l'accord des parties est nécessaire ; qu'en y ayant recours, sans relever que M. [N] [E] l'aurait accepté, la cour d'appel a violé l'article 706-71 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que le requérant a comparu par visioconférence à l'audience du 11 juin 2020, au cours de laquelle les débats se sont déroulés en présence de son avocat. Aucune des parties ne s'est alors opposée à ce mode de comparution.

10. Préalablement, lors de l'audience du 21 février 2020, l'intéressé avait accepté de comparaître par ce moyen de télécommunication audiovisuelle, ainsi qu'il résulte de la note d'audience, comme la Cour de cassation a pu s'en assurer.

11. Dès lors, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués.

12. En effet, en premier lieu, il résulte de l'article 712 du code de procédure pénale que la juridiction saisie d'un incident contentieux relatif à l'exécution d'une sentence peut décider de faire application des dispositions de l'article 706-71 du même code.

13. En second lieu, s'il résulte du 3e alinéa de ce texte que le requérant devait donner son accord pour qu'il soit recouru à la visioconférence, cet accord, valablement donné lors de l'audience du 21 février 2020, ne pouvait, en application de l'article 706-71-1 de ce code, être repris.

14. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en difficulté d'exécution formée par M. [N] [E], alors :

« 1°/ que la détention provisoire subie à l'étranger pour des faits jugés en France est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée ; que M. [N] [E] faisait valoir que la période de détention provisoire accomplie en Afghanistan pour les mêmes faits que ceux pour lesquels il a été condamné devait être prise en compte dans le calcul de la peine restant à effectuer ; qu'en rejetant la requête de M. [N] [E] au motif que sa détention n'a pas été accomplie en vertu d'un mandat d'amener ou d'arrêt délivré par l'autorité judiciaire française et mis en oeuvre par l'autorité judiciaire afghane ou encore d'une procédure d'extradition sollicitée par la première et acceptée par la seconde et que si l'arrestation et la détention de M. [N] [E] ont pu être causées en raison de faits qui, par la suite ont conduit, avec d'autres, à sa condamnation en France, elles n'ont été initiées et subies ni dans le cadre d'une enquête ou d'une information judiciaire placées sous les autorité et contrôle de la justice française, ni dans le cadre d'enquête ou d'information d'une quelconque autre autorité française qui aurait dénoncé les faits à l'autorité judiciaire française et conduit à sa condamnation en France, quand ces circonstances ne conditionnaient pas l'application de l'article 716-4 du code de procédure pénale, en présence d'une détention provisoire subie à l'étranger pour des faits jugés en France, la cour d'appel a méconnu cette disposition ;

2°/ qu'en tout état de cause, la détention provisoire subie à l'étranger pour des faits jugés en France est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée ; qu'en ne recherchant pas s'il ne résultait pas de la circonstance que l'enquête avait été ouverte en France le 29 octobre 2012, suite à sa capture le 17 octobre 2012 et de la visite des officiers français venus l'interroger que la détention de M. [N] [E] au sein de la prison de Bagram s'était déroulée sous le contrôle de l'autorité judiciaire française et dans le cadre d'une procédure française, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale.»

Réponse de la Cour

16. Pour rejeter la requête de M. [N] [E], l'arrêt énonce que la détention de l'intéressé en Afghanistan n'a nullement été accomplie en vertu d'un mandat d'amener ou d'arrêt délivré par l'autorité judiciaire française et mis en oeuvre par l'autorité judiciaire afghane ou encore d'une procédure d'extradition sollicitée par la première et acceptée par la seconde.

17. Les juges ajoutent que si l'arrestation et la détention en Afghanistan du requérant ont pu être causées en raison de faits qui, par la suite, ont conduit, avec d'autres, à sa condamnation en France, elle n'ont été initiées et subies ni dans le cadre d'une enquête ou d'une information judiciaire placées sous les autorité et contrôle de la justice française ni dans le cadre d'une enquête ou d'une information d'une quelconque autorité judiciaire étrangère, qui aurait dénoncé les faits à l'autorité judiciaire française et conduit à sa condamnation en France.

18. La cour d'appel conclut que la détention effectuée par le requérant ne s'entend pas d'une détention provisoire au sens du code de procédure pénale.

19. En prononçant par ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision.

20. En effet, si l'article 716-4 du code de procédure pénale n'exclut pas de son domaine d'application une détention subie à l'étranger, pourvu qu'elle soit assimilable à une détention provisoire au sens dudit code, encore faut-il que cette détention ait été ordonnée dans le cadre d'une procédure suivie à l'étranger pour tout ou partie des faits jugés ultérieurement en France.

