Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES

Crim., 17 novembre 2021, n° 21-80.567, (B)

Rejet

Droits de la défense – Débats – Juridiction correctionnelle appelée à statuer uniquement sur la peine – Notification du droit de se taire (non)

Les dispositions de l'article 406 du code de procédure pénale relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales ne sont pas applicables devant la juridiction correctionnelle lorsque celle-ci est appelée à se prononcer uniquement sur les peines.

M. [G] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bourges, chambre correctionnelle, en date du 7 janvier 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 1er avril 2020, pourvoi n° 19-83.947), pour escroquerie, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé une mesure de confiscation.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [G] [I] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs de faux, usage de faux, escroquerie et fausse déclaration en vue de l'obtention de prestations sociales.

3. Sur appel du jugement l'ayant condamné, par arrêt du 18 mai 2016, la cour d'appel a constaté l'extinction de l'action publique s'agissant du délit de fausse déclaration pour l'obtention de prestations sociales et a confirmé le jugement pour le surplus.

4. Cette décision a été cassée par arrêt du 25 octobre 2017, mais en ses seules dispositions relatives aux délits de faux et usage et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

5. La cour d'appel de renvoi, par arrêt du 25 avril 2019, a relaxé M. [I] des chefs de faux et usage et, ayant constaté le caractère définitif des dispositions du jugement relatives à la déclaration de culpabilité du chef d'escroquerie, a condamné le prévenu à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et 7 000 euros d'amende.

6. Un nouveau pourvoi ayant été formé, la Cour de cassation, par arrêt en date du 1er avril 2020 a cassé cet arrêt, mais en ses seules dispositions relatives aux peines.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné à une peine de trente mois d'emprisonnement, assorti d'un sursis probatoire d'une durée de trois ans, alors « que faute d'avoir informé le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, la cour d'appel a violé les articles 406 et 512 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Les dispositions de l'article 406 du code de procédure pénale relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales, qui ont pour objet d'empêcher qu'une personne prévenue d'une infraction ne contribue à sa propre incrimination, ne sont pas applicables devant la juridiction correctionnelle lorsque celle-ci est appelée à se prononcer uniquement sur les peines.

9. En conséquence, le moyen, inopérant, doit être écarté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article 406 du code de procédure pénale.

Crim., 23 novembre 2021, n° 20-80.675, (B)

Cassation partielle

Droits de la défense – Débats – Prévenu – Notification du droit de se taire – Défaut – Atteinte nécessaire aux intérêts du prévenu – Notification tardive – Atteinte aux intérêts du prévenu qui a déjà pris la parole

Selon l'article 406 du code de procédure pénale, le président ou l'un des assesseurs par lui désigné, après avoir constaté son identité et donné connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal correctionnel, informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. Ces dispositions sont applicables devant la chambre des appels correctionnels par l'effet des dispositions de l'article 512 du même code.

En l'absence de l'information exigée par l'article 406 précité, une atteinte aux intérêts du prévenu, au sens des articles 802 et 171 du code de procédure pénale, est nécessairement caractérisée.

En cas de notification tardive, une telle atteinte est également caractérisée lorsque le prévenu prend la parole avant d'avoir reçu cet avertissement.

Si c'est à tort que la cour d'appel n'a procédé à cette notification qu'après les débats tenus sur une exception de nullité, l'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de procédure que le prévenu ait pris la parole à ce stade des débats.

M. [L] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 10 décembre 2019, qui, pour rébellion, refus de se soumettre à des prélèvements biologiques et à des relevés signalétiques et dissimulation volontaire du visage lors d'une manifestation, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 11 mars 2019, le tribunal correctionnel a déclaré M. [L] [P] coupable des faits ci-dessus mentionnés, commis à l'occasion d'une manifestation du mouvement dit des « gilets jaunes », le 16 février 2019, à Marseille, et a prononcé des peines ainsi que sur les intérêts civils.

3. Le prévenu a interjeté appel de cette décision, ainsi que le ministère public.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable de rébellion, de refus de se soumettre à des relevés signalétiques par prise d'empreintes digitales, palmaires ou de photographies, et de dissimulation volontaire de son visage dans des circonstances faisant craindre un trouble à l'ordre public, et a statué sur la peine et sur les intérêts civils, alors « que le prévenu doit être informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; que la protection des droits de la défense recherchée par le texte n'est assurée que si le prévenu est informé de ce droit à l'ouverture de l'audience avant tout débat, y compris sur les exceptions de nullité ; qu'en l'espèce, M. [P] n'ayant été informé de son droit de garder le silence qu'après que l'incident soulevé par lui, tiré de la nullité de la procédure de première instance, a été plaidé et joint au fond, l'arrêt encourt la nullité pour violation des articles 406 et 512 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 406 du code de procédure pénale, le président ou l'un des assesseurs par lui désigné, après avoir constaté son identité et donné connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal correctionnel, informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

6. Ces dispositions sont applicables devant la chambre des appels correctionnels par l'effet des dispositions de l'article 512 du même code.

