Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MINEUR

Crim., 10 novembre 2021, n° 20-84.861, (B)

Cassation

Instruction – Renseignements socio-éducatifs – Questions portant sur les faits – Notification du droit de se taire – Défaut – Effets – Annulation partielle du recueil de renseignements socio-éducatifs

Il se déduit de l'article 6, §§ 1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que toute personne poursuivie doit, avant d'être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, être avertie de son droit de garder le silence, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées. Encourt la censure la cour d'appel qui écarte l'irrégularité tenant à l'absence de notification faite au mineur de son droit au silence, alors qu'il lui appartenait de prononcer l'annulation partielle du recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE), prévu par l'article 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, en cancellant les passages relatifs aux déclarations et aux réponses faites par le mineur aux questions portant sur les faits.

Instruction – Renseignements socio-éducatifs – Questions par les services éducatifs en vue d'élaborer le rapport – Notification du droit de se taire – Défaut – Effet

En revanche, le mineur peut être entendu hors la présence de son avocat, et sans que ce dernier ait été appelé, lorsqu'il est interrogé par l'éducateur chargé d'élaborer ce rapport établi par les services éducatif dépendant de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, lequel n'a pas pour objet de recueillir des éléments de preuve portant sur la matérialité des faits. Dès lors, n'encourt pas la censure la cour qui dit que l'absence d'assistance par un avocat du mineur interrogé par cet éducateur ne saurait entraîner l'annulation du RRSE que ce dernier établit.

[T] [S], d'une part, M. [C] [S] et Mme [F] [S], agissant tous deux en leur qualité de civilement responsables de leur enfant mineur [T] [S], d'autre part, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers, en date du 6 mai 2020, qui, dans l'information suivie contre lui, du chef de vol aggravé, a prononcé sur une demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 2 novembre 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 23 mai 2019, le juge des enfants a mis en examen [T] [S], né le [Date naissance 1] 2004, pour avoir, entre le 1er et le 3 juin 2018, commis un vol par effraction.

3. Au préalable, un service éducatif relevant de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse avait établi, le 24 avril 2019, un recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE), au sens de l'article 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 qui le prévoit. A cette occasion, le mineur avait été interrogé sur son positionnement quant aux faits reprochés.

Le rapport a conclu à l'absence de nécessité d'une mesure éducative.

4. Le 21 novembre 2019, [T] [S] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en nullité de la procédure, au motif que, lors de l'entretien ayant précédé l'établissement du RRSE, l'éducateur avait évoqué les faits avec lui sans qu'il ait été averti de son droit de garder le silence ni de son droit à l'assistance d'un avocat.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré mal fondée et rejeté la requête en nullité déposée par le conseil de [T] [S], alors « que le service de la protection judiciaire de la jeunesse, désigné par le juge à l'effet d'établir le rapport prévu par l'article 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, ne peut entendre le mineur, objet d'une information judiciaire, sur les faits qui sont reprochés à ce dernier sans que celui-ci ait été préalablement informé de ces faits, de son droit de garder le silence et de son droit d'être assisté d'un avocat, et sans bénéficier de l'assistance effective de son avocat ; qu'à défaut, le rapport encourt l'annulation ; qu'en décidant le contraire, au prétexte que le rapport en question est propre à la justice des mineurs, qu'il ne se confond pas avec l'enquête sur la personnalité prévue par le code de procédure pénale et qu'il vise à formuler une proposition éducative et à permettre au juge d'en apprécier la pertinence, ce qui nécessite de recueillir la position du mineur sur les faits, la chambre de l'instruction a violé le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ainsi que les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire du code de procédure pénale et 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 171 et 174 du code de procédure pénale :

6. Il se déduit des stipulations conventionnelles précitées que toute personne poursuivie doit, avant d'être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, être avertie de son droit de garder le silence, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées.

7. Selon les textes susvisés du code de procédure pénale, il y a nullité lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.

La chambre de l'instruction décide, en cas d'annulation, si celle-ci doit être limitée à tout ou partie des actes ou pièces de la procédure viciée ou s'étendre à tout ou partie de la procédure ultérieure.

Les actes ou pièces de la procédure annulés sont retirés du dossier et classés au greffe de la cour d'appel.

Les actes ou pièces de la procédure partiellement annulés sont cancellés après qu'a été établie une copie certifiée conforme à l'original qui est classée au greffe de la cour d'appel.

8. Par décision n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré le premier alinéa de l'article 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, contraire à la Constitution en ce qu'il ne prévoit pas l'information donnée au mineur, interrogé par l'agent compétent du service de la protection judiciaire de la jeunesse, de son droit de se taire, lors de l'établissement du RRSE.

9. Il a cependant ajouté que ladite déclaration ne prendrait effet qu'au 30 septembre 2021 et que les mesures prises avant la publication de cette décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

10. Pour rejeter la requête en annulation de la procédure, la chambre de l'instruction énonce que le RRSE doit inclure des éléments sur les faits afin de permettre aux services éducatifs de formuler, en toute connaissance de cause, aux autorités judiciaires une proposition éducative, dans l'intérêt du mineur, certaines mesures pouvant être mises en oeuvre dans ce cadre, comme la réparation présententielle, nécessitant que les faits ne soient pas formellement contestés. Elle en déduit que le recueil de renseignements doit comporter une partie relative à la position du mineur sur les faits.

11. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'encourt pas la censure en ce qu'elle a dit que l'absence d'assistance, par un avocat, du mineur interrogé par l'agent des services de la protection judiciaire de la jeunesse ne saurait entraîner l'annulation du RRSE que ce dernier établit.

12. En effet, le mineur peut être entendu hors la présence de son avocat, et sans que ce dernier ait été appelé, lorsqu'il est interrogé par l'éducateur chargé d'élaborer ce rapport, lequel n'a pas pour objet de recueillir des éléments de preuve portant sur la matérialité des faits qui lui sont reprochés.

13. En revanche, en écartant l'irrégularité en raison de l'absence de notification faite au mineur de son droit au silence, alors qu'il lui appartenait de prononcer l'annulation partielle du rapport établi par les services éducatifs en cancellant les passages relatifs aux déclarations et aux réponses faites par le mineur aux questions portant sur les faits, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés.

14. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers, en date du 6 mai 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Barbé - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles 6, §§ 1 et 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 ; articles 171 et 174 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur les droits de la personne soupçonnée lors des entretiens d'examen de la personnalité : Crim., 12 avril 2016, pourvoi n° 15-86.298, Bull. crim. 2016, n° 129 (cassation) ; Cf. : Cons. const., 9 avril 2021, décision n° 2021-894 QPC.

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