21. Dans le cas où aucune dénonciation officielle permettant de s'assurer de la réunion de ces conditions n'aurait été faite par l'autorité étrangère, il incombe au requérant d'établir qu'il a fait l'objet d'une détention répondant à ces conditions.

22. En l'espèce, la cour d'appel a implicitement mais nécessairement écarté l'argumentation selon laquelle l'audition de M. [N] [E] par des représentants des autorités françaises lors de sa détention en Afghanistan permettrait de caractériser l'existence dès ce stade d'une procédure.

23. Ainsi, le moyen ne saurait être admis.

24. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Bonnal (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Barbier - Avocat général : M. Lesclous - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles 712, 706-71 et 706-71-1 du code de procédure pénale ; article 716-4 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 5 octobre 2011, QPC n° 11-90.087, Bull. crim. 2011, n° 196 (Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel) ; Crim., 13 mars 2013, pourvoi n° 12-83.024, Bull. crim. 2013, n° 64 (rejet).

Crim., 4 novembre 2021, n° 21-80.413, (B)

Rejet

Peines complémentaires – Abus de faiblesse – Interdiction d'exercice de la profession – Profession de prêtre – Possibilité

En application de l'article 223-15-3 du code pénal, toute personne coupable d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse encourt la peine d'interdiction d'exercice de la profession ou de l'activité dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.

Doit être approuvée la décision d'une cour d'appel qui prononce à l'encontre d'un prêtre, reconnu coupable d'abus de faiblesse, l'interdiction pendant cinq ans d'exercer la profession de prêtre, les dispositions précitées n'excluant pas les activités relevant d'un ministère sacerdotal.

Mme [C] [B] et M. [E] [O] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 12 novembre 2020, qui a condamné, la première, pour non dénonciation de mauvais traitements, à huit mois d'emprisonnement avec sursis, le second, pour violences et abus de faiblesse, à trois ans d'emprisonnement, 100 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction d'activité, cinq ans d'interdiction des droits civils, civiques et de famille, a ordonné des mesures de confiscation et de publication et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête a été diligentée à la suite de la dénonciation, par M. [H] [V], de faits d'abus de faiblesse dont avaient été victimes ses tantes, Mme [F] [V] et [J] [V].

3. M. [E] [O], prêtre, a été poursuivi des chefs d'abus de faiblesse sur les personnes de [J] [V] et de Mme [F] [V] ainsi que de violences sur cette dernière ; Mme [C] [B] a été poursuivie du chef de non dénonciation des mauvais traitements infligés à Mme [F] [V], personne vulnérable.

4. Le tribunal correctionnel a reconnu les prévenus coupables.

5. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième moyens, et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [O] à la peine principale de trois ans d'emprisonnement, l'a condamné au paiement d'une amende de 100 000 euros, a prononcé l'interdiction d'exercer pendant cinq ans les fonctions de prêtre, a ordonné la confiscation des sommes saisies sur ses comptes bancaires de M. [O] selon ordonnance du juge d'instruction du 13 juillet 2016, soit 25 766 euros, a prononcé à l'encontre de M. [O] l'interdiction des droits civils, civiques et de famille pendant cinq ans et a ordonné la diffusion, dans le prochain bulletin à paraître des paroisses du pays de Cernay, du dispositif pénal de l'arrêt en ce qu'il concerne M. [O] alors :

« 2°/ qu'en prononçant contre M. [O] « l'interdiction d'exercer pendant cinq ans les fonctions de prêtre », quand la prêtrise ne constitue pas une activité professionnelle ou sociale mais un ministère sacerdotal et quand celui-ci procède de la liberté de culte, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel de laïcité et les articles 9 de la Convention des droits de l'homme, 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905, 131-27 et 223-15-3 du code pénal. »

Réponse de la Cour

8. Pour prononcer à l'encontre du prévenu l'interdiction d'exercer la profession de prêtre pendant cinq ans, l'arrêt énonce que les faits d'abus de faiblesse ont été commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de prêtre qui lui ont permis de s'introduire auprès des soeurs [V] qu'il fréquentait de manière régulière et qui avaient toute confiance en lui.

9. En statuant ainsi, dès lors que, selon l'article 223-15-3 du code pénal, les personnes physiques déclarées coupables d'abus de faiblesse encourent la peine complémentaire de l'interdiction d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, et qu'aucune disposition n'en excepte un ministère sacerdotal, la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen.

10. Le moyen ne peut, en conséquence, être admis.

11. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Issenjou - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat ; articles 131-27 et 223-15-3 du code pénal.

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