7. Aux termes de l'article 802 du code de procédure pénale, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.

8. En l'absence de l'information exigée par l'article 406 précité, cette atteinte est nécessairement caractérisée (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-85.699, Bull. Crim. 2015, n° 178).

9. En cas de notification tardive, cette atteinte est également caractérisée lorsque le prévenu prend la parole avant d'avoir reçu cet avertissement.

10. L'arrêt attaqué mentionne que le président a constaté la présence du prévenu, que le conseiller rapporteur a vérifié son identité, puis a rappelé les faits et la prévention.

11. Il expose qu'avant tout débat sur le fond, l'avocat du prévenu a soulevé des nullités et a déposé des conclusions, et que ni un autre avocat ni le ministère public n'ont fait d'observation, enfin, que l'incident a été joint au fond.

12. Il ajoute que le conseiller rapporteur a informé le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire puis a présenté le rapport de l'affaire.

13. Si c'est à tort qu'il a été procédé à cette notification à M. [P] après les débats tenus sur l'exception de nullité, l'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure.

14. En effet, il ne résulte pas des pièces de procédure que l'intéressé ait pris la parole à ce stade des débats.

15. Le moyen doit donc être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable d'avoir dissimulé volontairement son visage dans des circonstances faisant craindre un trouble à l'ordre public, et a statué sur la peine et sur les intérêts civils, alors que « la dissimulation de visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique n'est punissable que si elle est commise dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public ; qu'en se bornant à relever, pour condamner M. [P] de ce chef, qu'il avait dissimulé une partie de son visage lors d'une manifestation de gilets jaunes dans l'intention d'empêcher toute reconnaissance de la part des policiers à qui il faisait face, mais sans caractériser un contexte faisant craindre une atteinte à l'ordre public lors de cette manifestation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 645-14 du code pénal. »

Réponse de la Cour

17. L'article R. 645-14 du code pénal punit le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public

18. Pour déclarer M. [P] coupable de cette contravention, l'arrêt retient que, le 16 février 2019, des policiers se trouvaient en mission de sécurisation aux abords de la station de métro [1] à [Localité 2], à l'occasion d'une manifestation du mouvement dit des « gilets jaunes », et ont identifié un homme, entièrement vêtu de noir et dissimulant son visage, qu'ils avaient déjà observé lors de précédentes manifestations et qui, une nouvelle fois, se mettait en face des effectifs de police qu'il photographiait.

19. Les juges précisent que dans le même temps, des tracts circulaient parmi les manifestants, affichant le portrait de policiers en civil, photographiés quinze jours auparavant par la même personne qui prenait la fuite à l'arrivée des fonctionnaires.

20. La cour d'appel ajoute que dans ce contexte et au vu des tensions qui présidaient au déroulement de ces journées, le port d'un cache-col par un homme étant déjà intervenu sur des manifestations, vêtu pour la circonstance, ne saurait être sérieusement analysé comme l'expression du seul souhait de se protéger du froid.

21. En prononçant par ces motifs, dont il résulte que c'est dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public que le prévenu a dissimulé volontairement son visage afin de ne pas être identifié, la cour d'appel a justifié sa décision.

22. Le moyen doit donc être rejeté.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [P] à une peine d'emprisonnement de quatre mois avec sursis pour les délits poursuivis, alors :

« 1°/ que la peine sanctionnant le délit de refus de se soumettre aux opérations de prélèvement mentionnées à l'article 55-1 du code de procédure pénale doit être proportionnée à la peine qui pourrait être infligée pour l'infraction à l'occasion de laquelle ce prélèvement a été demandé ; qu'en prononçant un emprisonnement de quatre mois avec sursis contre M. [P] au titre, notamment, du délit de refus de se soumettre à des prélèvements digitaux et palmaires, sans motiver sa décision sur le caractère proportionné de cette peine par rapport à celle encourue pour les infractions à l'occasion desquelles ces prélèvements avaient été demandés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 132-1 du code pénal et 55-1 et 485 du code de procédure pénale ;

2°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à l'absence de motifs ; que la cour d'appel énonce, en son dispositif, prononcer une amende de 500 euros contre M. [P] et, en ses motifs, une amende de 200 euros ; que cette contradiction entraînera la cassation de l'arrêt attaqué pour violation de l'article 485 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

24. Selon ce texte, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

La contradiction entre les motifs et le dispositif d'un arrêt équivaut à un défaut de motifs.

25. Les motifs de l'arrêt attaqué énoncent que M. [P] est condamné à 200 euros d'amende et son dispositif à 500 euros d'amende.

26. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 10 décembre 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Barbier - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 171, 406, 512 et 802 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-85.699, Bull. crim. 2015, n° 178 (cassation) ; Crim., 16 octobre 2019, pourvoi n° 18-86.614, Bull. crim. 2019 (cassation) ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi n° 21-81.656, Bull. crim. 2021 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.